Le gouvernement sri lankais condamne le documentaire de Channel 4 sur ses crimes de guerre

Le gouvernement sri lankais a réagi à la diffusion du documentaire Sri Lanka Killing Fields en intensifiant sa campagne chauvine, présentant le pays comme la victime d’un « complot international » visant à ternir sa réputation et celle de ses « héroïques » forces armées. Le mensonge flagrant est devenu la réponse habituelle de l’establishment de Colombo face à toute preuve de crimes de guerre perpétrés par l’armée au cours des derniers mois de son attaque sur les séparatistes des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE).

La vidéo d’une heure, produite par Channel 4 en Grande-Bretagne et diffusée le 14 juin à Genève, présente des séquences atroces sur le territoire du LTTE de septembre 2008 à mai 2009, lorsque le LTTE a été finalement battu. Elle montre des civils être bombardés dans la zone de sécurité délimitée par l’armée sri lankaise, et des attaques répétées sur les hôpitaux. Selon un récent rapport d’une commission d’enquête des Nations unies, qui a aussi été vilipendée par le gouvernement de Colombo, des dizaines de milliers de civils tamouls ont été tués par des bombardements et des attaques aériennes.

Le documentaire fournit des preuves supplémentaires de l'exécution extrajudiciaire de soldats et de dirigeants du LTTE qui avaient capitulé, ainsi que le viol de femmes tamoules cherchant la protection de l'armée. Il montre également les conditions épouvantables auxquelles faisaient face les civils dans la zone de sécurité : le manque de nourriture, d'abris et de soins médicaux. Le film a été difficile à obtenir parce que le gouvernement a interdit à tous les médias d’accéder au front et n’a autorisé qu’une poignée de travailleurs humanitaires à fournir une assistance limitée dans les zones de sécurité.

Comme dans le cas du rapport de l'ONU, le gouvernement n'a pas même tenté de réfuter les preuves accablantes de crimes pour lesquels il est responsable. Plutôt, sachant que ce ne serait pas contredit par les partis d'opposition ou les médias, il a simplement répété que l'armée n’a tué aucun civil, et qu’elle menait une « opération humanitaire », et que le film est de la pure « propagande du LTTE ».

Le jour suivant la diffusion du documentaire, le secrétaire à la Défense, Gotabhaya Rajapakse a lancé une attaque cinglante contre le film, affirmant que des éléments du LTTE avaient soudoyé Channel 4 afin qu’elle le produise. « Une fois de plus, certains éléments pro-LTTE ont utilisé la chaîne de nouvelles Channel 4, après lui avoir offert de l’argent, dans le but de ternir l’image du gouvernement sri lankais et de l’armée », a-t-il dit. Il n’a fourni aucune preuve pour soutenir ces allégations.

Le secrétaire à la Défense, à l’instar de son frère, le président Mahinda Rajapakse, est directement impliqué dans les crimes de guerre et les violations des droits de l’homme commis par l’armée.

Prenant la parole le 17 juin, Gothabaya Rajapakse a déclaré que « le temps est venu pour le peuple patriotique de se rallier pour contrer les défis internationaux auxquels fait face la mère patrie. Les restes du LTTE sur la scène internationale, avec les éléments pro-LTTE, tentent présentement d’aller une nouvelle fois de l’avant avec leur mouvement séparatiste. »

L’allure de défenseur d’une petite île que se donne le gouvernement contre les activités prédatrices des grandes puissances est absurde. En lançant sa guerre criminelle, le président Rajapakse a courtisé les grandes puissances et les puissances régionales et avait leur appui, incluant les États-Unis, la Chine, l’Union européenne et l’Inde. Ils ont ignoré le fait que le gouvernement avait complètement bafoué le cessez-le-feu de 2002 et les atrocités militaires qui ont provoqué la reprise des combats vers le milieu de 2006. Les États-Unis, la Chine et l’Inde ont tous fourni une assistance à l’armée sri-lankaise.

Si les États-Unis et l’Union européenne ont soulevé des critiques limitées des atrocités dans les derniers mois de la guerre, ce n’était pas parce qu’ils s’inquiétaient du sort des civils tamouls. Plutôt, Washington craignait que Beijing ne gagne de l’influence auprès de Colombo à ses dépens. Les États-Unis ont utilisé la menace de procès pour crimes de guerre afin de mettre de la pression sur le gouvernement Rajapakse. Rajapakse ne serait pas le premier le premier partenaire des États-Unis à être rejeté et à devenir la cible d'une campagne visant à le destituer.

Profitant de l’occasion offerte par le documentaire de Channel 4, le ministre britannique des Affaires étrangères pour l’Asie du Sud, Alistair Burt, a renouvelé la menace en émettant un avertissement : « Si le gouvernement sri-lankais ne répond pas [à l’appel pour une enquête sur les violations des droits de l’homme], nous [la Grande-Bretagne] allons appuyer la communauté internationale en revisitant toutes les options disponibles afin d’insister sur le fait que gouvernement sri-lankais doit remplir ses obligations. »

Les déclarations des États-Unis et de l’Europe sur les crimes de guerre au Sri Lanka sont complètement hypocrites. Tout comme l’armée sri-lankaise, les forces d’occupation menées par les États-Unis en Afghanistan et en Irak sont responsables de détentions arbitraires, de torture, de meurtres extrajudiciaires et de meurtres de civils dans des frappes aériennes et des opérations spéciales. C’est sur cette hypocrisie que le gouvernement sri-lankais s’est accroché afin de détourner l’attention de ses propres crimes.

En réplique aux commentaires de Burt, le ministère des Affaires étrangères sri-lankais a demandé aux « pays amis » de ne pas proférer de « menaces, mais laisser le temps et offrir du soutien pour restaurer ce qui a été perdu au cours de trois décennies ». Autrement dit, personne ne devrait être tenu responsable des crimes de guerre. Le ministère a qualifié la vidéo d' « opération organisée par une petite section des médias internationaux au nom de certains partis ayant des intérêts particuliers » ayant pour objectif de replonger le pays dans la guerre.

Les médias de Colombo ont critiqué plus ouvertement l'hypocrisie occidentale. Un éditorial paru dans le Divayina de dimanche était intitulé « L'arsenic de Channel 4 ». Celui-ci mentionnait : « Personne ne demande comment les pays occidentaux ont tué Ben Laden. Mais l'occident n'aime pas la façon avec laquelle le Sri Lanka a vaincu les terroristes. Ce poison à l'arsenic tire sa source de l'hypocrisie et de la supériorité impérialiste. »

Un éditorial publié le 15 juin dans le quotidien Island a déclaré que la vidéo était une illusion de « l'ère du numérique », sans fournir la moindre preuve que la vidéo pût avoir été altérée numériquement. Il mentionnait, justement, que le président américain George Bush et le premier ministre britannique Tony Blair avaient menti afin de justifier l'invasion de l'Irak, ajoutant : « La guerre éclair de propagande de Channel 4 vise non seulement à traîner devant un tribunal international, pour crimes de guerre, les chefs politiques et militaires qui ont vaincu le violent terrorisme de Prabhakaran [dirigeant du LTTE], mais aussi à ruiner le tourisme florissant du Sri Lanka. »

La sérieuse indignation qui motive de tels éditoriaux n'a rien à voir avec une opposition à l'impérialisme. L'establishment entier du milieu politique et de celui des médias appuie les opérations néocoloniales en Irak et en Afghanistan. Cette réaction ressemble plutôt à la demande d'une bande de criminels de guerre à leurs grands frères dans le crime, de vivre et laisser vivre, et d'ignorer que ces atrocités ont été commises.

Cette fausse campagne contre le « complot international », qui est dans tous les médias de Colombo, n'est pas seulement motivée par la possibilité que le gouvernement sri-lankais soit accusé de crimes de guerre ou la cible d'un changement de régime, et la nervosité que cela peut entraîner. La guerre elle-même était le produit de décennies de discrimination antitamoule systématique qui a été utilisée par un gouvernement après l'autre pour alimenter les divisions tribales dans le but de diviser la classe ouvrière et défendre le pouvoir de la bourgeoisie.

Ayant vaincu militairement le LTTE, le régime de Rajapakse a monté le « complot international » dans les mêmes buts politiques réactionnaires : justifier sa constante violation des droits démocratiques et attiser les antagonismes tribaux. La violence de cette campagne de propagande est une indication de l'ampleur de la crise économique et politique à laquelle fait face le gouvernement. Tandis qu'il impose ses mesures d'austérité aux travailleurs, Rajapakse n'hésitera pas à utiliser les moyens de répression développés durant un quart de siècle de guerre civile contre la classe ouvrière.

(Article original paru le 21 juin 2011)

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