Le juge Michael Phelan de la Cour fédérale canadienne, la cour de première
instance au niveau fédéral, a statué le 29 novembre dernier que l’accord dit
des « pays tiers sûrs » intervenu entre le
Canada et les Etats-Unis et portant sur les réfugiés
politiques était illégal.
L’accord signé par le gouvernement libéral de
Jean Chrétienen décembre 2002 et qui
est entré en vigueur en décembre 2004 avait pour but d’empêcher des milliers de
personnes de demander le statut de réfugié au Canada. Par exemple, depuis le
début 2005, il est estimé que 2500 Colombiens n’ont pu demander le statut de
réfugié politique au Canada à cause de l’accord canado-américain.
En vertu de l’accord pays
tiers sûrs, une personne ne peut demander l’asile
politique que dans le premier des deux pays où elle est arrivée.Avant l’entrée en vigueur de l’accord, environ
de 30 à 40 pour cent des demandes d’asiles politiques étaient le fait de
personnes arrivant des Etats-Unis à la frontière canadienne. Le flux de réfugiés des États-Unis vers le Canada est beaucoup plus
important que celui du Canada vers les Etats-Unis, parce que beaucoup de
réfugiés politiques arrivent par voie terrestre de l’Amérique latine. Les États-Unis sont le seul pays avec lequel le Canada a une entente
de tiers pays sûr.
Le jugement de Phelan est une condamnation
tant des pratiques américaines que canadiennes en ce qui a trait au traitement
des réfugiés politiques.
Dans les justifications de sa décision,
Phelan a écrit que les États-Unis ne respectaient pas les traités
internationaux sur les réfugiés et la torture.
Il a établi que les États-Unis ne pouvaient
pas être considérés comme un pays sûr parce qu’il est possible qu’ils renvoient
des personnes dans leur pays d’origine même si elles risquent d’y être torturées.
Il a cité en exemple le cas de Maher Arar, un Canadien d’origine syrienne, qui
a été arrêté à l’aéroport JFK de New York lors d’un transbordement parce qu’il
était faussement soupçonné de terrorisme. Il a été renvoyé vers la Syrie où il a été torturé et incarcéré pendant
10 mois.
Mais le jugement de Phelan passe sous silence
la collaboration du Canada aux processus américains de la torture. Une enquête
publique avait démontré la profonde collaboration entre l’État canadien et l’État
américain dans cette affaire, le Canada manœuvrant pour faire torturer des
citoyens canadiens soupçonnés de terrorisme sur les bases les plus faibles. Le
gouvernement canadien refuse de condamner les pratiques de tortures
américaines, en particulier à Guantanamo où un Canadien est détenu depuis
plusieurs années. L’armée canadienne en opération de contre-insurrection dans
le sud de l’Afghanistan remet ses prisonniers aux forces de sécurité afghanes
bien connues pour leur brutalité.
Dans sa décision, Phelan a aussi écrit qu’il
est « difficile d’imaginer [que le gouvernement canadien] a pu
raisonnablement conclure que les Etats-Unis se conforment à la Convention sur
les réfugiés alors que la loi autorise l’exclusion d’un demandant qui aurait
involontairement soutenu un groupe terroriste. Les exclusions sur la base du
terrorisme sont très sévères et jettent un large filet dans lequel seront prises
des personnes n’ayant jamais été une menace. »
Dans sa propre loi anti-terroriste, le Canada criminalise
explicitement le soutien involontaire aux groupes terroristes, non seulement
pour les demandeurs d’asile politique, mais pour tout citoyen canadien. De
plus, la loi anti-terroriste canadienne donne une définition tellement large de
ce qu’est un acte terroriste qu’on pourrait y inclure une manifestation contre
une politique gouvernementale.
Dans son jugement, Phelan a également ajouté
que le refus américain de considérer les demandes d’asile politique effectuées
plus d’un an après l’arrivée au pays et l’incarcération d’une proportion
importante des demandeurs avait compté dans son jugement sur la légalité de
l’accord.
L’ambassadeur américain au Canada, David
Wilkins, s’est indigné du jugement dans un communiqué. « Nous avons un
bilan reluisant en matière d'accueil et de protection des réfugiés, de défense
des droits de la personne et de respect de nos obligations découlant de
traités », a-t-il déclaré.
L’entente canado-américaine sur les
réfugiés politiques était en négociation depuis la fin des années 1980. Le
gouvernement conservateur de Brian Mulroney alors au pouvoir avait introduit
une clause dans la loi canadienne sur l’immigration qui aurait permis à une
telle entente d’être légale. Mais parce que cela signifiait une augmentation du
nombre des réfugiés aux États-Unis, les deux gouvernements n’avaient jamais pu
arriver à s’entendre. C’est dans la foulée du 11-Septembre et de l’augmentation
du contrôle des frontières que l’entente a été conclue en décembre 2002.
Cette entente fait partie des mesures que
mettent en place les bourgeoisies de par le monde pour restreindre le droit à
l’asile politique. Tout est mis en œuvre pour que les réfugiés n’atteignent pas
les frontières du pays, par exemple en resserrant le contrôle à l’embarquement
dans les aéroports. Les réfugiés qui y réussissent sont souvent arrêtés dans
des centres de détentions spéciaux, comme aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et
en Australie. Ces mesures ont pour impact que, malgré le fait que le nombre des
réfugiés ait augmenté de plus de 50 pour cent depuis 2003 selon le Haut
Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR), le nombre des
demandes d’asiles a diminué de près de moitié dans la même période, y compris
au Canada et aux Etats-Unis.
Il est remarquable que deux pays d’où
proviennent un très grand nombre de réfugiés, l’Irak et l’Afghanistan
(respectivement 3,5 et 2,8 millions à la fin de 2006 selon le HCNUR), et qui
doivent cette situation peu enviable à une invasion américaine bénéficiant de
l’appui du Canada, ne constituent qu’une très petite fraction des réfugiés
acceptés tant au Canada qu’aux États-Unis.
La décision du juge Phelan a été largement dénoncée
dans la presse écrite canadienne. L’éditorial dans
l’édition du 30 novembre 2007duGlobe and Mail nous
offre un exemple typique des commentaires : « L’affirmation
par un juge de la Cour fédéraleque les Etats-Unis ne
sont pas un pays sûr pour les réfugiés apparaît immédiatement comme scandaleuse
… La décision doit être portée en appel et le jugement suspendu jusqu’à ce que
l’appel soit entendu. »
Le Nouveau Parti
démocratique (NPD), un parti social-démocrate, s’inquiète
que la bourgeoisie canadienne affiche ouvertement ses visées prédatrices et son
mépris des droits démocratiques. Le NPDa demandé que le
gouvernement répudie l’accord canado-américain. « L’accord des pays tiers
sûrs a enlevé au Canada sa capacité à faire preuve de bon jugement et ne
reflète pas les valeurs canadiennes » a dit Olivia
Chow, la critique du NPD sur les questions de l’immigration.
Personne ne doute que le gouvernement conservateur
portera le jugement en appel, non seulement parce qu’il veut à tout prix éviter
de déplaire au gouvernement américain, mais plus encore parce que c’est sa
politique d’accepter toujours moins de réfugiés politiques.