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La guerre en Afghanistan suscite des tensions en France

Par Peter Schwarz
Le 18 octobre 2001

La France, aux côtés de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne et de l'Australie, est un des quatre pays qui ont offert un soutien illimité, y compris une aide militaire, au gouvernement américain dans sa «guerre contre le terrorisme.»

Approximativement 4000 militaires français sont actuellement stationnés en Afrique et dans le Golfe Persique, mais selon les sources officielles, ils n'ont, pour le moment, pas participé à la guerre contre l'Afghanistan. D'après le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, seulement deux des navires français les plus modernes ont été mis à disposition pour la guerre : le pétrolier-ravitailleur Var et la frégate Courbet. La participation directe des forces armées françaises dans les attaques contre l'Afghanistan semble également improbable, parce que le pays ne possède pas d'avions de combat disposant d'un rayon d'action suffisant, ni de missiles de croisière adéquats. Le seul porte-avions de la marine française, le Charles de Gaulle, est actuellement en réparation.

La situation pourrait cependant changer si la guerre gagnait d'autres pays, comme le Soudan, la Somalie, la Tanzanie ou le Yémen. Ces pays seraient à la portée de l'armée française, qui garde une base avec 2 500 hommes à Djibouti, en Afrique orientale en plus d'autres bases militaires à Dakar, à Libreville, à Djamena et à Abidjan.

Les services secrets français sont considérablement plus importants dans la guerre actuelle qu'un soutien militaire direct. Plusieurs dizaines d'agents de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) et de la DRM (Direction du renseignement militaire, agissant également hors de France) sont actuellement en Afghanistan, où ils coopèrent étroitement avec les forces d'opposition, l'Alliance du Nord, dont le leader Shah Massoud, récemment assassiné, s'était rendu à Paris en avril pour accepter de coopérer.

Les services secrets français ont plus de 20 ans d'expérience en Afghanistan. «Depuis la fin des années 1970, écrit le journal Libération, les services secrets ont été fortement impliqués dans le soutien aux moudjahidin contre les Soviétiques. L'un des grands succès de la "piscine", le surnom de la DGSE, serait même d'avoir annoncé, la première, l'invasion soviétique en 1979. Directement infiltrés dans le pays ou employant des moyens moins recommandables sous la couverture d'ONG, les agents français sont des familiers du pays, plus en tout cas que leurs homologues américains».

Des tensions entre Chirac et Jospin

Le président gaulliste Jacques Chirac, qui détermine la politique étrangère de la France et exerce le commandement suprême des armées, s'est distingué par ses déclarations de solidarité et ses offres de soutien au gouvernement américain.

Dans une interview à CNN, donnée deux jours après les attentats de New York et de Washington, Chirac a promis la «solidarité totale» de la France et a été un des premiers chefs d'État à rendre visite au président Bush le 18 septembre. Le soir du 7 octobre, alors que les premières bombes tombaient sur Kaboul, il a annoncé, lors d'un discours à la télévision, que les forces armées françaises prendraient part avec force au conflit aux côtés des États-Unis.

Il semble que le soutien à la politique du gouvernement américain soit beaucoup plus réservé dans le camp du gouvernement qui, aux côtés du Parti socialiste du premier ministre Lionel Jospin, est également constitué des Verts et du Parti communiste. Ils insistent aussi sur la «solidarité dans la lutte contre le terrorisme», mais celle-ci est tempérée par une série de réserves et de conditions.

Alors que Chirac se trouvait encore à Washington, Jospin a annoncé à Paris que la participation militaire en soutien aux États-Unis ne serait possible qu'après un vote du parlement. La solidarité française envers les États-Unis n'impliquait pas le renoncement à son propre libre arbitre et à sa propre souveraineté. Et, après le discours du 7 octobre du président français, des cercles proches du premier ministre ont fait savoir que Jospin était irrité contre Chirac parce qu'il avait donné à son homologue américain un «blanc-seing». Lors d'un discours à l'Assemblée nationale, Jospin a mis en garde contre une réaction en chaîne d'événements et a souligné que «[s]i les développements en Afghanistan devaient nous entraîner dans un tourbillon qui menacerait de submerger nos intérêts, alors je ne soutiendrais pas la participation».

La semaine dernière, dans un discours devant le Sénat, Jospin s'est clairement détaché de la direction qui avait été prise par la politique étrangère des États-Unis. «Nous devions en même temps être conscients, a-t-il insisté, qu'il existe dans le monde, des conflits non résolus, un malheur et des frustrations des peuples, notamment dans le monde arabo-musulman, des inégalités multiples de développement, qui pouvaient, si nous n'y prenions garde, faire que se soudent ensemble ces mouvements ultra-minoritaires, destructeurs, animés seulement par la haine de l'autre et par l'instinct de mort et des opinions».

Il a exprimé le souhait que «les réactions dans ce conflit restent proportionnées aux objectifs. Nous voulons affirmer notre capacité à continuer à parler aux pays arabes, non seulement à leurs dirigeants, mais à leurs opinions». Les thèmes importants de la diplomatie française, selon Jospin, réduisent les inégalités entre le Nord et le Sud, en trouvant une solution aux problèmes sur une base multilatérale plutôt que sur une base unilatérale, la volonté, face à l'extension du processus de la mondialisation, d'introduire un élément de régulation et donc d'organisation et - naturellement en maintenant un contact étroit avec ses partenaires européens - l'idée que lors d'une crise internationale la France tienne un message qui lui est propre.

Les discours différents tenus par Chirac et par Jospin s'expliquent en partie par les élections présidentielles, auxquelles les deux hommes se présenteront probablement le printemps prochain. D'ici là, presque chaque point de politique intérieure ou de politique étrangère devient un sujet de conflit entre les deux prétendants.

Tandis que Chirac se présente comme un homme d'État souverain, qui assume la responsabilité des événements mondiaux en même temps que Bush, que Blair ou que Schroeder, Jospin réagit de manière plus sensible aux tendances contraires dans la population. En même temps, il doit tenir compte des tensions à l'intérieur de sa propre coalition gouvernementale et de sa popularité en chute libre. La guerre a solidement malmené ses deux partenaires de coalition les plus importants, les Verts et le Parti communiste français.

La guerre a divisé les Verts. Samedi dernier, ce parti qui a le deuxième parmi ceux de la coalition gouvernementale quant au nombre de votes au cours des élections municipales de mars dernier, a retiré son candidat à la présidentielle, Alain Lipietz, parce qu'il n'avait pas réussi à dépasser les 2 pour cent dans les sondages d'opinion. Le déclin de Lipietz avait commencé longtemps avant le 11 septembre, mais un article qu'il avait écrit dans Le Monde, dans lequel il s'adaptait de façon lyrique et sentimentale aux sentiments guerriers en place, a été évidemment décisif dans son retrait en tant que candidat des Verts.

D'autre part, Noël Mamère, à l'origine considéré comme le remplaçant de Lipietz a condamné les actions américaines comme «acte de guerre contre le peuple afghan». Depuis lors, Mamère a refusé de se présenter comme candidat, de sorte que les Verts ne disposent pas de direction. Il a justifié son refus en disant qu'il ne souhaitait pas être candidat d'un parti «balkanisé», c'est à dire complètement divisé.

Le président du Parti communiste Robert Hue fait de gros efforts pour maintenir la cohésion de son parti derrière Jospin. Il vante avec force le «sens des responsabilités dont témoignent dans cette affaire les autorités de notre pays». Mais la collaboration étroite avec les États-Unis est difficile dans un parti dont tous les membres ont été influencés par la guerre froide. Pour cette raison, Hue se voit contraint à répéter sans cesse ses critiques du gouvernement américain. Il a critiqué le conflit en Afghanistan, en disant qu'il voit les «graves dangers d'une spirale de violence non contrôlée». Le député du PCF, Jean Pierre Brard a été plus franc: «On ne devrait pas donner l'impression que la France est un simple appendice des États-Unis, qui prennent les décisions pour le monde entier.»

Différences de stratégie

Les tensions entre Jospin et Chirac ne sont pas seulement causées par des raisons de politique intérieure, mais elles sont aussi une expression de différences profondes de stratégie au sein de la classe dirigeante française.

La France tient depuis longtemps des intérêts politiques et économiques dans les régions contestées du Moyen-Orient et de l'Asie Centrale. Au cours du dix-neuvième siècle, la France a pris part au pillage et au démantèlement de l'Empire Ottoman et, après la Première guerre mondiale, a tenu un mandat colonial sur la Syrie, ce qui incluait le Liban. Les étroits liens économiques et financiers avec cette région n'ont pas disparu. L'élite française ne peut pas rester indifférente si les États-Unis déploient leur armée dans cette région et lance une guerre dont l'ampleur et la conclusion relèvent de l'inconnu. Et encore moins si l'on prend en compte que le plus gros des réserves de pétrole et de gaz connues et inexploitées se trouvent dans le Golfe Persique et en Asie Centrale.

Avec l'aide de la compagnie pétrolière publique Elf qui, sous le président Mitterrand, était un peu comme un autre ministère des Affaires étrangères, la France poursuit depuis longtemps ses propres projets concernant l'exploitation des sources d'énergie au Moyen-Orient et en Asie Centrale. Ces projets sont souvent diamétralement opposés aux conceptions britanniques et américaines. Le projet d'un gazoduc reliant l'Asie Centrale à la Turquie, en traversant l'Iran, qui est actuellement boycotté par les États-Unis en est un exemple.

Il est indiscutable pour les cercles du pouvoir français que la France ne peut rester les bras croisés face à la guerre contre l'Afghanistan. Les tensions concernent la question par quels moyens la France maintiendrait-elle au mieux sa propre influence? Les partis bourgeois de droite, qui demeurent unis derrière Chirac sur ce point, considèrent la participation militaire active aux côtés des États-Unis comme étant la seule possibilité. Le leader libéral, Alain Madelin, pense que Chirac ne va pas assez loin et déclare : «Notre contribution actuelle ne répond pas à l'importance de la menace».

Par ailleurs, Jospin pense que la France, en étroite collaboration avec l'Union européenne, devrait favoriser l'établissement de sa propre alliance avec des parties de l'élite dans la région. Le ballet diplomatique intensif de presque tous les gouvernements européens, et il faut placer dans ce contexte la lutte grotesque pour l'influence auprès de l'Alliance du Nord ou de l'ex-roi vieillissant Zaher Shah, à laquelle la France participe. Chaque gouvernement essaie d'établir ses propres valets dans la région pour la période de l'après-guerre.

Ce but est également derrière le plan de six points que le gouvernement français a soumis le 2 octobre comme résolution à la prochaine conférence des ministres des Affaires étrangères européens. Bien avant que les premières bombes ne soient tombées sur Kaboul, la France développait un plan pour la reconstruction politique de l'Afghanistan après l'éviction du pouvoir des talibans - sous l'égide des Nations unies et de l'Union européenne et non pas celle des États-Unis.

Ce plan d'action, qui comprend également entre autres choses l'apport d'aide humanitaire et la formation de nouvelles structures politiques sous la supervision des Nations unies, a plusieurs buts selon Le Monde «[r]emettre dans le jeu une Europe qui ne semble pas devoir être partie prenante dans la phase militaire de la crise (à l'exception de la Grande-Bretagne); ne pas donner l'impression d'une communauté internationale prête à accepter que l'Afghanistan soit le terrain d'exercice des grandes puissances; replacer la solution de la crise dans le cadre des Nations unies ; insister sur l'association des afghans à la définition de leur avenir quelles que soient les visées des États voisins ; confier à l'Union européenne le rôle pour lequel elle dispose de la meilleure "expertise", à savoir l'aide à la reconstruction».

Jusqu'à présent, les ministres des Affaires étrangères européens n'ont pas réussi à s'unir derrière ce plan. Vendredi prochain, il sera une fois de plus discuté lors du sommet européen extraordinaire à Gand sous une forme très amendée.

L'attitude future de l'élite française envers l'Europe est une autre question qui la divise. Les attentats contre le World Trade Center et la «guerre contre le terrorisme» de l'Amérique ont trouvé l'Europe dans une position inconfortable. Bien que les tentatives de l'Europe pour parvenir à une union économique et politique aient quelque peu progressé au cours des années passées, l'Union européenne est toujours loin d'une politique étrangère commune, encore moins d'une armée commune avec laquelle elle pourrait concurrencer les États-Unis. La première force d'intervention rapide de l'Union européenne forte de 60 000 hommes ne sera opérationnelle au plus tôt qu'à la fin 2003, mais est pour le moment bloquée, avec l'aval des États-Unis, par la Turquie, pays membre de l'OTAN.

La précipitation avec laquelle le gouvernement britannique a cherché à s'allier étroitement sur le plan militaire avec Washington a fait avorter toute position européenne commune. Au lieu de cela, chaque gouvernement européen essaie de son côté d'établir de meilleures relations avec l'administration américaine. «Qui est le meilleur ami des États-Unis ? Au cours des dernières semaines, la compétition des États européens pour s'attirer les faveurs des États-Unis a une fois de plus divisé les Européens» a commenté dans une édition récente l'hebdomadaire allemand Der Spiegel.

En Allemagne particulièrement, ceci a déclenché de nouveaux efforts vers une unification accélérée de l'Europe. Le ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer a prévenu devant le Bundestag: «Si nous restons désunis, les Européens seront marginalisés dans le nouvel ordre mondial.» Au cours de la même session parlementaire, le Chancelier Schroeder a annoncé que le stade de la politique allemande d'après-guerre, où l'Allemagne ne participait qu'en tant que force d'appoint aux actions militaires internationales appartenait «irrémédiablement au passé.» L'Allemagne devrait «faire face à ses responsabilités d'une façon nouvelle. Cette responsabilité correspond à notre rôle de partenaire important de l'Europe et des États-Unis. Et nous sommes également une démocratie et une puissance économique fortes au coeur de l'Europe.»

De tels signes de force de l'autre côté du Rhin réveillent inévitablement les vieilles craintes de l'élite française concernant leurs anciens ennemis. Ceci pourrait également expliquer pourquoi la droite bourgeoise, y compris les gaullistes, traditionnellement très critiques vis-à-vis des États-Unis, se rapprochent de ceux-ci. Jospin, d'un autre côté, reste fermement attaché à la perspective de développement de l'Europe comme contrepoids aux États-Unis et essaie de faire entrer des sections de l'ancien mouvement de protestation en faisant appel aux traditions culturelles et traditionnelles. À longue échéance, la montée des différences entre l'Europe et les États-Unis ne peut que mener à des conflits internationaux nouveaux et plus aigus.

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