Dans les
dernières semaines, les tensions montantes entre le Canada et la Russie au
sujet du contrôle des ressources naturelles immenses de l’Arctique et d’une
éventuelle route maritime passant par le Pôle Nord ont fait
surface.
À la fin
février, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a réagi de manière
agressive à une supposée tentative d’incursion de deux avions militaires russes
dans l’espace aérien canadien. Le premier ministre Stephen Harper, rappelant
que la Russie aurait agi de la sorte récemment à plusieurs reprises, a déclaré
que ce geste « représente une agression non seulement dans l'Arctique,
mais une agression de façon générale ». Environ un mois après l’incident,
lors d’une rencontre entre le ministre canadien de la Défense, Peter MacKay, et
le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, MacKay a déclaré que
« chaque fois que vous allez envoyer des avions, on va vous envoyer des
avions aussi. »
Contrairement à
ce que laissent
entendre Harper et MacKay, la Russie n’a pas outrepassé les droits que lui
confère la loi internationale. Selon l’officier américain Gene Renuart, qui est
responsable du NORAD (le système de défense aérospatiale canado-américain),
« les Russes se sont conduits de manière professionnelle... et ne sont
entrés dans l’espace aérien interne d’aucun pays ». Toutefois, la décision
de la Russie de reprendre pour la première fois depuis la fin de la Guerre
froide ses patrouilles au-dessus de l’Arctique fait partie d’une stratégie
géopolitique plus agressive.
Au début avril,
le ministre canadien des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a rencontré son
homologue russe Sergei Lavrov et lui a demandé de prévenir le Canada chaque
fois que la Russie compte envoyer des avions près de la frontière canadienne.
Un haut responsable de l’ambassade russe au Canada a répliqué que le Canada
devrait officiellement proposer un traité afin d’obtenir une telle demande.
Le gouvernement
conservateur canadien a réagi de manière tout aussi agressive lors de
l’annonce, faite au mois de mars par le gouvernement russe, de la mise sur pied
d’un plan pour l’Arctique qui était inscrit dans un document du Conseil de
sécurité de la présidence et qui a été signé en septembre 2008 par le président
russe Dimitri Medvedev.
Ce document stipule que l’Arctique deviendra une base
stratégique de première importance pour la Russie et que, d’ici 2020, cette
même région deviendra la source principale de ressources naturelles pour ce
même pays. « Il est nécessaire de créer des unités militaires [...] dans
la zone arctique de la Fédération de Russie afin d'y assurer la sécurité
militaire ». Le document ajoute que Moscou vise à « utiliser la zone
arctique [...] en tant que base stratégique de ressources naturelles pour
assurer les besoins de la Russie en hydrocarbures, en ressources biologiques,
en eau et autres matières premières stratégiques ».
Le ministre Cannon
a aussitôt réagi à l’annonce du gouvernement russe en disant que le Canada ne
se laisserait pas « intimider » par les visées de la Russie dans
l’Arctique et qu’il serait « intraitable » face aux pays qui
pourraient avoir des visées dans cette région du globe.
Cette montée des
tensions entre le Canada et la Russie arrive dans un contexte où la fonte des
glaces en Arctique, causée par le réchauffement de la planète, ouvre d’immenses
opportunités pour les pays impérialistes.
Selon certaines
estimations, la région de l’Arctique pourrait contenir jusqu’à 25 pour cent des
réserves de pétrole et de gaz naturel qui restent à découvrir dans le monde.
Avec la calotte glaciaire qui fond plus rapidement que prévu, ces ressources
naturelles qui gisent sous les eaux de l’Arctique deviennent de plus en plus
accessibles.
Dans une
entrevue diffusée sur le site web de l’OTAN, Soren Grade, le ministre de la
Défense du Danemark, un pays qui a aussi des intérêts importants en Arctique
par sa possession du Groenland, a présenté de manière explicite les immenses possibilités qui
s’ouvrent pour la bourgeoisie :
« En raison du fait qu’il y a beaucoup de pétrole dans cette zone, elle a
une grande importance pour toutes les nations, parce qu’en fait vous pouvez
être très riche s’il y a beaucoup de pétrole et s’il vous appartient et si vous
voulez l’explorer. Peut-être pas aujourd’hui quand le baril de pétrole vaut 40 $,
mais à 140 $ ça
peut faire une différence. »
Le retrait des
glaces pourrait également entraîner l’ouverture de nouvelles routes maritimes,
dont le passage du Nord-Ouest entre les océans Atlantique et Pacifique.
Cette route permettrait d’économiser des ressources importantes pour le
commerce entre l’Asie du Nord-Est et les marchés principaux de l’Europe et de
l’Amérique.
Depuis son
arrivée au pouvoir, le gouvernement Harper a fait de l’Arctique un thème
central de son mandat. Il a investi des milliards de dollars pour développer
une présence militaire importante dans cette région et pour acheter de nouveaux
brise-glace afin de patrouiller dans la région. Il envisage aussi de
construire un port en eau profonde ainsi que de nouveaux centres de recherche.
Récemment, le
gouvernement Harper a lancé l’opération Nunalivut (« terre qui est à
nous » en Inuktitut) et qui a pour but de développer des opérations
militaires en Arctique comme des patrouilles de surveillance terrestres et
aériennes ainsi que de faire avancer la cartographie du GrandNord,
particulièrement la carte des fonds marins.
En août 2008, Ottawa avait annoncé l’investissement de 100
millions de dollars sur cinq ans afin de cartographier le Grand Nord. En plus
de se servir de ce projet pour mieux connaître le potentiel énergétique de la
région, la cartographie du Grand Nord permettra à Ottawa de mieux défendre ses
intérêts auprès des Nations unies afin d’étendre sa juridiction sur les eaux
arctiques.
Selon la Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, tout Etat possède une souveraineté sur les 200 milles marins (370 km) qui
bordent ses côtes et elle peut étendre sa souveraineté de 150 milles marins
supplémentaires si elle peut prouver que les fonds marins sont le prolongement
de son plateau continental sur cette distance. Sur cette base, la Russie, qui a
planté un drapeau en 2007 au milieu de l’océan Arctique, revendique 37 pour
cent du territoire de cet océan.
Par son attitude agressive, Ottawa tente de gagner l’appui
des Etats-Unis afin de contrer l’influence de la Russie dans le Grand Nord.
Malgré ses investissements majeurs pour défendre ses propres intérêts,
l’impérialisme canadien demeure trop faible pour défendre un territoire qui
couvre 40 pour cent de sa superficie et doit chercher des appuis auprès
des grandes puissances. Ottawa cherche donc à se présenter comme un allié
respectable auprès de Washington et comme ayant des intérêts communs avec lui
dans sa lutte contre Moscou.
Cependant, les relations entre le Canada et les Etats-Unis
au sujet de l’Arctique demeurent tendues. Pour leurs propres intérêts, les
Etats-Unis refusent que l’éventuel passage du Nord-Ouest soit contrôlé par le
Canada et veulent rendre ces eaux internationales. Des tensions confrontent
également le Canada et les États-Unis au sujet de la division de la mer de
Beaufort au nord de l’Alaska et du Yukon, une mer qui contient d’importantes
ressources énergétiques.
Outre le Canada, d’autres puissances plus faibles
convoitent les ressources de l’Arctique. Les pays scandinaves (la Norvège, la
Suède, la Finlande, le Danemark et l’Islande) ont proposé une
« déclaration de solidarité » qui sera discutée par les ministres des
Affaires étrangères de chacun des pays en mai. Cette déclaration serait la base
pour un pacte militaire de défense en cas d’attaque sur leur frontière polaire
et permettrait une plus grande coopération entre ces pays.
À propos du fait que la Russie modernise son armée pour
mieux défendre ses intérêts dans le Grand Nord, Jonas Gahr Store, le ministre
des Affaires étrangères de la Norvège, a dit : « Nous ne voyons pas
cela principalement comme quelque chose qui est dirigé vers un groupe de pays
ou un seul pays. Mais, c’est une façon pour la Russie de réaffirmer sa
présence. Nous devons suivre cela avec beaucoup de précautions et nous devons
répondre, je crois, en conséquence. »
Dans un autre signe que les tensions entre les grandes
puissances, de même qu’entre les petites, pour le contrôle des ressources
s’accentuent dans l’Arctique, l’OTAN a affirmé qu’elle souhaite étendre sa
présence militaire. Lors d’une réunion à la fin janvier à Reykjavik en Islande,
le secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, a déclaré :
« Je serais le dernier à m’attendre à un conflit militaire, mais il y aura
une présence militaire… Ça doit être une présence militaire qui n’est pas
exagérée et il y a une coopération économique et politique qui est
nécessaire. »
Les immenses ressources énergétiques rendues plus
facilement accessibles par la fonte des glaces en Arctique ne seront pas
utilisées rationnellement pour satisfaire les besoins énergétiques de la
population mondiale. Plutôt, chaque puissance tente d’exploiter à son avantage
les changements climatiques et de gonfler les profits de la bourgeoisie qu’elle
représente. Loin de favoriser la « coopération », la division du
monde en État-nations qui entrent en compétition pour l’accaparement des
ressources mènera les puissances à entrer de plus en plus ouvertement en
conflit dans cette région longtemps désertée par ces mêmes puissances.