L’industrie manufacturière canadienne a été dévastée
par les coupures d’emplois au cours des dernières années. Depuis 2002,
250.000 emplois ont été éliminés dans ce secteur, soit un emploi sur dix. Au
Québec, la province canadienne la plus touchée par cette hécatombe, 124 000
postes ont été abolis durant la même période.
L’assaut sur les emplois est particulièrement brutal
dans les provinces où le secteur manufacturier occupait une place importante.
En Ontario, la proportion de la main-d’oeuvre totale employée dans ce
secteur est passée de 18,2 à 14,8 pour cent, tandis que le Québec a subi une
diminution de 18,6 à 14,4 pour cent.
Les travailleurs sont d’autant plus frappés que le
secteur manufacturier était l’un des rares à offrir des emplois
relativement bien payés. Les victimes de ces mises à pieds massives ont peu de
chance de se trouver un emploi à salaire équivalent. Nombreux sont ceux qui,
s’ils réussissent à se dénicher un nouvel emploi, se retrouveront dans le
secteur des services, beaucoup plus précaire et offrant des salaires
considérablement inférieurs.
Selon Statistiques Canada, un travailleur du secteur
manufacturier gagnant en moyenne 20,68 $ l’heure qui est mis à pied
verra ses revenus annuels diminuer de 25 pour cent, soit de 10 000 $
par année.
Au cours des dernières années au Québec, de nombreuses entreprises
ont procédé à des fermetures d’usines et certaines, notamment dans le
secteur des pâtes et papiers, ont arrêté la production à plusieurs endroits
simultanément, jetant ainsi à la rue des milliers de travailleurs.
La compagnie Kruger, entreprise qui emploie environ
10 000 travailleurs, a annoncé des fermetures de durée indéterminée à cinq
de ses usines. Deux scieries ont déjà cessé la production le 5 avril et trois
autres usines devraient fermer en date du 29 juin. Au total, c’est plus
de 1 000 travailleurs qui se retrouvent au chômage.
En automne 2006, une série de fermetures d’usines
successives dans l’industrie forestière frappait la province. Le 3
octobre, Tembec annonçait la suppression de 435 emplois. Trois jours plus tard,
Cascades imposait un congé forcé à 200 de ses employés. Le 10 octobre,
Abitibi-Consol fermait quatre usines et supprimait 700 emplois. Enfin, le 11
octobre, Domtar annonçait la fermeture temporaire de quatre de ses usines au
Québec et en Ontario, supprimant 940 emplois.
En 2004, le nombre total d’emplois au Québec reliés à
l’industrie de la forêt était évalué à environ 100 000. Jusqu’à
présent, la crise de l’industrie forestière aurait entraîné la
disparition de plus de 8 000 emplois.
Cette destruction systématique des emplois a été mise en
oeuvre grâce à la collaboration directe de la bureaucratie syndicale avec
l’élite dirigeante du pays dans une campagne commune pour accroître la
productivité et la rentabilité sur le dos des travailleurs.
Un exemple typique est celui d’Olymel, le plus
important exportateur de viandes et de volailles au Canada. En début
d’année, la direction exigeait de ses employés à l’usine de
Vallée-Jonction des réductions drastiques de leurs salaires et avantages
sociaux, de l’ordre de 30 pour cent de la masse salariale ou
12 000 $ en moyenne par année par employé. La compagnie menaçait même
de fermer l’usine si les employés ne se pliaient pas à ses diktats.
Ces derniers ont rejeté, presque à l’unanimité, deux
contrats de travail successifs que la direction a tenté de leur imposer de
force, sachant bien lors du deuxième vote que leurs emplois étaient en jeu. Pendant
ce temps, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la soi-disant
représentante de ces travailleurs, cherchait un terrain d’entente avec la
direction d’Olymel. Après le deuxième refus massif des travailleurs, la
CSN a fait une offre qui aurait demandé presque autant de concessions de la
part des employés que celle exigée par les employeurs, mais ces derniers l’ont
repoussée.
Isolés, confrontés à une campagne intense des médias, des
gouvernements et des centrales syndicales affirmant que leurs salaires supposément
trop élevés ne permettaient pas à leur employeur de demeurer compétitif, les
travailleurs d’Olymel ont finalement accepté à la mi-février, après un
troisième refus, les coupes drastiques exigées par l’employeur. Les
cadres de l’entreprise ont, quant à eux, bénéficié au même moment
d’une augmentation salariale de six pour cent sur trois ans. Deux mois
plus tard, Olymel fermait deux autres de ses usines, entraînant la mise à pied
de 560 travailleurs.
Les commentaires de Claudette Carbonneau, la présidente de
la CSN, suite à la « résolution » du conflit sont parfaitement
révélateurs de la perspective de la bureaucratie syndicale. « Quand vous
êtes confronté à une offre patronale qui a pour effet de vous appauvrir de 12 000
$ par année », a-t-elle plaidé, « n’est-il pas raisonnable de …
tenter d’amoindrir au maximum les conséquences d’un tel recul » ?
Carbonneau ne condamne pas les plans d’Olymel pour
charcuter les revenus et intensifier le travail de ses employés. Elle accepte la
prémisse que les travailleurs doivent faire des concessions pour que la grande
entreprise québécoise puisse se tailler une position avantageuse sur les
marchés mondiaux. Ce qu’elle conteste c’est « l’approche
autoritaire » de la direction d’Olymel. Autrement dit, la
bureaucratie syndicale souhaite être un partenaire à part entière dans l’assaut
patronal sur les emplois et les salaires.
C’est l’idée qu’a défendue Henri Massé,
le président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la plus
importante centrale syndicale de la province, lorsqu’il a pris la parole
devant les Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ) au début de février,
alors même que le conflit de travail à Olymel s’envenimait.
Évoquant la profonde crise qui sévit dans le secteur
manufacturier, Massé a tendu la main aux dirigeants d’entreprises.
« On est capable de travailler ensemble », a-t-il dit, sous
l’œil approbateur du président-directeur général des MEQ, Jean-Luc
Trahan. Acceptant l’inévitabilité des pertes d’emplois, Massé a suggéré
aux patrons présents de recourir autant que possible à l'attrition, aux
préretraites et à la négociation. Et il s’est dit ouvert à
l’introduction d’une plus grande flexibilité dans le travail, tant
que cela n’était pas fait de manière « débridée ».
Massé a conclu par un appel à la tenue d’un sommet
réunissant patronat, gouvernement et syndicats. Un tel sommet avait pris place
en 1996, sous un gouvernement du Parti québécois dirigé par Lucien Bouchard, et
avait donné le coup d’envoi à des coupes drastiques dans les dépenses
sociales au nom de l’élimination du déficit gouvernemental. L’appel
de Massé à un autre sommet tripartite va de pair avec ses efforts pour subordonner
politiquement les travailleurs au parti de la grande entreprise que constitue
le Parti québécois, qui a été officiellement appuyé par la FTQ lors des
élections provinciales de mars dernier.