Vers la fin février, une quinzaine d'individus provenant du domaine des
affaires, de la politique et de l'éducation ont publié dans les médias une
lettre ouverte contenant le Pacte pour le financement concurrentiel de
nos universités visant à faire augmenter significativement les frais de
scolarité au Québec. Les signataires de ce pacte de droite proviennent
autant de l'aile souverainiste que fédéraliste de la bourgeoisie québécoise.
Dans une province où le débat politique est constamment centré sur le
fédéralisme et le souverainisme, cela est significatif et montre que sur les
questions essentielles, comme les coupes dans les programmes sociaux et les
attaques sur le niveau de vie des travailleurs, les différentes sections de
la bourgeoisie s'entendent.
Un des signataires du pacte est Lucien Bouchard, l'ancien premier
ministre et chef du Parti québécois (PQ), un parti nationaliste de droite.
Au pouvoir dans la deuxième moitié des années 1990, Bouchard, avec l'appui
des syndicats, avait insisté pour dire que la question primordiale était
d'éliminer le déficit provincial annuel (la campagne du déficit zéro). C'est
dans le but d'atteindre cet objectif que le gouvernement péquiste avait fait
des coupes massives dans le budget et avaient envoyé des milliers
d'infirmières et d'autres professionnels de la santé, de l'éducation et des
services sociaux à la retraite. Cela avait augmenté les tâches des autres
travailleurs et avait réduit significativement la qualité des services.
Selon la formule proposée par Bouchard et les autres auteurs du pacte, 85
pour cent des étudiants verraient leurs frais de scolarité bondir de 2000
dollars par an sur trois ans à partir de 2010. Les frais de scolarité
augmentent déjà de 50 dollars par semestre depuis 2007, alors que le
gouvernement Charest avait commencé à dégeler les frais. Cette hausse se
poursuivra jusqu'en 2012. Pour un semestre universitaire moyen, il en coûte
présentement environ entre 1000 et 1500 dollars pour un étudiant
universitaire pour ses droits de scolarité. La mise en application de ce
« pacte », ferait donc tripler les frais de scolarité. Pour des étudiants en
médecine, les hausses iraient jusqu'à 10.000 ou 12.000 dollars par an.
Ce pacte fait clairement partie de la campagne orchestrée par l'élite
dirigeante du Québec depuis plusieurs années pour réduire les services
offerts par l'État et redistribuer la richesse vers les mieux nantis en
réduisant l’impôt sur les grandes sociétés, les gains de capital et le
revenu. Il y a cependant une forte opposition populaire à cette
poussée vers la droite et l'élite dirigeante cherche à créer les conditions
pour imposer ces mesures.
Le « manifeste pour un Québec lucide » signé en 2005 par des politiciens
et des personnalités du monde des affaires, les rapports Castonguay et
Montmarquette, un sur le système de santé et l'autre sur la tarification et
tous les deux commandés par le gouvernement Charest, ainsi que de nombreuses
études publiées par des banques ou d'autres institutions de la grande
entreprise ont régulièrement été applaudis par les médias de la province
pour avoir insisté que les programmes sociaux du Québec sont « trop
généreux » et coûteux. Ces publications cherchent toutes à créer un climat
idéologique favorable à des attaques sur les conditions de vie de la classe
ouvrière comme des coupes budgétaires dans la santé, l'éducation et les
services sociaux ou bien des hausses de tarifs.
La crise économique ayant replongé la province dans des déficits
budgétaires, l'élite dirigeante québécoise sent l'urgence d'aller de l'avant
avec ces mesures et faire payer la crise à la classe ouvrière et aux
étudiants. Comme dans les années 1990, elle utilise les déficits pour dire
qu'il n'y a pas d'argent et que tout le monde, incluant les travailleurs du
secteur public et les étudiants, doit payer.
Les médias de la province ont d'ailleurs réagi favorablement à
l’intervention de Bouchard et cie. André Pratte, l'éditorialiste en chef du
quotidien La Presse, un journal de la grande entreprise, a déclaré,
au lendemain de la parution du pacte : « Jamais les astres n'ont été alignés
aussi favorablement pour un imposant investissement dans le secteur
universitaire et pour une contribution plus substantielle des principaux
bénéficiaires de la formation supérieure, les étudiants. »
The Gazette, un autre quotidien important, commençait ses
commentaires sur le pacte en affirmant : « Lorsque les politiciens prennent
leur retraite, ils commencent parfois à voir les choses plus clairement. »
Les auteurs de l'article argumentent ensuite en faveur du pacte.
Le principal argument qui est amené par l'élite dirigeante pour justifier
les hausses de frais de scolarité est que les universités du Québec manquent
de ressources et ne sont pas concurrentielles par rapport aux autres
provinces où les frais de scolarité sont beaucoup plus élevés. Selon les
signataires du pacte, l'argent payé par les étudiants servirait à combler ce
manque. En fait, ce dont s'insurge l'élite dirigeante québécoise, c'est que
les frais de scolarité au Québec sont significativement plus bas que dans
les autres provinces, en raison de mouvements étudiants qui ont pu
partiellement freiner les efforts des différents gouvernements pour hausser
les frais.
Les étudiants du Québec paient moins de la moitié de ce que paient les
étudiants des autres provinces pour leurs frais universitaires. Cependant,
le manque de ressources dans les universités québécoises n'a pas été causé
par des frais de scolarité plus bas, mais par d'importantes coupes
budgétaires tant au niveau fédéral que provincial et tant par le Parti
libéral que le Parti conservateur ou le Parti québécois. Ces coupes ont
aussi affecté les autres provinces et elles viennent plus qu'annuler les
revenus que les universités peuvent acquérir par une hausse de frais.
À une époque précédente, le plafonnement des frais de scolarité était
présenté par l’élite dirigeante comme un moyen d’élargir l’accès à
l’éducation post-secondaire et de favoriser une plus grande égalité sociale.
Aujourd’hui, la grande entreprise et ses représentants politiques ont
renoncé à ces conceptions libérales-réformistes et exigent que l’éducation
post-secondaire soit plus subordonnée que jamais aux « principes du marché »
et aux besoins de la grande entreprise.
Incapable de nier que la hausse des frais de scolarité à l’université
favorise les mieux nantis et réduit l’accès des jeunes de la classe ouvrière
à l’éducation post-secondaire, les auteurs du pacte proposent de recycler
une mince portion de l’argent obtenu par l’augmentation des frais de
scolarité – moins d’un tiers – pour aider les étudiants à faibles revenus.
Même si l'élite dirigeante sent que le moment est venu pour passer à
l'offensive, elle est aussi consciente de la forte opposition qu'il y a dans
la population, particulièrement chez les étudiants, à des mesures de droite
comme la hausse des frais de scolarité.
Quelques semaines avant la parution du pacte, la ministre de l'Éducation,
Michelle Courchesne, avait dit qu'il y avait un « consensus » dans la
population québécoise au sujet de la hausse des droits de scolarité et que
le gouvernement était en train d'étudier « très sérieusement » la hausse des
frais de scolarité. Mais, Courchesne a dû rajouter que ce prétendu consensus
n'inclut pas les étudiants.
En fait, ceux-ci sont parmi les plus touchés par la crise économique et
les mesures de droite implantées dans les dernières décennies. En juillet
2009, le chômage chez les jeunes de 15 à 24 ans au Canada avait augmenté de
6,7 points de pourcentage par rapport à juillet 2008, pour atteindre 17 pour
cent. Le chômage chez les jeunes a augmenté plus vite que n'importe quelle
autre couche de la population. Aux prises avec le chômage et une nouvelle
hausse des frais de scolarité, les étudiants seront poussés à s'endetter
encore davantage pour leurs études et pourraient se voir contraints de
renoncer carrément à celles-ci, particulièrement ceux provenant de milieux
défavorisés.
Les représentants les plus conscients de la bourgeoisie québécoise, comme
André Pratte, cherchent à renforcer la détermination du gouvernement à
imposer une hausse des frais de scolarité malgré l’opposition populaire.
Pratte écrit que « Tout gouvernement qui adopte un changement aussi
radical par rapport aux pratiques passées court un risque politique. » Quant
au quotidien The Gazette, après avoir dit que plusieurs personnes
« ne veulent pas entendre » les politiciens parler de « finances publiques
gérées plus sainement », il écrit: « Pour mettre en place de véritables
réformes dans les dépenses, ce qui est nécessaire est une entente entre nos
deux principaux partis politiques, partageant la responsabilité pour des
décisions difficiles. »
L'élite dirigeante a sûrement en tête le mouvement de la classe ouvrière
qui avait suivi l'élection du premier ministre libéral Jean Charest en 2003.
Déclarant avoir un « mandat fort » de la population pour sa « réingénierie
de l'État », qui était en fait une série de mesures de droite allant de la
privatisation à des hausses de frais, le gouvernement Charest a rapidement
fait face à un important mouvement de la classe ouvrière. Les bureaucraties
syndicales, dépassées par l'ampleur du mouvement et craignant que celui-ci
ne sorte de son contrôle, avaient dû promettre une grève générale. Au même
moment, ils avaient appelé à une trêve en disant que les vacances de Noël
approchaient. Ils ont profité de ce répit pour mettre fin au mouvement.
Ensuite, au printemps 2005, la plus grande grève étudiante de l'histoire
du Québec avait entraîné la plupart des étudiants des cégeps et des
universités en grève. Ceux-ci protestaient alors contre les coupes de 103
millions de dollars dans le système de prêts et bourses. Encore une fois, le
gouvernement Charest avait dû compter sur l'aide précieuse de la
bureaucratie syndicale. Alors que les 500.000 travailleurs du secteur public
étaient en train de négocier leur convention collective, la bureaucratie
syndicale avait cherché à mettre fin au mouvement des étudiants et à
empêcher qu'il ne s'étende aux travailleurs. Henri Massé, alors le président
de la plus grande centrale syndicale du Québec (Fédération des travailleurs
du Québec, FTQ), avait déclaré que les étudiants devaient faire des
compromis dans leurs demandes et les bureaucraties syndicales avaient mis de
la pression sur les associations étudiantes pour que celles-ci mettent fin à
la grève. Ces demandes étaient somme toute modestes, les étudiants ne
demandant officiellement que l'annulation de cette coupe de 103 millions de
dollars.
L’Internationale étudiante pour l'égalité sociale (IEES) appelle les
étudiants qui veulent repousser l’assaut sur l’éducation à se tourner vers
la classe ouvrière dans son ensemble, dont le niveau de vie est aussi
attaqué de toutes parts par l'élite dirigeante. Seule la mobilisation
politique indépendante des travailleurs peut préserver les programmes
sociaux vitaux comme l’éducation. Les étudiants doivent aider les
travailleurs à rompre avec la bureaucratie syndicale pro-capitaliste, qui
cherche constamment à les subordonner aux partis de la grande entreprise,
plus particulièrement le Parti québécois et le Bloc québécois.