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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La Belgique se rapproche de la sécession alors que les factions rivales ne parviennent pas à un accord

Par Paul Bond et Ann Talbot
27 août 2008

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Treize mois après avoir remporté une élection générale, le Premier ministre belge Yves Leterme se trouve à nouveau dans l'impossibilité de maintenir son fragile gouvernement de coalition en place. La Belgique se rapproche de la partition.

Un pays qui existe depuis 177 ans au cœur de l'Europe est sur le point de se désintégrer.

Selon Le Soir, la Belgique est « un pays au bord du gouffre. » Le New York Times a publié un article sur les tensions exacerbées en Belgique sous le titre « Avec la montée du nationalisme flamand, la Belgique est sur le point de basculer. » Le journal allemand  Die Tageszeitung a décrit la Belgique comme « L'état "raté" le plus réussi d'Europe. »

Les implications que pourrait avoir un « état raté » abritant les centres de décision de l'Union Européenne et de l'OTAN commencent à être évoquées. Écrivant dans le Financial Times le mois dernier, Tony Barber discutait de la possibilité d'un « divorce de velours » entre les parties francophones et flamandes du pays. Certains suggèrent, a-t-il dit, que « La partition du pays pourrait être gérée pacifiquement et sans une plongée dans l'instabilité économique. Mais, du moins pour ce qui est de l'économie cette vue des choses est peut-être un tant soit peu trop optimiste. » Il faisait référence à la question de la dette nationale belge, qui atteint maintenant 85 pour cent du PIB. 

Padhraic Garvey de la compagnie financière ING a prévenu que « Si la Belgique devait se diviser, il y aurait un énorme débat pour savoir sur qui pèsera la dette, avec les garanties associées pour les obligations du gouvernement et les compensations à payer »

Déjà, l’écart entre les emprunts du gouvernement belge et ceux du gouvernement allemand se creuse de plus en plus. Un échec prolongé à former un gouvernement ou une évolution menant vers une division rendraient certainement nerveux les investisseurs étrangers qui jouent un rôle majeur dans l'économie. Dix pour cent des emplois belges dépendent d’investissements étrangers.

Alors que l'Europe penche vers une récession, la perspective d'une division devient plus vraissemblable, les politiciens flamands du nord rejetant l'idée de continuer à payer les 6 milliards d'euros qui sont affectés aux régions industrielles en friche du sud francophone. Pour la même raison, les dégâts économiques qui pourraient être infligés, non seulement à la Belgique mais à l'ensemble du système financier mondial, s'amplifient. L'incertitude sur les paiements d'une dette nationale en temps de récession génère des cauchemars financiers.

Le dernier épisode de la crise belge a commencé le 15 juillet, quand Leterme a présenté sa démission au roi Albert II pour la troisième fois depuis les élections. Albert l'a refusé, et a nommé une commission de trois hommes pour mettre fin à une situation bloquée.

Leterme, chef du Parti chrétien-démocrate flamand (CD&V), a fait campagne l'année dernière pour l'extension des pouvoirs autonomes des principales régions belges. En particulier, il y avait des appels à l'extension de l'autonomie financière régionale des Flandres, le du nord du pays néerlandophone et plus riche, qui représentent 65 pour cent du PIB national.

Les nationalistes flamands appellent à la séparation des Flandres du sud du pays, plus pauvre, la Wallonie. Le taux de chômage y est trois fois plus élevé qu'en Flandres. Alors que le PIB flamand par habitant est de 124 pour cent de la moyenne européenne, en Wallonie, il n’est que de 90 pour cent. Certains représentants du monde des affaires flamands font campagne pour une division suivant le modèle tchécoslovaque. Les nationalistes flamands ne veulent pas subventionner les aides sociales dans le sud. Le Vlaams Belang (les intérêts flamands) d'extrême-droite prétend que ces aides sociales ont transformé les Wallons en « drogués de l'aide sociale ». La capitale, Bruxelles, est aussi un sujet de discorde. Cette cité est francophone, mais elle est comprise dans une province flamande.

Le CD&V a remporté l'élection en alliance avec les nationalistes modérés flamands de la Nouvelle alliance flamande (NVA), et Leterme a été invité à former un gouvernement. Les changements constitutionnels que Leterme proposaient requerraient une majorité des deux tiers qu'il n'avait pas. La suggestion d'une sécession flamande a rendu les Libéraux wallons (MR) et les Chrétiens démocrates (CDH) récalcitrants à l'entrée dans une coalition. En même temps, les nationalistes flamands, dont ceux du propre parti de Leterme, ont été renforcés à la fois par ses propositions et par le chaos qui s'en est suivi dans les négociations en vue d'une coalition. Les nationalistes ont intensifié leurs demandes pour plus d'autonomie. Les disputes locales se sont amplifiées à propos des règlements linguistiques dans certaines banlieues au sud de Bruxelles. L'enjeu est le rattachement de la capitale à l'une ou l'autre des régions linguistiques.

La tactique de Leterme a été de reporter les problèmes à plus tard et de transmettre les questions litigieuses à une commission parlementaire. Lorsque la commission parlementaire ne parvenait pas à une solution, Leterme proposait sa démission. De nombreux commentateurs ont reconnu que cela indiquait que cette coalition n'était pas viable. Leterme l'a admis lorsqu'il a proposé sa démission, déclarant, « Le modèle du consensus a atteint ses limites, [...] il semble que les visions des communautés sur la manière de donner un nouvel équilibre à notre Etat soient devenues irréconciliables. »

Le roi n'a pas accepté la démission de Leterme. Le monarque constitutionnel a récemment joué un rôle direct dans de nombreuses négociations politiques, et il a sondé les dirigeants régionaux et les représentants syndicaux pendant qu’il considérait la question. Il a demandé à Leterme de rester, et a nommé une commission de trois hommes pour « examiner de quelles manières des garanties peuvent êtres offertes pour commencer un dialogue institutionnel de manière crédible. »

Rien n'indique que cette commission aura un tant soit peu plus de succès que Leterme. Le « dialogue institutionnel » signifie une nouvelle tentative de réformes constitutionnelles du statut des régions qui alimentent le conflit.

 Les nationalistes flamands ne sont pas prêts à accepter un compromis sur leurs revendications. Le VB a été créé après que son prédécesseur, le Vlaams Blok, ait été condamné par la Cour d'appel de Gand pour incitations répétées à la discrimination. Le changement de nom n'a rien changé à sa plateforme raciste et droitière. La dévolution régionale et la diffusion du chauvinisme qui l'a accompagné a facilité son intégration à la politique régionale officielle, il fait de plus en plus la pluie et le beau temps pour les autres partis.

Par le passé, les appels à l'indépendance venaient des politiciens flamands. Mais maintenant, un nombre croissant de politiciens wallons suggèrent aussi de diviser le pays. De récents sondages indiquent que jusqu'à la moitié des wallons accepteraient une union avec la France en cas de division de la Belgique. On discute déjà d'un « corridor » entre la partie francophone de Bruxelles et le sud comme si la capitale allait subir un blocus, comme Berlin pendant la Guerre Froide.

Un précédent avait été établi par la reconnaissance récente de l'indépendance du Kosovo par les États-Unis et certains états de l'Union européenne.

La partition de la Belgique commence à passer pour inévitable chez les commentateurs des médias. Mais les travailleurs ne peuvent pas se permettre de rester spectateurs de ce déraillement au ralenti. La vie a pu continuer comme d'habitude en Belgique tout au long de l'année parce que beaucoup de pouvoirs sont déjà dévolus aux régions et que le reste est, pour une large part, administré par l'Union européenne. Les dépenses sociales relevant du gouvernement fédéral, le conflit entre les factions politiques rivales se concentre sur cette question.

Il est peu probable que le gouvernement français soit disposé à trouver les fonds nécessaires pour les travailleurs au chômage des villes sidérurgiques dévastées comme Charleroi si la région wallonne de la Belgique opte pour l'union avec la France. La France a assez de régions où les usines rouillent sur place sur son propre territoire. Une langue commune ne suffit pas à créer des intérêts communs.

Des questions historiques importantes sont soulevées par la possible partition de la Belgique. Cet Etat fut créé dans un dessein déterminé. C'était un état tampon dans une région que l'on appelait le champ de bataille de l'Europe. Même avant que les deux guerres mondiales ne fassent rage sur son territoire, ce qui devint la Belgique en 1831 était déjà le poste de commande de l'Europe.

Nous sommes habitués à l'idée des états tampons d'Europe de l'Est – se tenant entre les puissances occidentales et l'Union soviétique. Leur absorption dans l'Union Européenne s'est faite sans conflit militaire, mais non sans exacerber massivement les tensions entre les États-Unis et leurs nouveaux alliés, et la Russie. Le dernier chapitre sur les implications de ce conflit reste à écrire. En dépit du « divorce de velours » tchécoslovaque, l'éventualité d'un « divorce aux pralines » en Belgique est peu probable. Rien dans son histoire ou son état actuel n'immunise la Belgique contre la montée d'un national-chauvinisme grotesque, le racisme et même le type de conflit ethnique déchaîné par la culture du séparatisme durant la partition de la Yougoslavie. C'est particulièrement vrai à une époque où les conditions économiques se dégradent et où les partis bourgeois vont avoir un intérêt particulier à encourager les divisions nationales les plus acerbes.

Les travailleurs doivent adopter une attitude indépendante envers le processus qui se déroule en Belgique. Ils doivent défendre leurs propres intérêts de classe, plutôt que ceux des cliques égoïstes de politiciens nationaux qui ne voient dans la dévolution future et l'éventuelle indépendance qu'une route vers le pouvoir et la richesse pour eux-mêmes.

Ce ne sont pas seulement les travailleurs belges qui doivent s'inquiéter. La partition de la Belgique a des implications pour le reste de l'Europe, où de nombreuses élites rivales affirment représenter les intérêts de divers groupes ethniques, religieux et linguistiques. En Espagne, en Italie, en Écosse et en France il y a d'innombrables politiciens de la bourgeoisie et des classes moyennes qui ambitionnent de devenir les dirigeants de micro-états avec un accès direct aux fonds de l'Union européenne et des investisseurs internationaux. Une rupture de la Belgique apporterait de l’eau à leur moulin et entraînerait encore plus de sécessions de la part d'Etats établis depuis longtemps. Dans tous les cas, le séparatisme national fomente le racisme et le chauvinisme et divise les travailleurs.

La balkanisation de l'Europe en Etats rivaux de plus en plus petits ne peut offrir aucune possibilité de paix ou de stabilité et doit être rejetée. Mais la division imminente d'un pays comme la Belgique devrait être prise comme l'avertissement que même un Etat-nation établi de longue date ne peut offrir un futur aux travailleurs. La classe ouvrière est par nature une classe internationale et ses intérêts résident dans le renversement du système capitaliste et la création des États-Unis socialistes d'Europe. Seule une telle formation, plaçant la vie économique et sociale sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière, peut fournir une base pour le développement harmonieux et l'utilisation des importantes ressources de l'Europe pour le bénéfice de tous.

(Article original anglais parus le 9 août)

 

Lire aussi :

Belgique : le gouvernement Leterme va d’une crise à l’autre

[4 juin 2008]

Sans nouveau gouvernement, la Belgique risque la scission

[10 janvier 2008]

Ci-dessous figure un échange entre un lecteur et Ann Talbot à propos de cet article, publié en anglais le 19 août.

C'est le Royaume des Pays-Bas qui a été créé comme "Etat tampon" en 1815, la Belgique s'en est séparée en 1838.

AB

 

 

Cher AB,

Vous avez raison de dire que le Royaume des Pays-Bas était un état tampon, mais cela n'empêche pas le Royaume de Belgique créé après la révolution de 1830 d'être également un Etat tampon.

Les mêmes impératifs qui gouvernaient la politique étrangère britannique au congrès de Vienne en 1815 et ont donné naissance au Royaume des Pays-Bas se faisaient toujours sentir une quinzaine d'années plus tard. Empêcher toute puissance étrangère potentiellement hostile de détenir la Belgique est un thème récurrent de la politique étrangère britannique.

Comme Alfred Thayer Mahan l'a fait remarquer il y a longtemps dans L'influence de la puissance maritime sur l'Histoire, contrôler le Pas-de-Calais était la manière la plus rapide de battre l'Empire britannique, et la Belgique était, de ce point de vue, absolument cruciale pour les intérêts britanniques. De la campagne de Marlborough lors de la Guerre de succession d'Espagne, à Waterloo et aux deux guerres mondiales, la Belgique a eu une importance stratégique pour la Grande-Bretagne.

La Révolution française de 1789 et les révolutions de 1830 ont injecté un nouvel élément dans cette affaire – celui de classe. La Grande-Bretagne n'avait aucun désir de voir un gouvernement révolutionnaire de l'autre côté du Pas-de-Calais.

Si la Belgique devait se voir accorder l'indépendance, alors il était plus sûr d'en faire un royaume de pacotille. Le traité de Londres a établi la royauté belge et a fait de la Belgique un état neutre. Par son origine, la Belgique est donc une réponse aux conflits entre les grandes puissances européennes et aux conflits de classes qui caractérisaient l'émergence de l'Europe moderne.

Au vingt-et-unième siècle, ces facteurs qui ont conféré à la Belgique son importance peuvent sembler s'être amoindris. La Grande-Bretagne ne contrôle plus un quart du globe, les grandes puissances qui se sont livrées deux guerres mondiales sont membres de l'Union Européenne et certainement, du moins pour The Economist, on peut ne voir que peu de raisons pour que la Belgique continue à exister.

Ce serait pourtant une conception à courte vue, car les conflits nationaux qui se sont exprimés lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale n'ont jamais été pleinement résolus, et le conflit entre l'économie globale et les Etats-nations s'intensifie une fois de plus.

Cordialement,

Ann Talbot


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