Cinq ans après que Washington eut déclenché son opération
« choc et stupeur », frappant Bagdad avec ses missiles de croisière
et ses bombes de haute précision, il est maintenant parfaitement clair que la
guerre d’agression contre l’Irak a créé le plus grand désastre géopolitique de
l’histoire américaine.
Les coûts de la guerre, tant en dollars qu’en terme de la
position mondiale de l’impérialisme américain, ont éclipsé les immenses dégâts
causés par la longue intervention au Viêt-Nam voilà maintenant près de quatre
décennies. Elle a déjà duré plus longtemps que la Guerre civile américaine, la
Première Guerre mondiale, la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Corée.
Même au Viêt-nam, après cinq ans d’importants déploiements de soldats, le
retrait des forces américaines avait déjà commencé.
Une « guerre de choix » qui fut déclenchée pour
démontrer la force écrasante et irrésistible du militarisme américain est
devenue un fiasco opérationnel qui a mis à rude épreuve, jusqu’à l’extrême
limite, les forces armées américaines et qui a érodé la position stratégique
des Etats-Unis en tout point du globe.
Pour le peuple irakien, la guerre est une catastrophe. Pour
le peuple américain aussi, cela n’a apporté que souffrances et tragédies. Cette
guerre constitue sans aucun doute le plus grand crime de guerre du 21e siècle.
Tant dans ses buts que dans son exécution, elle possède les principales
caractéristiques des crimes semblables commis au siècle dernier.
Le Tribunal international de Nuremberg qui condamna les
dirigeants du Troisième Reich résuma ainsi son verdict : « La
guerre est essentiellement mauvaise. Ses conséquences ne se limitent pas qu’aux
Etats belligérants, mais affectent le monde entier. Ainsi, déclencher une
guerre d’agression n’est pas qu’un crime international, c’est le pire crime
international, ne différant des autres crimes de guerre que parce qu’il
contient en lui-même tout le mal de ces derniers. »
« Tout le mal » provoqué par la décision de
déclencher une guerre d’agression en Irak continue de grandir. Selon les
évaluations les plus crédibles, cette guerre a causé la mort de plus d’un
million d’Irakiens et, en raison de la violence et de la destruction, en a
déplacé plus de 4 millions, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.
Un sondage mené au compte de la British Broadcasting
Corporation, ABC News aux Etats-Unis et des réseaux de télé allemands et
japonais a découvert que près de la moitié des résidents de Bagdad affirment qu’au
moins un membre de leur famille avait été tué depuis le début de l’occupation.
Le même sondage a révélé que plus de 70 pour cent des
Irakiens voulaient voir les Américains quitter leur pays, un sentiment qui a
été bien présent tout au long de l’occupation, mais qui a été constamment
ignoré par l’establishment politique des Etats-Unis et les médias de masse.
La stratégie de diviser pour régner des occupants
américains et la tentative de Washington d’établir un régime fantoche sur la
base de politiques ethniques a créé les conditions pour l’éclatement d’une
violente guerre sectaire qui a entraîné la mort d’innombrables personnes et a
« ethniquement nettoyé » de grandes sections de Bagdad et
d’autres régions où les chiites, les sunnites et les Kurdes vivaient
précédemment ensemble.
La destruction des infrastructures sociales par les
bombardements américains cinq ans plus tôt — ainsi que les sanctions punitives
imposées durant les années précédentes — n’a été
qu’exacerbée sous l’occupation militaire américaine. Les infrastructures de
base sont toujours dévastées, la population manquant d’électricité, de
carburant, d’eau potable, de services de nettoyage et de ramassage des déchets,
créant ainsi des conditions horribles et une crise de santé publique. Le
meurtre de plus de 600 médecins et de professionnels médicaux et le départ de
milliers d’autres, en plus de besoins criants en médicaments et équipements,
font que le système de santé irakien est dans un état catastrophique.
Les pertes parmi les troupes américaines atteignent
maintenant plus de 4000 soldats. Au moins 60 000 autres ont été blessés et
des milliers d’autres soldats et marines américains envoyés dans cette sale
guerre coloniale reviennent au pays avec de sérieux problèmes psychologiques.
Quant au coût pour la société américaine, c’est maintenant
évalué que l’occupation brûle quelque 12 milliards de dollars par mois et
pourrait coûter jusqu’à un total de 3000 milliards de dollars. Un rapport du
Comité économique bipartite du Congrès a établi que la guerre a coûté, jusqu’à
maintenant, 16 900 $ à une famille américaine moyenne de quatre, un
montant qui pourrait grimper jusqu’à 37 000 $ en 2017, selon les
projections. Ces montants faramineux ont été détournés des besoins sociaux
pressants aux Etats-Unis même, pendant que les dépenses massives ont contribué
de manière significative à la crise financière qui se propage et qui menace de
plonger l’économie dans une crise.
C’est une bonne illustration de l’esprit pervers du président
américain — et de son indifférence criminelle face à la perte de vies humaines —
que dans une vidéo-conférence tenue la semaine dernière avec du personnel
militaire américain en Afghanistan, Bush s’est déclaré envieux de ceux qui
combattent dans les guerres coloniales des Etats-Unis, les décrivant comme
étant des « expériences fantastiques » et « d’une certaine
manière romantiques ».
Les commentaires prononcés par le vice-président Dick Cheney
lors d’une visite surprise à Bagdad étaient tout aussi trompeurs. Cheney a
décrit les cinq ans de guerre comme « une tentative réussie » qui
« en a valu la peine ».
La réalité est que cinq ans après l’invasion américaine qui
devait, selon ses orchestrateurs, rapidement remplacer le gouvernement de
Saddam Hussein par un régime fantoche des Etats-Unis qui serait stable, 160 000
soldats américains demeurent déployées dans le pays et — comme les mesures de
sécurité extraordinaires entourant Cheney, même dans la Zone verte fortifiée,
le montrent — aucune zone ne peut être décrite comme étant entièrement sûre.
L’envoi de renforts par le Pentagone un an plus tôt a créé les
conditions dans lesquelles les commandants américains croient qu’ils peuvent
réduire les forces de l’occupation au même niveau qu’au début de l’invasion. Cette
escalade, dont Cheney a dit qu’elle était responsable d’une « volte-face
remarquable », n’a pas arrêté le bain de sang quotidien. Même selon les
chiffres du gouvernement américain, 26 civils irakiens en moyenne ont été tués
chaque jour pendant le mois de février.
Dans une large mesure, la réduction de ce qui demeure un
nombre horrible de morts n’est pas attribuable aux efforts de pacification
américaine, mais au fait que la violence sectaire déclenchée par l’occupation a
largement séparé les populations sunnites et chiites, laissant moins de gens à
tuer. Pendant ce temps, le Pentagone finance et arme d’anciens insurgés
sunnites, qui n’ont aucune loyauté envers Washington ni envers le gouvernement
appuyé par les Etats-Unis, mais qui, pour le moment, voit les forces de
sécurité et les milices dominées par les chiites comme étant la plus grande
menace.
Quant aux perceptions des Irakiens des conditions dans leur
propre pays, un sondage récent a indiqué que plus de la moitié croit que le
fait d’avoir augmenté la présence des troupes à Bagdad et dans la province
d’Anbar a empiré les choses.
Une guerre basée sur
des mensonges
Comme c’est universellement reconnu, la guerre fut préparée en
2002 et au début de 2003 avec une campagne de mensonges et de fabrications
délibérés sur les armes de destruction massive de l’Irak et les liens entre
Bagdad et al-Qaïda, les deux s’avérant inexistants.
L’administration Bush, avec la complicité du Congrès
démocrate, a tenté d’exploiter les peurs et la confusion politique après les
attaques terroristes du 11 septembre pour mettre de l’avant des plans préparés
longtemps à l’avance dans le but de prendre le contrôle d’un pays qui détient
les deuxièmes plus grandes réserves de pétrole au monde et le transformer en
une plate-forme pour augmenter la puissance militaire américaine à travers la
région.
Sans passer sous silence la désorientation populaire engendrée
par une campagne de propagande impitoyable lancée par les deux partis
politiques et soutenue par des médias serviles, il y avait une large opposition
à la guerre, qui se reflétait dans les manifestations de masse tant aux
Etats-Unis qu’ailleurs dans le monde.
Les cinq ans depuis l’invasion n’ont pas seulement mis à nu
les mensonges originaux, mais ont également complètement discrédité le
gouvernement américain et la politique des Etats-Unis aux yeux de la population
mondiale. La vieille tactique de draper la politique rapace des États-Unis dans
le manteau de la démocratie – utilisée avec un certain succès durant les deux
premières guerres mondiales et durant la guerre froide qui suivit – est
maintenant rejetée avec mépris par les populations partout dans le monde, dégoûtées
par les massacres et la répression en Irak et par les atrocités telles que les
tortures sadiques pratiquées à Abou Ghraib.
Tout aussi important est le discrédit du système politique
aux Etats-Unis mêmes. Rejetant la version officielle vendue sans relâche par
les médias de masse et par les deux principaux partis, la population américaine,
par une large majorité, en est venue à s’opposer à la guerre. Malgré cela, elle
se poursuit sans répit et le président qui l’a lancée – détesté par des
millions de personnes et ne recevant l’appui que de moins du tiers de la
population – a toujours entre les mains des pouvoirs illimités qui lui permettent
de poursuivre une politique militaire débridée. Rien ne peut démasquer plus
complètement le caractère antidémocratique et pourri qui règne dans tout le système
gouvernemental américain.
L’éruption globale du militarisme américain et la crise des
Etats-Unis et du capitalisme mondial sont inextricablement liées. En dernière
analyse, les guerres en Irak et en Afghanistan, et la menace d’une nouvelle
guerre contre l’Iran, sont les produits des tentatives de l’élite dirigeante
aux Etats-Unis de maintenir la position hégémonique du capitalisme américain
par la force militaire alors qu’elle n’est plus en mesure de la faire en vertu
de la puissance de son poids économique. L’objectif de guerre le plus
important pour Washington est d’établir un contrôle sur les ressources
pétrolières du Moyen-Orient et d’Asie centrale, dans le but d’obtenir un
avantage stratégique sur ses rivaux économiques en Europe et en Asie.
La guerre en Irak n’est pas une aberration. La guerre est
le produit inévitable d’une situation mondiale dominée par les tensions
croissantes entre une économie globalement intégrée et le système des Etats-nations
capitalistes dans lequel le déclin de l’impérialisme américain a des
conséquences des plus explosives. Malgré l’échec de l’aventure américaine en
Irak, des pressions objectives poussent Washington vers de nouvelles
confrontations avec des ennemis allant de la Chine à la Russie et au Venezuela.
La crise économique qui provoque ces politiques n’est pas conjoncturelle,
mais bien structurelle. Il est maintenant largement admis dans les milieux
financiers que la crise du crédit qui a résulté de l’éclatement de la bulle
immobilière a amené les Etats-Unis au bord de la plus sévère crise économique
depuis la Grande Dépression des années 1930.
L’expression la plus significative de cette crise
économique est la montée incessante des inégalités sociales. La politique de
l’élite financière consistant à employer la force militaire pour s’emparer des
marchés mondiaux est menée directement aux dépens des masses de travailleurs,
qui payent de leurs emplois, de leurs conditions de vie et de leurs droits
démocratiques fondamentaux.
Les démocrates et la
guerre
L’évolution de la campagne électorale de
2008 a déjà clairement démontré que le peuple américain se verra encore une
fois refuser le droit de décider aux urnes de la poursuite par Washington de sa
guerre criminelle contre le peuple irakien. Le Parti démocrate, répétant une
pratique bien établie, se prépare de nouveau à confisquer le droit de
représentation de la considérable majorité anti-guerre de l’électorat
américain.
Dans les élections
de mi-mandat de 2002, la direction du parti démocrate au Congrès a pris
délibérément la décision de donner les votes nécessaires pour autoriser
l’invasion de l’Irak, calculant que cette décision évacuerait la question de la
guerre du débat officiel et que ça leur permettrait de lancer une campagne
victorieuse basée sur des questions économiques. Le résultat fut une cuisante
défaite qui donna les deux chambres du Congrès aux républicains.
En 2004, la
direction du parti dirigea la nomination vers deux candidats (John Kerry et
John Edwards) qui avaient voté pour la guerre en 2002 et qui avaient montré
clairement qu’ils n’avaient pas l’intention de retirer les troupes américaines.
En fait, Kerry avait suggéré que, s’il était élu, il lancerait sa propre
« escalade ».
En 2006, les démocrates
ont repris le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat dans un vote
qui signifiait clairement le rejet populaire de la guerre. Ayant pris le
contrôle du Congrès, les démocrates ont agi en ne faisant rien d’autre que de
fournir des fonds pour la poursuite de la guerre.
Aujourd’hui,
les deux candidats encore en lice pour la candidature présidentielle du Parti
démocrate mènent une campagne sur le thème de la sécurité nationale avec
l’objectif de démontrer qu’ils feront un meilleur commandant en chef. Tant
Hillary Clinton que Barack Obama proposent une plateforme qui perpétue
l’occupation de l’Irak par l’armée américaine aux fins d’opérations de
contre-terrorisme, de défense des installations et des intérêts américains et
d’entraînement des forces irakiennes à la solde de l’impérialisme, ce qui
signifie que des dizaines de milliers de soldats seront en Irak pour une période
indéfinie. L’ancienne conseillère en politique étrangère d’Obama a expliqué
dans une entrevue qu’elle donnait récemment à la BBC qu’il ne fallait pas
prendre les promesses d’Obama sur le retrait des troupes hors d’Irak trop au
sérieux, puisqu’elles seraient mises au rancart l’instant même où il entrera à
la Maison-Blanche et qu’il prendra l’avis de l’état-major américain.
Il y a
assurément de vives tensions au sein de l’élite dirigeante sur la façon de mener
la guerre et sur la politique que les Etats-Unis devront adopter face à l’Irak.
Toutefois, malgré leurs différends, toutes ces factions partent du point de vue
commun de la défense des intérêts de l’impérialisme à l’échelle mondiale. Dans cette
optique, il s’agit d’établir si les immenses ressources militaires américaines
monopolisées par l’Irak n’empêchent pas l’utilisation de ces forces ailleurs.
Plusieurs démocrates qui défendent le retrait des troupes américaines de l’Irak
réclament leur envoi en Afghanistan.
Le caractère
grotesque de l’opposition soi-disant libérale à la guerre en Irak a été
démontré dans la section « Opinion » du New York Times de
dimanche passé, où l’on a demandé à neuf « experts des affaires étrangères
et de l’armée de réfléchir à leur attitude [envers la guerre] au printemps 2003 ».
Ces neuf experts, sans exception, étaient des défenseurs de la guerre, la
plupart étant des membres, soit de l’administration américaine, soit de comités
d’experts de droite. Certains, comme Richard Perle et Paul Bremer, sont
directement responsables des atrocités commises contre le peuple irakien.
En mars 2003,
tous s’entendaient sur le fait que la guerre contre l’Irak était nécessaire.
Les divergences ne seraient apparues que plus tard, après que les
« erreurs du renseignement » furent connues ou après que cet acte
nécessaire eut été mal mis en œuvre par l’administration Bush.
C’est un
mensonge. Des millions de personnes savaient que la guerre était un acte
criminel entrepris sur la base de mensonges.
Quant au World
Socialist Web Site, il n’avait aucune illusion sur le véritable motif cette
guerre ni sur le résultat auquel il mènerait.
Comme nous
avons écrit dans La crise du
capitalisme américain et la guerre contre l'Irak le 21 mars 2003, « Toutes les raisons données
par l'administration Bush et ses complices à Londres sont basées sur des
semi-vérités, des falsifications et des mensonges flagrants. Il devrait être à
peine nécessaire à ce point-ci de répliquer encore une fois aux assertions
voulant que le but de cette guerre soit de détruire les prétendues "armes
de destruction massive" de l'Irak. Après des semaines d'inspections les
plus intrusives auxquelles un pays n'ait jamais été soumis, rien de solide n'a
été découvert. »
Et nous avons
correctement prédit que « Quel que soit le résultat du stade initial du conflit qui a
commencé, l'impérialisme américain a pris un rendez-vous avec le désastre. Il
ne peut conquérir le monde. Il ne peut réimposer des chaînes coloniales aux masses
du Moyen-Orient. Il ne trouvera pas dans la guerre une solution viable à ses
maladies internes. Au contraire, les difficultés imprévues et la résistance
montante engendrées par la guerre vont intensifier toutes les contradictions
internes de la société américaine. »
Aujourd’hui, une
véritable lutte contre la guerre ne peut être entreprise sur la base de
manifestations ni d’appels au système actuel des deux partis, ni en tentant
encore une fois de donner plus de pouvoir aux démocrates en élisant Clinton ou
Obama à la Maison-Blanche et en donnant aux démocrates une plus grande majorité
au Sénat. Ce qu’il faut, c’est rejeter l’impérialisme lui-même.
Mettre un
terme aux guerres en Irak et en Afghanistan, stopper les plans déjà mûrs pour
d’autres guerres encore plus sanglantes avec l’Iran et d’autres pays ne sera
possible que par la lutte pour mobiliser la classe ouvrière contre le système
capitaliste qui est à l’origine de la guerre.
Cela signifie
de rompre de façon irréconciliable avec le Parti démocrate et de construire un
nouveau mouvement politique de masse des travailleurs basé sur un programme
socialiste et internationaliste.
Le Parti de
l’égalité socialiste et le World Socialist Web Site luttent pour que
cette alternative soit au centre des luttes à venir dans la période menant aux
élections de novembre, autour de la demande pour le retrait immédiat et sans
conditions de toutes les troupes américaines hors de l’Irak et de l’Afghanistan
et la traduction en justice de ceux qui ont conspiré pour lancer ces guerres
d’agression afin qu’ils répondent de leurs crimes, tant au point de vue
politique que légal.
Nous appelons
nos lecteurs et nos supporters à tirer les leçons de cinq années de guerre en
Irak et à se joindre à nous dans la lutte pour la mobilisation politique
indépendante des travailleurs aux Etats-Unis et internationalement contre
l’impérialisme.
(Déclaration
originale anglaise parue le 19 mars 2008)