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WSWS : Histoire et culture

Valkyrie : Un thriller, mais pas un film historique

Par Peter Schwarz
4 février 2009

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Réalisé par Bryan Singer, scénario de Christopher McQuarrie et Nathan Alexander.

Valkyrie est un thriller, mais ce n’est pas un film historique. Le réalisateur Bryan Singer, les scénaristes Christopher McQuarrie et Nathan Alexander, et l’acteur principal Tom Cruise ont utilisé la tentative d’assassinat contre Hitler du 20 juillet 1944 comme base pour une histoire qui a bien plus à voir avec les stéréotypes idéologiques de l’époque Bush que les réalités de l’Allemagne de 1944.

L’histoire des détails formels (l’apparence physique des protagonistes et les moindres caractéristiques de la tentative d’assassinat) a été copiée avec beaucoup de soins, de talent et avec tous les moyens dont dispose Hollywood. Aucune lumière n’est toutefois faite sur les idées, les motifs, les convictions politiques et les contextes sociaux. On nous présente le bien et le mal, les héros et les criminels, le noir et le blanc, mais sans nuance, sans contradictions, pas de développement ni de contexte social.

Tom Cruise a enfilé l’uniforme de l’assassin d’Hitler Claus Schenk von Stauffenberg afin de jouer l’un de ces véritables héros dont le cinéma est rempli. Il personnifie Stauffenberg comme quelqu’un d’irréprochable déterminé à éliminer Hitler et son régime. « On peut servir l’Allemagne ou le Führer mais pas les deux », clame-t-il dans la première scène, qui se déroule dans le désert africain. Il sera par la suite rapidement blessé et retournera en Allemagne.

Cela suffit pour expliquer les motivations de Stauffenberg. Selon les créateurs, il serait superflu d’en dire plus.

Cette représentation est bien différente du véritable Stauffenberg : un opposant de la démocratie, un antisémite et un partisan de la guerre à ses débuts. Les conceptions politiques et idéologiques de Stauffenberg cadreraient mal dans une épopée héroïque; elles sont donc écartées.

Dans un article pour le Süddeutsche Zeitung Magazin, l’historien Richard J. Evans, un spécialiste sur le Troisième Reich, a décrit ainsi les convictions de l’assassin d’Hitler : « La perspective morale de Stauffenberg était un assortiment varié d’enseignements catholiques, d’un code d’éthique aristocrate, de l’esprit de la Grèce antique et de la poésie romantique allemande. » Sous l’influence du poète Stefan George, Stauffenberg aspirait à « un empire médiéval idéalisé » à travers lequel « l’Europe, sous la gouverne de l’Allemagne, atteindrait un niveau supérieur de culture et de civilisation ».

Ces conceptions étaient compatibles avec les objectifs des nazis. Bien que Stauffenberg n’ait jamais joint le parti d’Hitler, dont le caractère plébéien entrait en contradiction avec ses propres inclinations élitistes, il appuya Hitler pour le président du Reich lors des élections de 1932 et célébra son arrivée à la chancellerie du Reich en 1933. Il vit dans les nazis un « mouvement de renouveau national qui allait mettre un terme aux vieux compromis parlementaires de Weimar ». Et il « croyait qu’une politique de nettoyage de la race allemande et d’élimination des influences juives sur elle devait constituer une partie cruciale de ce renouveau », écrit Evans.

Stauffenberg accueilli la guerre la guerre comme une étape essentielle vers la création d’un grand empire européen sous la suprématie allemande. Il ne devint opposant d’Hitler qu’à l’approche de la défaite. Bien que s’opposant au massacre de civils, de juifs et de prisonniers de guerre perpétré lors de l’offensive allemande à l’Est, cette opposition reposait davantage sur des considérations stratégiques que morales. Selon lui, les grands plans de l’Allemagne ne pouvaient être réalisés sans gagner l’appui d’une section de la population civile. Il souhaitait provoquer une guerre civile contre le régime de Staline plutôt que de faire de toute la population un ennemi par la terreur.

La transformation de Stauffenberg, d’un enthousiaste partisan d’Hitler  à son assassin, aurait pu faire un film intéressant. Mais un tel film ne contiendrait pas le héros immaculé que Tom Cruise nous présente. Il devrait nous présenter un personnage considérablement plus complexe et soulever des questions que Valkyrie évite délibérément : des questions sur les buts politiques de l’opposition, sa composition sociale, sa relation avec d’autres couches sociales, les conditions de vie de la société allemande, etc.

Le film ne fait rien de tout cela. Il limite son regard à l’étroite section, militaire et aristocratique, de la résistance qu’avait joint Stauffenberg. Et même ces personnages apparaissent schématiques et sans nuance, et ce malgré un groupe remarquable d’acteurs.

Afin que Stauffenberg nous soit présenté dans toute sa splendeur, les autres protagonistes sont montrés comme des indécis, des lâches ou des opportunistes (de vieux gentlemen impuissants qui argumentent farouchement à propos de leurs plans et qui, de manière bureaucratique, émettent des cartes d’identités pour les conspirateurs), une représentation absurde étant donné l’immense réseau de surveillance maintenu par l’Etat nazi.

Le spectateur en apprend encore moins sur le passé de ces personnages que sur celui de Stauffenberg. Ils étaient principalement des opposants résolus à l’égalité et à la démocratie. Stauffenberg les avait fait jurer de mépriser « le mensonge de l’égalité » et de se soumettre à l’ordre du « rang naturel ». La plupart avaient appuyé Hitler lorsqu’il écrasa le mouvement ouvrier et réarma l’Allemagne pour venger la « honte » du Traité de Versailles. Ils décidèrent de s’opposer après avoir admis que la guerre était déjà perdue et que sa poursuite mènerait à une défaite totale.

Les civils et les gens ordinaires n’apparaissent qu’en périphérie du film. Les seules exceptions sont la femme aristocrate de Stauffenberg, Nina, et Carl Friedriech Goerdeler, un politicien allemand nationaliste et ultraconservateur qui avait été choisi par les conspirateurs pour devenir le futur chancelier.

Également, les clichés abondent. Nina est l’épouse jolie, aimante, accompagnée de quatre enfants charmants et Stauffenberg est le père attentif, vivant tous dans le luxe et l’harmonie. On a ici l’image de la famille américaine idéale plutôt que la famille d’un officier allemand au milieu de la guerre.

Goerdeler représente « le politicien » et en tant que tel, il a une influence perturbatrice. Le renversement de la dictature nazie n’est pas présenté comme un problème politique, mais comme un problème purement militaire, principalement le problème technique des explosifs. C’est là le véritable credo du film. Il est impossible de ne pas voir de parallèles avec l’idéologie contemporaine de la « guerre contre le terrorisme », qui définit les conflits qui ont des sources sociales et politiques comme des conflits purement militaire, et qui veut les « résoudre » comme tels.

Un conspirateur annonce : « Il n’existe pas de problème qui ne peut être résolu avec l’utilisation judicieuse d’explosifs. » Stauffenberg lui-même insiste : « Il s’agit d’une opération militaire, pas politique. » Il affirme qu’aucun civil ne doit participer à la tentative de coup d’Etat. Son contrôle doit demeurer entre les mains des officiers, « les piliers fondamentaux de l’État et la véritable incarnation de la nation ».

Il y a un peu de vrai dans une telle représentation, mais le film traite de cette question sans critique et même l’exagère. En réalité, les conspirateurs de l’entourage de Stauffenberg ont gardé des contacts avec les politiciens, y compris avec plusieurs dans le camp des sociaux-démocrates et des syndicats, comme le social-démocrate Julius Leber, qu’ils avaient l’intention de nommer ministre de l’Intérieur dans leur gouvernement.

Toutefois, ils n’avaient aucune intention d’organiser une rébellion populaire contre les nazis. Leurs opinions politiques et leur position sociale leur interdirent d’entreprendre un tel geste. Une telle rébellion aurait été non seulement dirigée contre le Führer et ses plus proches partisans, mais aussi contre les supporteurs d’Hitler au sein de la grande entreprise et des cercles militaires aristocratiques desquels eux-mêmes provenaient. Ainsi, ils ont planifié la révolte comme une conspiration militaire. C’est ce qui explique l’exécution amateur et l’échec de la conspiration, qui est montré dans le film mais sans qu’on lui donne une explication crédible.

En réalité, en Allemagne de 1944, il y avait une hostilité largement répandue envers le régime nazi. Douze ans plus tôt, dans les dernières élections quasi-libres, des millions de travailleurs avaient voté pour les sociaux-démocrates et les communistes. Plusieurs étaient prêts à affronter les nazis avec l’arme à la main. Mais l’échec des dirigeants du Parti social-démocrate et du Parti communiste allemand l’empêcha et la terreur nazie déchaînée après l’élection d’Hitler a empêché toute résistance organisée. La majorité de ces travailleurs communistes et sociaux-démocrates n’ont jamais soutenu les nazis. Ils ont vécu les poings serrés dans les poches et auraient appuyé tout mouvement de rébellion sérieux. De plus, de larges couches sociales avaient maintenant perdu leurs illusions en conséquence des défaites et des privations de la guerre et espéraient sa fin.

Rien de tout cela ne transparait dans le film Valkyrie. Le film présente Stauffenberg comme un combattant solitaire et héroïque, le destin de l’Allemagne dépendant de son énergie, son talent et sa détermination. La tension du film ne vient exclusivement que du cours des événements qui y sont décrits. Ici, le directeur Bryan Singer (X-Men, Le retour de Superman) connaît son métier. Le suspens est appuyé par la direction, le travail de la caméra, le montage et la musique. Mais cela est loin d’être suffisant pour la compréhension historique du complot du 20 juillet.

(Article original anglais paru le 2 février 2009)


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