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Les bombes de l'OTAN tombent sur la Serbie : Le « nouvel ordre mondial » prend forme

Par le bureau de rédaction
Le 25 mars 1999

Le bureau de rédaction du World Socialist Web Site s'oppose énergiquement à l'attaque sur la Serbie menée par l'OTAN et les États-Unis. Le massif assaut aérien contre un petit pays de moins de 10 millions d'habitants est un geste ouvert d'aggression impérialiste. Il représente une toute nouvelle étape dans l'éruption du militarisme américain et européen.

Comme l'a souligné le quotidien britannique, Financial Times : « Il ne faudrait pas sous-estimer les énormes implications du lancement par l'OTAN de sa première attaque contre un pays souverain. Contrairement à l'Irak, Belgrade n'a pas envahi un autre pays. Ce n'est pas non plus la même chose qu'en Bosnie, où le gouvernement légitime a demandé une intervention extérieure. Finalement, le Conseil de Sécurité de l'ONU n'a pas non plus autorisé de façon spécifique l'OTAN à bombarder [la Serbie]. »

Le gouvernement américain se sent libre d'aller en guerre sans même prendre la peine d'offrir une explication cohérente de ses actes à sa propre population : voilà qui en dit long sur l'état de la démocratie américaine. Sans la moindre trace d'embarras, le président Clinton a admis, à peine quelques heures avant le début des bombardements, que la plupart des Américains seraient probablement incapables de localiser le Kosovo sur une carte du monde.

Sans la moindre déclaration de guerre, ou même un semblant de débat public, les États-Unis ont commencé à bombarder un autre pays qui n'a blessé, ni menacé, un seul citoyen américain.

Quelle est la logique de cette politique? Les Etats-Unis assument le droit de forcer d'autres pays à changer leurs politiques conformément aux exigences américaines, ce qui revient à abandonner tout souveraineté à l'intérieur de leurs propres frontières. Même un pratiquant sans vergogne de la realpolitik impérialiste comme Henry Kissinger, a averti que la guerre contre la Serbie représente une redéfinition extraordinaire et sans prédédent de l' « intérêt national », lequel semble-t-il, inclut désormais la politique interne d'autres pays.

Bien que personne ne le dise de façon explicite, la nouvelle « doctrine Clinton » implique que les États- Unis peuvent bombarder et même envahir tout pays dont la politique interne ne leur plait pas. Cette doctrine implique que n'importe quel pays dans le monde est une cible potentielle des missiles américains. Il ne serait pas difficile, dans l'état actuel des choses, de dresser une liste de 10 à 20 pays qui pourraient être considérés comme des cibles probables d'une attaque militaire américaine. Et cette liste pourrait rapidement s'allonger si une détérioration des conditions économiques mondiales devait exacerber les tensions commerciales.

Le but de ces assauts est d'établir le rôle des grandes puissances impérialistes, les Etats-Unis en tête, en tant qu'arbitres omnipotents des affaires mondiales. Le « nouvel ordre mondial » est justement ça : un régime international de pressions et d'intimidations exercées par les États capitalistes plus forts contre les plus faibles.

L'attaque sur la Serbie suit une tendance bien définie. Au cours des dernières années, les interventions militaires américaines ont pris place à une fréquence croissante. En moins de douze mois, les États-Unis ont bombardé le Soudan et l'Afghanistan, et mènent avec le soutien de l'Angleterre une guerre permanente contre l'Irak. On ne peut séparer l'assaut sur la Serbie de cette chaîne d'événements.

Les raisons officielles données pour l'intervention militaire sont complètement hypocrites. Selon le chancellier allemand Gerhard Schröder, le bombardement a été entrepris pour empêcher une « catastrophe humanitaire ». Selon le premier ministre britannique Tony Blair, il faut « sauver des milliers d'innocents, hommes, femmes et enfants, de la mort, de la barbarie et de l'épuration ethnique aux mains d'un sauvage dictateur ».

Mais un regard en arrière sur les conséquences tragiques de l'éclatement de la Yougoslavie démontre clairement que les questions humanitaires étaient les derniers des soucis des grandes puissances dans la conduite de leur intervention. En fait, la plus grosse opération d'épuration ethnique menée durant toute cette période, l'expulsion par l'armée croatienne de 100.000 Serbes de la région de Krajina, a été effectuée avec l'approbation des gouvernements allemand et américain, et directement supervisée par du personnel américain.

Un article de première page du New York Times dimanche dernier a rapporté que le tribunal des crimes de guerre de Hague a conclu que l'armée croatienne a effectué des exécutions sommaires, des tirs de mortier sur des civils et de l' « épuration ethnique », le tout sous l'égide d'officiers militaires américains à la retraite travaillant en Croatie avec l'approbation de Clinton et du Pentagone.

Le reportage du Times a mis à nu l'hypocrisie du gouvernement américain, qui ajuste son indignation à l'endroit des atrocités ethniques à ses besoins militaires et géo-politiques immédiats. Trois généraux croates font face à une condamnation pour atrocités commises durant l'offensive de Krajina, mais le Pentagone s'oppose à toute action légale contre eux, qualifiant le pillonage de villes et villages serbes d' « action militaire légitime ». Milosevic, dénoncé par Washington comme un hors-la-loi international, justifie sa politique actuelle consistant à pilloner et à brûler des villages albaniens du Kosovo, en reprenant l'argument avancé par les Etats-Unis pour cautionner des actes de brutalité similaires à l'endroit des Serbes de Krajina.

Dans le contexte international actuel, l'indignation de l'Europe et des Etats-Unis à propos de massacres et de la suppression des droits nationaux est encore plus cynique. Alors qu'ils versent des larmes de crocodile sur le sort des Kosovars, les Etats-Unis fournissent de l'aide militaire et financière à des régimes de droite à travers le monde qui sont engagés dans la répression de minorités nationales et ethniques.

Un cas d'espèce est la Turquie, membre de l'OTAN et allié stratégique des Etats-Unis, qui mène une sauvage guerre contre la population kurde dans son propre pays. La politique turque à l'endroit des Kurdes est encore plus impitoyable que celle menée par la Serbie contre les Albaniens du Kosovo. La Turquie qualifie de crime le simple fait de reconnaître une identité nationale kurde, et sa violence militaire dans le Kurdistan touche beaucoup plus de gens que la répression serbe des Albaniens du Kosovo. Néanmoins, Ankara n'a jamais été menacée de raids militaires; l'armée turque reçoit des armes et bénéficie de l'expertise des gouvernements allemand et américain; et le leader du mouvement national kurde, le PKK, a été livré à ses bourreaux turcs grâce à l'intervention des États-Unis.

Dans la guerre aérienne contre la Serbie, la force militaire est devenue sa propre raison d'être. Comme le soulignent à outrance les gouvernements de l'OTAN et les médias, pour maintenir la crédibilité de l'OTAN, il faut que les États-Unis et les alliés lancent leurs missiles maintenant, car ils ont menacé à maintes reprises de le faire dans le passé. Par exemple, le journal allemand Die Welt a déclaré que « l'OTAN doit frapper », parce que le fait de ne pas frapper « aurait des conséquences dépassant le cadre du conflit au Kosovo. Son autorité en tant que puissance protectrice militaire et politique serait détruite.»

Le World Socialist Web Site n'a aucune sympathie pour Milosevic, ni ne soutient ses politiques. C'est un ancien bureaucrate stalinien, devenu nationaliste endurci et défenseur de la propriété bourgeoise, qui foule aux pieds les droits démocratiques et sociaux du peuple. À ce point de vue, il n'est pas fondamentalement différent du président russe Boris Eltsine et de nombreux autres héros des médias occidentaux.

Toutefois, la tentative de réduire les complexes questions historiques et politiques des Balkans aux machinations d'une mauvaise tête dont la supposée soif de pouvoir serait la source du mal dans le monde est tout à fait absurde. Étant donné les tragiques expériences de l'histoire serbe, aucun leader politique, même un qui n'aurait aucune des caractéristiques attribuées à Milosevic, aurait pu accepter l'ultimatum humiliant envoyé par le groupe de contact des nations impérialistes. Accepter aurait signifié cautionner la venue de troupes étrangères sur le territoire serbe et concéder la souveraineté sur une région considérée comme une partie de l'état serbe depuis le retrait de l'empire ottoman le siècle dernier.

En 1914, un ultimatum lancé par l'empire des Habsbourg, menaçant la souveraineté serbe d'une façon similaire, avait déclenché la première guerre mondiale. Durant la deuxième guerre mondiale, des centaines de milliers de Serbes ont péri dans un génocide soutenu par l'armée d'occupation allemande. La mémoire de ces événements étant encore présente, et l'armée allemande retournant sur la scène de la guerre internationale dans le bombardement de la Serbie, le refus d'accepter l'ultimatum parrainé par les États-Unis peut difficilement être attribué uniquement à Milosevic.

En fait, les puissances occidentales ont travaillé de près avec Milosevic dans la réalisation du découpage ethnique de la Bosnie dans le cadre de l'accord de Dayton. La guerre actuelle ne vise pas tant Milosevic que la population serbe et le peuple des Balkans en son entier.

Les Albaniens du Kosovo, au nom de qui la guerre est supposément menée, seront parmi ses principales victimes. Une grosse partie de l'armée serbe étant concentrée à Koovo et dans ses environs, la province va inévitablement devenir l'un des principaux théâtres du conflit militaire avec d'importantes pertes civiles.

Selon un rapport du gouvernement allemand adressé aux leaders parlementaires, le plan de l'OTAN, en cas de refus de la Serbie de capituler après des bombardements intenses, est de provoquer une escalade de l'offensive politique et militaire en appuyant la sécession du Kosovo de la Serbie tout en équipant les Albaniens du Kosovo d'armes modernes.

Le conflit au Kosovo doit être placé dans son contexte historique. Sa cause n'est pas la personnalité de Milosevic, mais l'éclatement de la Yougoslavie, qui est le produit combiné de l'effondrement de l'ordre stalinien et de l'intervention des grandes puissances capitalistes, en particulier l'Allemagne et les États-Unis.

C'est l'appui allemand à la sécession de la Slovénie, et surtout sa promotion d'une Croatie indépendante en 1991, qui a déclenché une série d'éruptions nationalistes, y compris la guerre civile bosniaque, l'expulsion par la Croatie des Serbes de Krajina et la répression serbe au Kosovo. Les puissances de l'OTAN sont intervenues tout au long de la dernière décennie pour envenimer et exploiter les tensions ethniques et ce, dans leur propre intérêt. Aucun des politiciens nationalistes de l'ancienne Yougoslavie et aucune des grandes puissances n'arrive au Kosovo les mains propres.

Il y a peu de raisons de croire que si l'Armée de libération du Kosovo (ALK) parvenait au pouvoir, elle agirait différemment que Milosevic, Tudjmann de la Croatie, les leaders musulmans de la Bosnie, ou les autres politiciens nationalistes de la région. Rien dans l'histoire de l'ALK ne porte à croire qu'elle traiterait les 180.000 Serbes de la région différemment que l'armée croate a traité les Serbes de Krajina.

Le retrait des forces militaires serbes serait probablement suivi d'expulsions massives des Serbes du Kosovo. Toute résistance serbe serait probablement punie par des massacres de l'ALK tout aussi sanglants que ceux perpétrés contre la minorité albanaise par les forces de Milosevic aujourd'hui. Comme l'a tragiquement démontré l'histoire récente des Balkans, du Rwanda et d'autres points chauds de la planète, ceux qui subissent l' « épuration ethnique » et l'oppression nationale à un moment donné, peuvent, sous l'instigation de leurs propres leaders nationalistes bourgeois, devenir les auteurs de crimes similaires à un autre moment.

La presse internationale a fait de nombreux reportages sur les souffrances des Alabaniens du Kosovo et leur persécution aux mains des forces serbes. Mais elle a très peu parlé des 15.000 Serbes qu'on estime avoir fui les villages pour se réfugier dans les villes du Kosovo depuis le début du conflit ouvert au printemps 1998.

Selon un rapport émis par l'Institut de la guerre et de la paix, « de la fin avril à la fin juin l'an dernier, l'Armée de libération du Kosovo (ALK) a mené une série d'offensives et pris contrôle de près de 40 pourcent du Kosovo. Les Serbes qui vivaient dans les villages contrôlés par l'ALK ont quitté leurs foyers, parfois de leur plein gré et parfois contre leur gré, après que leurs proches aient été chassés, leurs maisons encerclées et soumises à des tirs d'armes légères ».

L'attaque de l'OTAN sur la Serbie aura des conséquences incalculables sur la stabilité de toute la région. Elle menace de relancer la guerre civile en Bosnie, de déstabiliser l'Albanie et la Macédoine, et de miner les restants de la Yougoslavie sous contrôle serbe. Belgrade pourrait faire face à la sécession du Monténégro et à de l'agitation ethnique dans la province de Vojvojdina, qui n'a aucune population majoritaire, mais de grosses minorités de Serbes, de Croates, de Hongrois et de Roumains.

Selon le magazine allemand Der Spiegel, « la Macédoine voisine, dont le territoire st envié par les états frontaliers, serait inévitablement entraînée dans le conflit : 420.000 Albanais y vivent. Et l'Albanie pourrait intervenir militairement au nom de ses compatriotes en guerre du Kosovo. Une guerre générale dans les Balkans pourrait difficilement être évitée ».

En dernière analyse, la spirale de la guerre, de la guerre civile et de l'épuration ethnique qui a saisi les Balkans démontre le caractère historiquement réactionnaire de toute la structure d'États nationaux découpés de l'ancienne Yougoslavie. Suite à l'interférence politique et à l'intervention militaire des puissances impérialistes, les Bakans ont été « re-balkanisés » d'une façon qui rend impossible le progrès économique et le développement de conditions véritablement démocratiques.

Cette politique, motivée par les considérations les plus immédiates, pourrait avoir des conséquences beaucoup plus sérieuses que celles anticipées par l'administration Clinton. La décision du premier ministre russe Yevgeny Primakov, en route pour une visite officielle à Washington, de faire demi-tour et de retourner à Moscou, et la décision subséquente du président Boris Eltsine de couper tout lien avec l'OTAN, donnent un aperçu de l'impact déstabilisateur de ces événements sur l'Europe en son entier.

Une conséquence possible est l'apparition d'un régime nationaliste extrémiste en Russie. Des rapports circulent déjà sur le fait que la Russie pourrait fournir des armes aux Serbes si les combats se développent sur une large échelle.

L'un des trois nouveaux venus au sein de l'OTAN, la Hongrie, n'a de frontières communes avec aucun pays de l'OTAN, mais a une frontière commune avec la Serbie, et des chocs pourraient se produire là. Les fragiles relations entre la Turquie et la Grèce, tous deux membres de l'OTAN et constamment au bord de la guerre, pourraient rapidement se détériorer si la guerre s'étendait à la Macédoine.

Il y a d'innombrables facteurs dans cette crise qui rendent la situation actuelle extrêmement imprévisible. Mais une chose est sûre : peu importe ce qui suit la destruction et les morts causées par cette dernière éruption de la violence de l'OTAN et des Etats-Unis, ce ne sera ni la paix, ni la justice promises aux peuples des Balkans par le président Clinton.

 

Voir aussi :
Les États-Unis et l'OTAN préparent l'opinion publique à la guerre terrestre contre la Serbie 25 mars 1999
Les troupes au sol vont-elles suivre ? Les bombes américaines tombent sur la capitale yougoslave 3 avril 1999
Pourquoi l'Europe bombarde la Serbie? 6 avril 1999
Derrière la guerre de Balkans; Réplique à un partisan des bombardements des États-Unis et de l'OTAN contre la Serbie 6 avril 1999

 

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