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Entrevue avec Robert Hue, secrétaire général du Parti communiste français

par Ulrich Rippert
15 juin 2002

Le 7 juin, deux jours avant le premier tour des élections législatives, des journalistes du WSWS ont rencontré Robert Hue, secrétaire général et candidat présidentiel du Parti communiste français (PCF), dans sa circonscription d'Argenteuil au nord de Paris.

Le WSWS a rencontré Hue au quartier des Musiciens, un quartier résidentiel d'Argenteuil, où il faisait campagne pour se faire réélire comme député local. Malgré que la dernière activité publique de Hue avant le vote ait été annoncée sur de grandes affiches à travers le quartier, il est évident que l'intérêt était très faible. Lorsque le candidat est arrivé, il n'y avait personne à part les gens de son propre entourage.

Il n'y avait pas de délégations de membres du parti ou de travailleurs d'usine pour accueillir le dirigeant du parti qui a déjà été le plus puissant de France. Même la télévision locale n'a pas daigné se déranger. Hue a fini par s'adresser à des ménagères et à des retraités qui passaient par là en revenant du supermarché où ils s'étaient rendus.

Argenteuil, la cinquième circonscription de Val d'Oise, est une des banlieues de Paris connues pour des taux élevés de chômage et de pauvreté. Le chômage atteint les 18 pour cent, soit le double du taux national, et le quartier, dominé par les tours d'habitation, connaît de nombreux problèmes sociaux.

Il est loin le temps où ce quartier, situé dans le décor enchanteur que forment les rives de la Seine, exerçait une puissante attraction sur les artistes et était une source d'inspiration pour les peintres impressionnistes. Certaines oeuvres, comme «Le pont d'Argenteuil» (1874), une des plus belles peintures de Claude Monet, rappellent cette époque.

Aujourd'hui, la région est remplie d'usines en ruine. Au milieu des tours d'habitation, on trouve des manufactures fermées, des clubs de jeunes en décrépitude et des tavernes délaissées. Les vitrines des supermarchés sont protégées par les grilles métalliques. Des groupes de jeunes, désoeuvrés et apathiques, flânent dans les rues. Une bonne proportion de la population d'Argenteuil est d'origine étrangère, surtout d'Afrique du Nord.

Le conseil municipal d'Argenteuil est sous le contrôle du Parti communiste depuis soixante ans. L'influence du parti se fait sentir même dans le nom des rues, tel le Boulevard de la Résistance, la place P. [Pierre] Sémard et la rue Marcel Cachin, ces deux derniers ayant été deux des staliniens les plus connus de France.

Les ondes de chocs causées par le résultat du premier tour de l'élection présidentielle d'avril dernier se sont fait sentir dans les bureaux centraux du Parti communiste. De 30,4 pour cent qu'il était lors des élections législatives de 1997, le vote pour Hue dans sa propre circonscription est tombé à 9,8 pour cent. Jean-Marie Le Pen, le candidat du Front national, un parti néo-fasciste, est arrivé premier avec 18,7 pour cent.

La réponse du PCF à la répudiation le 21 avril de la «gauche plurielle», y compris du rôle tenu par le PCF en tant que complice du gouvernement Jospin, fut de faire campagne pour le président sortant Jacques Chirac. Comme l'ont écrit les staliniens dans un éditorial publié le premier mai : «Pour cela [la défaite de Le Pen] il faut être net. Il faut non seulement radicalement le battre [Le Pen] dans les urnes, mais il faut tout faire pour réduire son score en utilisant le seul bulletin de vote qui le permettra, celui qui porte le nom : Jacques Chirac.»

Pour les élections législatives, dans une tentative d'aider Hue à garder son siège à l'Assemblée nationale et d'éviter au Parti communiste un désastre humiliant dans son ancien bastion, le Parti socialiste a décidé de ne pas présenter de candidat dans Argenteuil.

Deux jours après l'entrevue qu'il accorda au WSWS, Hue a obtenu 38,6 pour cent en tant que candidat de la gauche. Georges Mothron de l'Union pour la majorité présidentielle (UMP) de Jacques Chirac a quant à lui obtenu 35,5 pour cent. Hue a obtenu 9 pour cent de moins que le total des voix qui sont allées au Parti socialiste et au Parti communiste lors de l'élection législative précédente et le taux d'abstention, 39,2 pour cent, a atteint un niveau inégalé dans l'histoire.

En conséquence de l'important déclin des fortunes électorales du PCF ces dernières années, les divisions et les intrigues au sein du parti sont toujours plus nombreuses. À une conférence du PCF l'automne dernier, 15 organisations régionales du parti (appelées fédérations), y compris des sections importantes du parti comme Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Somme, ont voté contre la proposition de Hue visant à changer les statuts du parti. La presse avait alors spéculé sur une scission imminente du parti.

Lorsque l'on discute avec lui, Hue donne l'impression d'un secrétaire de syndicat local, et non d'un personnage politique important. Il semble aborder toute question d'un point de vue très limité. Il semble incapable de saisir la signification historique des secousses politiques actuelles en France et les implications de ses propres gestes. Il se montre d'ailleurs plutôt indifférent à de telles questions.

Comme cela a souvent été le cas dans l'histoire, le déclin d'un parti se manifeste dans le choix de ses dirigeants. Ce n'est pas pour dire que les dirigeants du PCF, un parti qui a commis les trahisons les plus criminelles de la classe ouvrière française et internationale, aient été des géants politiques. Néanmoins, ils possédaient certains talents politiques et pouvaient faire appel aux opprimés, même si ce n'était que de façon limitée et démagogique.

Hue, qui est infirmier de profession, est devenu membre de l'organisation de jeunesse du Parti communiste en 1962, lorsqu'il avait 15 ans. En 1977, il fut élu maire de Montigny-les-Cormeilles, une des banlieues éloignées de Paris, comptant 17.000 habitants. Dix ans plus tard, il était nommé au comité central du parti et en 1990, il entrait à son bureau politique. En 1994, il fut nommé à la tête du parti. Jusqu'à cette époque, Hue était très peu connu des cercles politiques et n'avait attiré l'attention nationale et fait les manchettes qu'à une seule occasion.

En février 1981, au nom de la «lutte contre la drogue», Hue était en tête d'une manifestation raciste devant la maison d'une famille marocaine à Montigny. Les occupants, craignant pour leur vie, avaient dû se barricader dans leur maison. Avant cette manifestation, et cela sans preuve aucune, l'organisation de jeunesse communiste avait distribué des tracts accusant la famille de vendre de la drogue. Comme il fut plus tard démontré, ces accusations étaient fausses.

Les actes de Hue faisait partie d'une campagne chauvine et pseudo-populiste lancée par le PCF pour tenter de regagner son influence après l'effondrement de sa coalition avec le Parti socialiste de François Mitterrand, l'«Union de la gauche». Deux mois avant les événements de Montigny, un autre maire du PCF avait autorisé les bulldozers à raser un complexe immobilier abritant des immigrants dans Vitry-sur-Seine, une banlieue de Paris.

Les dirigeants du PCF avaient répondu au tollé de protestations qu'ont soulevé ces actes de vandalisme raciste en les défendant à la télévision. Finalement, le principal bénéficiaire du virage vers le chauvinisme anti-immigrés du PCF fut le Front national, qui a commencé à gagner un appui dans les bastions du Parti communiste.

* * *

WSWS: Comment voyez-vous la présente campagne? Qu'est-ce que vous en pensez? Quel sera le résultat?

Hue: C'est une campagne assez curieuse parce que le résultat de l'élection présidentielle, la campagne de l'élection précédente, a bouleversé complètement les choses. D'abord il y a eu un très grand choc à l'élection présidentielle avec la présence de l'extrême-droite de Le Pen au deuxième tour et l'absence de la gauche. Il y a eu une très grande réaction qui a conduit tout le monde sauf l'extrême-droite à voter pour Chirac. Moi, j'ai voté pour Jacques Chirac, mais, pas pour Chirac, mais pour faire barrage à la droite et pour sauvegarder les valeurs de la République. Et donc, si je vous dis tout cela, c'est que la campagne aujourd'hui est un peu tronquée par le fait que Jacques Chirac a oublié qu'il était l'élu de tous ceux qui défendaient les valeurs républicaines et il tire de façon partisane la campagne vers la droite.

WSWS: Qu'est-ce qui explique la chute brutale du vote pour le Parti communiste?

Hue: Il y a une chute importante du vote pour le Parti communiste qui est assez analogue à la chute du Parti socialiste. Nous étions dans le gouvernement avec Lionel Jospin et il y a eu l'effondrement de Lionel Jospin parce que dans les couches populaires, la politique de la gauche n'a pas été comprise et n'a pas été reconnue. Et nous, à l'intérieur du gouvernement, on voulait que nous soyons beaucoup plus actifs pour contraindre le Parti socialiste à une autre politique et nous n'avons pas réussi cela. Et donc c'est pourquoi il y a eu cet effondrement. Mais regardez aujourd'hui dans les enquêtes d'opinion, là, à deux jours du scrutin, le Parti communiste est remonté à 6 pour cent.

WSWS: Il y a des reportages qui indiquent que bon nombre de membres du Parti communiste ont voté pour Le Pen. Comment expliquez-vous cela?

Hue: Non, non. Ce n'est pas vrai. Il y a eu une très grosse abstention dans l'électorat communiste. Il y a eu dans toutes les couches populaires, socialistes, communistes, verts, une partie de l'électorat qui a protesté soit avec Le Pen, soit avec un vote d'extrême-gauche, mais il n'y a aucune enquête qui montre que, de façon significative, il y a eu un mouvement du Parti communiste vers Le Pen. Ça, ce n'est pas vrai.

C'est autre chose notre difficulté, l'affaiblissement du Parti communiste. Le Parti communiste pouvait se compter 6 pour cent à cette élection, mais il y a au moins 1 à 1,5 pour cent de l'électorat du Parti communiste qui a voté sur Jospin parce qu'ils ont eu peur effectivement de la montée de l'extrême droite. Et puis, il y a eu une autre partie qui a été dans l'abstention. C'est ça la réalité.

WSWS: Nous avons vu qu'un de vos slogans électoraux c'était «La France c'est vous». Quelle est votre position sur le nationalisme?

Hue: Nous sommes foncièrement anti-nationalistes. Quand on dit «la France c'est vous», c'est que les Français ont le sentiment que, ce n'est pas un problème par rapport à l'étranger, c'est un problème par rapport à la citoyenneté. Les Français ont rejeté l'élite dans cette élection et ils ne voulaient pas que la France, ça soit ceux d'en haut, les leaders, donc nous, notre slogan a été de dire pour nous la France, ce n'est pas ceux qui dirigent, les technocrates, c'est vous, ce sont les citoyennes et les citoyens.

WSWS: Comment voyez-vous toute l'expérience de l'Union soviétique?

Hue: L'Union soviétique s'est effondrée. Pour moi, ce qui s'est fait dans l'Union soviétique après les années 70 n'était pas le communisme et j'ai été, je suis extrêmement hostile, à ce qui a été le stalinisme. Depuis que je suis dirigeant du Parti communiste, je me suis battu pour qu'on rejette le stalinisme. On considère que le stalinisme a été non seulement une plaie pur les peuples concernés mais pour le communisme lui-même. C'est au nom du communisme qu'on a fait quelque chose qui n'avait rien à voir avec les communisme. Le communisme, c'est autre chose. C'est un mouvement, c'est une démarche visant au partage. Ce n'est pas la bureaucratie, ce n'est pas l'étatisme, ce n'est pas les crimes de staline.

WSWS: Une autre question: quelle est votre attitude à Trotsky?

Hue: Vous savez que je n'ai pas été élevé dans la culture trotskyste. Je n'ai pas d'opinion. Trotsky a joué un rôle dans la Révolution russe. Aujourd'hui, ceux qui se réclament du trostskysme en France sont souvent, comment dirai-je, des formations qui restent profondément marquées à la marge dans les extrêmes, qui ne veulent pas participer aux institutions. Le trotskysme n'a pas beaucoup de signification en France aujourd'hui. Il y a des groupes qui se réclament de Trotsky mais sur leurs affiches ils ne mettent pas Trotsky.

WSWS: Nous avons encore une question: au début des années 80, il y a vingt ans, le Parti communiste a adopté une ligne anti-immigrés, préconisant la fin de toute immigration.

Hue: Non, non.

WSWS: Par exemple, le maire de Vitry-sur-Seine, un maire PCF, a fait démolir au bulldozer des logements pour immigrés et vous, en tant que maire de Montigny-les-Cormeilles, avez dénoncé une famille de Nord-Africains comme étant des revendeurs de drogue. Défendez-vous ces actions, ou admettez-vous maintenant qu'elles ont contribué à la montée du chauvinisme anti-immigrés?

Hue: Non, non! Ça, c'était une orchestration de ceux qui disent qu'il y avait là une démarche contre les immigrés. En fait, le Parti communiste dans cette période a dit: «On ne peut pas concentrer tous les immigrés dans le même endroit.»

C'était une bataille contre les ghettos et on a transformé ça, la droite et même une partie de la social-démocratie, a retourné la campagne contre le Parti communiste en disant: «c'est contre l'immigration». Mais jamais un parti comme le nôtre n'a été autant ouvert à l'immigration et c'est dans les villes à direction communiste que bien souvent il y a eu une forte présence d'immigrés et nous avons une démarche internationaliste. Nous avons été un parti très anti-colonial, contre les guerres coloniales, et donc nos rapports à l'immigration sont des rapports positifs, au contraire. Donc, c'est des campagnes qui ont été menées, mais qui n'avaient pas de signification réelle. Ça, je peux vous l'assurer.

WSWS: Comment voyez-vous l'avenir du Parti communiste en France?

Hue: Je pense que ce parti a de l'avenir dans une profonde transformation que j'ai commencé, que j'appelle, moi, la mutation du Parti communiste, une politique d'ouverture, de communisme moderne dans un projet de société qui s'attaque aux logiques financières de notre temps, c'est-à-dire qui s'oppose à la mondialisation capitaliste.

Je pense que ce parti a beaucoup d'avenir parce que aucun autre parti, en dehors des partis populistes et de l'extrême droite, peut être présent dans ces quartiers difficiles. Nous avons une vocation à être de façon nouvelle au plus près de ces gens en difficulté et à porter avec eux les transformations. C'est difficile, mais je vois l'avenir du Parti communiste dans cette lutte-là.

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