Les élections
au Québec révèlent l'insatisfaction populaire face
aux principaux partis
Le PQ reste au pouvoir
Par Keith Jones 3 décembre 1998
Le Parti québécois, qui prône la séparation
du Québec, seule province à majorité francophone du
Canada, a été réélu lors des dernières
élections. Il a remporté 75 des 125 sièges de la législature
provinciale.
La confortable majorité parlementaire du PQ trahit la vérité
quant à l'appui populaire donné au PQ; elle réflète
encore moins la colère qui gronde sous la surface de la société
québécoise à cause de l'insécurité économique
et la croissance des inégalités sociales.
Le PQ a obtenu 42,7 % du vote populaire, un pour-cent de moins
que son rival fédéraliste, le Parti Libéral du Québec
( PLQ ). Alors que les libéraux ont obtenu près de 40 000
votes de plus que le PQ, ils n'ont rassemblé que 48 sièges.
( Ceci est principalement dû au fait que l'appui des libéraux
se concentre dans la ville de Montréal et dans l'Ouest du Québec,
où les immigrants et les anglophones, généralement
hostiles au projet souverainiste d'un Québec francophone, sont localisés.
)
L'incapacité du PQ à gagner la majorité du vote
populaire a été durement ressentie par la haute direction
du parti. Une série de sondages au cours des derniers jours de la
campagne, plaçait le PQ loin en avant des libéraux avec au
moins cinq sinon dix points d'avance.
Selon les médias officiels, le soudain renversement de situation
réflète la crainte de l'électorat de voir le PQ interpréter
un balayage comme étant le feu vert pour un autre référendum.
En octobre 1995, le PQ a perdu par seulement 50 000 voix le référendum
proposant un « Québec souverain » après une offre
de « nouveau partenariat » avec le reste du Canada.
Pour sa part, le premier ministre Lucien Bouchard a réagi aux
résultats en renonçant, pour l'immédiat, à la
tenue d'un référendum. Il a déclaré lors d'un
point de presse post-électoral : « Est-ce qu'il (le référendum)
est mis sur les tablettes ? Oui. Je crois que les Québécois
nous ont dit que le moment n'était pas favorable à la tenue
d'un autre référendum. » Par contre, Bouchard s'est
engagé à créer les « conditions gagnantes »
pour un prochain référendum dans la seconde partie de son
nouveau mandat de cinq ans.
Les résultats ambigus des élections vont permettre au premier
ministre du Canada, Jean Chrétien, de dormir en paix. Durant des
mois, la presse spéculait à qui mieux mieux sur l'avenir de
Chrétien au cas où le PQ s'engageait à nouveau dans
une campagne référendaire. Bien que Québécois
et de langue française, Chrétien est la bête noire des
nationalistes québécois à cause de son rôle dans
le rapatriement de la constitution en 1982, malgré l'opposition unifiée
du PQ et du PLQ, et à cause de son refus de transférer toute
une série de pouvoirs du fédéral à la province
du Québec.
Deux partis de la grande entreprise
L'analyse généralement acceptée des résultats
électoraux - selon laquelle les Québécois sont généralement
satisfaits du bilan du gouvernement Bouchard, mais craignent l'agenda séparatiste
du PQ - exprime beaucoup plus le point de vue de la grande entreprise canadienne
et de la section prédominante de la classe dirigeante québécoise
que ce que révélerait une analyse sérieuse des résultats
électoraux.
Il n'y a certainement pas beaucoup d'enthousiasme populaire pour la séparation.
Les mêmes sondages qui prévoyaient un balayage électoral
du PQ indiquaient qu'une large majorité de Québécois
ne voulait pas d'un autre référendum sur la même question
que celle de 1995 et si un référendum devait avoir lieu, seulement
40 % de la population voterait pour le oui.
Ce que les médias se plaisent à ignorer c'est le fait que
les sondages indiquent aussi que la question constitutionnelle se situe
au bas de la liste des priorités des électeurs et qu'il y
a une insatisfaction généralisée face aux coupures
sauvages du PQ dans la santé, l'éducation et les autres services
publics.
Lorsque les « experts » affirment que le public est satisfait
du bilan péquiste, ils font référence à leur
propre approbation de la politique du déficit zéro du PQ,
qui doit être atteint en l'an 2000 en détruisant les services
publics et en attaquant les conditions de travail des employés qui
fournissent ces services. Grâce aux liens étroits qui unissent
le PQ à la bureaucratie syndicale, le gouvernement de Bouchard a
été capable d'imposer des coupures beaucoup plus profondes
que son prédécesseur du PLQ. Ce fait est bien reconnu dans
les cercles dirigeants du Québec. Les liens corporatistes qui existent
entre la direction syndicale, la grande entreprise et l'État, particulièrement
lorsque le PQ est au pouvoir, sont présentés comme l'élément
essentiel de « l'avantage québécois. » Quelques
jours avant les élections, des représentants de droite du
capital canadien anglais, qui avaient appuyé la menace de la partition
du Québec advenant la séparation du Québec, tel le
magnat de la presse, Conrad Black et le premier ministre de l'Alberta, Ralph
Klein, ont aussi appuyé le bilan socio-économique du PQ.
Dans le meilleur des cas, dans la société capitaliste,
les élections ne livrent qu'un portrait déformé de
l'insatisfaction populaire sans parler des rapports de classe. Dans le cas
des élections au Québec, la population avait le choix entre
deux partis de la grande entreprise, le PQ et le PLQ, dont l'objectif est
de créer un climat plus favorable pour les investisseurs en coupant
dans les dépenses sociales.
L'agenda de droite commun aux deux rivaux, fédéralistes
et séparatistes, était personnifié par les deux chefs.
Il y dix ans, Lucien Bouchard et Jean Charest étaient assis côte
à côte dans le cabinet du premier ministre conservateur de
Brian Mulroney, lequel a entrepris l'offensive de la classe dirigeante contre
les gains faits par la classe ouvrière au cours de la période
d'après-guerre.
Immédiatement après les élections, le PQ et le PLQ,
prétendaient tous deux défendre les services publics. Aucun
des deux n'était cependant crédible. Tout en dénonçant
d'une façon démagogique le PQ pour les coupures dans la santé,
Charest proposait des réductions de taxes pour la grande entreprise,
des privatisations et des réductions dans les dépenses partout
sauf pour la santé. Le PQ vantait sa « responsabilité
fiscale » en la comparant au programme d'endettetement passé
des Libéraux, tout en accusant Charest de vouloir imiter le gouvernement
conservateur de droite de Harris en Ontario. En fait, le PQ sous Bouchard
a coupé plus que le gouvernement Harris en Ontario.
Le seul autre parti a avoir mérité l'attention des médias
est l'Action démocratique du Québec (ADQ) de Mario Dumont.
L'ADQ est le produit d'une scission au sein du PLQ au début des années
1990; il préconise, comme le parti Réformiste de l'Ouest,
une vaste décentralisation des pouvoirs fédéraux vers
les provinces afin de faciliter le démantèlement de l'État-providence
et la réduction des taxes.
Les dirigeants syndicaux sont les principaux responsables du désengagement
politique de la classe ouvrière face aux élections. Ils ont
travaillé, durant des décennies, à maintenir la classe
ouvrière sous la domination politique du PQ. Au cours des années
70, ils présentaient le programme interventionniste du PQ, consistant
à favoriser le capital québécois en intervenant dans
l'économie et en dépensant dans le secteur public - comme
étant « socialiste ». Par la suite, comme le PQ se tournait
de plus en plus vers la droite, ils le présentaient comme étant
le « choix le moins pire » face aux libéraux.
L'opposition des membres de la base au sein des syndicats a empêché
la bureaucratie des trois centrales de donner ouvertement leur appui à
la réélection du PQ. Mais à la veille du déclenchement
des élections du 30 novembre, les dirigeants syndicaux et le PQ ont
conclu une entente selon laquelle il n'y aurait, durant toute la période
de la campagne électorale, ni grèves ni manifestations de
la part des 350 000 employés du secteur public dans le cadre de leurs
négociations avec le gouvernement pour le renouvellement de la convention
collective.
Insatisfaction populaire
Néanmoins, l'insatisfaction populaire envers le PQ, envers son
rival libéral, et envers le programme de guerre de classe de la grande
entreprise s'est quand même exprimée dans les résultats
électoraux. Le taux de participation a diminué de près
de 4 % par rapport aux élections de 1994 et de près de 15
% par rapport au référendum de 1995. Tant le PQ que les libéraux
ont vu leur appui populaire réduit, alors que près de 500
000 personnes ont voté pour l'ADQ.
La couverture très favorable des médias a certainement
été un facteur important dans l'augmentation du vote pour
l'ADQ, lequel est passé de 4,4 % en 1994 à 11,8 % le 30 novembre.
Son programme de droite en faisait un tiers-parti plus qu'acceptable pour
la grande entreprise. Mais la plupart de ceux qui ont voté pour l'ADQ
connaissaient peu ou rien de son programme. Ils ont accepté l'argument
de Dumont, le chef de 28 ans, que sa jeunesse signifiait que son parti représentait
une rupture avec la politique traditionnelle et un engagement pour une nouvelle
façon de faire la politique.
La bourgeoisie est très consciente que derrière le calme
apparent, la société québécoise est en ébullition.
Depuis les années 70, le Québec, la seconde province la plus
populeuse du Canada, est frappé par un chômage chronique de
masse. En octobre, le taux de chômage officiel au Québec est
passé pour la première fois depuis dix ans sous la barre des
10 %. A plus de 17%, le taux de pauvreté de la province n'est surpassé
que par la Nouvelle-Écosse, province petite et essentiellement rurale.
Les dénonciations par Charest des coupures du PQ dans la santé
étaient vides, de même que les promesses que lui, et ensuite
Bouchard, ont faites d'augmenter les dépenses sociales. Les éditoriaux,
qui réflètent le point de vue de la grande entreprise, voyaient
d'un mauvais oeil ces promesses. Les tensions sociales sont telles, que
la grande entreprise ne peut tolérer un appel sur des questions sociales
qui pourrait provoquer une réponse qu'elle ne souhaite pas de la
part des travailleurs.
Charest a donc rapidement laissé tomber la question de la santé
lorsque des manifestations contre le PQ ont fait éruption à
différents endroits dans la province et que les enseignants ont déclenché
une journée de grève illégale en faveur de l'équité
salariale.
Bouchard aussi a reçu le message. Aussitôt que les sondages
ont commencé à annoncer que l'élection était
dans le sac, il a annoncé que toutes les promesses faites durant
la campagne concernant les dépenses dans la santé et les programmes
sociaux étaient conditionnelles: « La priorité c'est
le déficit zéro....Tout est subordonné à l'accomplissement
et à la protection du déficit zéro. »
Alors que le PQ a une confortable majorité à l'assemblée
nationale, Bouchard et ses ministres reconnaissent que leur principaux alliés,
les dirigeants syndicaux, ont de plus en plus de difficulté à
maintenir leur contrôle sur les membres de la base. Dans une entrevue,
un membre haut placé du PQ, qui préférait garder l'anonymat,
déplorait l'incapacité de la présidente de la Centrale
de l'enseignement du Québec (CEQ), Lorraine Pagé, à
empêcher la journée de grève illégale. «
Elle a perdu le contrôle de ses membres ... Nous faisons face à
une grève des profs mais peut être aussi des travailleurs des
hôpitaux... Et je crains toujours une récession qui pourrait
réduire nos revenus. »
Le conflit entre les fédéralistes et les séparatistes
est un conflit entre des sections rivales de la bourgeoisie canadienne et
québécoise. C'est une dispute à propos de privilèges
et d'avantages, à propos de questions tactiques concernant la protection
des intérêts de différentes cliques de la bourgeoisie.
De plus, les dernières élections ont encore une fois révélé
que la dispute constitutionnelle est utilisée pour détourner
la frustration et le mécontentement social dans le cadre étroit,
réactionnaire et stérile de la confrontation ethnique et linguistique
au détriment des véritables questions sociales.
Les travailleurs au Québec vont entrer en conflit avec le gouvernement
du PQ. Mais une voie de l'avant ne sera trouvée que si leurs luttes
sont animées par une perspective socialiste et internationaliste.
Les travailleurs ne doivent pas accepter que les services publics et les
besoins sociaux soient subordonnés aux exigences du marché
capitaliste. Ils doivent rejeter le nationalisme canadien et le nationalisme
québécois et consciemment chercher à unir leur luttes
avec celles des travailleurs du reste du Canada, des États-Unis et
du Mexique.
Voir aussi; Les
élections au Québec : PQ et Libéraux courtisent la
grande entreprise 11 novembre 1998
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