Le président français, Nicolas Sarkozy,
s’est rendu en Israël du 22 au 24 juin pour réaffirmer son engagement à
l’Etat d’Israël et pour maintenir les pressions diplomatiques sur
l’Iran et la Syrie, les cibles actuelles désignées des Etats-Unis au
Proche-Orient. La visite de Sarkozy fait partie de l’offensive
diplomatique française continue au Proche-Orient, avec visites de représentants
au plus niveau dans les anciennes colonies françaises, le 7 juin au Liban et le
15 juin en Syrie.
Réagissant à un changement de la politique
américaine au Proche-Orient, Sarkozy tente de gagner le plus de prestige possible
et de tirer un profit commercial de ses efforts pour rétablir un ordre
politique régional qui a été déstabilisé par la politique étrangère
israélo-américaine.
Israël est présentement engagé dans une guerre
verbale avec l’Iran, qu’il a à plusieurs reprises menacé
d’attaquer. Il continue de perpétrer des attaques contre le gouvernement
palestinien du Hamas dans la Bande de Gaza. Après avoir déclenché une guerre
soutenue par les Etats-Unis contre le Liban en 2006, il est impliqué dans une
confrontation intense avec la milice chiite libanaise bien armée du Hezbollah
qui avait combattu Israël en le forçant au retrait en 2006.
Dans son discours prononcé à la Knesset le 23
juin, Sarkozy a fait comprendre que ses efforts en vue de rétablir la situation
s’ancreraient fermement dans un paramètre acceptable pour Washington et pour
Tel-Aviv.
Il a dénoncé le prétendu programme nucléaire
de l’Iran en réaffirmant l’engagement de la France à la sécurité
israélienne. Au sujet de l’Iran il a dit que : « le programme
nucléaire militaire de l’Iran appelle une réaction d’une extrême
fermeté de toute la communauté internationale. Israël doit savoir
qu’Israël n’est pas seul ! La France est déterminée à
poursuivre avec ses partenaires une politique alliant des sanctions de plus en
plus dures jusqu’à l’ouverture, si Téhéran faisait le choix de
respecter ses obligations internationales. Mais je veux le dire avec
force : un Iran doté de l’arme nucléaire est inacceptable pour mon
pays ! »
Se décrivant comme un « ami
d’Israël » et « intransigeant » sur sa sécurité, Sarkozy a
déclaré son « admiration » pour la fondation de l’Etat
d’Israël, il y a 60 ans, événement que les Palestiniens désignent par
« la catastrophe ».
Au sujet des relations israélo-palestiniennes,
Sarkozy a dit, « La sécurité d’Israël […] ne sera véritablement
assurée que lorsqu’à ses côtés, on verra un Etat palestinien indépendant,
moderne, démocratique et viable. » Il a appelé, pour la forme, à un arrêt
de la colonisation israélienne dans les terres palestiniennes. Dans sa réponse
au discours de Sarkozy, le dirigeant israélien de l’opposition et ancien
premier ministre, Benjamin Netanyahu, a fait l’éloge de Sarkozy en le
qualifiant de « véritable ami d’Israël » et s’est s’empressé
de rejeter l’appel à un arrêt de la colonisation.
Sarkozy a brièvement rencontré Mahmoud Abbas,
le président de l’Autorité palestinienne (PA), le 24 juin à Bethléem pour
signer un accord de 21 millions de dollars américains prévoyant
l’établissement d’une zone industrielle franco-palestinienne. Il a refusé
de déposer une couronne sur la tombe du dirigeant nationaliste palestinien,
Yasser Arafat, et a chargé la ministre française de l’Intérieur, Michèle
Alliot-Marie de le faire à sa place.
La proposition la plus substantielle contenue dans
le discours de Sarkozy devant la Knesset a été la référence au sommet des pays
de la Méditerranée du 13 juillet à Paris auquel Israël, la Syrie et le Liban
sont invités. Il est largement attendu que le sommet fournira l’occasion de
négociation entre les trois pays. Sarkozy s’est cependant limité à exprimer
le vague espoir que « le vieux rêve de l’unité du monde
méditerranéen n’est pas mort, mais qu’au contraire il est assez
vivant pour pouvoir encore soulever le monde » et qu’« Israël,
comme l’Autorité palestinienne, comme le Liban, comme la Syrie trouveront
leur place ».
Les responsables israéliens auraient pressé
Sarkozy de ne pas établir trop rapidement des liens diplomatiques avec le Liban
et surtout la Syrie. Le 22 juin, le quotidien israélien Haaretz avait
rapporté que « La France a promis de ralentir son rapprochement avec la
Syrie jusqu’à ce que la Syrie fasse preuve de sa volonté de se distancer
de l’axe extrémiste, notamment de l’Iran. » Haaretz
poursuivit en citant des conseillers anonymes d’Olmert : « La
France est un facteur très important dans le désengagement de la Syrie de "l’axe
du mal" et donc "des cartes doivent être mises de côté pour être jouées
dans les tours à venir". »
Le quotidien israélien Yedioth Ahronoth
a écrit le 24 juin qu’Olmert « présentera trois conditions à Sarkozy
pour les négociations [avec le Liban] : des pourparlers directs entre les
deux gouvernements, la pleine application de la résolution 1701 de l’ONU,
y compris l’arrêt de la contrebande d’armes du Hezbollah via la
Syrie, et l’application de la résolution 1680. » La résolution 1680 appelle
à engager des négociations libano-syriennes au sujet des frontières, notamment
au sujet des fermes de Sheba’a occupées par Israël, le démantèlement des
milices libanaises, telles le Hezbollah et l’extension du contrôle de
l’armée libanaise sur l’ensemble du territoire libanais.
Sarkozy se porte ainsi volontaire pour servir
d’intermédiaire afin d’aider Israël à imposer des conditions lors
de ses négociations avec les anciennes colonies françaises et où la France exerce
encore une influence substantielle. La France est le premier investisseur
étranger au Liban et le premier partenaire commercial étranger de la Syrie.
Le 7 juin, Sarkozy a rendu visite au nouveau
président libanais, Michel Sleimane, qui a été élu le 25 mai après la tenue de
négociations à Doha, la capitale du Qatar, entre les partis libanais. Sarkozy
était accompagné d’une délégation massive comprenant les dirigeants de
presque tous les partis bourgeois français : le premier ministre, François
Fillon, le dirigeant de l’opposition sociale-démocrate (PS), François
Hollande, la dirigeante du Parti communiste (PCF), Marie-George Buffet, le
dirigeant du MoDem, François Bayrou ainsi que plusieurs ministres du
gouvernement Sarkozy.
Le magazine français Le Point a cité
Sarkozy : « Depuis trop longtemps, la situation de blocage et de
crise au Liban empêchait la reprise progressive d’un dialogue, [mais] les
choses sont peut-être en train de changer. […] J’avais dit que je
reprendrais des contacts avec la Syrie seulement lorsque des développements
positifs et concrets seraient intervenus au Liban en vue d’une sortie de
crise. Il faut bien reconnaître que l’accord de Doha, l’élection du
président Sleimane, la reconduction de Fouad Siniora dans ses fonctions de
premier ministre constituent de tels développements. J’en ai tiré les
conséquences et j’ai appelé le président [syrien] [Bachar al-]Assad pour
lui faire part de mon souhait de voir le processus de mise en œuvre de
l’accord se poursuivre. »
Le 10 juin, le ministre syrien de la Culture,
Riyad Nassan Agha El-Qalaa, est venu à Paris et le 15 juin le conseiller
diplomatique français Jean-David Levitte et le secrétaire général de
l’Elysée Claude Guéant se sont rendus à Damas pour rencontrer le
président syrien. En plus de l’arrangement d’entretiens avec les
responsables syriens et libanais lors du sommet du 13 juillet, le gouvernement
français a également invité Assad à assister au défilé militaire traditionnel
du 14 juillet. Assad n’aurait à ce jour pas encore répondu à
l’invitation.
Ces démarches ont lieu à un moment où survient
un changement de la politique américaine dans la région et où des négociations continues
se tiennent entre Israël et la Syrie. Le candidat présidentiel présumé du Parti
démocrate, Barack Obama, a annoncé qu’en cas d’élection il
envisagerait des négociations avec l’Iran. Dans un article publié le 5
juin dans le Wall Street Journal et intitulé « Il est temps de
parler avec la Syrie », les sénateurs John Kerry (démocrate du
Massachusetts) et Chuck Hagel (républicain du Nebraska) ont lancé un appel à
Bush et à Assad pour l’ouverture de négociations directes.
Ils ont écrit : « Les dernières
annonces faites au sujet des négociations de paix entre Israël et la Syrie sous
les auspices de la Turquie, et un accord entre les factions libanaises au
Qatar, tous deux apparemment sans implication significative américaine,
devraient nous servir d’avertissement que notre politique de
non-engagement nous a isolés plus que les Syriens. […] Pour soutenir
Israël et pour isoler l’Iran, le président Bush devrait offrir un soutien
direct aux négociations israélo-syriennes. »
Dans la course pour le prestige et
l’avantage que rapporte la supervision de telles négociations, Sarkozy
est dans une certaine mesure en concurrence avec l’impérialisme
américain, profitant de l’impopularité des Etats-Unis dans la région et de
l’attention portée par les Etats-Unis à leur campagne présidentielle. Le
journal Haaretz a écrit le 22 juin : « Alors qu’une
nouvelle administration américaine se fait attendre, la France peut jouer le
rôle de la superpuissance mondiale. » Le quotidien Le Monde a
répété cette opinion : « les relations particulières [de Sarkozy]
avec Israël […] ne peuvent que renforcer son influence et celle de la
France, au moment où s’ouvre aux Etats-Unis la période de
l’élection présidentielle ».
Le fait que la France se mette en avant a
rapporté des bénéfices substantiels aux entreprises françaises. Le magazine
économique américain Forbes a écrit le 18 juin que pour la première fois
de son histoire, à savoir en 23 ans, des commandes étrangères de l’avion
de chasse Rafale de Dassault étaient attendues, dont une centaine du
Proche-Orient. Le journal a cité Richard Aboulafia, analyste chez Teal Group
qui a dit : « Les achats d’armes américaines haut de gamme effectués
au Proche-Orient ne sont pas exactement au goût du jour en ce moment, »
pour conclure : « L’intérêt porté au Rafale pourrait être un
autre indice les Etats-Unis sont laissés en plan. »
De manière plus générale, toutefois, pour
exercer une influence à échelle mondiale, l’impérialisme français reste
tributaire de l’impérialisme américain. Sarkozy adopte généralement une
attitude pro-américaine et est actuellement impliqué dans des discussions pour faire
réintégrer la France dans le commandement militaire de l’OTAN dont elle s’était
retirée en 1966 sous le président Charles de Gaulle. Ses lignes
d’approvisionnement pour sa nouvelle base militaire du golfe Persique qui
est installée dans les Emirats arabes unis passent par les eaux de l’océan
Indien qui sont dominées par la marine américaine.
Le New York Times a également rapporté
le 19 juin que la firme pétrolière française Total était l’une des cinq
principales firmes pétrolières à être engagées dans des négociations pour obtenir
une part des champs pétrolifères d’Irak. Ecarté initialement de
l’Irak en raison de l’opposition de la France à l’invasion de
2003, Total s’est vu accorder une part du champ pétrolifère de Majnoun
par les firmes pétrolières américaines en août 2007, peu après l’élection
de Sarkozy comme président.