Réalisé par Bryan Singer, scénario de Christopher McQuarrie
et Nathan Alexander.
Valkyrie est un thriller, mais ce n’est pas un film
historique. Le réalisateur Bryan Singer, les scénaristes Christopher McQuarrie
et Nathan Alexander, et l’acteur principal Tom Cruise ont utilisé la tentative
d’assassinat contre Hitler du 20 juillet 1944 comme base pour une histoire qui
a bien plus à voir avec les stéréotypes idéologiques de l’époque Bush que les
réalités de l’Allemagne de 1944.
L’histoire des détails formels (l’apparence physique des
protagonistes et les moindres caractéristiques de la tentative d’assassinat) a
été copiée avec beaucoup de soins, de talent et avec tous les moyens dont
dispose Hollywood. Aucune lumière n’est toutefois faite sur les idées, les
motifs, les convictions politiques et les contextes sociaux. On nous présente
le bien et le mal, les héros et les criminels, le noir et le blanc, mais sans
nuance, sans contradictions, pas de développement ni de contexte social.
Tom Cruise a enfilé l’uniforme de l’assassin d’Hitler Claus
Schenk von Stauffenberg afin de jouer l’un de ces véritables héros dont le
cinéma est rempli. Il personnifie Stauffenberg comme quelqu’un d’irréprochable déterminé
à éliminer Hitler et son régime. « On peut servir l’Allemagne ou le Führer
mais pas les deux », clame-t-il dans la première scène, qui se déroule
dans le désert africain. Il sera par la suite rapidement blessé et retournera
en Allemagne.
Cela suffit pour expliquer les motivations de Stauffenberg.
Selon les créateurs, il serait superflu d’en dire plus.
Cette représentation est bien différente du véritable
Stauffenberg : un opposant de la démocratie, un antisémite et un partisan
de la guerre à ses débuts. Les conceptions politiques et idéologiques de
Stauffenberg cadreraient mal dans une épopée héroïque; elles sont donc
écartées.
Dans un article pour le Süddeutsche Zeitung Magazin, l’historien Richard J. Evans, un spécialiste sur le
Troisième Reich, a décrit ainsi les convictions de l’assassin d’Hitler :
« La perspective morale de Stauffenberg était un assortiment varié
d’enseignements catholiques, d’un code d’éthique aristocrate, de l’esprit de la
Grèce antique et de la poésie romantique allemande. » Sous l’influence du
poète Stefan George, Stauffenberg aspirait à « un empire médiéval
idéalisé » à travers lequel « l’Europe, sous la gouverne de
l’Allemagne, atteindrait un niveau supérieur de culture et de
civilisation ».
Ces conceptions étaient compatibles avec les objectifs des nazis.
Bien que Stauffenberg n’ait jamais joint le parti d’Hitler, dont le caractère
plébéien entrait en contradiction avec ses propres inclinations élitistes, il
appuya Hitler pour le président du Reich lors des élections de 1932 et célébra
son arrivée à la chancellerie du Reich en 1933. Il vit dans les nazis un
« mouvement de renouveau national qui allait mettre un terme aux vieux
compromis parlementaires de Weimar ». Et il « croyait qu’une
politique de nettoyage de la race allemande et d’élimination des influences
juives sur elle devait constituer une partie cruciale de ce renouveau »,
écrit Evans.
Stauffenberg accueilli la guerre la guerre comme une étape
essentielle vers la création d’un grand empire européen sous la suprématie
allemande. Il ne devint opposant d’Hitler qu’à l’approche de la défaite. Bien que
s’opposant au massacre de civils, de juifs et de prisonniers de guerre perpétré
lors de l’offensive allemande à l’Est, cette opposition reposait davantage sur
des considérations stratégiques que morales. Selon lui, les grands plans de
l’Allemagne ne pouvaient être réalisés sans gagner l’appui d’une section de la
population civile. Il souhaitait provoquer une guerre civile contre le régime
de Staline plutôt que de faire de toute la population un ennemi par la terreur.
La transformation de Stauffenberg, d’un enthousiaste
partisan d’Hitler à son assassin, aurait pu faire un film intéressant. Mais un
tel film ne contiendrait pas le héros immaculé que Tom Cruise nous présente. Il
devrait nous présenter un personnage considérablement plus complexe et soulever
des questions que Valkyrie évite délibérément : des questions sur
les buts politiques de l’opposition, sa composition sociale, sa relation avec
d’autres couches sociales, les conditions de vie de la société allemande, etc.
Le film ne fait rien de tout cela. Il limite son regard à
l’étroite section, militaire et aristocratique, de la résistance qu’avait joint
Stauffenberg. Et même ces personnages apparaissent schématiques et sans nuance,
et ce malgré un groupe remarquable d’acteurs.
Afin que Stauffenberg nous soit présenté dans toute sa
splendeur, les autres protagonistes sont montrés comme des indécis, des lâches
ou des opportunistes (de vieux gentlemen impuissants qui argumentent
farouchement à propos de leurs plans et qui, de manière bureaucratique,
émettent des cartes d’identités pour les conspirateurs), une représentation
absurde étant donné l’immense réseau de surveillance maintenu par l’Etat nazi.
Le spectateur en apprend encore moins sur le passé de ces
personnages que sur celui de Stauffenberg. Ils étaient principalement des
opposants résolus à l’égalité et à la démocratie. Stauffenberg les avait fait
jurer de mépriser « le mensonge de l’égalité » et de se soumettre à
l’ordre du « rang naturel ». La plupart avaient appuyé Hitler
lorsqu’il écrasa le mouvement ouvrier et réarma l’Allemagne pour venger la
« honte » du Traité de Versailles. Ils décidèrent de s’opposer après
avoir admis que la guerre était déjà perdue et que sa poursuite mènerait à une
défaite totale.
Les civils et les gens ordinaires n’apparaissent
qu’en périphérie du film. Les seules exceptions sont la femme aristocrate de
Stauffenberg, Nina, et Carl Friedriech Goerdeler, un politicien allemand
nationaliste et ultraconservateur qui avait été choisi par les conspirateurs
pour devenir le futur chancelier.
Également, les clichés abondent. Nina est
l’épouse jolie, aimante, accompagnée de quatre enfants charmants et
Stauffenberg est le père attentif, vivant tous dans le luxe et l’harmonie. On a
ici l’image de la famille américaine idéale plutôt que la famille d’un officier
allemand au milieu de la guerre.
Goerdeler représente « le
politicien » et en tant que tel, il a une influence perturbatrice. Le
renversement de la dictature nazie n’est pas présenté comme un problème
politique, mais comme un problème purement militaire, principalement le
problème technique des explosifs. C’est là le véritable credo du film. Il est
impossible de ne pas voir de parallèles avec l’idéologie contemporaine de la
« guerre contre le terrorisme », qui définit les conflits qui ont des
sources sociales et politiques comme des conflits purement militaire, et qui
veut les « résoudre » comme tels.
Un conspirateur
annonce : « Il n’existe pas de problème qui ne peut être résolu
avec l’utilisation judicieuse d’explosifs. » Stauffenberg lui-même
insiste : « Il s’agit d’une opération militaire, pas
politique. » Il affirme qu’aucun civil ne doit participer à la tentative
de coup d’Etat. Son contrôle doit demeurer entre les mains des officiers,
« les piliers fondamentaux de l’État et la véritable incarnation de la
nation ».
Il y a un peu de vrai dans une telle
représentation, mais le film traite de cette question sans critique et même
l’exagère. En réalité, les conspirateurs de l’entourage de Stauffenberg ont
gardé des contacts avec les politiciens, y compris avec plusieurs dans le camp
des sociaux-démocrates et des syndicats, comme le social-démocrate Julius
Leber, qu’ils avaient l’intention de nommer ministre de l’Intérieur dans leur
gouvernement.
Toutefois, ils n’avaient aucune intention
d’organiser une rébellion populaire contre les nazis. Leurs opinions politiques
et leur position sociale leur interdirent d’entreprendre un tel geste. Une
telle rébellion aurait été non seulement dirigée contre le Führer et ses plus
proches partisans, mais aussi contre les supporteurs d’Hitler au sein de la
grande entreprise et des cercles militaires aristocratiques desquels eux-mêmes
provenaient. Ainsi, ils ont planifié la révolte comme une conspiration
militaire. C’est ce qui explique l’exécution amateur et l’échec de la
conspiration, qui est montré dans le film mais sans qu’on lui donne une
explication crédible.
En réalité, en Allemagne de 1944, il y
avait une hostilité largement répandue envers le régime nazi. Douze ans plus
tôt, dans les dernières élections quasi-libres, des millions de travailleurs
avaient voté pour les sociaux-démocrates et les communistes. Plusieurs étaient
prêts à affronter les nazis avec l’arme à la main. Mais l’échec des dirigeants
du Parti social-démocrate et du Parti communiste allemand l’empêcha et la
terreur nazie déchaînée après l’élection d’Hitler a empêché toute résistance
organisée. La majorité de ces travailleurs communistes et sociaux-démocrates
n’ont jamais soutenu les nazis. Ils ont vécu les poings serrés dans les poches
et auraient appuyé tout mouvement de rébellion sérieux. De plus, de larges
couches sociales avaient maintenant perdu leurs illusions en conséquence des
défaites et des privations de la guerre et espéraient sa fin.
Rien de tout cela ne transparait dans le
film Valkyrie. Le film présente Stauffenberg comme un combattant solitaire et
héroïque, le destin de l’Allemagne dépendant de son énergie, son talent et sa
détermination. La tension du film ne vient exclusivement que du cours des
événements qui y sont décrits. Ici, le directeur Bryan Singer (X-Men, Le retour
de Superman) connaît son métier. Le suspens est appuyé par la direction, le
travail de la caméra, le montage et la musique. Mais cela est loin d’être
suffisant pour la compréhension historique du complot du 20 juillet.