Le 11 octobre, à Londres, les sections européennes du
Comité international de la Quatrième Internationale ont tenu une réunion
publique sur les leçons de la Seconde Guerre mondiale.
Cette réunion a été organisée conjointement par les
Partis de l'égalité socialiste de Grande-Bretagne et d'Allemagne, avec la
participation des partisans du CIQI en France.
La première
partie a été affichée le 29 décembre. Nous affichons ci-dessous la seconde
et dernière partie de l'allocution faite par Julie Hyland, membre de la
rédaction du WSWS.
Un regain de la lutte pour le partage du monde
Il n'existe pas d'hégémonie « bénigne » ou
d'équilibre amical entre les puissances.
Pourquoi faudrait-il croire que l'Allemagne, la Chine, la
Russie ou n'importe quelle autre puissance va simplement accepter le rôle que
veut se donner l'Amérique dans tout nouvel équilibre des puissances mondiales ?
La semaine dernière, nous avons appris que les pays du
Golfe, ainsi que la Chine, la Russie, le Japon et la France, projetaient
secrètement de cesser d'utiliser le dollar pour le commerce du pétrole, pour
passer plutôt à un panier de monnaies. Ces rapports ont été niés, mais le mois
dernier, la Chine a décidé de vendre sa première série de bons du Trésor en yuan
à des étrangers.
Écrivant pour l’Independent, Robert Fisk a cité
un avertissement donné par Sun Bigan, le précédent envoyé spécial chinois au
Moyen-Orient, de ce que « les querelles bilatérales et les heurts sont
inévitables » entre la Chine et les États-Unis dans la région. « Cela
sonne comme une annonce des risques d'une future guerre économique entre les
États-Unis et la Chine à propos du pétrole du Moyen-Orient, transformant à
nouveau les conflits de cette région en une bataille pour la suprématie parmi
les grandes puissances », écrit Fisk.
Le fait est que la reprise de la lutte pour le contrôle des
matières premières et des ressources a une logique objective. Écrivant dans le Guardian
du 17 septembre, Tristam Hunt a reconnu que même si peu de gens se rappellent
du nom de Mackinder, « la politique étrangère se joue maintenant dans son
ombre ».
« Aujourd'hui, en Géorgie, en Tchétchénie, en
Afghanistan et même en Iran, une bataille ouverte et secrète en même temps pour
le cœur des terres fait rage. Les tensions de notre temps ont ramené à la
vie les réflexions de l'un des académiciens les plus influents du vingtième
siècle. »
Les rivages de la Somalie, à la croisée des routes maritimes
stratégiques du golfe d'Aden et de l'océan Indien, sont déjà occupés par 25 à
30 navires de guerre français, britanniques, allemands, russes, chinois et
américains, tous censés être là pour lutter contre les pirates.
Pour donner un autre exemple, quelles sont les conséquences
du prolongement au Pakistan de la guerre menée en Afghanistan par les
Etats-Unis et ses alliés pour ce qui est de la stabilité de cette région où il
y a pléthore d'armes nucléaires ? Et qu'en est-il pour la Chine, alliée du
Pakistan ?
En août 2008, nous avons été témoins du déclenchement d'une
guerre par Etat interposé entre les Etats-Unis et la Russie, où le gouvernement
géorgien, avec le soutien de Washington, avait lancé une attaque contre les
forces russes en Ossétie du Sud. Cette fois-ci, ce conflit au sujet des voies
d'acheminement des ressources énergétiques hors d'Asie centrale s'est conclu
sans autre incident.
Mais pour combien de temps ? Businessnews Europe
a fait savoir le 30 septembre que les ex-républiques soviétiques riches en
pétrole avaient attiré des milliards de dollars en investissements, notamment
chinois, et que la région eurasienne est déjà le théâtre d'une rivalité
montante entre les grandes transnationales et les entreprises nationales
russes, chinoises, indiennes, japonaises et sud-coréennes espérant obtenir un
accès à la richesse minérale de la région.
Jusqu'ici, les craintes face à l'unilatéralisme américain
ont largement dicté la réponse de la bourgeoisie européenne. Mais encore une
fois, pour combien de temps ?
Par exemple, John Vinocur écrivant dans le New York Times
du 7 septembre, se plaignait qu'il n'était plus possible de faire confiance à
l'Allemagne.
Ses relations « ambigües » avec la Russie, son
refus d'un renflouage financier à l'échelle de toute l'Union européenne, son « opacité »
au sujet de l'OTAN et, non des moindres, sa décision de « sauver »
Opel, avec des fonds russes, au détriment de General Motors, ont remis en
question sa fiabilité en tant qu'allié traditionnel des Etats-Unis.
Stephen F. Szabo, directeur exécutif de l'Académie
transatlantique, installée aux Etats-Unis dans les bureaux du Fonds allemand en
l'honneur du Plan Marshall, est allé plus loin. « Berlin joue un rôle
décisif dans la formulation d'une politique cohérente et réussie par Washington
et l'Europe envers la Russie [cependant] des voix à l'Ouest s'inquiètent de la
confiance qu'on peut accorder à l'Allemagne en tant que partenaire »,
a-t-il écrit-il.
Szabo a cité le Weekly Standard, journal de droite,
qui se plaint que « l'Allemagne d'aujourd'hui n'est plus le partenaire que
les Etats-Unis avaient par le passé », ainsi que les remarques de
Brzezinzki selon qui, si « la romance entre la Russie et l'Allemagne
[allait] trop loin, cela pourrait porter un coup à l'intégration européenne ».
Il faut être attentif à la rhétorique de Szabo : « Il
existe depuis longtemps un courant souterrain qui s'inquiète de la confiance
que l'on peut accorder à l'Allemagne en tant que partenaire, il remonte au
complexe de Rapallo dans les années 1920, lorsque l'Allemagne et l'Union des
Républiques socialistes soviétique se sont engagées dans une politique
d'arrangements qui ont généré des inquiétudes en Europe occidentale au sujet
d'une possible alliance contre l'Occident, et plus récemment, des références à
un nouveau pacte Molotov-Ribbentropp, par lequel Adolf Hitler et Joseph Staline
se sont mis d'accord pour se partager la Pologne en 1939, une action qui a
ouvert la voie à Hitler pour qu'il lance la Seconde Guerre mondiale. »
La relation entre le militarisme et les attaques contre
les conditions de vie et les droits démocratiques
Au cours de la bataille pour la suprématie mondiale, il y a
une attaque massive contre la classe ouvrière, son niveau de vie et ses droits
démocratiques.
Le point sur lequel je veux insister est que les processus
que j'ai décrits fonctionnent depuis un certain temps déjà et qu'ils se sont développé
dans un contexte qui ressemblait à un boom économique.
En réalité, comme il est maintenant si évident, la montée
des cours boursiers et les profits records étaient la conséquence d'une orgie
de parasitisme financier dans l'intérêt des super-riches, dont la contrepartie était
un endettement massif de larges couches de la classe ouvrière, des salaires
plus faibles et un niveau d'exploitation plus grand.
Le résultat en est une crise économique largement considérée
comme la pire depuis 1929, et même au-delà.
Le gouvernement américain envisage une augmentation probable
du nombre de troupes en Afghanistan tout juste un an après que la faillite de
Lehmann Brothers a déclenché le quasi-effondrement mondial de l'économie.
Voici un reportage du Sunday Times du 3 octobre,
seulement quatre semaines après la chute de Lehmann. En cette période, le
gouvernement britannique avait été forcé de monter à la va-vite une opération
de sauvetage de HBOS et Lloyds TSB, tout en privatisant partiellement Bradford
& Bingley.
Cet article raconte comment l'un des hauts fonctionnaires du
Trésor a informé un groupe de banquiers d'investissement de la banqueroute de la
Royal Bank of Scotland (RBS), la plus grande banque de Grande-Bretagne, dont la
liste des débiteurs est la plus longue au monde.
« A l'insu du grand public, un torrent d'argent s'échappait,
retiré par les grandes entreprises, les banques centrales et les particuliers
les plus riches à moins qu'un plan de sauvetage ne puisse être devisé dans le
week-end, RBS allait être fermée à la première heure le lundi. »
« Si RBS s'écroulait », continue Kingman, « un
tiers des paiements effectués chaque jour serait bloqué. Les salaires ne
seraient pas versés, les factures impayées, l'épargne disparaitrait du jour au
lendemain. »
Il n'y a aucune raison de douter de cet article. La
bourgeoisie, guidée par ses intérêts privés à courte vue, s'est comportée comme
des naufrageurs économiques au cours de la dernière décennie, conduisant des économies
complètes, comme l'Islande et l'Irlande, jusqu'à la dévastation.
Les économistes réputés Barry Eichengreen et Kevin O'Rourke
ont publié en avril un comparatif entre la suite immédiate de la crise de 2008
et celle de 1929. Cette étude, qui a attiré 30.000 visiteurs en seulement deux
jours, et plus de 100.000 en une semaine, montre que l'impact du crack de 2008
dépasse celui de 1929, la production baisse de 12 pour cent, contre 5 en six
mois après celui de 1929, et le commerce de 16 pour cent, contre 5 pour la
crise précédente. Dans l'ensemble des pays, la production industrielle mondiale
a baissé et les exportations également — de 20 pour cent en Allemagne, 46
pour cent au Japon et 23 pour cent en Amérique.
Le mois dernier, ils ont mis à jour cette évaluation. Malgré
certaines indications d'une récupération, ils ont conclu que « le déclin
proportionné de la valeur du marché boursier reste plus grand qu'au même stade
de la Grande Dépression » et que « l'effondrement du commerce global,
même maintenant, reste dramatique suivant les critères de la Grande Dépression ».
Je devrais ajouter que la Chine, second exportateur de la
planète, a vu ses exportations baisser de 23,4 pour cent en août par rapport au
même mois de l'année dernière.
Il faut également noter que l'appréciation de Eichengreen et
O'Rourke intervient au moment où près de 11.000 milliards ont été dépensés pour
renflouer des banques en défaut de paiement et réparer le système financier,
soit 10.000 dollars par personne dans les principales économies du monde.
Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont dépensé le plus, le
Royaume-Uni dépensant le plus proportionnellement à son PIB : 94 pour
cent, contre 25 pour les Etats-Unis.
Au cours des cinq années à venir, la dette du gouvernement
du Royaume-Uni devrait passer de 600 milliards de livres sterling à 1400, et la
dette américaine pourrait doubler et atteindre 10.000 milliards de dollars. Et
ce n'est pas tout. Selon les calculs du FMI, les pertes de 1300 milliards de
dollars enregistrées par les banques britanniques n'étaient qu'un début. On
s'attend à ce qu'elles enregistrent 1500 milliards de pertes supplémentaires à
la fin 2010.
Les renflouages ont été présentés comme une action
altruiste, destinée à sauver les emplois et les conditions de vie. C'est une
mascarade. Ce qui a servi à un détournement massif de fonds publics pour protéger
la richesse de l'oligarchie financière est de plus utilisé pour imposer une
restructuration fondamentale du capitalisme, par l'appauvrissement de la classe
ouvrière et des masses opprimées.
Les marchés boursiers ont grimpé, abreuvés par l'argent des
contribuables, et les super-riches ont repris leurs affaires comme avant. Pour
souligner cela, le Royaume-Uni a maintenant pris la place de première place
financière mondiale, devant les Etats-Unis, d'après le Forum économique
mondial. C'est ce même pays qui, comme je l'ai dit, a dépensé pas moins de 94
pour cent de son PIB pour renflouer des banques pourries.
Pendant ce temps, dans tous les coins du monde, les
travailleurs se retrouvent à subir le fardeau, la pauvreté et les inégalités se
développent à grands pas. Pour ne citer qu'une statistique, c'est la
première fois de l'histoire que plus d'un milliard de personne, soit près d'un
habitant de la planète sur six, connaissent la faim cette année, d'après un
nouveau rapport du Programme alimentaire mondial des Nations unies (WFP). L'augmentation
des prix des aliments et la récession économique étant les principaux facteurs
qui expliquent la recrudescence de la faim mondiale.
Dans les pays développés, loin de sauver des emplois, ces
sauvetages ont accompagné l'augmentation généralisée du chômage et sont utilisés
pour réduire les salaires et dégrader les conditions de travail – comme
on peut le voir à General Motors et dans sa division européenne, Opel.
Aux Etats-Unis le chômage officiel approche les 10 pour
cent, soit 15 millions de travailleurs sans emploi et le double de la fin de
2007. En réalité, le nombre s'élève à plus de 25 millions.
Dans la zone euro, le chômage est à 9,4 pour cent, et le chômage
des jeunes à 19,5 pour cent. Encore une fois, ce sont les statistiques officielles.
Rien qu'en Allemagne, le chômage réel est plus proche de six millions. De même,
au Royaume-Uni, le chômage officiel est à 2,5 millions, avec près d'un million
ayant moins de 25 ans, mais le véritable chiffre est plus élevé.
Partout, on demande des sacrifices. En Grande-Bretagne, le
Parti travailliste et les conservateurs tentent de se dépasser l'un l'autre sur
les demandes de réduction des dépenses qui vont plus loin que tout ce qui a été
tenté par le passé. Les conservateurs ont fait grand cas de leur détermination à
en faire plus, mais certains ont fait remarquer que même leur plan complet de réductions
des coûts ne représente que 7 milliards de livres sur les 100 que le monde des
affaires exige.
Partout on répète la même rengaine. La dette nationale ne
serait pas soutenable est doit être remboursée. Donc, pour garantir l'avenir,
les gens doivent accepter des réductions ou des gels de salaire, le recul de
l'âge de la retraite et des réductions des moyens affectés à la santé et l'éducation.
Il faut le répéter c'est une mascarade. A qui cet argent
est-il remboursé ? Pour ne donner qu'un chiffre, 30 milliards de livres
par an sont dépensés simplement pour les intérêts des emprunts qui ont servi à
renflouer les banques.
La vérité, comme l'a si bien résumé Martin Wolf dans le Financial
Times du 8 octobre, est que « La crise est une occasion en or pour
imposer la discipline et faire des réformes. »
Bien sûr, tandis que les puissants exigent des coupes
claires dans les dépenses sociales et publiques, il y a un consensus complet
sur le fait qu'il existe un secteur qui doit rester absolument à l'abri de ces coupes :
la défense.
Une guerre commerciale puis armée implique un changement
social majeur et la militarisation croissante de la vie sociale à l'intérieur
de chaque pays. C'est ce qui explique l'intervention de plus en plus importante
de l'armée dans la vie politique américaine – comme en témoigne
l'insistance publique de McChrystal pour un afflux de renforts massifs en
Afghanistan. C'est un phénomène qui est répliqué ici au Royaume-Uni, les
conservateurs ont nommé le général Sir Richard Dannat, ex-chef des armées,
comme leur conseiller à la défense, après qu'il a, avec d'autres, prononcé un
certain nombre d'attaques publiques contre le gouvernement travailliste au
sujet du manque de troupes et de ressources en Afghanistan.
Il est impossible de s'opposer à la guerre ou à la dévastation
sociale qui se mettent en place sans se pencher sur ses causes profondes. Cela
requiert le développement d'une lutte politique unifiée des travailleurs de
chaque pays pour une alternative socialiste. C'est le programme du Parti de l'égalité
socialiste.