Le fait que l'Union européenne ait
adopté le 2 mars un pacte fiscal alors même que l'économie européenne est en
train de se contracter en souligne le caractère de classe profondément réactionnaire
et anti-ouvrier.
L'expérience historique montre
que la réduction des dépenses publiques aggrave une récession naissante. D'une
perspective purement budgétaire, le pacte fiscal semble insensé. Comme le
montre l'exemple de la Grèce, la perte de revenus publics causée par une
récession majeure dépasse de loin toute économie faite par une réduction des
dépenses, en augmentant finalement le déficit budgétaire et la dette nationale
plutôt que de les diminuer.
Il serait naïf de croire que les
chefs des gouvernements européens qui ont adopté vendredi lors du sommet de
l'UE à Bruxelles le pacte fiscal n'en sont pas conscients. Au contraire, ils
cherchent délibérément à causer une récession et ils le font pour des raisons politiques
et de classe définies. Ils entendent recourir au chômage de masse comme machine
de guerre pour réduire les salaires des travailleurs et démanteler les acquis sociaux
et les services publics.
Ce n'est pas la première fois que
la classe dirigeante a délibérément provoqué une récession pour créer les
conditions favorables à une attaque contre la classe ouvrière. En 1981, la
Réserve fédérale américaine avait relevé son taux d'intérêt clé à un taux sans
précédent de 20 pour cent, étranglant par là les achats de maisons et de
voitures ainsi que de biens de consommation et provoquant des fermetures
d'usines et une série de faillites d'entreprises. Le résultat fut la plus
profonde récession depuis la Deuxième guerre mondiale.
L'objectif fut de venir à bout du
mouvement ouvrier qui, malgré la trahison des dirigeants syndicaux, avait été
obligé, du fait de la résistance combative de la classe ouvrière, d'organiser
une vague de grèves afin de maintenir les niveaux de salaire et ce malgré une
inflation galopante. La culmination de ce mouvement fut, entre 1977 et 1978,
une grève de 111 jours par 100.000 mineurs de charbon. Les mineurs avaient
défié une injonction de reprise du travail délivrée par le président démocrate
Jimmy Carter.
L'homme responsable de la hausse
des intérêts à des niveaux record d'après-guerre, le président de la Réserve
fédérale, Paul Volcker, avait été nommé à son poste en août 1979 par Carter. Il
était resté le patron de la Réserve fédérale sous le successeur républicain de
Carter, Ronald Reagan, et avait mené une politique de
« désindustrialisation » impliquant le démantèlement des sections les
moins rentables de l'industrie et un glissement de l'économie américaine de la
production vers la spéculation et la manipulation financière.
Initiée par la destruction du
syndicat des contrôleurs du ciel PATCO par le gouvernement Reagan en 1981 -
effectué avec la collaboration de la direction de la confédération syndicale AFL-CIO
- une campagne de dix ans fut lancée pour briser les grèves, attaquer les
syndicats et monter des machinations judiciaires contre les ouvriers dans le
but d'engager la destruction des salaires et remettre en question les acquis
obtenus par les luttes de la classe ouvrière durant les décennies précédentes.
L'inégalité sociale grimpa en flèche tout comme la richesse des revenus
supérieurs.
D'une manière identique, les
dirigeants européens sont à présent en train de poursuivre consciemment une politique
déflationniste afin de détruire les améliorations antérieures des salaires et
des conditions sociales gagnées par la classe ouvrière. La chancelière
allemande, Angela Merkel, la force motrice derrière le pacte fiscal, a à
maintes reprises souligné que l'Europe n'avait pas d'avenir si elle n'était pas
capable d'accroître sa « compétitivité » - c'est-à-dire réduire les
coûts de production en appauvrissant la classe ouvrière et en intensifiant son
exploitation.
A première vue, il pourra sembler
paradoxal que de tous les pays, ce soit spécialement l'Allemagne qui insiste
sur une plus grande compétitivité elle qui a, de par sa réduction considérable
des coûts de main d'oeuvre des dernières années, profité de l'euro plus que
tout autre pays, enregistrant un vaste excédent commercial. Toutefois, la
question pour l'Allemagne n'est pas seulement le marché européen mais plutôt le
marché mondial où les salaires, dans des pays tels que la Chine, le Vietnam et
le Bangladesh, sont de plus en plus considérés comme des niveaux de référence.
Les banques d'investissement et
les fonds spéculatifs qui contrôlent les marchés financiers internationaux
exigent des rendements de 20 pour cent ou plus. De tels rendements ne peuvent
être réalisés qu'avec des niveaux d'exploitation tels que ceux qui avaient
prévalu durant les premiers jours du capitalisme industriel.
Le capitalisme allemand ne peut se
maintenir sur le marché mondial que s'il peut compter sur l'Europe comme centre
de production et comme marché interne (de là son adhésion à l'Union européenne
et à l'euro) tout en réduisant en même temps les salaires et les niveaux
sociaux européens à des niveaux internationaux (de là sa promotion du pacte
fiscal).
Il arrive à l'occasion que les autres
gouvernements européens râlent contre les dictats allemands. Mais, face aux
tensions sociales grandissantes, la classe dirigeante en Europe serre les rangs
contre la classe ouvrière. Ceci explique pourquoi 25 des 27 gouvernements de
l'UE ont adhéré au pacte fiscal. Pour la même raison, des pays tels la Croatie,
la Serbie et la Turquie restent déterminés à joindre l'Union européenne malgré
la crise de l'euro.
Ceci explique aussi l'application
de mesures d'austérité dévastatrices en Grèce. Il est à présent clair que ces
mesures ne sauveront pas le pays de la faillite mais accéléreront plutôt le
processus d'insolvabilité. L'objectif véritable est d'établir un nouveau
critère pour l'ensemble de l'Europe. Les travailleurs doivent être forcés à
s'habituer à des salaires de misère, à la destruction des services d'éducation,
de soins de santé et autres services sociaux, ainsi qu'à l'élimination de
centaines de milliers d'emplois dans le secteur public.
Tout retour à une politique de
compromis social est impossible dans les conditions d'un effondrement mondial
du système capitaliste qui a débuté avec le krach de Wall Street en 2008. Les
divisions de classe en Europe ont atteint des niveaux ne permettant plus de
demi-mesure ou de conciliation. Ceci est prouvé par le glissement du côté de la
réaction de toutes les organisations, qui jadis promouvaient la réforme
sociale, la démocratie et la paix. Les partis sociaux-démocrates, soutenus par
les syndicats, assument un rôle de premier plan dans l'imposition des mesures
d'austérité tandis que les anciens pacifistes Verts sont devenus le chef de
claque pour la guerre impérialiste.
Celui qui prêche la réforme
sociale de nos jours - tel le parti La Gauche (Die Linke) en Allemagne et des
organisations identiques - ne le fait que pour tromper et désorienter les travailleurs.
La crise européenne a des implications révolutionnaires qui ne peuvent être
évitées.
Le pacte fiscal et ses conséquences
ne peuvent être appliqués par des moyens démocratiques. En 1930, le chancelier
allemand Heinrich Brüning avait introduit des mesures identiques dans le
contexte d'une crise économique internationale. Deux ans plus tard, Hitler
prenait le pouvoir en Allemagne.
Même les plus fondamentaux des droits
démocratiques et sociaux ne peuvent être défendus de nos jours que sur la base d'un
programme socialiste et de la mobilisation de masse de la classe ouvrière. Les
travailleurs doivent s'unir à travers l'Europe pour lutter pour les droits les
plus fondamentaux - le droit à un emploi, à un salaire décent, à une retraite
sûre, à l'éducation, aux soins de santé, au logement - et briser le pouvoir de
l'oligarchie financière et de son instrument politique, l'Union européenne. A
la place des gouvernements bourgeois existants, les travailleurs doivent
établir des gouvernements ouvriers qui placent les besoins sociaux avant les
intérêts de profit du patronat. L'Union européenne doit être remplacée par les
Etats socialistes unis d'Europe.
Une nouvelle direction doit être
construite pour organiser cette lutte et l'armer d'un programme révolutionnaire.
Ceci signifie la construction du Comité International de la Quatrième
Internationale et de ses sections, les partis de l'Egalité socialiste.