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La Ve République en crise

L'affaire Méry ébranle la politique française

Par Peter Schwarz
14 octobre 2000

Depuis trois semaines la France est secouée par un scandale financier qui a entraîné dans son tourbillon le président de la République, Jacques Chirac et le premier ministre, Lionel Jospin. L'enjeu en étant plus que simplement le sort de politiciens isolés ou l'effondrement d'un ou de plusieurs partis politiques. Ce scandale est l'expression d'un crise profonde de l'ensemble du système vieillissant de la Ve République. Les méthodes de gouvernement sur lesquelles la classe dirigeante française s'était appuyée pendant plus de quarante ans ne fonctionnent plus.

Le quotidien Le Monde avait publié dans son édition datée du 22 septembre le texte intégral d'un enregistrement vidéo de plusieurs heures. Le promoteur immobilier Jean-Claude Méry y détaille les pratiques financières illégales du parti gaulliste, le RPR. Méry qui est décédé il y a un an avait été durant les années 1980 le financier du RPR à Paris.

Les méthodes de financement occulte qu'il décrit avaient déjà été révélées lors de scandales et de procès antérieurs: des entreprises bénéficiant de commandes payées sur les budgets des municipalités et qui se chiffrent par milliards, versent en contrepartie des «commissions» qui viennent renflouer les caisses précisément des partis qui les dirigent. On en faisait profiter l'opposition pour s'assurer de son silence.

Selon les dires de Méry, il avait été possible au RPR, grâce à ses activités, de relever sensiblement en quelques années le montant des «dons» - en passant de quelques centaines de milliers de francs à 40 millions par an. En vue de pouvoir soutirer les «commissions» allant aux partis, les contrats firent l'objet de surfacturations allant jusqu'à 40 % de leur montant réel; des économies furent également faites en ce qui concerne les matériaux de construction. L'état de nombreux bâtiments publics en témoigne: les portes-incendie se disloquant, le crépi tombant des murs et les escaliers se désintégrant.

Ce que le récit de Méry a de nouveau et d'explosif c'est qu'il cite des noms, des chiffres et des dates et, pour la première fois, nomme le chef de l'Etat en personne comme le personnage clé au centre d'un système de financement occulte des partis. Jacques Chirac était, à l'époque où Méry jouait le rôle de collecteur de fonds, à la fois à la tête de la mairie de Paris et premier ministre. Dans une séquence, Méry décrit comment il sortit de sa serviette cinq millions de francs pour les déposer sur la table à l'Hôtel Matignon, la résidence du gouvernement. Chirac, lui faisant face, l'aurait complimenté pour son talent de collecteur de dons.

Deux jours à peine après la publication de l'interview par Le Monde, paraissait un article dans le magazine L'Express impliquant également le Parti socialiste qui est actuellement au gouvernement. L'Express révélait que l'original de la cassette comportant le témoignage de Méry se trouvait depuis deux ans en possession de Dominique Strauss-Kahn. Strauss-Kahn, un proche de Lionel Jospin, le chef du gouvernement, avait été ministre des finances avant d'avoir dû démissionner en novembre dernier pour avoir encaissé de la part de la Mnef (Mutuelle nationale des étudiants de France) des honoraires pour des prestations fictives.

Strauss-Kahn avait reçu la cassette vidéo de l'avocat fiscaliste Alain Belot, un ancien collaborateur et qui compte Méry ainsi que le journaliste qui réalisa l'enregistrement de la cassette parmi ses clients. De plus, l'avocat Belot représente le couturier Karl Lagerfeld dont la dette fiscale envers l'Etat français avait été réduite de 200 à 45 millions de francs, peu de temps après la remise de la cassette vidéo. L'avocat affirme à présent avoir remis la cassette vidéo au ministre des finances en contrepartie d'une réduction fiscale en faveur de son mandant.

Strauss-Kahn conteste cela, tout en reconnaissant avoir reçu la cassette. Il affirme toutefois, ne pas en connaître le contenu, ne l'ayant jamais visionnée faute d'avoir disposé d'un appareil de lecture adéquat et l'ayant égarée entre-temps, si bien qu'elle reste introuvable à ce jour - une excuse qui, au vu de la nature politique explosive de ce document, ne paraît pas très crédible. Des conjectures et des rumeurs se succèdent depuis à savoir si Jospin avait eu connaissance de la cassette, pourquoi cette dernière avait-elle été gardée secrète si longtemps et comment et pourquoi avait-elle finalement atterri dans la rédaction du Monde.

Depuis l'éclatement de l'affaire Méry, il règne entre le palais de l'Elysée et l'Hôtel Matignon, les sièges respectivement du président de la République et du premier ministre, un état de guerre. Chirac qui, grâce à l'immunité dont il jouit en tant que président de la République, n'a, jusqu'à présent, pas eu à comparaître devant le juge d'instruction, accuse le gouvernement de pratiquer des intrigues illégales. Jospin de son côté reproche au président de distribuer des coups sans ménagement dans le but de détourner l'attention de ses propres infamies.

La popularité des deux politiciens est tombée dans les sondages d'opinion à un niveau historiquement bas. L'affaire Méry a ainsi rendu visible de façon indubitable le gouffre profond qui sépare depuis longtemps la masse de la population de l'establisment politique. Jospin, dont la popularité initiale avait été due entre autres au fait qu'il s'était forgé une image de politicien «moralement intègre» en s'efforçant en permanence de s'élever au-dessus des multiples affaires de corruption qui ébranlent la république depuis des années, est rapidement en train de perdre cette image.

Le référendum pour la réduction de la durée du mandat présidentiel

La répulsion qu'éprouve une grande partie de la population à l'encontre de l'ensemble du système politique était également devenu évident trois jours après la publication du témoignage de Méry, à l'occasion d'un autre événement: le référendum pour la réduction de la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans.

Cette révision de la Constitution avait rencontré pour la première fois en France l'accord unanime à la fois du président de la République, du premier ministre et des deux chambres du Parlement. Auprès de la population par contre elle fut accueillie par une indifférence sans pareil: la révision fut acceptée, mais moins d'un tiers des électeurs avait participé au vote et, parmi ceux qui y participèrent, plus de deux millions invalidèrent leur bulletin soit en rendant un bulletin blanc soit un bulletin nul sur lequel ils inscrivirent une phrase exprimant leur désaccord ou des revendications spécifiques. En conséquence, moins de 20 % de l'ensemble des électeurs ont répondu «oui» à la question du quinquennat.

La révision constitutionnelle devait initialement faire partie d'une vaste «réforme de la démocratie». La discussion à ce sujet a lieu depuis 28 ans déjà. La réduction de la durée du mandat présidentiel s'est cependant toujours heurtée au refus du président au pouvoir. C'est ainsi que les partis socialiste et communiste avaient déjà exigé dès les années 1970 la suppression du septennat liée à une révision fondamentale de la Constitution. Mais, dès que le socialiste François Mitterrand avait été élu président de la République il devait découvrir que «Les institutions n'étaient pas faites à mon intention. Mais elles sont bien faites pour moi», Le Monde, 1981.

Il en avait été de même lors de l'arrivée au pouvoir de Lionel Jospin où le Parti socialiste s'était déclaré en faveur d'une «réforme de la démocratie». Il promettait de limiter l'extraordinaire cumul des mandats, de renforcer les droits du Parlement, de réduire le pouvoir du président et d'initier la décentralisation. Du marchandage entre le président de la République et le premier ministre ne s'ensuivit que la réduction du mandat présidentiel. La probabilité de toute cohabitation, situation où le chef de l'Etat et le premier ministre appartiennent à des camps politiques différents comme c'est actuellement le cas, devant être écartée grâce à l'alignement du mandat présidentiel sur la période législative du Parlement qui est également de cinq ans. Chirac qui l'été dernier s'était encore clairement prononcé contre le quinquennat s'est finalement ravisé ses chances pour un deuxième mandat présidentiel devenant ainsi plus tangibles.

Ces querelles tant éternelles que stériles sur la réforme constitutionnelle sont l'expression du fait qu'il est impossible en dernier lieu de surmonter la crise politique du système au moyen de simples réformes cosmétiques des institutions de la Ve République. Le problème se situe plus en profondeur, à savoir dans les relations sociales qui ont été à l'origine de la Ve République et qu'elle défend.

La Ve République

La présente Constitution française date de 1958, époque où la guerre d'Algérie faisait rage et où le pays se trouvait au bord de la guerre civile. Un putsch de la part des troupes françaises stationnées en Algérie menaçait l'instable IVe République qui comptait déjà à son actif 24 gouvernements durant ses douze ans d'existence. Le général de Gaulle qui, boudant, s'était déjà retiré dans sa maison de campagne, fut rappelé et muni de pouvoirs semi-dictatoriaux. En tant que figure symbolique de la libération de l'occupation allemande il semblait être le seul à pouvoir pacifier les différents camps désunis.

De Gaulle mit en place une Constitution taillée sur mesure. La fonction du président de la République qui, sous la IVe République, n'avait été que purement représentative, fut dotée de vastes pouvoirs, devenant ainsi le véritable centre du pouvoir. Le recours au référendum permettant au président de gouverner en ignorant les majorités parlementaires. Il en était de même pour le septennat, issu des constitutions précédentes, et qui renforçait l'indépendance du président par rapport aux majorités parlementaires.

La Ve République finit par se trouver rapidement en crise une fois la situation de guerre civile reléguée à l'arrière-plan et avec l'apparition de nouveaux conflits sociaux plus complexes. La grève générale de 1968 annonça la fin du règne de de Gaulle et, se faisant, presque aussi celle de la Ve République. Seule la loyauté du Parti communiste qui, à l'époque, jouissait encore d'un support de masse parmi les ouvriers militants, sauva le régime bourgeois.

Les successeurs de de Gaulle - Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand - maintinrent le système présidentiel mais en transformèrent la nature. Le président n'étant plus l'arbitre bonapartiste entre deux camps adverses, mais plutôt le médiateur et le jongleur parmi une multitude d'intérêts sociaux et de groupes de pression.

Ce fut en premier lieu Mitterrand qui, formé à la fabrique des intrigues qu'était la IVe République, en était devenu l'expert. En vue d'exercer son contrôle sur la classe ouvrière, il s'appuya sur le Parti socialiste, les syndicats et avant tout sur le Parti communiste, qu'il fit même entrer dans le gouvernement au moment où il pouvait se passer du parlement pour y obtenir une majorité. Ce faisant, il entretenait des relations avec l'ensemble des camps politiques et même avec des représentants du régime de Vichy, qui avait collaboré durant la Seconde guerre mondiale avec les nazis.

L'équilibre du régime fut maintenu par l'attribution judicieuse d'emplois pistonnés, de sphères d'influence et de prébendes en tous genres. Dans ces conditions la corruption à la française foisonna et les principales caractéristiques en furent décrites comme suit par un politologue: la rétribution du trafic d'influence, l'achat et la vente de décisions, l'encaissement de commissions, la manipulation de plans d'aménagement, le report de commandes publiques.

Il était quasiment devenu impossible de différencier les intérêts des différents groupes économiques et politiques. Le «politicien vénal» qui, dans les années 1960 et 1970 était encore l'exception était devenu la règle et nombreux furent les essais en vue d'adapter les institutions étatiques à cet état de fait. Le Parlement vota plusieurs lois d'amnistie et créa même une nouvelle institution: la Cour de justice de la République dont la tâche principale consiste à aider les politiciens pris sur le fait à sortir de leur mauvaise posture.

Une énumération approximative de tous les politiciens qui ont été mêlés à des affaires de corruption durant l'ère mitterrandienne ou après, dépasserait le cadre de cet article. Rappelons seulement les noms de Bernard Tapie, qui avait été couronné dauphin par Mitterrand pour finalement se retrouver derrière les barreaux comme aventurier financier et chevalier d'industrie; ou bien, Edith Cresson, une autre protégée de Mitterrand, qui, après son échec en tant que premier ministre, rejoignit la commission de l'Union européenne où elle provoqua de par sa tendance prononcée pour le népotisme la démission collective de la commission.

La crise du système

La profonde crise actuelle du système est due à une série de changements fondamentaux.

D'une part, les socialistes, les communistes et les syndicats ont perdu leur influence de masse. Les attaques systématiques du niveau de vie et des acquis sociaux de la classe ouvrière qui, au cours de ces deux dernières décennies, eurent lieu sous leur direction, ont décimé le nombre de leurs adhérents et de leurs électeurs. A l'encontre des années 1970 et 1980, ils ne sont plus guère en mesure de contrôler les conflits sociaux. Comme lors du mouvement de grève de 1995 ou lors des protestations contre les prix de l'essence, ces conflits prennent des formes explosives en se terminant régulièrement par des crises politiques.

A ceci s'ajoute le fait que l'enchevêtrement de dépendances, de relations et de corruption qui avait marqué l'ère mitterrandienne, se révèle être un désavantage sérieux face à l'économie mondiale. Les frais occasionnés par les pots-de-vin et les «commissions» entravent les bénéfices des actionnaires; le copinage et le favoritisme effrayent les investisseurs internationaux. L'association des intérêts des politiciens avec ceux de l'industrie met de plus en question le fonctionnement des institutions politiques et de l'Etat français en général. Un Etat fonctionnant selon le principe du «donnant-donnant» ne dispose pas de l'autorité suffisante pour imposer des «restrictions douloureuses» à l'encontre de la population.

Depuis une quinzaine d'années, le monde juridique et politique s'affronte violemment sur ces questions. Des brebis galeuses isolées sont traînées devant les tribunaux et condamnées alors qu'au contraire des juges sont intimidés dans le but de limiter les dégâts. Le scandale Méry a éclaté à un moment où la confiance dans le système politique a atteint son niveau le plus bas. Les partis politiques en place sont considérés par de vastes couches de la population comme les représentants d'une minorité cupide ne représentant que leurs propres intérêts et ceux de leurs financiers et qui sont tout à fait indifférents à tout ce qui à trait à la société en général.

Le morcellement du paysage politique est un autre élément de la crise et qui rappelle la IVe République. Le camp de gauche, au même titre que le camp de droite, est déchiré au sujet de questions fondamentales de l'orientation politique, en particulier au sujet de l'Europe. A gauche, la cohabitation gouvernementale de Jospin s'appuie sur cinq partis - les socialistes, les communistes, le Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement, les Verts et le Parti radical de Gauche - qui, non seulement, se combattent violemment mais sont en proie à des conflits internes.

A droite, les gaullistes sont divisés dans une aile pro-européenne autour de Jacques Chirac et anti-européenne autour de Philippe Séguin, alors que l'Union pour la Démocratie française (UDF), son partenaire de coalition traditionnel, est de tout temps un salmigondis de partis les plus divers. Tous deux endurent d'ailleurs la pression des partis populistes de droite, tels le Front National de Jean-Marie Le Pen et le Rassemblement pour la France de Charles Pasqua et de Philippe de Villiers qui rassemblent régulièrement jusqu'à 15 % des voix mais qui, entre-temps, s'est également scindé en deux groupes.

Contrairement à la période initiale de la Ve République, de nos jours, l'autorité du président de la République n'est plus en mesure de contrôler cette maison de fous. La tension qui règne entre le gouvernement et le chef de l'Etat contribue au contraire à renforcer l'instabilité politique. En raison du caractère éphémère des majorités parlementaires, la cohabitation - la collaboration d'un président de droite avec un premier ministre de gauche et inversement - avec ses frictions et ses conflits inévitables est devenue la règle au lieu d'être l'exception.

Des modifications cosmétiques, telles la réduction de la durée du mandat présidentiel, sont tout à fait insuffisantes pour remédier à cette crise. Et les efforts de Jospin pour ramener la morale dans la politique ont même aggravé la situation. Au fur et à mesure que le premier ministre qui était entré en scène sous le halo de l'incorruptibilité, est incorporé lui aussi dans la nébuleuse des scandales, se renforce l'idée que tous les politiciens sont corrompus.

L'on peut donc prédire avec certitude que le scandale Méry n'est qu'un signe avant-coureur d'autres crises politiques qui - comme c'est souvent le cas en France - seront décidées dans la rue. L'aboutissement que connaîtront ces crises - soit elles conduiront à un plus grand déclin social et politique, soit elles trouveront une solution dans l'intérêt de la population - est tributaire de ce que la classe ouvrière sera en mesure d'intervenir au moyen d'un programme indépendant et qui lui est propre.

Voir aussi :
Corruption à l'Hôtel de Ville de Paris 19 août 2000


 

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