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La crise du gouvernement péquiste annonce une période de bouleversements politiques

par Guy Charron
15 août 2002

Les récentes élections partielles ont montré l'ampleur de l'effondrement de l'appui populaire au Parti québécois (PQ), le parti indépendantiste qui forme le gouvernement provincial au Québec depuis 1994.

Le PQ n'a pu gagner qu'une seule des sept élections partielles qui ont eu lieu depuis la mi-avril. Il détenait cinq des circonscriptions qui ont été en jeu, quatre de celles-ci étaient représentées par des ministres. Le candidat vedette du PQ, David Levine, a été battu à plate couture (28 pour cent des voix exprimées). Il avait été nommé ministre cet hiver bien qu'il n'était pas encore député, ce qui est rare au Québec comme dans toutes les juridictions qui fonctionnent selon les règles du parlementarisme britannique.

Des spécialistes de la vie politique ont signalé que si les intentions de vote prévues dans les sondages se confirmaient lors des élections générales (qui ne peuvent avoir lieu après l'automne 2003), le PQ serait réduit au rôle de tiers parti à l'Assemblée nationale, derrière le Parti libéral (PLQ) et l'Action démocratique du Québec (ADQ), un parti qui n'a jamais obtenu plus de 12 pour cent du vote populaire. Le PQ pourrait connaître une défaite historique comparable à celles qu'ont connues le Parti conservateur fédéral en 1993 et le Parti néo-démocrate de Colombie-Britannique en 2001 lesquels ont vu leur majorité fondre à deux sièges après avoir obtenu deux mandats consécutifs.

Le chef du PQ et premier ministre québécois, Bernard Landry, a fait état de sa perplexité face à la série de défaites lors des élections partielles et à la dégringolade de son parti dans les sondages. Selon le moment, il a voulu excuser la chute de popularité de son parti en blâmant la stratégie de communication de son parti, les médias ou l'indifférence de la population. Selon Landry, les Québécois ont oublié ce qu'était la vie avant la «Révolution tranquille» du début des 1960, alors que le gouvernement provincial québécois a pris charge de l'administration de l'éducation et de la santé auparavant laissé à l'Église catholique et a grandement accru les services publics et les programmes sociaux.

Les commentaires de Landry indiquent combien son parti et lui-même sont isolés et éloignés des préoccupations des travailleurs. Au pouvoir pour la première fois en 1976, le PQ se vantait de son «préjugé favorable envers le mouvement ouvrier», mais dès le début des années 1980, il entreprenait une série de compressions budgétaires et votait une batterie de lois antisyndicales.

Depuis sa réélection en 1994, après dix ans dans l'opposition, le PQ a présidé au démantèlement des programmes sociaux et au développement de la polarisation sociale. Le gouvernement péquiste a fermé des hôpitaux, attaqué les plus pauvres, comprimé les dépenses dans la santé et l'éducation et éliminé des dizaines de milliers d'emplois dans le secteur public.

Si l'on prend la taille des populations en compte, le PQ a coupé dans les services publics et les programmes sociaux de façon encore plus importante que le gouvernement Harris en Ontario. Ce dernier s'enorgueillit d'être un gouvernement de droite à la Reagan et Thatcher et a stigmatisé les démunis et attaqué les syndicats.

Parallèle avec le gouvernement fédéral des libéraux

Les indépendantistes décrivent souvent Jean Chrétien et son gouvernement fédéral comme leur pire ennemi. Cela n'empêche pas le parcours politique du gouvernement péquiste d'être très semblable à celui du gouvernement fédéral des libéraux : après s'être fait élire en dénonçant les mesures de droite du précédent gouvernement, ils ont entrepris un programme de compressions budgétaires draconiennes. Lorsque l'équilibre budgétaire fut atteint, ils ont rejeté tout appel pour enlever la pression sur les dépenses publiques et ont plutôt diminué les impôts et les taxes des entreprises et des biens nantis.

Ces politiques de droite expliquent une bonne partie de la diminution de l'appui populaire au PQ. Cela n'empêche pas les grandes entreprises de réclamer à grands cris du gouvernement péquiste, comme du gouvernement Chrétien, un nouveau train de mesures contre la classe ouvrière comme des diminutions importantes des impôts pour les particuliers et pour les entreprises, l'abrogation de réglementation sur l'environnement et sur les normes du travail, la réorganisation des programmes et des services sociaux pour les soumettre plus directement aux impératifs du marché.

Les demandes de l'élite financière sont reflétées dans les demandes de plus en plus insistantes par la grande entreprise d'abandonner le modèle québécois, le nom qu'on donne à la politique interventionniste de l'État et à la concertation entre le gouvernement, la grande entreprise, le milieu financier et les syndicats québécois dans le but de favoriser le développement économique de la bourgeoisie francophone. Le modèle québécois a fait largement consensus au sein de l'élite québécoise depuis les 1960 et a été depuis lors l'axe politique de tous les gouvernements québécois, qu'ils soient formés par le PQ ou le PLQ.

Des ministres péquistes veulent un virage à droite

Dans une tentative évidente de rallier l'appui de la grande entreprise, une section de la direction du PQ a réagi aux défaites des partielles en demandant au gouvernement de répondre aux appels de la grande entreprise de diminuer le rôle de l'État.

Dès le lendemain des élections du 19 juin où le PQ perdait trois des quatre sièges en jeu qu'il détenait, André Boisclair, le ministre d'État à l'Environnement et à l'Eau déclarait «Les gens ordinaires dans la vie de tous les jours exigent du Parti québécois qu'il se situe davantage au centre.» Le PQ devrait témoigner «d'un souci plus grand pour les gens ordinaires de la classe moyenne qui réclament plus de liberté dans les relations qu'ils peuvent avoir avec l'État québécois».

«Il ne faut pas avoir peur de remettre en cause le modèle québécois, sans jeter par-dessus bord les acquis de la Révolution tranquille», a renchéri François Legault, ministre de la Santé qui fut PDG d'une société aérienne avant de devenir député du PQ.

Une journée plus tard, le président du Conseil du Trésor, Joseph Facal, considéré comme faisant partie de la garde rapprochée de Landry ajoutait : «Il y a une profonde remise en question qui s'impose parce que le programme du Parti québécois, quand on le lit, donne l'impression d'avoir été écrit en 1978.» Le PQ a «érigé en dogme le sacro-saint modèle québécois, en refusant de voir ses failles, le corporatisme, la rigidité, la dépendance vis-à-vis de l'État qu'il engendre, la dette astronomique qu'il a suscitée».

De plus, a ajouté Facal, le PQ «accorde trop d'importance aux porte-parole de certains lobbies, et devrait d'urgence se rebrancher sur la classe moyenne, la majorité silencieuse qui est la colonne vertébrale de la société. Il y a 44 % des Québécois qui ne paient pas d'impôts, imaginez la pression sur les autres».

Cette déclaration de Facal a été accueillie avec enthousiasme par les éditorialistes et les chroniqueurs des grands médias au Québec et au Canada. «On pouvait presque entendre le cri : "OUI!" s'élever en réponse à la sortie orchestrée par Facal» a écrit Don MacPherson, éditorialiste de la Gazette, le plus important quotidien de langue anglaise au Québec, traditionnellement opposé au PQ. Seul Le Devoir, le journal de l'élite intellectuelle québécoise et pro-nationaliste est demeuré tiède.

Le ralliement de ministres importants à la bannière de la privatisation et de la déréglementation a suscité de vives tensions au sein du parti. D'autres ministres, plus près des cadres petits-bourgeois nationalistes et des bureaucrates syndicaux, la ministre Louise Beaudoin qui détient le poste grandiloquent de ministre responsable de l'Observatoire de la Mondialisation étant peut-être le meilleur exemple, appellent pour que le PQ refasse son image «souverainiste et sociale-démocrate».

Landry aime comparer son gouvernement à celui de l'ancien premier ministre socialiste de France, Lionel Jospin, une comparaison qui a pris un autre sens depuis la débâcle électorale de Jospin lui-même et du Parti socialiste lors des récentes élections présidentielles et législatives de ce pays.

C'est dans cette optique que quelques jours avant les élections partielles, le PQ présentait un programme de lutte à la pauvreté. À la manière de Jospin, le PQ utilise aussi une rhétorique de gauche pour implanter des mesures de droite.

Ce programme qui forcera les assistés sociaux à accepter des emplois à temps partiel et peu payés est en fait plus une lutte aux pauvres qu'une lutte à la pauvreté. En fait, c'est un programme de subventions déguisées à l'entreprise où les salaires pour des emplois de mauvaise qualité seront pris en bonne partie en charge par le gouvernement.

En insistant qu'il est souverainiste, le PQ tente aussi de faire appel à son aile «radicale» et généralement plus chauvine et cherche à capitaliser sur le fait que l'option indépendantiste est significativement plus populaire que le PQ. Ce fait montre l'ampleur de la crise du PQ, car il y a longtemps que l'appui à un autre référendum sur la séparation du Québec n'a pas été aussi bas. En janvier 2001, Lucien Bouchard démissionnait du poste de premier ministre québécois et de chef du PQ en évoquant son incapacité à augmenter l'appui à la souveraineté qui, de presque 50 pour cent en octobre 1995, stagne aux environs de 40 pour cent depuis le début du nouveau millénaire.

Les syndicats et le PQ

La bureaucratie syndicale québécoise est un des principaux piliers du PQ. L'hiver dernier, alors que Landry jonglait avec l'idée d'une élection pour le printemps 2002, les syndicats représentants les 400.000 travailleurs du secteur public ont manufacturé une prolongation d'un an de la convention collective du secteur public qui venait à échéance en juin 2002, évitant ainsi que les questions politiques que soulève la détérioration des services publics ne viennent troubler le PQ lors de la campagne électorale.

Ce n'est qu'avec la coopération active des dirigeants de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) que le PQ a réussi à garder le pouvoir tant en démantelant les services publics et les programmes sociaux.

Au nom de la construction de la nation québécoise, les dirigeants syndicaux ont entièrement endossé le programme de compressions budgétaires (le «déficit zéro») comme objectif principal du gouvernement québécois tel qu'il avait été décidé lors d'une série de sommets tripartites avec le gouvernement et le monde des affaires en 1996. Ensuite, ce sont les dirigeants syndicaux eux-mêmes qui ont proposé au gouvernement en 1997 un plan de préretraite qui a mené à l'élimination permanente de dizaines de milliers d'emplois du secteur public. À l'été 1999, alors que les infirmières se rebellaient contre l'augmentation de la charge de travail et la détérioration des soins que l'élimination que cela avait provoquée, les dirigeants syndicaux ont torpillé la grève militante qu'elles avaient organisée en dépit des sévères lois antisyndicales.

Une part non négligeable de la crise du PQ vient justement du fait que les dirigeants syndicaux rencontrent de plus en plus de résistance de la part des travailleurs lorsqu'il s'agit de soutenir les politiques gouvernementales. Craignant de plus de plus que sa propre position soit mise en danger, une petite section de la bureaucratie syndicale a rallié des groupes radicaux de la classe moyenne comme le Parti de la démocratie socialiste et le Parti communiste du Québec pour former une nouvelle coalition électorale, l'Union des forces progressistes (UFP). Malgré sa rhétorique vaguement socialiste, l'UFP cherche à faire pression sur le PQ pour qu'il cesse de marginaliser l'appareil syndical.

La désaffection populaire et la crise de perspective de la classe ouvrière

Les élections partielles ne furent pas un choc que pour le PQ, mais aussi pour le PLQ, le parti qui traditionnellement alterne au pouvoir avec le PQ depuis trente années. Au Québec, comme lors des récentes élections françaises, les médias et les sondeurs n'ont pu saisir le profond sentiment d'aliénation de la population envers les politiques de droite en défense de la grande entreprise mises de l'avant par tous les gouvernements, les provinciaux comme le fédéral. Le PLQ a été abasourdi de voir que la chute du vote pour le PQ ne s'est pas traduite en une montée comparable en sa faveur.

Quatre des sept élections partielles du printemps ont été gagnées par l'Action démocratique du Québec (ADQ), qui avant avril n'avait réussi qu'à faire élire un seul député, son chef, Mario Dumont.

Formé d'une scission à droite du Parti libéral, l'ADQ est le défenseur des politiques du «libre marché» du type de celles des conservateurs en Ontario ou de l'Alliance canadienne. La croissance en popularité de l'ADQ est loin de signifier une montée importante de l'appui pour ce programme chez les travailleurs ou chez de larges couches de professionnels et de petits entrepreneurs. En l'absence de toute opposition sérieuse de la classe ouvrière au PQ et au PLQ, un résultat de la collaboration des syndicats avec les gouvernements et les grandes entreprises, il devient le véhicule par défaut de l'expression de mécontentement et de colère que suscitent les partis traditionnels.

Bien que la bourgeoisie veuille utiliser la popularité de l'ADQ pour faire pression sur le PQ et le PLQ pour qu'ils aillent plus à droite, exactement comme le Parti réformiste et l'Alliance canadienne ont été utilisés pour pousser la politique fédérale vers la droite, ses représentants les plus perspicaces reconnaissent le potentiel d'explosion sociale que contient la situation actuelle.

La chute de popularité pour les partis et les institutions traditionnels annonce une situation politique extrêmement instable, surtout dans le contexte où une crise économique gagne en ampleur, qui pourrait rapidement prendre la forme d'un conflit social aigu et donner naissance à l'émergence de larges luttes de la classe ouvrière. Il devient d'autant plus urgent que les travailleurs au Québec et à travers le Canada répudient le programme des syndicats qui subordonne les intérêts de la classe ouvrière à ceux de la grande entreprise. Les dirigeants syndicaux limitent les luttes des travailleurs aux négociations collectives et les attachent politiquement au social-démocrate NPD et au parti nationaliste de la petite bourgeoisie québécoise, le Parti québécois. Les travailleurs ne pourront mettre fin à deux décennies de reculs et de défaites qu'en fondant leurs luttes sur un programme socialiste et internationaliste. Ce programme est entièrement opposé à ce que la vie économique soit subordonnée aux profits des capitalistes et avance plutôt qu'elle soit basée sur les intérêts objectifs communs de tous les travailleurs, peu importe leur nationalité.

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