Une
infirmière de 58 ans s'est récemment enlevée la vie au Centre
hospitalier universitaire de Québec (CHUQ). C'était le quatrième
suicide d'une infirmière à survenir en 18 mois dans cette
institution. Les causes d'un tel phénomène sont directement
reliées aux dures conditions dans lesquelles évoluent les
travailleurs de la santé, dans un réseau public soumis de plus en
plus aux pressions du marché.
La
dernière victime en date avait 37 années d'expérience et allait
prendre sa retraite dans un an et demi. Dans une lettre laissée à
ses proches, elle mentionnait les difficultés qu'elle vivait en
raison d'un retour forcé au travail, tout juste après avoir été
en congé de maladie.
Dans
une entrevue menée par le journal Le Soleil, une collègue
de l'infirmière relate comment elle l'avait vue quitter le bureau
du médecin de santé du CHUQ les larmes aux yeux après s'être
faite dire qu'elle devait retourner au travail. Elle lui avait alors
dit qu'elle n'était pas prête à revenir.
L'infirmière
qui a alerté les médias connaissait les trois autres femmes qui
s'étaient enlevé la vie. L'une d'entre elles était à quelques
mois de prendre sa retraite, une autre devait quitter dans deux ans
alors que la dernière n'avait que 21 ans et commençait à peine
dans le milieu.
Les
pressions auxquelles doivent faire face les infirmières pour
combler le manque chronique de personnel, notamment en subissant
l'imposition d'heures supplémentaires, sont devenues une réalité
quotidienne dans les hôpitaux.
Ainsi,
selon les statistiques du ministère de la santé et des services
sociaux du Québec (MSSS), le nombre total d'heures supplémentaires
effectuées par les infirmières aurait augmenté de 27 pour cent
entre 2004 et 2009, soit 3,5 millions d'heures en temps
supplémentaire pour l'année 2008-2009.
Selon
une enquête commandée par la Fédération canadienne des syndicats
d'infirmières et d'infirmiers, basée sur des données tirées de
l'Enquête sur la population active de 2005 et 2008, 61 000
faisaient du temps supplémentaire chaque semaine en 2008, à la
grandeur du pays. À partir de 2005, jusqu'à 2008, le nombre
d'heures supplémentaires travaillées par le personnel infirmier a
grimpé de 30 pour cent. En 2008, 21 560 100 heures
supplémentaires ont été cumulées, soit l'équivalent de 12 000
emplois à temps plein.
Au
Canada, entre 2005 et 2008, le nombre d'absences dans le personnel
infirmier a augmenté de 14,4 pour cent. Le Québec, avec
Terre-Neuve, était la province avec le plus haut taux d'absentéisme
hebdomadaire avec 11 pour cent alors que la moyenne nationale était
de 9 pour cent. Le Québec avait aussi le plus haut taux de temps
supplémentaires hebdomadaires avec 35 pour cent, la moyenne
nationale étant de 31 pour cent.
Suite
à l'annonce du plus récent suicide au CHUQ, de nombreux
témoignages d'infirmières décrivant des conditions de travail
épouvantables ont été publiés dans les journaux. Certaines
faisaient état de menaces de la part de l'employeur les obligeant à
faire du temps supplémentaire. D'autres ont souligné la détresse
psychologique vécue par des collègues et les tentatives de suicide
chez plusieurs d'entre eux.
Selon
une récente étude de la Fédération canadienne des syndicats
d'infirmières/infirmiers, les infirmières qualifient leur milieu
de travail de stressant (86 %), d'oppressant (85 %), mal doté (86
%), mal financé (88 %) et lourd (91 %).
Dans
des commentaires révélateurs sur les conditions de travail et le
stress des employés, la présidente du Syndicat des infirmières du
CHUQ, Nancy Bédard, a déclaré au quotidien Le Soleil
qu'elle côtoyait quotidiennement la détresse des travailleuses.
Malgré
tout, la réaction du syndicat local à la publication de la
nouvelle a été de nier que les quatre derniers suicides pouvaient
être directement reliés au travail. « Je ne peux pas faire
de lien, mais je peux vous dire que les conditions dans lesquelles
plongent les professionnels en soins . peuvent effectivement les
amener en détresse psychologique », a-t-elle affirmé.
C'estune infirmière de l'établissement qui, sous le couvert de
l'anonymat, aurait contacté le réseau TVA pour les informer de
l'acte, soutenant que cette vague de suicides était probablement
liée à la surcharge de travail.
Le
directeur des communications du CHUQ, Richard Fournier, a pour sa
part affirmé que l'on ne pouvait établir de lien entre ces
suicides et le milieu de travail, soulignant que les quatre
infirmières à s'être enlevé la vie étaient en arrêt de travail
en raison de « difficultés personnelles importantes »
et qu'elles avaient, « pour la plupart, une charge de travail
légère ou régulière ».
En
fait, le niveau alarmant de détresse psychologique, qui peut mener
ultimement au suicide, chez les travailleurs du système de santé
au Québec ne peut être compris qu'en considérant le contexte des
immenses attaques orchestrées par la grande entreprise depuis des
années contre le système de santé public, tant par les
gouvernements du Parti Québécois que du Parti libéral.
Et ce
sont les centrales syndicales du Québec qui ont joué le rôle clé
pour imposer ces attaques. Les retraites forcées de 30.000
travailleurs de la santé en 1997, par exemple, ont été
ordonnées par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard à la
demande des chefs syndicaux. Et quand la bureaucratie syndicale ne
parvient pas à étouffer l'opposition des membres de la base,
elle s'empresse d'isoler et de torpiller les luttes qui
éclatent, comme ce fut le cas lors de la grève des infirmières de
1999.
Le
rôle des syndicats en tant qu'agents du grand patronat a été de
nouveau mis à nu lors de la dernière ronde de négociations avec
le gouvernement libéral de Jean Charest.
Alors
que ce dernier déposait fin mars un budget comportant une baisse
drastique des dépenses sociales et l'introduction de frais pour
les visites médicales, soulevant un tollé de protestation dans la
population, les centrales syndicales censées représenter les
475.000 employés du secteur public et parapublic du Québec ont
refusé de mener la moindre lutte pour la défense des services
publics et des travailleurs qui les fournissent. Les syndicats se
sont plutôt empressés de signer en juin une entente de principe
représentant une capitulation totale aux demandes
gouvernementales : une entente sur cinq ans avec une
augmentation salariale totale de seulement 7 pour cent, tel qu'exigé
dès le départ par le gouvernement.
Pendant
ce temps, la colère gronde parmi les membres de la base devant
cette nouvelle baisse de leurs salaires réels et devant la
dégradation continuelle de leurs conditions de travail.
On en
a eu un bref aperçu le 8 juin dernier lors d'une grève de 7000
enseignants que leur syndicat, l'Alliance des professeurs de
Montréal, a limité à une seule journée pour éviter une
mobilisation générale contre le très impopulaire gouvernement
Charest.
Et on
la sent aujourd'hui encore dans l'incapacité du syndicat des
infirmières, la Fédération
interprofessionnelle de la santé (FIQ), à conclure un
accord sur les conditions de travail. Le gouvernement se montre
intransigeant sur les deux revendications principales des
infirmières - l'arrêt du temps supplémentaire
obligatoire et du recours accru aux agences privées de placement -
et une entente sans au moins une apparence de changement sur ces
deux questions serait dure à faire avaler aux membres de la base.
La FIQ se dit prête à tenir un vote de grève à
la fin du mois de septembre.
Il
est nécessaire et urgent pour les travailleurs de lancer une
contre-offensive contre le gouvernement Charest qui, en tant que
représentant de la classe dirigeante, a entrepris de démanteler
les services publics et d'empirer les conditions de travail de
ceux et celles qui les fournissent.
Les
infirmières peuvent tracer la voie. Mais leur lutte ne pourra aller
de l'avant qu'en brisant l'isolement que cherchent à imposer
les centrales syndicales et en lançant l'appel le plus large
à l'ensemble des travailleurs pour une lutte commune contre le
démantèlement des services publics et l'assaut généralisé sur
les emplois et les salaires.