A la fin de l’année dernière, la famille Schaeffler et ses
banques créancières avaient fait une tentative spéculatrice et désastreuse de rachat sur le fabricant de pneus et
équipementier automobile Continental. La situation
économique mondiale s’est ensuite rapidement détérioré et l’entreprise
de la famille Schaeffler crouleaujoud’hui sous des dettes s’élevant à plusieurs
milliards d’euros. A présent, le syndicat allemand des travailleurs de la
métallurgie, IG Metall, et ses comités d’entreprise essaient de sauver
l’entreprise Schaeffler aux dépens des travailleurs.
Fin juillet 2009, l’entreprise avait publié un mémo déclarant
que la direction avait finalisé un accord avec IG Metall et les comités
d’entreprise pour assurer l’avenir de l’ensemble des usines Schaeffler en
Allemagne. L’accord prévoit des économies internes à la firme aux dépens des salariés
s’élevant à 250 millions d’euros au moyen de ruptures négociées du contrat de
travail, de l’extension du chômage technique et de départ anticipé à mi-temps
pour les salariés plus âgés.
Les salaires ont été gelés et une augmentation de 2,1 pour
cent de salaire initialement prévue à partir du 1er mai sera
repoussée à la fin de l’année. Avec une franchise étonnante, le syndicat IG
Metall a annoncé sur son site web : « Les accords valables dans les
usines sont basés sur des accords conclus en février dernier entre le chef de
l’IG Metall, Berthold Huber, et la famille Schaeffler. »
Pour les 28 000 salariés employés par l’entreprise en
Allemagne, et dont 20 000 sont actuellement au chômage technique, l’accord
signifie une perte moyenne de salaire de 17 pour cent. De plus, Schaeffler a
déjà réclamé l’extension du chômage technique jusqu’à la mi-2010 en se
réservant le droit d’imposer d’autres licenciements et d’autres réductions de
salaire au cas où la situation économique devait se dégrader.
Dans un communiqué, l’entreprise a déclaré : « Si
cette prudente prévision devait se révéler intenable dans le courant de
l’année, la direction et les représentants du personnel sont d'accord que
d’autres mesures seront nécessaires. » Celles-ci comprennent « la
mise en place de sociétés de transfert et des licenciements économiques. »
Le rôle du Parti La Gauche
Klaus Ernst, le chef de l’IG Metall de Schweinfurt en Bavière
où se situe le siège de l’entreprise a décrit l’accord « comme une
solution acceptable compte tenu de la situation de l’entreprise et de
l’économie en général ».
Ernst
est le secrétaire général de l’IG Metall à Schweinfurt depuis 1995. Il est
membre du syndicat depuis 1972 et il fut un membre du Parti social-démocrate
d’Allemagne (SPD) de 1974 à 2005. En 2004, il créa, ensemble avec d’autres
membres du syndicat, l’Alternative électorale travail et justice sociale
(Wahlalternative Arbeit und Soziale Gerechtigkeit, WASG) qui fusionna plus tard
avec le Parti du socialisme démocratique (PDS), issu de l’ancien parti
stalinien SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne) pour constituer La Gauche
(Die Linke). Lors du congrès de fondation en 2007, Ernst fut élu vice-président
du parti et devint plus tard le vice-président du groupe parlementaire du
parti. Il continue à ce jour d’occuper ces deux fonctions et peut, à juste
titre, être qualifié de membre fondateur et de pilier de La Gauche.
Non
seulement Ernst incarne les liens étroits entre La Gauche et la bureaucratie
syndicale, il personnifie aussi le rôle cynique que joue le parti. L’on est en
droit d’admettre qu’il était, en tant que secrétaire général de l’IG Metall à
Schweinfurt, non seulement au courant des attaques projetées par la direction
contre les travailleurs, mais qu’il a en fait collaboré à leur élaboration. Ce
qui toutefois ne l’empêche pas de continuer à se focaliser dans ses discours au
parti sur des « salaires équitables », sur la « justice
sociale », contre « la retraite à 67 ans » et sur la nécessité
« d’avoir suffisamment de courage pour défendre ses propres
intérêts ».
La
Gauche soutient les manœuvres des fonctionnaires syndicaux chez Schaeffler qui,
tout comme dans de nombreuses autres usines, débouchent pour les travailleurs
sur la réduction des salaires et des acquis sociaux tout en permettant à la
bureaucratie d’étendre ses propres privilèges et d’obtenir des postes au
conseil de surveillance ou de participer au capital de l’entreprise.
Le
secrétaire du comité
d’entreprise du groupe, Norbert
Lenhard (IG Metall), qui a accepté les réductions de salaire, parle à présent
de « garantie de l’avenir » en déclarant hypocritement « Nous
avons empêché les licenciements économiques ».
En
fait, la garantie consentie par la direction d’éviter tout licenciement jusqu’à
la fin de juin 2010, est tout simplement destinée à calmer les travailleurs.
Selon un article paru le 4 août dans le Financial Times Deutschland,
l’entreprise anticipe en 2009 une baisse de 15 pour cent de son chiffre
d’affaires tout en s’attendant à ce que « les marchés n’atteignent le
niveau qu’ils avaient en 2008 qu’en 2012-2013 ».
« En
cas d’urgence, des sociétés de transfert pourraient alors entrer en
considération pour certains sites. Ce qui équivaudrait à des suppressions
d’emplois mais sans recourir directement à des licenciements économiques »,
écrit le Süddeutsche Zeitung.
Des
postes lucratifs au conseil de surveillance de Schaeffler furent promis aux
responsables syndicaux en échange de leurs services, de même qu’une
« co-participation financière »
(« Mitarbeiterkapitalbeteiligung », MBK). La « garantie de
l’avenir » conclue par le syndicat et la direction stipule :
« Les deux parties s’accordent sur le fait qu’il soit fait usage des
possibilités de la participation financière des salariés. Les associés du
groupe Schaeffler sont en conséquence prêts à permettre aux travailleurs de
participer au capital de l’entreprise. »
Comme dans le cas du constructeur automobile Opel, le rôle de
la MKB chez Schaeffler est d’enchaîner les travailleurs à leurs
« propres » usines ou lieux de travail. Les travailleurs sont censés
investir leurs propres économies et leurs salaires, mais sans avoir ni le droit
de parole ni le droit de vote en échange de leurs actions. Les véritables
bénéficiaires sont les fonctionnaires de l’IG Metall et les comités d’entreprise
qui peuvent s’attendre à occuper des postes très bien rémunérés.
Selon Werner Neugebauer, le chef de l’IG Metall en Bavière,
l’argent économisé en raison de l’ajournement en fin d’année de l’augmentation
de salaire pourrait être versé dans un plan de participation par actions de
l’entreprise. Malgré les problèmes de finalisation inhérents à une telle
participation financière, Neugebauer est sûr qu’un accord approprié pourra être
trouvé : « Nous restons convaincus qu’une co-participation financière
appropriée pour les employés est ce qu’il y a de mieux, aussi pour la
stabilisation de l’entreprise. »
Les postes visés par la direction d’IG Metall au conseil de
surveillance semblent aussi avoir été finalisés. Neugebauer a ajouté :
« Je crois qu’en raison du processus avancé de la clarification interne,
l’entreprise de famille et l’IG Metall seront en mesure d’établir dans quelques
semaines un conseil de surveillance ou un comité ayant les mêmes tâches, la
même structure et respectant la parité [c’est-à-dire pour moitié occupé par le
syndicat] comme le prévoit la Loi sur la cogestion de 1976. »
La crise chez Schaeffler
Récapitulons: l’entreprise de famille avait racheté à la fin
de l’année dernière, le fabricant de pneus et sous-traitant automobile
Continental qui fait trois fois sa taille. La famille avait emprunté 16
milliards d’euros pour financer l’affaire, les parts acquises servant de gage
auprès des banques créancières. L’objectif des propriétaires de l’entreprise,
Maria Elizabeth Schaeffler et son fils Georg, était de créer le deuxième plus
gros fournisseur automobile du monde après Bosch, le premier équipementier
mondial.
La famille a raté sa spéculation. Suite à la crise économique,
les actions de Continental avaient perdu trois quarts de leur valeur et, du
jour au lendemain, Schaeffler s’était endetté de plusieurs milliards et les
banques exigèrent le remboursement du capital emprunté. Selon les milieux
financiers, Schaeffler n’a pas respecté les échéances convenues fin juin 2009
et est incapable de faire face aux obligations de remboursement prévu en 2009
et en 2010.
Le journal économique et financier allemand Handelsblatt
avait exigé dès le début du mois d’août que : « Les banques doivent
prendre les commandes chez Schaeffler. En fait, elles auraient dû l’avoir fait
depuis longtemps. L’entreprise leur appartient pratiquement. » Jusque-là,
les banques s’étaient abstenues de reprendre Schaeffler à leur propre compte
parce que le projet aurait signifié une perte sèche de plusieurs milliards
d’euros de leurs crédits. Mais c’est à présent l’épée de Damoclès qui est
suspendue au-dessus des travailleurs.
Des milieux proches de l’entreprise affirment que suite au
« plan d’austérité » mis en vigueur en février 2009, l’entreprise est
à présent en mesure d’assurer le remboursement des intérêts à leurs banques
créancières. Ces remboursements d’intérêts s’élèveraient à 70 millions d’euros
par mois, voire en quatre mois à l’équivalent des 250 millions d’économies
prévues par l’entreprise.
C’est à l’issue d’une réunion d’entreprise que les
travailleurs de Schaeffler furent informés de la décision de ces réductions. Le
28 juillet, la direction et les comités d’entreprise avaient publié à
Schweinfurt un communiqué conjoint disant que sur le personnel de ce seul site
au moins 59 millions d’euros d’économies seraient réalisées.