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Chirac annonce la version française des réformes antisociales de l'« Agenda 2010 »

Par Francis Dubois et Françoise Thull
2 février 2004

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Dans ses discours de vux à l'occasion de la nouvelle année, le président français, Jacques Chirac, annonça un nouvel assaut contre les acquis sociaux. Dans le même temps, l'Assemblée nationale adoptait en première lecture le « projet de loi sur le dialogue social » présenté par le ministre des Affaires sociales, François Fillon, et qui contribuera à miner le droit social français.

Ces mesures projetées, et partiellement déjà adoptées, révèlent de fortes similitudes avec les attaques contre les acquis sociaux inscrites dans l' «Agenda 2010 » du gouvernement allemand. La politique sociale menée par le gouvernement français ressemble à s'y méprendre à celle du gouvernement allemand en dépit du fait que la coalition « rouge et verte » (Parti social-democrate allemand et Verts) et le gouvernement gaulliste conservateur se trouvent, selon l'opinion traditionnelle, dans des camps politiques opposés.

L'objectif des deux gouvernements est de rendre le marché national plus attrayant pour les groupes et les investisseurs internationaux en créant les conditions qui permettront à l'économie nationale de s'affirmer sur le marché mondial. Le tout se faisant aux dépens du droit du travail et des dépenses sociales. Le marché du travail sera flexibilisé, le budget national délesté des dépenses sociales et débarrassé de tout ce qui pourrait être un frein à la course aux profits. Pour ce qui est des emplois, des salaires et de la protection sociale des travailleurs, il s'agit de retourner aux conditions de travail que la France a connues il y a un demi-siècle.

Tout comme le gouvernement allemand, le gouvernement français a fait, lui aussi, appel à une commission d' «experts » issus de l'économie et de la bureaucratie d'Etat. C'est ainsi que les propositions ayant trait au code du travail sont élaborées par Michel de Virville, secrétaire général de Renault et directeur des ressources humaines du groupe qui avait été, durant les années 1980, directeur de cabinet de Jean-Pierre Soisson, ministre du Travail du gouvernement Rocard. L'autre « expert » est le conseiller d'Etat Jean Marimbert, ancien secrétaire d'Etat au ministère des Affaires sociales et du Travail du gouvernement Jospin et ancien directeur général de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE).

Le droit du travail miné

La nouvelle « loi sur le dialogue social » du ministre des Affaires sociales, François Fillon, vise le droit du travail. En opposition à la législation actuelle, cette loi permet des négociations entreprise par entreprise au détriment de la négociation au niveau national ou par branche. La loi fait des accords d'entreprise, dits « dérogatoires », en particulier lors des procédures de licenciements collectifs, la règle. De plus, un accord est validé dès lors qu'un seul syndicat le signe avec la direction, même si, sur le plan national, ce syndicat est minoritaire.

Les dispositions légales du code du travail régissant la protection sociale des salariés sont également sapées du fait que le pouvoir et l'influence des tribunaux des prud'hommes sont réduits. Les « accords de méthode » qui sont à la fois censés accélérer le processus de licenciement collectif et exclure la contestation devant les prud'hommes, sont entérinés. La possibilité, en cas de licenciement ou de litige, de s'adresser directement au tribunal des prud'hommes est réduite.

Certes, les tribunaux avaient jusque-là le plus souvent favorisé les employeurs, mais il est néanmoins évident que la simple existence d'une législation est une épine dans le pied du capitalisme. Selon le député socialiste, Arnaud Montebourg, « François Fillon vient de faire voter dans la plus grande indifférence la fin du code du travail ».

CDD et RMA

Chirac annonça également une autre loi intitulée « loi de mobilisation pour l'emploi » qui, selon lui, sera votée dans les « tout prochains mois » au parlement. Dans le contexte de cette loi figure l'allongement et la multiplication des contrats à durée déterminée (CDD). Les CDD qui, jusque-là, étaient limités à 18 mois, pourront désormais aller jusqu'à cinq ans.

La création d'un nouveau type de contrat de travail est prévu, les soi-disant « contrats de mission » ou « contrats de projet ». Le « contrat de mission » qui serait signé pour trois ou cinq ans correspond à un projet précis, à l'instar des contrats de chantier dans le bâtiment. Il permettra à une entreprise d'embaucher un salarié pour une durée variable, indexée sur une mission donnée (par exemple la conception d'un programme informatique).

Cette revendication avait déjà été faite par le Medef (Mouvement des entreprises de France) en 1999 lorsqu'il introduisit, sous le couvert de la « refondation sociale », son programme de déréglementation radicale. Ces nouveaux contrats ont pour but de déréglementer à souhait l'ensemble du marché du travail français sur lequel les emplois précaires et intérimaires qui, autrefois étaient l'exception et étaient soumis à une stricte réglementation.

L'instauration du RMA (revenu minimum d'activité) mettra à la disposition du patronat un nouveau réservoir de salariés dociles et peu exigents. En introduisant ce modèle de main-d'uvre bon marché, Chirac le justifia hypocritement en disant qu'« il [devait] toujours être nettement plus avantageux de travailler plutôt que de bénéficier d'un revenu d'assistance ».

Le RMA permettra aux entreprises d'embaucher pour vingt heures minimum par semaine des salariés qui jusque-là étaient allocataires du RMI (revenu minimum d'insertion, 411 euro par mois) en ne les payant que l'équivalent du SMIC horaire (salaire minimum interprofessionnel de croissance, 6,83 euros). L'employeur n'aura qu'à verser la différence entre le SMIC et le RMI. Une cotisation pour les droits sociaux (chômage, retraite, etc.) n'aura lieu que sur cette différence. Le tout, pour une durée de six mois renouvelable deux fois seulement, donc pour dix-huit mois au total.

Le nombre de détenteurs de contrats à durée déterminée est d'ores et déjà d'un million en France. Près de 2,7 millions de personnes ou 12 pour cent de l'ensemble des travailleurs occupent des emplois précaires, donc temporaires ou intérimaires.

Les emplois précaires sont en train de devenir la norme en remplaçant les contrats à durée indéterminée. La conséquence pour les travailleurs est que non seulement ils perdent un emploi sûr, un revenu assuré et des conditions de travail réglementées, mais aussi toute protection sociale : assurance maladie, retraite, assurance chômage et vacances payées. Voilà la « mobilisation pour l'emploi » telle que la propose Chirac.

Chirac veut aussi encourager « le développement de l'entreprise personnelle » : « Les entreprises ne sont pas assez nombreuses dans notre pays » précisa-t-il en annonçant la création d'un statut spécial « de la jeune entreprise personnelle » (à l'image de la "Ich-AG" allemande) et « la protection sociale du créateur d'entreprise ». Ce qui, d'après lui, permettrait de garantir et de créer des emplois.

Faveurs pour le patronat

A l'adresse du patronat, il annonça la réforme de la taxe professionnelle qui, pour les entreprises qui investissent ou embauchent, serait suspendue pour dix-huit mois avec effet rétroactif au 1er janvier 2004. A terme, il est envisagé de la remplacer par « un nouveau dispositif qui ne pénalise pas l'industrie » selon la formule de Chirac.

Les faveurs pour le patronat devraient, selon les dires de Chirac, encourager la création d'emplois. La réalité est pourtant bien différente.

Au cours du dernier trimestre seulement, l'industrie française a détruit 33.000 emplois. Les licenciements de masse et les fermetures d'usine les plus médiatisés concernaient Metaleurop, Daewoo, Arcelor, Comilog, Danone, etc. Pour l'année 2004, on annonce déjà des « plans de restructuration » dans les groupes Alstom, GIAT, Altadis, Aventis, STMicroelectronics etc.

Le secteur public est lui aussi fortement touché. Selon le magazine l'Express le nombre des suppressions de postes depuis mai 2002 se situerait à environ 100.000 alors que le gouvernement ne parle officiellement que de 5.000.

Quelques heures seulement avant que Jacques Chirac n'adresse ses vux à la nation, le ministère du Travail avait annoncé une baisse du nombre de chômeurs de 0,2 pour cent en novembre 2003 en précisant que cette tendance se poursuivrait en 2004. Ceci n'est que de la poudre aux yeux.

Le taux de chômage est officiellement de 9,7 pour cent, ce qui correspond à quelque 2,6 millions de demandeurs d'emploi dont près de 700.000 le sont depuis un an. 382,184 jeunes de moins de 25 ans sont à la recherche d'un emploi. Il faut préciser que l'armée de travailleurs précaires n'est pas prise en compte dans ce chiffre. Au cours des douze dernier mois, de novembre 2002 à novembre 2003, le taux de chômage est passé de 9,0 à 9,5 pour cent.

La privatisation du logement social

Une autre mesure annoncée par Chirac sous le titre « plan d'accès à la propriété » est la privatisation du logement social. Il s'agit de mettre en vente à des particuliers une partie du parc des HLM (habitation à loyer modéré). La plupart de ces logements datant des années 1950 se situent en banlieue et se trouvent le plus souvent dans un état de vétusté avancé. Dans le but de réduire les dépenses publiques, ces HLM devraient à l'avenir s'autofinancer.

A cette fin, les banques sont encouragées à offrir aux intéressés des prêts à très longue durée. Le résultat d'une telle politique est connu d'avance - si l'on se réfère à l'Angleterre : les logements seront ainsi indirectement mis à la disposition des banques et des sociétés immobilières alors que les « accédants à la propriété » s'endettent lourdement ou sont jetés à la rue.

Une telle politique ne ferait qu'aggraver une situation du logement d'ores et déjà alarmante pour les travailleurs et les foyers modestes comme l'illustrent d'ailleurs plusieurs sites internet consacrés à la pauvreté et à l'exclusion en France. Un peu plus d'un ménage sur dix vit dans un logement surpeuplé, onze pour cent n'ont pas de chauffage, trois pour cent n'ont pas de salle d'eau et deux pour cent n'ont pas de toilettes. Les expulsions sont reparties à la hausse - près de 6.000 assignations d'expulsion ont été notifiées à Paris - et quelque 300.000 personnes sont sans domicile fixe. 500.000 personnes vivent en centre d'hébergement, à l'hôtel ou chez des connaissances, alors que deux millions d'appartements sont vides.

La polarisation sociale s'accentue

L'instauration des nouvelles lois et mesures gouvernementales ne fera que creuser davantage le fossé entre les pauvres et les riches. Chirac envisage également une réduction substantielle de l'impôt sur le revenu qu'il avait déjà promise lors de l'élection présidentielle de 2002. Une mesure qui ne profitera qu'à ceux bénéficiant réellement d'un revenu et non à la population laborieuse qui continue de se paupériser.

Ce qui est tout particulièrement alarmant, c'est le haut pourcentage de jeunes touchés par la pauvreté. L'organisation Restaurants du cur rapporte qu'elle a secouru, lors de sa dernière campagne 2002/2003 sur toute la France 610 000 personnes en distribuant 61,5 millions de repas. Elle constate que : « les plus touchés par la pauvreté sont les familles monoparentales (un parent isolé avec un ou plusieurs enfants) et les jeunes de moins de 30 ans. Les familles monoparentales ,soit 15 pour cent de la population française, représentent environ 30 pour cent des personnes accueillies aux Restos du Cur. Les moins de 25 ans représentent 8 pour cent des personnes qui viennent aux Restos du Cur.»

Une étude du Secours catholique confirme que les plus durement touchées sont les familles monoparentales qui sont près de 30 pour cent en 2002. En 2001, environ 5,5 millions de personnes, soit 10,4 pour cent de la population française vivaient en-dessous du seuil de pauvreté qui se chiffre à 560 euros/mois. En 2002, le taux de pauvreté avait augmenté de 2,3 pour cent. Deux millions de jeunes vivent en-dessous du seuil de pauvreté ; 18 pour cent des moins de 18 ans (enfants et adolescents) vivent dans des familles pauvres.

En ce qui concerne l'inégalité sociale, l'Observatoire des inégalités rapporte que « les 10 pour cent les moins bien lotis ne perçoivent que 2 pour cent de la masse totale des revenus et les 10 pour cent les mieux lotis en reçoivent 28 pour cent ... Les 10 pour cent les plus fortunés disposent de 46 pour cent de l'ensemble de la richesse du pays, les 50 pour cent les moins fortunés, en possèdent moins de 10 cent La moitié des salariés à temps plein touchent un salaire net inférieur à 1.400 euros mensuels et 90 pour cent moins de 2.800 euros. »

Pour ce qui est des patrons des groupes mondiaux aux fortunes assurées on peut citer par exemple le patron du groupe Danone, Franc Riboud, qui engrange 2,4 millions d'euros après avoir fermé en 2001 six sites en Europe ; ou bien le patron du deuxième groupe pharmaceutique français, Sanofi-Synthélabo, Jean-François Dehecq, qui encaisse 1,9 million d'euros, soit l'équivalent par an de plus d'un siècle et demi de salaire d'un smicard et le patron de L'Oréal, Lindsay Owen-Jones qui, lui, touche le plus gros salaire des patrons français, soit quatre siècles et demi de salaire d'un smicard.

Le rôle des syndicats

A l'occasion de la cérémonie des vux aux « forces vives de la nation », Chirac avait réuni à l'Elysée des responsables patronaux, associatifs et syndicaux. Les dirigeants syndicaux sont sciemment invités à prendre une part active dans la conspiration contre la classe ouvrière et, à vrai dire, aucune critique sérieuse ne s'est fait entendre de leur part.

Certes, le secrétaire général de FO (Force ouvrière), Marc Blondel, a fait savoir que l'on préparait « la généralisation de l'intermittence » (c'est-à-dire la dérèglementation des conditions de travail), le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault a critiqué « la duplicité du chef de L'Etat. D'un côté des ambitions consensuelles, de l'autre une majorité qui privilégie la négociation au niveau de l'entreprise et fait la part belle au patronat. » Quant au dirigeant de la CFTC, Jacky Dintinger, il a parlé d' «une dérégulation générale du code du travail ».

Pour sûr, le gouvernement et la bureaucratie syndicale se sont concertés sur l'élaboration de l'ensemble de ces mesures. Un exemple frappant en est la « réforme », à compter du 1er janvier 2004, du système d'indemnisation de l'assurance chômage (Unedic). Cette convention Unedic n'a pas simplement été introduite par le Medef et le gouvernement, elle avait reçu auparavant, dès décembre 2002, l'accord exprès de trois syndicats, la CFDT, CGC et la CFTC alors que la CGT s'était abstenue.

La convention Unedic prévoit que la durée d'indemnisation sera réduite de plusieurs mois ce qui a pour conséquence que 180.000 demandeurs d'emploi furent exclus de l'assurance chômage à partir du 1er janvier. D'ici à fin 2005, entre 600.000 et 800.000 personnes seront concernées par cette restriction de l'indemnisation.

Cette « réforme » prévoit de plus une fusion entre les agences pour l'emploi (ANPE) et les caisses des organismes de chômage (les Assedics regroupés dans l'Unedic) qui visera à subordonner l'ANPE à l'Unedic. L'Unedic, bien que gérée paritairement par les « partenaires sociaux » (patronat et syndicats) est de fait contrôlée par le capital. Cette fusion facilitera également un contrôle renforcé des bénéficiaires d'allocations chômage dans leur effort de trouver au plus vite du travail, quitte à les contraindre d'accepter n'importe quel emploi.

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