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Les élections au Canada : pourquoi la campagne de l'Alliance canadienne est en déroute


Par Keith Jones
Le 16 novembre 2000

Depuis le début de l'année, les médias de l'establishment se sont employés à faire la promotion de l'Alliance canadienne en présentant ce nouveau parti de droite comme la seule alternative possible au gouvernement libéral de Jean Chrétien. Pour leur part, les chefs d'entreprise du pays ont financé l'Alliance de façon à égaler dollar pour dollar les dépenses électorales des libéraux. Alors que son prédécesseur, le Parti de la réforme, a dépensé 4 500 000 $ pour l'ensemble de la campagne électorale fédérale de 1997, l'Alliance a recueilli 1 700 000 $ en une soirée seulement lors d'un dîner organisé le mois passé. Emballé, le président du Conseil canadien des chefs d'entreprise, le plus puissant groupe de lobbyistes du monde des affaires au Canada, a déclaré : « les Canadiens ont maintenant la possibilité de faire un vrai choix ». Mais pourtant, au cours des trois dernières semaines, la presse du monde des affaires s'est montré critique, et même caustique dans sa couverture de la campagne de l'Alliance et de la performance de son chef Stockwell Day. C'est ainsi que la décision du parti de faire de l'apparence jeune et athlétique de Day le principal point de sa campagne a été tourné en ridicule et fait l'objet de moqueries. Mais la plupart des critiques ont porté sur le « message ambigu » de l'Alliance.

Depuis le début de la campagne, la direction de l'Alliance, et plus particulièrement Day, n'ont cessé de diluer leur politiques ou de reculer de leurs positions controversées. Bien que l'Alliance continue d'être le champion des réductions d'impôts draconiennes qui profiteraient le plus et de loin aux riches et aux super-riches, le parti ne s'engage plus à remplacer l'impôt progressif actuel par un taux d'imposition fixe de 17 p. 100. Dans les provinces maritimes, Day a semblé contredire la plate-forme électorale de l'Alliance qui préconise de nouvelles coupures dans les prestations d'assurance-emploi. Il a également abandonné l'engagement de son parti, s'il formait le prochain gouvernement, de tenir des référendums pour trancher des questions telles l'interdiction du droit à l'avortement ou le rétablissement de la peine de mort si seulement 3 p. 100 de l'électorat déposaient des pétitions au Parlement en ce sens.

Le leader de l'Alliance a également déclaré que le manuel de son parti distribué par son État-major politique aux candidats ne résumait pas de façon précise les positions de l'Alliance. Or, ce « sommaire politique » est en fait beaucoup plus catégorique en ce qui a trait aux politiques ultra-droitistes que l'Alliance prône et qu'elle ne laisse pas entrevoir dans sa plate-forme électorale. Ainsi, bien que Day ait fréquemment déclaré qu'il favorisait les réductions d'impôts pour les parents qui envoient leurs enfants à l'école confessionnelle ou privée, le « sommaire » va beaucoup plus loin en affirmant que l'Alliance « négociera avec les provinces pour que tous les parents jouissent d'un accès égal à une éducation pour leurs enfants qui reflète leurs croyances et leurs préférences... ».

Plus significatif encore, Day a répudié les propos de ses plus importants conseillers à propos d'un système de santé privatisé et rentable en insistant que l'Alliance renforce le système de soins de santé public actuel. Dans sa détermination à identifier son parti à la défense du service des soins de santé, Day est allé jusqu'à brandir une affiche lors du débat des chefs télévisés en anglais sur laquelle était inscrit « No two-tier health care » (pas de services de santé à deux vitesses).

Les médias ont réagi à ces changements de façon extrêmement négative. Un éditorialiste du Globe and Mail a ainsi écrit que l'Alliance adoucissait ses politiques, un autre que Day menait une « campagne maladroite » et un troisième que Jean Chrétien « peut se compter chanceux d'avoir comme adversaire dans l'Alliance canadienne une équipe incapable de viser juste ». Dans son éditorial intitulé « A foggy Day in Canada », jeu de mots faisant allusion à la confusion que vit Day, le quotidien montréalais The Gazette publiait « il est difficile de présenter un nouveau parti politique aux Canadiens lorsque le leader et les candidats de ce parti ne tiennent pas le même discours Une partie du problème est que M. Day est déterminé à adopter des positions plus centristes. Il est en fait tellement affairé à faire disparaître tout ce qui reste du programme des réformistes qui pourrait effrayer la majorité des électeurs que les Canadiens ne sont plus certains de savoir quelles sont ses positions ».

Il est significatif d'examiner ce qui se cache derrière le désarroi qui règne au sein de l'Alliance et la réaction des médias face à cette situation. C'est là un exercice révélateur qui permet de regarder de plus près ce fameux réalignement des politiques canadiennes dont il est maintes fois question mais qui n'est jamais analysé.

Le mini-budget libéral

Avant tout, il est nécessaire de dire que la cause principale du désarroi actuel que vit l'Alliance ne provient pas des efforts de Day pour adoucir la dure image de droite de ce parti, mais plutôt du réalignement soudain des libéraux encore plus vers la droite et de leur récupération des grandes lignes du programme économique des alliancistes.

Depuis sa création en janvier dernier, l'Alliance canadienne a fait de son cheval de bataille les appels aux réductions massives d'impôt pour les particuliers, les entreprises et sur les gains en capitaux. En se faisant le partisan de réductions draconiennes d'impôt qui permettraient aux privilégiés de s'approprier une part encore plus importante du revenu national et condamnant le gouvernement fédéral a manquer de moyens pour amoindrir l'impact des compressions effectuées dans les services publics et sociaux, l'Alliance a pu étendre sa base substantiellement au sein de l'élite entrepreneuriale canadienne et jouir ainsi d'une couverture médiatique favorable. Mais quelques jours seulement avant de déclencher la campagne électorale, les libéraux ont introduit un mini-budget allouant 100 milliards $ de réduction d'impôt au cours des cinq prochaines années. Il est prévu dans ce mini-budget que la part du lion des surplus budgétaires fédéraux prévus soit allouée aux réductions d'impôts et au paiement de la dette nationale et que dans l'éventualité d'une récession économique, Ottawa procéderait à de nouvelles compressions budgétaires massives dans les dépenses publiques.

Même la grande entreprise a été surprise du dévouement avec lequel les libéraux ont répondu à ses demandes. Le National Post de Conrad Black qui s'est vanté d'avoir joué un rôle essentiel dans la formation de l'Alliance canadienne a endossé le budget libéral en claironnant en première page que les libéraux imposait le budget de l'Alliance (Liberals deliver Alliance Budget).

Il y a certes encore des différences entre les libéraux et l'Alliance en matière de politique économique. Mais beaucoup de sections de la grande entreprise sont maintenant sceptiques que l'Alliance puisse appliquer son plan de réduction des impôts de 25 milliards $ supplémentaires sans provoquer de déficit budgétaire ou du moins mettre en danger les sommes déjà investies dans l'éducation et les infrastructures nécessaires pour rendre l'économie canadienne plus concurrentielle.

Le rapprochement des politiques économiques des libéraux et des alliancistes a inévitablement suscité plus d'attention sur les autres parties du programme de ces derniers. La réaction maladroite des alliancistes devant cet état de fait révèle deux choses. D'abord qu'ils réalisent qu'il y a une profonde opposition à leurs plans de démanteler les services sociaux et publics et à leur promotion du programme social de la droite religieuse. Ensuite que l'Alliance est encore un amalgame non éprouvé de forces sociales hétérogènes nourrissant diverses priorités droitistes.

En effet, alors que certains officiels en vue de l'Alliance souhaitent que la campagne mette en relief les points brûlants de leur plate-forme électorale - les dénonciations des libéraux comme faisant preuve de laxisme en matière de criminalité, de pornographie infantile et autres points moraux du même genre - Day, du moins jusqu'à présent, a résisté à ce cours, probablement par peur d'attirer à nouveau l'attention sur son fondamentalisme religieux.

La réaction confuse de l'Alliance à ce changement de cap politique soudain a renouvelé les doutes de la classe dominante à savoir si ce parti possède le jugement politique et la force nécessaire pour imposer un programme économique de droite tout en maintenant fermement en laisse son aile la plus conservatrice en matière de questions sociales.

Alain Dubuc, principal éditorialiste de La Presse, le plus important quotidien du Québec, soutenait le 11 novembre que la campagne de l'Alliance démontrait bien que ce parti n'était pas encore prêt pour prendre le pouvoir. Selon Dubuc, il est normal et acceptable que les partis ne présentent que quelques parties de leur programme, ou même dissimulent leurs intentions.

« Le problème avec Stockwell Day, c'est qu'on ne sait absolument pas ou ce processus va mener. Parce que M. Day est peu connu et que son parti est en pleine transformation, il est impossible de décoder ses messages confus. Est-ce que le virage vers le centre est cosmétique, un calcul cynique ou est une véritable évolution typique des partis qui s'approchent du pouvoir ?

«... les citoyens ne connaissent pas assez Stockwell Day pour lui donner un chèque en blanc et faire un saut dans l'inconnu, surtout s'il les mène vers une droite morale dont ile ne veulent pas.

« Voilà pourquoi la meilleure place de l'Alliance reste dans l'Opposition, où elle pourra surveiller le gouvernement libéral et imposer des débats... »

Attaques de la droite des médias de la grande entreprise contre l'Alliance

Le point final, et sous bien des aspects le plus important à souligner, ce sont les critiques publiées dans les médias contre la campagne de l'Alliance. En majeure partie ces attaques proviennent de la droite. L'été dernier, les médias bourgeois applaudissait Day qui, après avoir remporté le leadership de l'Alliance canadienne grâce au soutien de la droite religieuse, a réfréné son côté de soi-disant « conservatisme social » en évitant toute déclaration à propos des questions de l'avortement, des droits des homosexuels et de la peine de mort dans ses discours. Bien que la bourgeoisie canadienne voit dans la droite religieuse une base de soutien utile pour renforcer les pouvoirs répressifs de l'État et faire porter la responsabilité de l'aide sociale sur les individus et les familles, elle craint également que si les fondamentalistes devenaient trop sur d'eux mêmes, ces derniers pourraient bien provoquer une opposition populaire massive qui pourrait bien s'en prendre au Capital également.

À la grande consternation de la bourgeoisie, Day a maintenant commencé à modérer le programme économique droitiste de l'Alliance, ou du moins s'abstient d'en faire la promotion vigoureusement. D'où les condamnations répétées de l'Alliance pour avoir escamoté ses politiques.

Les critiques des médias relatives à la position de l'Alliance soucieuse de se présenter comme défenseur des soins de santé sont particulièrement importantes, même si l'historien de droite Michael Bliss a écrit que « la plupart des partisans de Day croient qu'il faut apporter de profondes réformes structurelles au système des soins de santé ». Dans un éditorial en première page intitulé « All-party health hypocrisy » (l'hypocrisie de tous les partis à propos des soins de santé), le National Post a sommé l'Alliance et Day de parler en termes clairs : « il est plus que temps qu'un aspirant premier ministre du Canada se lève et affirme que le sacro-saint système de santé public n'est pas intouchable et de prendre position pour le droit à l'existence d'un système de santé axé sur le patient [c'est-à-dire rentable] pour suppléer au secteur public. Malgré les dénonciations [de ses opposants politiques], l'Alliance n'a pas eu le courage de franchir ce pas et elle propose maintenant de financer perpétuellement le statu quo ».

Certains commentateurs politiques ont déclaré qu'au fur et à mesure que l'Alliance allait se rapprocher du pouvoir, elle se retrouverait en relation directe avec la bourgeoisie canadienne et donc dépendante financièrement de celle-ci. L'Alliance canadienne modérerait donc ses politiques pour se transformer en une nouvelle version du Parti progressiste-conservateur, le défenseur traditionnel de la droite au Canada. Ce que ces commentateurs passent sous silence cependant, c'est que la grande bourgeoisie, insatisfaite du statu quo, se « radicalise » elle même. Sous la pression des succès relativement plus substantiels de leurs rivaux américains dans leur lutte contre les conquêtes sociales de la classe ouvrière, et enhardies par l'effondrement apparent de toute opposition au gouvernement conservateur ontarien qui s'apparente aux alliancistes, de puissantes sections de la grande bourgeoisie canadienne cherchent à intensifier encore plus les assauts contre la classe ouvrière. Elles ont justement fait la promotion de l'Alliance non pas pour que ce parti copie les libéraux de Chrétien, mais bien pour qu'il devienne le champion de la réaction politique déchaînée de façon à orienter les politiques canadiennes encore plus vers la droite.

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