World Socialist Web Site
 
wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

WSWS : Histoire et culture

Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme 1973-1985

Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale

Imprimez cet article | Ecrivez à l'auteur

Tables des matières


Première partie: du trotskysme à l'opportunisme

9. Le Quatrième congrès de mars 1979

10. La campagne électorale

11. La dégénérescence du régime du parti

12. Le levain gauchiste et la dérive centriste de droite

13. 1981 : le WRP adopte la politique du Front populaire

14. Les pleins pouvoirs au GLC !

15. Le WRP attaque les syndicats

16. Vers un parti de « Loi et d’ordre »

9. Le Quatrième congrès de mars 1979

La politique adoptée au Quatrième congrès du Workers Revolutionary Party fut le point culminant de quatre années de stupidités ultra gauchistes qui avaient ébranlé les racines du parti dans les syndicats et dans le mouvement ouvrier. Les délégués se réunissaient alors que la bourgeoisie britannique était sous le choc que lui avait causé l’offensive de l’hiver précédent. Convaincue que le gouvernement Callaghan avait perdu contrôle de la situation, elle se préparait à un coup parlementaire pour évincer les sociaux-démocrates et les remplacer par un gouvernement conservateur, le plus réactionnaire depuis la fin de la guerre. Le Quatrième congrès ne prit nullement conscience de ces développements. Au lieu de cela, Healy et Banda y présentèrent un document qui glorifiait la campagne frénétique du WRP pour renverser le gouvernement travailliste.

Le document des perspectives du Quatrième congrès était consacré par pages entières à justifier les positions prises par le parti depuis 1975. Il commettait pratiquement toutes les erreurs que L. Trotsky avait analysées en 1931-1932, durant la lutte contre la théorie stalinienne de la « Troisième période ».

Le document déclarait: « Les dirigeants travaillistes ne s’appuient plus sur la classe ouvrière. Durant près de trois ans le gouvernement a gouverné, non pas avec le consentement de la classe ouvrière, mais en se fiant aux éléments les plus réactionnaires dans les partis Tory, libéral, nationaliste écossais et unioniste d’Ulster, et avec l’approbation des banquiers européens et américains à l’étranger... Le maintien au pouvoir du gouvernement travailliste comporte de grands dangers pour la classe ouvrière, car il camoufle les conspirations de la part de l’armée, de la police et de l’aile droite. » (traduit de The World Political and Economic Crisis, the Building of the Workers Revolutionary Party and the Struggle for Power [La crise économique et politique mondiale, la construction du WRP et la lutte pour le pouvoir], pp. 29-30)

Chaque ligne de ce document révèle la désorientation complète qui régnait dans la direction du WRP. Affirmer que la social-démocratie ne s'appuie pas sur la classe ouvrière, revient à nier ses origines historiques et ignorer sa fonction politique spécifique. En Grande-Bretagne, plus que dans tout autre pays d’Europe, la social-démocratie est une création du mouvement syndical. Le fait que ses dirigeants fonctionnent comme des agents politiques de la classe dirigeante a été reconnu par les marxistes depuis longtemps. C’est pourquoi, on définit le Parti travailliste scientifiquement comme un parti ouvrier bourgeois. La valeur de cette notion est qu’elle met à nu la contradiction qui domine la vie politique de la classe ouvrière orientant ainsi les révolutionnaires vers la lutte pour permettre aux masses de rompre avec le Parti travailliste. En affirmant simplement que le Parti travailliste s’appuyait sur les Tories, tout en ignorant la question essentielle, à savoir que la bourgeoisie s’appuyait sur les Travaillistes, le WRP renversait aussi bien la réalité politique que la tactique du parti.

En moins de trois semaines, et précisément parce qu’ils avaient perdu toute confiance dans la capacité du Parti travailliste à retenir la classe ouvrière, les Tories allaient introduire une motion de censure dans le but d’imposer de nouvelles élections. Le Quatrième congrès n’en proclamait pas moins allègrement:

« Seule une lutte résolue de la classe ouvrière sous la direction du Workers Revolutionary Party peut renverser ce qui reste du gouvernement travailliste et donner une perspective socialiste à la classe ouvrière.

« L’expérience de la classe ouvrière et de notre parti a prouvé qu’aucune lutte efficace contre les Tories n’est possible sans une campagne implacable contre la menace gouvernementale – et contre tous ceux qui cachent leur approbation du gouvernement Callaghan derrière la façade de protestations et d’appels réformistes pour l’expulsion de Healey [Denis Healey, chancelier de l’Echiquier, ndlr] et Callaghan. » (Ibid., p. 33)

L’essence politique de ces phrases creuses était la prostration et le pessimisme petits-bourgeois devant la bureaucratie travailliste. La conclusion qui en découlait était l’impossibilité de combattre les dirigeants de droite en mobilisant la classe ouvrière au sein du Parti travailliste et des syndicats. C’est en cela que réside la clé pour la compréhension du contenu de classe de la position politique du WRP. Sa campagne pour le renversement du gouvernement travailliste ne se basait pas sur le militantisme grandissant de la classe ouvrière et sur son hostilité au réformisme, mais plutôt sur la frustration et le désillusionnement croissants de la classe moyenne à l’égard de la social-démocratie. Ainsi, l’appel pour des élections générales représentait une tentative erronée d’éluder la lutte contre le réformisme dans le mouvement ouvrier. On permettait par là au contraire à la classe moyenne d’utiliser tout son poids social dans ce qui allait devenir à coup sûr un référendum national sur la question du gouvernement travailliste.

La politique du WRP était criblée de contradictions inextricables. Premièrement, Healy s’égosillait à demander que les travailleurs renversent le gouvernement travailliste, lequel, affirmait-il, s’appuyait sur les Tories et ensuite comme le montre la résolution du Quatrième congrès, il disait que:

« Le Workers Party Revolutionary présentera dans l’éventualité d’élections générales ses propres candidats mais n’hésitera pas à proposer à la base travailliste une lutte commune pour empêcher le retour des Tories et des libéraux au gouvernement. » (Ibid., p. 32)

Ce que n’a jamais expliqué Healy, c’est pourquoi la lutte contre la social-démocratie nécessitait un détour aussi laborieux que celui des élections!  Pourquoi attribuait-on des dons guérisseurs et des pouvoirs miraculeux à une campagne électorale?  Healy n’expliquait pas non plus pourquoi le parti devait proposer une lutte commune pour tenir les Tories en échec, si le Parti travailliste, lui, s’appuyait sur les Tories.

De plus, pourquoi Healy insistait-il pour mener une campagne électorale en maintenant la direction travailliste en place ce qui est la seule conclusion à tirer de l’opposition explicite du WRP « aux appels réformistes pour l’expulsion de Healey et Callaghan. » (Ibid., p. 33)

Cette position s’avéra être une grossière erreur de calcul – une aventure politique d’un défaitisme tel qu’on n’en avait pas vu depuis que Shachtman avait proposé de se servir de Hitler pour changer le gouvernement en Union soviétique. La revendication du WRP de renverser le gouvernement travailliste allait coïncider avec les plans des Tories qui, ayant apprécié correctement l’humeur de la classe moyenne, allait imposer la dissolution du Parlement à la fin du mois de mars.

10. La campagne électorale

Le 28 mars 1979, les Tories soumettaient au Parlement une motion de censure qui, pour la première fois en plus de 55 ans, fit tomber un gouvernement. Quatre jours plus tôt, le WRP avait fini par s’apercevoir de ce qui se passait et publia un avertissement tardif disant que « des forces réactionnaires se rassemblaient pour une attaque sans précédent et tous azimuts, afin de précipiter la classe ouvrière dans la misère, d’écraser ses organisations et ses droits démocratiques fondamentaux. » (News Line, le 24 mars 1979)

Mais sur la même page on pouvait voir, et c’était annoncé très visiblement en première page dans son annonce pour la 19ème conférence annuelle des Young Socialists [Jeunes Socialistes, YS], la revendication suivante: « Renversons le gouvernement travailliste ».

Proclamant que « Ce sont les Ides de mars » (jour de l’assassinat de Jules César – ndlr) la résolution, rédigée par Banda, déclarait: « Tous ceux qui prennent parti pour cette bouffonnerie grotesque du maintien du gouvernement travailliste sont désormais complètement démasqués. La politique du WRP et des YS concernant le renversement du gouvernement travailliste dans le cadre de la lutte pour le pouvoir a été confirmée sans conteste. Mais, le fait que les Tories aient souligné nos avertissements, tout en les décuplant de façon réactionnaire et perverse au centuple, ne nous donne absolument aucune satisfaction. » (News Line, le 26 mars 1979)

Même la rhétorique churchillienne de Banda ne pouvait cacher le fait que la politique du WRP avait été un désastre. Il admettait avec dépit qu’ « Il aurait mieux valu que le gouvernement Callaghan avec ses destructeurs d’emplois et ses sabreurs de salaires à la Heath aient été renversés par la classe ouvrière en janvier 1974. » (Ibid.)

En fait, il aurait mieux valu qu’à partir de 1975 le WRP combatte les Travaillistes à la L. Trotsky, c’est-à-dire en concentrant le tir sur les traîtres travaillistes qui ouvraient la voie aux Tories, en demandant que les beaux parleurs de gauche rompent avec Callaghan en chassant l’aile droite, en intervenant dans les luttes continuelles contre les Travaillistes pro Tories dans les organisations locales du Parti travailliste et en mobilisant systématiquement la classe ouvrière sur la base des revendications de transition. Une telle politique aurait accru l’autorité du parti aux yeux des militants du Parti travailliste et de la classe ouvrière dans son ensemble.

La démoralisation contenue dans la résolution se révélait par l’absence d’appel à une mobilisation de la classe ouvrière pour qu’elle arrête les Tories en votant pour les Travaillistes, ce qui indique qu’elle tenait une victoire des conservateurs pour acquise.

Un nouveau tournant eut lieu à ce moment dans la politique du WRP. Reconnaissant que toute sa politique antérieure avait été discréditée par le coup parlementaire des Tories, les dirigeants du WRP cherchèrent à jeter de la poudre aux yeux à leurs membres et à la classe ouvrière en affirmant que si Thatcher gagnait, cela ne changerait rien. Ils se mirent, à l’aide de véritables acrobaties rhétoriques, à dénoncer divers groupes révisionnistes affirmant qu’un gouvernement Tory serait pire qu'un gouvernement travailliste:

« Ce qu’il y a de décisif aujourd’hui en Grande-Bretagne, ce n’est pas de savoir si subjectivement Thatcher et Joseph haïssent plus la classe ouvrière que Callaghan et Healey et sont donc plus avides de l’attaquer.

« Le facteur décisif est la crise mondiale objective et son impact sur le capitalisme britannique. La situation est prête en Grande-Bretagne pour la guerre civile, peu importe qui gagne les prochaines élections générales.

« Affirmer, comme le font tous les révisionnistes, que des attaques majeures contre les travailleurs ne peuvent survenir que si les Tories gagnent et qu’ils seront relativement à l’abri si ce sont les Travaillistes qui remportent les élections, revient à laisser la classe ouvrière dans l’impréparation face aux batailles à venir. » (News Line, le 7 avril 1979)

Tenir un tel raisonnement c’était se moquer du marxisme. L’importance objective des formes politiques par lesquelles se manifeste la lutte des classes n’était pas du tout prise en compte. Un trotskyste aurait raisonné de la façon suivante: « Indépendamment des similarités subjectives entre Thatcher et Callaghan, il ne faut pas permettre aux Tories de revenir au pouvoir pour achever le travail commencé par Heath. Bien que Callaghan nous ait trahis, il n’y a pas de raison de le punir à nos dépens. Commençons par le commencement. Nous devons mobiliser la classe ouvrière sur la base d’un programme révolutionnaire pour tenir les Tories à l’écart du pouvoir. Nous devons faire échouer la tentative des sociaux-démocrates de démoraliser les travailleurs en appelant à un vote massif, mais critique, en faveur des Travaillistes. Ceci portera un grand coup au capitalisme et va ainsi créer les meilleures conditions pour démasquer les traîtres sociaux-démocrates, une fois pour toutes. »

Le WRP n’a rien dit de semblable. Bien au contraire, la déclaration du News Line ajoutait: « Nous savons qu’un grand nombre de travailleurs voteront Travailliste aux élections, espérant ardemment que leurs emplois et leurs conditions de vie pourront être préservés par un autre gouvernement travailliste. On ne peut pas protéger les intérêts des travailleurs de cette façon. »

Que proposait donc le WRP ?  Il présentait 60 candidats pour mettre en avant ce qu’il appelait des « principes socialistes » – c'est-à-dire qu’il offrait une diversion propagandiste à la place d’une véritable stratégie politique pour mobiliser la classe ouvrière. Une intervention électorale avec des candidats se présentant sous la bannière du parti, ne pouvait être efficace que si cette campagne avait pour objectif de mobiliser la classe ouvrière contre les Tories, tout en démasquant les Travaillistes et en préparant les travailleurs à l’inévitable confrontation révolutionnaire avec ces réformistes.

Plutôt que de lutter avec une position révolutionnaire claire, accessible à tout travailleur politiquement conscient, l’intervention du WRP était un modèle d’évasions et d’ambiguïtés politiques:

« Le Workers Revolutionary Party participe à ces élections générales, non pour rallier les travailleurs aux Callaghan, Foot et Benn, mais pour mettre en avant notre perspective d’organisation de la lutte pour le pouvoir. »

Fondamentalement, le contenu de la position du WRP – disant qu’il n'y a pas de différence entre les sociaux-démocrates et les Tories – faisait la même erreur grossière que celle que L. Trotsky avait examinée dans la lutte contre les staliniens, peu avant la victoire de Hitler. En réponse à l’argument stalinien selon lequel, puisque le fascisme et la social-démocratie servent tous deux la bourgeoisie, il n’y a pas de différence entre eux, L. Trotsky écrivait:

« Le fond de cette philosophie stalinienne est très simple: partant de la négation marxiste d’une contradiction absolue, elle en tire une négation de la contradiction en général, même relative. C’est l’erreur typique du gauchisme vulgaire. Car s’il n’existe aucune contradiction entre la démocratie et le fascisme, même au niveau des formes que prend la domination de la bourgeoisie, ces deux régimes doivent tout simplement coïncider. D’où la conclusion: social-démocratie = fascisme. » (Léon Trotsky, Comment vaincre le fascisme, Editions Buchet/Chastel, Paris, 1973, p. 97)

Les dirigeants du WRP n’ont appelé à un vote en faveur des Travaillistes qu’occasionnellement, enfouissant de plus ces appels au plus profond de leurs appels électoraux. Or, la graine de l’opportunisme commençait déjà à germer, sous une forme ultra gauchiste. Le jour même des élections, et ce, après avoir déclaré à maintes reprises que le résultat du vote n’avait pas d’importance et qu’on était au bord de la guerre civile, le WRP lançait aux travailleurs et à la classe moyenne un appel étonnant pour qu’ils se présentent massivement aux urnes afin d’ « asséner un coup électoral mortel [!] au conservatisme.» (News Line, le 3 mai 1979)

Il avertissait ensuite que Thatcher avait l’intention de détruire les syndicats ainsi que les droits fondamentaux de la classe ouvrière. Comme arme de dissuasion contre cette menace, le News Line attirait l’attention sur ses 60 candidats et déclarait: « Bien que cela ne soit pas suffisant pour former un gouvernement, nous offrons contre la crise économique mondiale du capitalisme et ses manifestations dans la Grande-Bretagne en faillite l’alternative claire d’une politique socialiste. » (Ibid.)

Mais que devaient faire les travailleurs face à la victoire imminente des Tories qui menaçait de destruction le mouvement ouvrier ? Le WRP offrait cette étonnante perspective:

« Aux prochaines élections générales, peu importe quand elles auront lieu, nous nous efforcerons de présenter suffisamment de candidats pour former un gouvernement. »

Il ne s’agissait pas d’une remarque en passant: Healy se voyait confronté au fait qu’un gouvernement Thatcher était devenu réalité; il était en train de faire naufrage avec sa politique ultra gauchiste expérimentée pendant quatre ans et c’est alors qu’il saisissait un parachute ‘ opportuniste ‘ et sautait. Un abandon de la classe ouvrière, aussi bien en Grande-Bretagne qu’internationalement, avait caractérisé la période de 1975 à 1979. Comme nous allons le montrer plus tard, par son travail à l’extérieur de la Grande-Bretagne le WRP avait entretenu des relations opportunistes avec des éléments non prolétariens et réactionnaires. En Grande-Bretagne, les conditions d’un tel tournant avaient été soigneusement préparées quoique pendant un certain temps masquées par une démagogie d’extrême gauche.

11. La dégénérescence du régime du parti

Des signes annonciateurs de la nature de classe de ce tournant furent révélés par la destruction en 1974-1975 de cadres syndicaux du parti dans les industries de base. Cette situation avait créé les conditions pour une croissance dangereuse de l’influence de la classe moyenne dans la direction du parti – représentée en particulier par des éléments comme les Redgrave et Alex Mitchell. En effet, Healy s’appuyait de plus en plus sur ces forces ainsi que sur une dizaine d’individus socialement déclassés, travaillant au siège du parti. Cette couche sociale était devenue la principale courroie de transmission d’intérêts non prolétariens dans le Workers Revolutionary Party. La « lutte » de 1975-1979 contre les sociaux-démocrates reflétait l’impatience de ces éléments petits-bourgeois radicaux à l’égard de la classe ouvrière, ainsi que leur incapacité à mener une lutte systématique contre la bureaucratie travailliste et syndicale. De plus, ces éléments, tels les journalistes, acteurs et actrices qui étaient passés directement de Fleet Street et du West End au Comité politique du WRP sans le moindre apprentissage dans la lutte de classe, ouvraient un accès à des ressources matérielles telles que le parti n’en avait jamais connues. D’importantes sommes d’argent furent mobilisées sans aucun lien avec les luttes quotidiennes des membres du parti dans la classe ouvrière. La direction centrale acquérait ainsi une indépendance vis-à-vis des membres qui détruisit les fondements du centralisme démocratique.

Le parti fut divisé entre un « en haut » – une clique d'individus exaltés, regroupés autour de Healy – et un « en bas » occupé par des centaines de membres de la base qui étaient exclus du processus de prises de décisions et qui n’étaient là que pour recevoir des ordres. C’est ainsi qu’une série de relations politiques destructrices furent créées dans le parti. La direction se préoccupait de moins en moins des relations telles qu’elles existaient réellement entre le parti et les travailleurs dans la lutte de classe. Les contacts entre le bureau central et les cellules du WRP prenaient un caractère purement administratif, semblables à ceux existant entre une filiale d’entreprise et le siège social. Healy devint un personnage distant que la plupart des membres ne connaissaient même pas – et lui ne savait que peu de choses sur eux. Ses voyages à Beyrouth, Damas, Bagdad, Abou Dhabi et Tripoli étaient sans nul doute bien plus fréquents que ses visites à Glasgow, Sheffield, Manchester et Cardiff.

La diplomatie ambitieuse de Healy, complétée par l’accès à de vastes ressources matérielles, rendues accessibles surtout par le fait qu’il utilisa Vanessa Redgrave de façon opportuniste comme carte de visite du WRP au Moyen-Orient, tout cela eut un effet corrosif sur la politique du parti et sur ses rapports avec la classe ouvrière. Peu importe quelles aient été les intentions premières de Healy, cette pratique a joué un rôle dans le processus à travers lequel le WRP devint politiquement prisonnier de forces de classe non prolétariennes. Au moment même où la nécessité la plus urgente de corriger son orientation était posée, le « succès » du travail du WRP au Moyen-Orient qui, depuis le début, manquait de tout point de référence prolétarien de base, le rendait de moins en moins dépendant d’une implantation dans la classe ouvrière en Grande-Bretagne et internationalement. Les rapports étroits et les relations de confiance, que le WRP avait établis avec la classe ouvrière britannique et internationale au cours de décennies de lutte pour les principes trotskystes, se détérioraient constamment. L’isolement du WRP de la classe ouvrière grandissait en proportion directe avec son abandon des principes. Ce processus fut illustré par un fait très révélateur. Aux élections de mai 1979, les Travaillistes avaient obtenu un nombre de votes supérieur, car les travailleurs avaient pris soin d’aller aux urnes afin de délivrer un solide vote de classe contre les Tories et ce, en dépit de leur haine pour Callaghan. Or, Thatcher prit le pouvoir grâce, précisément, au virage radical vers la droite de la classe moyenne, de cette même force sociale sur laquelle, à partir de 1975, les dirigeants du WRP avaient basé leur lutte contre les sociaux-démocrates, demandant un référendum électoral sur le Parti travailliste. Malgré cela, le WRP trouva le moyen, dans son compte-rendu des résultats électoraux, de se vanter en disant: « Nous n’avons pas appelé à une victoire du Parti travailliste. » (News Line, le 5 mai 1979) Ce qui signifiait, de la part du WRP, se glorifier de son indifférence vis-à-vis de la classe ouvrière.

L’article poursuivait ainsi: « Nous croyons que la leçon la plus essentielle à tirer des quatre années et demi de gouvernement travailliste et de la débâcle des élections générales est que la classe ouvrière a été laissée sans direction par les dirigeants travaillistes et ceux du TUC. »

En écrivant cette déclaration, la rédaction du News Line ne s’est probablement pas rendue compte qu’elle livrait un jugement dévastateur sur le rôle joué par le Workers Revolutionary Party au cours des quatre années écoulées.

Si la classe ouvrière avait été laissée sans direction, c’est parce que son avant-garde révolutionnaire et ses sections les plus politiquement conscientes avaient été désorientées par la direction du WRP. En effet, cette dernière, après avoir mis un terme à son aventure défaitiste, prenait peur face aux conséquences et se défilait de façon opportuniste.

12. Le levain gauchiste et la dérive centriste de droite

La réaction des dirigeants du WRP à la victoire des Tories fut d’entreprendre une marche politique forcée et de longue haleine vers la droite culminant dans une vile adaptation aux réformistes du Parti travailliste. Ce virage se manifesta pour la première fois clairement dans le soutien que le WRP ne se cacha pas d’accorder à la bureaucratie de l’ISTC (le syndicat des ouvriers de la sidérurgie) et à son dirigeant de droite, Bill Sirs, au moment où celui-ci trahissait une grève de trois mois menée par les sidérurgistes.

La grève avait commencé en janvier 1980 et au début, le WRP tenta de mobiliser les syndicats en faisant campagne pour une grève générale contre la destruction d’emplois mise en oeuvre par les Tories. Au début, le parti avait pris une attitude critique face à la direction de Sirs. Dans une déclaration parue en première page du News Line, il déclarait le 18 janvier 1980 que « Sirs et ses collègues bureaucrates du TUC ont fait tout leur possible pour éviter les conséquences politiques de cette confrontation et pour limiter la grève à des questions purement syndicales et salariales.

« Les dirigeants syndicaux sont terrifiés par la confrontation qui s’annonce avec les Tories et l’Etat capitaliste, car ils savent qu’une grève générale soulèvera immédiatement la question du pouvoir d’Etat.

« Voilà la question centrale posée par la grève de l’acier, qu’aucun compromis réformiste et qu’aucune manoeuvre bureaucratique ne peuvent résoudre. Durant la grève, Sirs a fait tout ce qu’il a pu pour empêcher qu’elle ne s’étende et pour maintenir l’attention de ses membres concentrée sur les revendications salariales. »

Dix jours plus tard, le News Line publiait une déclaration de l’All Trades Unions Alliance (l’aile syndicale du WRP) dénonçant de façon acerbe le dirigeant de l’ISTC: « Depuis, Sirs s’est vanté à la presse conservatrice d’avoir ‘ empêché ‘ avec Chapple un mouvement vers une grève générale... » (le 28 janvier 1980)

Le 29 janvier 1980, le News Line liait une critique de Sirs à la dénonciation d’un autre dirigeant syndical très connu: « Ou bien considérons la politique d’Arthur Scargill, le A. J. Cooke des années 1980, qui s’efforce de faire de la grève de l’acier une lutte pour les salaires contre les Tories, comme il le fit déjà en 1974. Scargill ne pose que des revendications très modérées aux dirigeants du TUC, dont la responsabilité consiste à mobiliser le mouvement syndical pour défendre les emplois, les salaires et les droits fondamentaux, mais qui ont consciemment trahi la grève des pompiers en 1977-1978. »

Après cette déclaration, il se produisit un mystérieux changement dans le ton politique du News Line. Pendant le mois suivant, aucune critique ne fut formulée contre Sirs bien qu’il continua à s’opposer à la mobilisation de la classe ouvrière pour soutenir les sidérurgistes en lutte contre le gouvernement conservateur. Dans le News Line, l’accent fut placé sur le danger de la violence des Tories. Dans une longue déclaration du Comité politique, publiée le 25 février 1980 et intitulée « Unissons-nous contre la violence des Tories », aucune des critiques formulées envers Sirs durant les premières semaines de la grève, ne fut reprise. Une longue déclaration de la rédaction, parue le premier mars 1980, ne critiquait pas non plus la direction de l’ISTC. On ne mentionnait même pas le nom de Sirs.

Et pour finir, le News Line du 6 mars 1980 rapportait sur un ton vaguement critique qu’il y avait danger que les dirigeants syndicaux ne battent en retraite. Le jour suivant il y eut quelques critiques très modérées concernant la séparation entre la question des salaires et celle de l’emploi.

Le numéro du 8 mars 1980 publiait une annonce pleine page, payée par l’ISTC, qui félicitait le News Line de « son information détaillée et honnête ».

La grève se poursuivit pendant tout le mois de mars et le soutien aux sidérurgistes continua de croître dans la classe ouvrière, tout particulièrement parmi les dockers de Liverpool. Mais le News Line persista à ne plus critiquer la direction de l’ISTC, lui faisant tout au plus la leçon à l’occasion, tel ce commentaire dans le numéro du 14 mars 1980 qui notait en une seule phrase : « Sirs ne demanderait pas publiquement aux dirigeants du TUC d’agir. »

Le 31 mars 1980 la direction Sirs trahissait la grève de façon décisive, concluant un lamentable accord salarial et s’associant aux propositions des conservateurs, qui garantissaient la destruction de dizaines de milliers d’emplois dans l’industrie sidérurgique. La bureaucratie de l’ISTC acceptait de collaborer avec la British Steel Corporation pour introduire des mesures d’accélération du travail et de réduction des frais de production, mesures qui allaient avoir des conséquences désastreuses pour toute l’industrie. Les termes de l’accord furent presque immédiatement et largement connus.

Sirs accepta la clause 4(3) par laquelle on s’entendait pour « réduire le surplus de personnel interne par une restructuration de l’emploi » et la clause 4(4) qui promettait d’examiner les « champs d’activité qui étaient en excédent des besoins ». La clause 4(6) ouvrait grand la porte à l’abolition de la semaine de travail garantie et la clause 5(4)b stipulait qu’il fallait faire entrer en ligne de compte des facteurs externes comme une chute persistante de la demande en acier.

Dans un premier temps, la direction du WRP sembla avoir eu le souffle coupé par une trahison aussi délibérée. On tenta de sauver la face devant les sidérurgistes qui dénonçaient publiquement l’accord. Le News Line du 2 avril 1980 qualifiait l’accord entre l’ISTC et British Steel de trahison et dans le numéro du lendemain, un éditorial signé par Alex Mitchell et intitulé « Colère face à la reprise du travail dans la sidérurgie » notait que l’accord salarial ne compensait même pas l’inflation.

Cependant, Healy fut extrêmement offusqué de cette attaque contre la bureaucratie de l’ISTC qui quelques semaines auparavant, avait exprimé l’estime qu’elle nourrissait pour le reportage non critique que le News Line avait donné de son rôle dans la préparation de cette trahison. Tout comme les autres journaux nationaux, le News Line ne parut pas le 4 avril 1980. Healy profita de ce jour férié pour introduire dans la politique du WRP un changement décisif. Quand le journal reparut le samedi 5 avril 1980, une déclaration du Comité politique annonçait en première page un tournant décisif dans l’évaluation de la grève. La brève incursion de Mitchell dans le militantisme syndical fut stoppée net. Le News Line allait désormais et de façon écoeurante, défendre la trahison de Sirs:

« Après trois mois d’une grève exténuante, les sidérurgistes avaient conduit cette lutte purement salariale aussi loin qu’ils le pouvaient et il n’y avait pas un sou de plus à obtenir.

« S’ils ont repris le travail, c’est pour affronter le prochain tour des attaques conservatrices qui menacent 50 000 emplois...

« Ce sont les dirigeants du TUC dans le conseil général qui ont trahi la grève des sidérurgistes et non les dirigeants de l’ISTC. Bill Sirs ne prétend pas être un révolutionnaire ou quoi que ce soit de la sorte.

« Les révisionnistes, rassemblés derrière les bavards et les phraseurs du soi-disant ‘Socialist Workers Party’, font paraître leur journal cette semaine, ayant en gros titre ‘Trahison’. (Socialist Worker, 5 avril 1980)

« Ceux qui essaient d’attaquer Bill Sirs obscurcissent délibérément la question. Qu’ils le veuillent ou non, ils couvrent ceux qui ont véritablement trahi la grève de l’acier – les dirigeants du TUC. »

Ce type de sophismes minables avait été jusque-là le monopole exclusif des journaux staliniens, spécialisés dans la recherche d’excuses pour ceux qui trahissent la classe ouvrière et dans la dénonciation de ceux qui critiquent les traîtres. Healy faisait à présent entrer cette ligne contre-révolutionnaire en contrebande dans le News Line.

13. 1981: Le WRP adopte la politique du Front populaire

La trahison cynique des sidérurgistes était liée au fait que la direction du WRP s’était détournée des intérêts de la classe ouvrière et n’était que l’annonce d’un abandon complet des principes au cours de l’année 1981. Ayant abandonné, à cause de son impatience, la difficile lutte politique et théorique contre la social-démocratie au sein de la classe ouvrière, Healy s’efforçait à présent d’établir un modus operandi absolument opportuniste dans le mouvement ouvrier. Tout le travail du WRP commença à se concentrer, non plus sur l’implantation dans le mouvement de masse par « en bas » – à savoir, par le recrutement un à un de jeunes et de travailleurs des usines et leur transformation en cadres – mais par « en haut » – c’est-à-dire en entretenant des relations amicales avec des politiciens travaillistes et des fonctionnaires syndicaux occupant des postes stratégiques.

L. Trotsky avait mis en garde, en se basant sur une analyse rétrospective des expériences du Parti communiste britannique, affirmant que: « L’une des sources psychologiques de l’opportunisme est l’impatience superficielle, le manque de confiance en la croissance constante de l’influence du parti, le désir de gagner les masses à l’aide de manoeuvres organisationnelles ou de la diplomatie personnelle. C’est de là que provient la politique des accords en coulisse, la politique du silence, du camouflage, du renoncement à ses droits, de l’adaptation aux idées et aux slogans des autres et finalement le passage avec armes et bagages aux positions de l’opportunisme. » (traduit de Marxism and the Trade Unions, New Park, p. 74)

De toutes les formes d’opportunisme, il n’y en a pas de plus dangereuse et de politiquement plus funeste que cette conception selon laquelle la classe ouvrière peut s’emparer de l’appareil d’Etat capitaliste en catimini et qu’elle peut ensuite le mettre à son service. Lassalle fut le premier à faire fausse route sur cette question, et chaque tentative ultérieure dans ce sens produisit non pas seulement des erreurs plus grandes encore, mais de véritables crimes et trahisons. Healy était désormais prêt à expérimenter ce genre de folie politique.

Après la grève des sidérurgistes, Healy rétablissait ses liens avec un nommé Ted Knight, un agent travailliste qui opérait à Lambeth. Cet homme fut associé à Healy au début des années 1960, mais lorsqu’il fut forcé de choisir entre le trotskysme et une carrière dans le Parti travailliste, il écouta la voix de sa conscience et rompit définitivement avec la Socialist Labour League (le prédécesseur du WRP). Or, leurs chemins se croisaient de nouveau après une longue séparation. Ils découvrirent que chacun détenait quelque chose que l’autre convoitait. Knight avait des relations importantes dans le Parti travailliste et était en bons termes avec un politicien de « gauche », un petit-bourgeois « arriviste » nommé Ken Livingstone. Healy, contrôlant de son côté un certain nombre d’imprimeries, pouvait mettre les ressources d’un grand appareil à la disposition de Knight. Un marché fut conclu. Healy procurerait à Knight un moyen d’élargir sa sphère d’influence tout en détournant les critiques venant de la gauche. Knight procurerait à Healy, du moins « Ted le Rouge » le prétendait-il, sous la forme du conseil municipal de Lambeth et de celui du Grand Londres (GLC), quelque chose qui remplacerait de façon acceptable le pouvoir ouvrier.

Ayant abandonné la lutte pour la dictature du prolétariat, Healy, approchant de ses 70 ans, était prêt à négocier pour gagner quelque influence sur les titans londoniens du réformisme. S’étant engagé sur la voie révolutionnaire en 1928, Healy – comme bien d’autres qu’il avait combattus et méprisés par le passé – s’était enfin convaincu de la futilité de la Longue Marche. Il fallait trouver un raccourci et il s’empara d’une idée singulière: s’il ne pouvait pas convaincre la classe ouvrière de remplacer le Parlement par des soviets, pourquoi ne pas convaincre quelques parlementaires de devenir des commissaires du peuple ?

Conclure un marché avec Knight était une chose, le faire accepter au parti en était une autre. La mise en scène politique de cet « Opéra de quat' sous » devait être dotée d’une phraséologie de gauche adéquate et c’est ainsi que surgit la notion du gouvernement ouvrier révolutionnaire s’appuyant sur les Community Councils (ou conseils communautaires).

Malgré les assurances prodiguées aux membres que le gouvernement ouvrier révolutionnaire basé sur les Community Councils n’était que la version moderne et anglicisée de la dictature du prolétariat basée sur les soviets, le contenu réel de cette espèce inconnue jusque-là du pouvoir d’Etat, était bien loin d’être ce que le WRP prétendait.

Tels qu’ils étaient définis dans les déclarations programmatiques du WRP, les Community Councils étaient des gouvernements locaux capitalistes et non pas des organes indépendants du pouvoir prolétarien. Selon le WRP, ces conseils avaient pour fonction spécifique d’être des annexes des conseils municipaux travaillistes coincés entre la classe ouvrière d’un côté et les compressions financières des Tories de l’autre.

Il est particulièrement révélateur que le WRP n’ait attribué aux organisations syndicales de masse qu’un rôle négligeable dans la formation et la direction de ces conseils, malgré le poids écrasant des syndicats dans la vie politique et sociale de la classe ouvrière. Selon le Manifeste ‘81, adopté au Cinquième congrès du WRP en février 1981, le WRP dit bien qu’« Au coeur même des conseils communautaires se trouveront les syndicats. Mais, les conseils communautaires feront de la lutte pour l’emploi, pour les conditions de vie et les droits démocratiques de base la responsabilité de toute la communauté et non seulement des organismes locaux, comme les conseils syndicaux. » (p. 8, caractères gras ajoutés)

Dans la pratique, le WRP allait bientôt exiger la complète subordination des luttes syndicales aux intérêts des institutions des gouvernements locaux dominés par les Travaillistes et qui en 400 ans étaient devenus en Grande-Bretagne des organes de l’Etat capitaliste. Bien que deux ans plus tôt il eût insisté sur le fait que les Travaillistes dépendaient des Tories, le WRP allait désormais ignorer le rôle crucial joué par les « gouvernements locaux » dominés par les Travaillistes pour maintenir la domination de l’Etat capitaliste sur la classe ouvrière. La politique développée par le WRP avançait implicitement la notion totalement réformiste selon laquelle les gouvernements locaux, une fois que les conseillers travaillistes y avaient la majorité, devenaient des organes de gouvernement ouvrier. Ce qui revenait purement et simplement à ressusciter les vieilles notions discréditées du socialisme « municipal » qui florissaient à l’époque de la Deuxième Internationale et qui forment aujourd’hui la base de la stratégie stalinienne en Italie.

Le WRP avait parcouru bien du chemin depuis l’époque où il s’opposait à cette subordination de la classe ouvrière à la bourgeoisie et même à des dirigeants petits-bourgeois comme Castro. Il glorifiait désormais la possibilité de démocratiser les institutions de l’Etat capitaliste et de les utiliser dans l’intérêt de la classe ouvrière.

Pour comprendre le caractère non prolétarien du rôle central que le WRP attribuait aux conseils communautaires, il faut lire la revendication suivante:

« Les conseils communautaires doivent incorporer certaines institutions communautaires locales déjà existantes qui ont surgi presque du jour au lendemain dans certaines régions – par exemple, les groupes communautaires contre la violence policière, contre le racisme, contre les fermetures d’écoles et d’hôpitaux, contre les restrictions budgétaires dans les services locaux comme les terrains de jeu et les bibliothèques, contre les coupures de budget dans les services médicaux et l’éducation universitaire et aussi les organisations de locataires et de contribuables. » (Ibid., caractères gras ajoutés)

Tout cela avait un air très populaire et très démocratique, mais il s’agissait bien d’une tentative d’attribuer dans la lutte révolutionnaire le rôle central non plus au prolétariat et à ses organisations indépendantes de classe, mais à des « organes locaux » socialement indéterminés, et qui sont en réalité des subdivisions de l’Etat capitaliste. Et il fallait que cet affaiblissement du rôle du prolétariat conduise tout droit à faire ouvertement par le biais du front populaire la réclame de la collaboration de classe. Le WRP insistait sur le fait que les conseils communautaires, « doivent ouvrir leurs portes à tous ceux qui combattent les Tories – les groupes travaillistes locaux, les autres organisations politiques dans le mouvement ouvrier et d’autres gens sans aucune considération de religion, de couleur, de nationalité et même s’ils ont par erreur [!] voté conservateur aux dernières élections générales. » (Ibid., caractères gras ajoutés)

On ne précisait pas si ces « autres gens » pouvaient être des conservateurs « modérés » qui auraient « par erreur » eu des fonctions dans des gouvernements conservateurs par le passé et qui, comme Ted Heath, auraient « par erreur » tenté de détruire les syndicats. Pour Healy cela se trouvait dans le domaine de la « question ouverte ».

14. Les pleins pouvoirs au GLC !

Si la lutte du parti pour des élections générales entre 1975 et 1979 l’avait transformé en instrument involontaire de la politique des Tories, sa campagne pour les conseils communautaires à partir de 1981 en faisait un agent conscient des trahisons des sociaux-démocrates. Dorénavant, tout le travail de la direction du WRP allait se concentrer à échafauder une alliance avec des sections du Parti travailliste et de la bureaucratie syndicale contre la classe ouvrière. Cette nouvelle ligne politique fut inaugurée dans la pratique en janvier 1981, non sans quelques légers problèmes.

Confrontés à l’exigence des conservateurs d’opérer des restrictions de budget dans les services locaux, les conseillers municipaux travaillistes de Lambeth, sous la houlette de Ted Knight, devaient se décider entre la défense des services en question et donc une lutte contre le gouvernement et une dérobade à cette lutte, aux dépens de la classe ouvrière et au moyen d’une augmentation des impôts locaux.

Le WRP se prononça contre l’augmentation des impôts. Un éditorial du News Line du 7 janvier 1981, intitulé « Ne faites pas ce sale boulot », faisait la mise en garde suivante:

« Les municipalités qui augmentent les impôts pour essayer de contrer les coupures de budget des Tories jouent avec le feu. C’est non seulement économiquement absurde – l’augmentation des impôts ne peut tout simplement pas constituer une compensation – mais cela constitue un suicide politique.

« C’est dangereux pour d’autres raisons. Ces augmentations jettent le fardeau de la politique des Tories sur les familles de la classe ouvrière, qui subissent déjà les pires problèmes à cause du chômage et des prix exorbitants du gaz, de l’électricité, du chauffage et des transports publics.

« Ces mesures frappent aussi la classe moyenne et transforment des alliés anti-Tories potentiels en opposants acharnés des Travaillistes et des syndicats. C’est ce que les Tories veulent. »

Mais un jour plus tard, le 8 janvier 1981, le News Line rapportait que Lambeth avait été contraint d’augmenter les impôts. Dès le 9 janvier 1981, son éditorial soutenait l’augmentation: « Si le conseil n’avait pas décidé d’augmenter les impôts, le résultat aurait été une autre faillite financière majeure, les conseillers municipaux auraient été rendus responsables d’un déficit de 11,2 millions de livres sterling et menacés de voir la gestion prise en main par des huissiers gouvernementaux. Cela n’aurait fait qu’aider les Tories et avoir d’horribles conséquences pour l’avenir des circonscriptions. »

Sept ans auparavant, le WRP avait mis en avant une politique révolutionnaire de défense des programmes sociaux. Il déclarait alors: « Le logement, la santé, l’éducation sont des services publics auxquels les richesses du pays doivent avant tout être consacrées. La nationalisation du sol, des bâtiments et de l’industrie des matériaux de construction, des banques, des usines de produits pharmaceutiques est la seule base d’un développement de ces services.

« L’endettement de ces services, indispensables aux banques et autres usuriers, doit être immédiatement annulé. Les conseillers travaillistes doivent être forcés d’annuler ces dettes et de maintenir les services nécessaires. » (traduit de WRP Perspectives, adoptées le premier août 1974).

Cette politique fut jetée par-dessus bord pour permettre au parti de s’adapter aux réformistes de Lambeth. Healy s’arrangea pour que le News Line du 17 janvier 1981 publie une édition spéciale de 24 pages, contenant un supplément de huit pages faisant l’éloge des conseillers municipaux de Lambeth et de Ted Knight. Une déclaration de la rédaction appelait à une conférence de « la crise du gouvernement local » à Londres pour « donner un soutien total au conseil municipal de Lambeth contrôlé par les Travaillistes » qui, disait-il, « a pris une position correcte et résolue. »

Dénonçant les attaques faites par divers groupes révisionnistes contre la décision de Lambeth d’élever les impôts, les phraseurs du News Line écrivaient: « Les conseillers de Lambeth sont les premiers à admettre qu’ils ne peuvent pas continuer à subventionner les coupures de budget des Tories par des augmentations d’impôts. Le prix politique en serait désastreux et, économiquement, c’est infaisable.

« Mais là n’est pas le problème. La question à Lambeth se pose ainsi: ou bien déclarer faillite, se faire relever de ses fonctions par le gouvernement central et laisser entrer les huissiers des Tories ou bien rester et combattre la politique de récession de Thatcher-Heseltine…

« Nous ne croyons pas que le conseil de Lambeth ou tout autre conseil travailliste doive se suicider politiquement. Leur tâche consiste à rester en fonction et à faire campagne pour le développement d’un mouvement de masse contre les Tories et pour l’unité de tous les groupes de la communauté contre la politique de récession de Thatcher...

« Il serait ridicule et réactionnaire d’arrêter la lutte à Lambeth maintenant et avant que la vraie bataille n’ait commencé, ce que souhaiteraient les révisionnistes. »

Ce n’était rien d’autre que le langage du crétinisme parlementaire, selon lequel il faut faire dépendre le sort de la classe ouvrière de la défense de quelques postes de politiciens réformistes de troisième catégorie.

Healy ne s’embarrassait pas de cohérence dans sa ligne politique. Deux ans à peine auparavant, il avait insisté pour renverser le gouvernement travailliste, tout en admettant que dans les conditions de l’époque les Tories mèneraient des attaques féroces contre la classe ouvrière s’ils gagnaient les élections. Le même Healy disait à présent qu’« il serait ridicule et réactionnaire » pour les Travaillistes de « commettre un suicide politique » ... en défiant les Tories !

Dès le 19 janvier 1981, dans un éditorial d’une page, le News Line demandait aux travailleurs de: « soutenir fermement la municipalité de Lambeth ». On y trouvait une apologie des Travaillistes honteuse à tous points de vue et dénonçant tous ceux s’opposant à leur décision d’augmenter les impôts. La sournoiserie de Healy enlevait tout sens au terme « révisionniste ». La trahison des dirigeants du WRP redorait le blason des groupuscules petits-bourgeois.

« Les révisionnistes prennent la résolution ‘ contre l’augmentation des impôts ‘ et la transforment en question morale. Samedi, ils s’en sont servis pour battre les conseillers de Lambeth sans considérer un instant la situation objective changée du tout au tout et la nécessité d’établir par-dessus tout un front anti-Tory à partir de bases déterminantes comme celles de Lambeth.

« Il n’y a pas de solution qui passe par des hausses d'impôts et le conseil de Lambeth n’a jamais dit qu’il y en avait une. Mais il était absolument correct de la part de la majorité du conseil municipal d’introduire un impôt supplémentaire, la semaine dernière, pour pouvoir tenir la position contre Thatcher et rester à leurs postes électoraux...

« Ceux qui abandonnent sans lutter les anciens acquis sont incapables de faire des gains nouveaux. Ceux qui prêchent une telle solution sont vraiment les ‘ gens de Thatcher ‘, car ils parlent ‘ son ‘ langage...

« En d’autres mots, derrière leurs faux propos ‘ de gauche ‘, et derrière leurs discours sur une ‘ position militante contre Thatcher ‘, ils s’acharnent, en fait, à chasser les Travaillistes de Lambeth et à y faire entrer les Tories. »

Ceci n’était rien d’autre que de la rhétorique stalinienne que le WRP utilisait pour masquer son opportunisme et dénoncer ceux qui s’opposaient aux sociaux-démocrates. Cette intervention démontrait que le WRP se transformait consciemment en un appendice de la social-démocratie. Il parachevait ainsi sa désertion du trotskysme et rejoignait le camp du centrisme. A partir de 1981, le WRP défendait explicitement l’Etat capitaliste contre la classe ouvrière, allant jusqu’à justifier des attaques contre le mouvement ouvrier en invoquant les problèmes fiscaux rencontrés par les représentants du gouvernement.

Le News Line du 20 janvier 1981, continuant sur sa lancée, dénonçait ceux qui attaquaient les augmentations d’impôts parce qu’ils ne reconnaissaient pas que « nous vivons dans le capitalisme et dans un capitalisme qui se trouve au stade d’une crise énorme où les droits de l’Etat providence sont écrasés par un gouvernement Tory ultra réactionnaire. »

Bien que développée par Healy, cette ligne politique de droite trouva des amateurs parmi une couche de professeurs sociaux-démocrates qui, depuis des années, ronflaient au sein du WRP – ne quittant leurs tanières universitaires qu’à chaque fois qu’on en avait besoin pour une alliance avec Healy dans une guerre fractionnelle contre ceux qui défendaient une position prolétarienne dans le parti. Parmi ceux qui, enthousiasmés, se portèrent volontaires pour défendre les réformistes de Lambeth il n’y avait personne d’autre que Tom Kemp, de l’université de Hull. Il compara les adversaires des hausses d’impôts aux staliniens allemands qui avaient fait campagne en 1931 aux côtés des fascistes pour renverser le gouvernement social-démocrate, avec le fameux « Référendum rouge ». Dommage que Kemp n’eût pas écrit son article deux ans plus tôt.

Kemp eut un éclair de génie dans son article tourmenté quant à la vraie signification du « tournant de Lambeth »:

« Le Workers Revolutionary Party a ainsi un moyen de devenir respectable dans certaines sections du mouvement ouvrier qui commencent tout juste à se détourner du réformisme. A cet égard, cela élargit et approfondit les rapports avec les courants centristes qui peuvent surmonter très rapidement ce qui fait d’eux un danger révisionniste potentiel. » (News Line, le 21 février 1981)

15. Le WRP attaque les syndicats

En mai 1981, les Travaillistes gagnaient les élections locales et obtenaient la majorité au conseil municipal du Grand Londres (GLC), donnant ainsi l’occasion à la direction du WRP d’élargir ses rapports avec les « courants centristes » qui défendaient l’Etat capitaliste contre la classe ouvrière dans les gouvernements locaux. On put voir très vite et de façon particulièrement frappante, ce que ce tournant signifiait par rapport à la lutte de classe.

En juin, le syndicat des travailleurs du métro menaça de faire grève pour obtenir une augmentation de salaire de 15 pour cent. Dans un éditorial intitulé « Le double langage de M. Weighell », le News Line du 26 juin 1981 écrivait:

« Il n’y a qu’une façon de décrire l’appel lancé par Sidney Weighell aux travailleurs du métro londonien pour qu’ils entreprennent une grève dure – c’est la provocation d’un conservateur tentant de discréditer la nouvelle municipalité du Grand Londres dirigée par l’aile gauche...

« Avec sa conférence syndicale d’il y a quelques jours, Weighell se prépare à pousser le GLC – qui contrôle directement les transports publics de Londres – vers une confrontation qu’il ne recherche pas...

« Le Workers Revolutionary Party a maintes fois répété que les revendications sectorielles doivent être subordonnées à la lutte plus importante contre le gouvernement Tory. Des combats entre travailleurs et conseils municipaux travaillistes ne peuvent que faire le jeu de Thatcher.

« Mais Weighell n’est pas intéressé par une lutte contre les Tories, comme le prouve sa diatribe contre Livingstone. Les membres du syndicat des travailleurs du métro (National Union of Railwaymen) devraient rejeter sa décision et se tenir fermement aux côtés de la municipalité du Grand Londres contre l’ennemi principal – Thatcher, Heseltine et Fowler. »

Le 4 juillet 1981 le News Line déclarait:

« En ce qui concerne les revendications salariales dans les transports publics londoniens, il faut à tout prix éviter une confrontation entre le National Union of Railwaymen (NUR) et le Conseil municipal du Grand Londres dirigé par les Travaillistes.

« La grève dont nous menacent à partir du 20 juillet les travailleurs du métro créerait une scission dangereuse dans l’unité du mouvement travailliste et syndical et les Tories s’y précipiteront pour l’exploiter...

« Toute négociation salariale entre le GLC et le NUR doit prendre en considération ces faits politiques et économiques élémentaires...

« Les syndicats ont le droit d’aller de l’avant avec toutes leurs revendications et le dirigeant travailliste Ken Livingstone serait le dernier à leur refuser ce droit.

« Mais les dirigeants du GLC ont aussi le droit d’exiger de Weighell qu’il maintienne l’unité avec la municipalité dans sa lutte contre les Tories. » 

Ainsi au nom de l’unité, le WRP faisait clairement savoir qu’en cas de grève, il soutiendrait toute mesure que le GLC jugerait bon d’utiliser contre le syndicat. Le 8 juillet 1981 le News Line publiait une lettre d’une page écrite par Livingstone, où celui-ci défendait la position du GLC, établissant de cette manière une solidarité complète entre le WRP et Livingstone contre la classe ouvrière.

Il n’y avait pas l’ombre d’une différence entre la position de Healy contre les ouvriers des transports publics et celle des staliniens en Espagne en 1937 et durant la deuxième guerre mondiale. Alors que les staliniens demandaient que la classe ouvrière subordonne ses intérêts aux besoins de la prétendue lutte « antifasciste », le WRP insistait pour que les « luttes sectorielles » c’est-à-dire celles de la classe ouvrière – « soient subordonnées à la lutte principale contre le gouvernement Tory. »

On jouait cyniquement dans cette phrase avec le mot « lutte ». Pour les trotskystes, l’étape la plus décisive dans l’évolution de la lutte de classe contre l’ennemi bourgeois est celle où la classe ouvrière entre en conflit non seulement avec les dirigeants de la droite traditionnelle, mais aussi, et cela a plus d’importance encore, avec ses dirigeants de gauche. Ceci est un indice infaillible de ce que la classe ouvrière cherche une voie vers la lutte révolutionnaire.

La société bourgeoise en Grande-Bretagne n’est jamais plus menacée que lorsque la classe ouvrière commence à se détacher de ses indispensables partisans travaillistes de gauche. Mais au moment même où cela se produisait, le WRP agissait en défenseur extrêmement conscient de ces démagogues réformistes et donc du capitalisme lui-même. Refusant de poser des revendications à ces politiciens de gauche – afin d’exposer le plus clairement possible leur refus de rompre avec la bourgeoisie – la direction du WRP intervenait pour discipliner la classe ouvrière en leur nom. On se servit de toutes les ressources importantes du WRP pour poser devant la classe ouvrière un gigantesque obstacle lui bloquant le chemin vers la révolution socialiste. Dans le sens politique et historique du terme, Gerry Healy était devenu au sein du mouvement ouvrier un traître à la classe ouvrière, un ennemi du marxisme et un agent de la bourgeoisie.

Sa monstrueuse trahison de la classe ouvrière eut des conséquences politiques directes et dévastatrices sur le mouvement ouvrier britannique. Le WRP travailla consciemment afin de priver la classe ouvrière de perspectives révolutionnaires. Il soutint, au contraire, jour après jour qu’il n’y avait pas d’alternative à la politique des réformistes de gauche – ces malheureux valets du capital. Sous sa direction, le WRP sema démoralisation et confusion dans la classe ouvrière. Il n’y a pas de crime plus grand qu’une organisation se disant révolutionnaire, puisse commettre. Le message du WRP était: Les Travaillistes sont au pouvoir – arrêtez vos luttes – abandonnez vos revendications salariales – maintenez l’unité avec les réformistes – mettez votre sort entre leurs mains – et, pour l’amour du ciel, arrêtez de descendre dans la rue et restez chez vous !

16. Vers un parti de « Loi et d’ordre »

Pendant que le WRP combattait les syndicats au nom du GLC, des troubles se préparaient sur un autre front de la lutte de classe. Des milliers de travailleurs et de jeunes immigrés de Londres, Manchester et Liverpool se révoltèrent contre les conditions de vie misérables du capitalisme et contre la brutalité et le racisme policiers. Ces rébellions exprimaient non seulement la haine de la jeunesse à l’égard de Thatcher mais aussi leur mépris pour tous ces sociaux-démocrates, détenteurs de postes gouvernementaux qui agissent en garde-chiourmes des ghettos urbains. Ces rébellions n’étaient en rien accidentelles et exprimaient la frustration engendrée par les trahisons incessantes des Travaillistes: leurs appels hypocrites incitant à la patience, leur refus de mobiliser la jeunesse contre les forces de l’Etat capitaliste et leur incapacité à améliorer leurs conditions de vie.

Le fait que le WRP était perçu par des milliers de jeunes à Brixton et Toxteth comme l’allié des réformistes ne faisait qu’intensifier leur frustration et cela les persuadait de l’impossibilité de faire connaître leurs points de vue autrement que par une révolte spontanée. La responsabilité pour l’absence de direction et de programme pour cette rébellion incombe, dans une large mesure, au WRP. Quelle alternative le WRP pouvait-il offrir pendant l’été 1981 aux jeunes en rébellion qui cherchaient un moyen de combattre les Tories et leurs valets réformistes ? Ses discours sur une lutte « anti-Tory » menée par les phraseurs de la gauche travailliste ne pouvaient que sembler comiques à une jeunesse qui méprisait instinctivement ces parlementaires invétérés. Et cette jeunesse ne pouvait pas non plus se tourner vers la classe ouvrière, puisque le WRP venait tout juste d’ordonner aux syndicats de se soumettre à la discipline du GLC. Bref, une situation sans issue était la seule chose que le WRP avait à offrir à la jeunesse.

La logique politique de la capitulation des dirigeants du WRP devant les agents réformistes de l’Etat capitaliste, se manifesta de façon obscène dans la dénonciation hystérique qu’ils firent des révoltes. Quand ils les mentionnaient, ils parlaient d’émeutes dans leurs efforts pour nier l’existence d’une base objective réelle à la tension explosive qui régnait. Le News Line soutenait au contraire que les révoltes étaient en réalité des provocations de l’Etat. Cette formulation commode permettait aux dirigeants du WRP de dénoncer la jeunesse rebelle au nom de la « lutte anti-Tory » tout en évitant toute attaque politique contre les gouvernements locaux travaillistes ayant la responsabilité des régions où avaient lieu les révoltes.

Dans son éditorial du 11 juillet 1981, le News Line était d’avis que « les municipalités contrôlées par les Travaillistes s’enlisent plus encore dans les dettes à cause des dégâts causés par les émeutes et des frais de police énormes. » Pourquoi le WRP n’a-t-il pas demandé que le GLC règle ce problème en chassant les policiers des régions en question ?

Le 18 juillet 1981, le News Line publiait une déclaration du Comité politique du WRP intitulée: « Les émeutes: Une provocation de la police et de l’armée? » On s’efforça de prouver que les révoltes étaient le résultat d’une conspiration, dont les architectes étaient des agents de l’Etat, « qui s’efforçaient de précipiter la Grande-Bretagne dans un conflit sanglant ». On y affirmait que les « émeutes » avaient été orchestrées pour permettre aux Tories « d’asséner un coup violent et anticipé à la classe ouvrière en se servant de la terreur et de l’intimidation contre tout opposant au gouvernement. »

En appelant « à une extrême vigilance vis-à-vis des infiltrations policières et les agents provocateurs de l’armée », le WRP soutenait que la révolte « n’était pas simplement un soulèvement spontané contre le chômage et la misère sociale causés par la politique des Tories. Au contraire, chaque incident a été délibérément provoqué par les agissements d’unités spéciales de la police. »

Insultant de larges sections de la communauté asiatique et noire en faisant de celles-ci des provocateurs ou des dupes, ces lâches scélérats se plaignaient de ce que « la police ne faisait aucun effort pour faire cesser le bris de vitres et le pillage. »

En agissant en porte-parole du GLC, le Comité politique du WRP notait avec rancoeur, que « Toutes les villes et les circonscriptions dans lesquelles eurent lieu les émeutes sont contrôlées par les Travaillistes. » Au lieu d’analyser ce phénomène politique important, les healyistes présentaient leurs condoléances aux réformistes: « Les dégâts causés par les émeutes produiront un surcroît énorme des frais de gestion et ce, dans une situation où Heseltine refusait de donner un penny de plus. Nous approchons rapidement de la situation où les autorités locales ne pourront plus assumer les frais de police et défendre ce qui reste des services sociaux essentiels. »

En conclusion, la déclaration disait: « Nous réaffirmons notre complète opposition aux jeunes chômeurs qui se laissent prendre aux provocations policières et qui participent aux pillages et aux actes de vandalisme. Cela ne résoudra aucun des problèmes auxquels ils sont confrontés et ne fera que fournir des candidats aux camps de concentration de Whitelaw, alors que la vraie lutte est celle qu’il faut mener contre les Tories et pour la révolution socialiste. »

Ceux qui ont écrit et voté cette déclaration méritent de courir nus dans les rues de Brixton et de Toxteth et de se faire cracher dessus. Les charlatans réactionnaires du Comité politique de Healy ne pouvaient admettre ce que le juge conservateur Lord Scarman fut forcé d’admettre dans le rapport de sa commission d’enquête, publié quelques mois plus tard, à savoir qu’il existait des causes objectives à la révolte des jeunes.

En décembre 1981, deux mois après la publication du rapport de Scarman, le secrétaire général du WRP, Banda, répliquait à ses conclusions par un long article de huit pages publié dans le News Line. Un effort tardif pour débarrasser l’air des odeurs pestilentielles produites par la position du parti concernant les rébellions et pour restaurer la crédibilité du WRP parmi la jeunesse de Brixton et de Toxteth. Peut-être s’agissait-il aussi d’un effort de la part de Banda pour parvenir à un accord avec sa conscience.

L’analyse de Banda était une accusation dévastatrice, bien que non intentionnelle, de la position du Comité politique du WRP. Dédiant son article à la mémoire des jeunes tués durant les révoltes et « à la ténacité, l’unité et le courage des milliers de jeunes et de travailleurs adultes qui ont défendu leurs maisons et leurs communautés contre la terreur policière et les provocations du gouvernement Tory ». La version des événements présentée par Banda contredisait entièrement les affirmations faites par le WRP pendant l’été.

Loin de traiter les jeunes de provocateurs, Banda encensait leur lutte: « Pendant tout un week-end ils ont défendu les rues contre des centaines de policiers venus de toutes les circonscriptions de la région...

« Brixton brûlait. Mais le feu a fait plus que détruire la propriété. Il a aussi détruit, dans l’esprit de nombreux travailleurs, toute croyance dans la possibilité d’une coexistence pacifique avec les forces répressives de l’Etat – la police. Cela a révélé avec une clarté aveuglante quelle haine implacable des millions de gens éprouvaient pour le gouvernement Tory et pour le système capitaliste en faillite, qui les ont poussés dans une pauvreté accablante et dans la privation. » (News Line, le 5 décembre 1981)

Le document de Banda n’a été écrit ni dans le but de démasquer Healy, ni dans celui de corriger la politique du parti. Maintenant que le danger des révoltes était passé et que les conclusions de Lord Scarman accordaient une certaine légitimité aux combats de rue de l’été, ce fut Banda qu’on chargea de blanchir le WRP. Mais celui-ci avait raison sur un point. Brixton avait brûlé et le feu avait fait plus que causer des dégâts matériels. Il a détruit la crédibilité de la direction du WRP dans la jeunesse ouvrière.

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés