La tension monte à l’égard de la Chine

Les Etats-Unis transfèrent une grande part des navires de la marine vers la région Asie/Pacifique

Au cours de la prochaine décennie, les Etats-Unis déploieront la majorité de leurs forces navales dans la région Asie-Pacifique, a annoncé samedi le secrétaire américain à la Défense, Leon Panetta, lors d’un discours prononcé à la conférence sur la sécurité à Singapour. La décision fait partie d’un tournant essentiel dans la stratégie mondiale de l’impérialisme américain qui place la Chine en haut de la liste des cibles américaines.

Cette mobilisation des navires de guerre ira de pair avec une augmentation du nombre des exercices militaires pratiqués par le Pentagone dans la région, impliquant les forces aériennes, maritimes et terrestres. La plus grande partie sera effectuée conjointement avec des pays qui sont, soit ouvertement soit tacitement, alliés aux Etats-Unis contre la Chine, dont le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et les Philippines.

Dans un discours prononcé devant la conférence, Panetta a parlé plus en détail du « pivot vers l’Asie » annoncé l’année dernière par Obama et où il avait indiqué que le retrait des troupes d’Irak et le début d’un retrait d’Afghanistan permettraient à l’armée américaine de déployer davantage de ressources en Extrême Orient.

« L’ensemble des services de l’armée américaine se concentre sur l’application de la directive du président de faire de la région Asie-Pacifique une priorité absolue, » a dit Panetta en ajoutant : « Alors que l’armée américaine demeurera une force mondiale de sécurité et de stabilité, nous la rééquilibrerons obligatoirement vers la région Asie-Pacifique. »

Le déploiement actuel de la marine américaine est positionné dans une proportion d’environ moitié/moitié entre l’Atlantique et le Pacifique. Ceci changera d’ici 2020 pour arriver à une proportion de 60 pour cent à 40 pour cent en faveur du Pacifique, et Panetta de poursuivre : « Ceci inclura six porte-avions dans la région, la majorité de nos croiseurs, de nos navires de guerre, des navires côtiers de combat (Littoral Combat Ship) et des sous-marin. » Il a appelé ces forces « l'essentiel de notre engagement dans cette région. »

Panetta a spécifiquement fait l’éloge de l’accord conclu l’automne dernier avec le gouvernement australien sur le déploiement de la marine américaine dans le Nord de l’Australie en l’appelant « un volet crucial » du renforcement militaire américain.

« Cette Task Force en mer, dans les airs et sur terre sera capable de se déployer rapidement dans la région Asie-Pacifique, » a-t-il dit, confirmant ainsi qu’elle sera en mesure d’intervenir dans des points d’étranglement clé comme le détroit de Malacca, qui est vital au commerce import/export de la Chine, notamment pour l’approvisionnement pétrolier en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique.

Les Etats-Unis sont en train de négocier un accord similaire pour stationner par rotation des forces terrestres aux Philippines, a-t-il dit, et ils envisagent de tels arrangements avec d’autres pays de la région sans toutefois les nommer. En 2011, l’armée américaine avait pratiqué 172 exercices militaires dans la région Asie-pacifique et ce nombre augmentera considérablement cette année.

Panetta a affirmé que le renforcement américain ne visait pas la Chine et a même fait cette déclaration toute orwellienne qu’« une augmentation de l’implication américaine dans cette région profitera à la Chine car elle accroîtra notre sécurité et notre prospérité partagées pour l’avenir. »

On ne doit toutefois pas se méprendre sur la signification des mesures qu’il a annoncées. Plus de la moitié de la marine américaine doit être déployée dans la région Asie-Pacifique. Quel autre pays pourrait bien en être la cible ?

La Corée du Nord dispose d’une poignée de navires côtiers qui ne constituent aucunement une menace pour la Corée du Sud, et encore moins pour les Etats-Unis. Près d’un pays sur deux dans la région est soit un allié officiel des Etats-Unis, tels le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et l’Australie, soit un Etat client tels Taïwan et Singapour, soit encore un partenaire potentiel en cas d’action militaire contre la Chine, telle l’Inde.

Lorsque Panetta a déclaré, en faisant référence aux relations américaines avec la Chine, « Nous, aux Etats-Unis, nous sommes lucides pour ce qui est des défis, » toutes les personnes présentes à la conférence, y compris Beijing, ont parfaitement compris le message.

S’il devait subsister quelques doutes, Panetta a conclu son discours en évoquant l’histoire des guerres américaines dans la région. « Au cours de l’histoire, les Etats-Unis ont fait des guerres, nous avons fait couler du sang, nous avons déployé nos forces à maintes reprises pour défendre nos intérêts vitaux dans la région Asie-Pacifique, » a-t-il déclaré.

Après son passage à Singapour, Panetta a poursuivi par la visite de deux pays qui ont livré des guerres aux côtés de la Chine ces 50 dernières années – le Vietnam (qui a combattu aux côtés de la Chine en 1979) et l’Inde (en 1962). Au Vietnam, Panetta a parlé dimanche devant des marins américains à bord d’un navire cargo américain qui mouille actuellement dans la baie Cam Ranh, qui fut la plus vaste base de la marine américaine d'Asie durant la guerre américaine au Vietnam.

En dehors des apparitions publiques, Panetta a tenu des réunions à huis clos en marge de la conférence de Singapour avec une série de ministres de la défense et d’autres hauts responsables du Japon, de la Corée du Sud, des Philippines, d’Australie, de la Malaisie et de Singapour. Les ministres de la Défense de la Thaïlande et du Cambodge ont invité Panetta à se rendre dans leur pays.

Panetta a participé à une réunion trilatérale avec le ministre sud-coréen de la Défense nationale, Kim Kwan Jin et le vice-ministre de la Défense japonais, Shu Wtanabe, pour discuter d’opérations communes contre la Corée du Nord.

Cette réunion a fait suite à un communiqué de presse publié aux Etats-Unis selon lequel les forces spéciales des Etats-Unis et de la Corée du Sud ont mené des opérations d’infiltration en Corée du Nord dans le but de recueillir des renseignements sur des installations militaires souterraines secrètes.

Le général de brigade commandant les Forces spéciales américaines en Corée du Sud, Neil Tolley, a dit lors d’une conférence en Floride que la Corée du Nord a creusé des milliers de tunnels durant les 60 ans qui ont suivi la fin de la guerre coréenne. « L’ensemble de l’infrastructure des tunnels est cachée à nos satellites, » a dit Tolley. « Nous avons donc envoyé des soldats coréens de la République de Corée et des soldats américains en mission de reconnaissance spéciale dans le Nord. »

Alors qu’un aide de camp de Tolley a affirmé plus tard qu’il « s’était mal exprimé », les remarques du général, telles qu’elles ont été rapportées par la presse, ont été on ne peut plus claires. Selon le site Internet The Hill, « Tolley a dit en mai à l’assistance d’une conférence sur les opérations spéciales de l’industrie que des troupes d’élite américaines avaient été larguées derrières les lignes nord-coréennes pour identifier les positions exactes des bases militaires souterraines du vaste réseau de Pyongyang. Les commandos américains ont identifié des centaines d’installations souterraines d’armement ainsi que des milliers de positions souterraines d’artillerie… »

Ce rapport donne un aperçu des agissements de l’armée américaine dans la région, et qui se cache derrière la langue de bois diplomatique sur les intentions pacifiques et la défense du « monde libre. » L’impérialisme américain est la force armée la plus puissante et la plus agressive qui existe sur la planète.

La réunion bilatérale de Panetta avec le ministre singapourien de la Défense, Ng Eng Hen, a finalisé l’accord pour le stationnement de quatre navires côtiers de combat américains sur l’Etat insulaire. Ces navires sont censés opérer dans des endroits proches du rivage, notamment contre des poseurs de mines, des sous-marins et de petites embarcations de surface.

Le général Martin E. Dempsey, président du comité des chefs d’état-major, a dit que les navires assureraient une rotation à Singapour en couvrant à chaque fois une période de six à dix mois. Les marins vivront à bord et ne seront ni stationnés ni basés à Singapour. Mais, le résultat est qu’à tout moment, quelque 300 personnels de la marine américaine se trouveront à Singapour, gardant un oeil sur le détroit de Malacca voisin. Les navires se déplaceront également dans la région, vers la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines et ailleurs en Asie du Sud-Est.

Après la conférence à Singapour, Dempsey s’est rendu aux Philippines pour rencontrer le président Benigno Aquino III et le commandant des forces armées philippines, le général Jessie Dellosa. Les forces navales de Philippines se sont récemment affrontées à des navires chinois au sujet du récif de Scarborough, un groupe de petites îles et de rochers dans la Mer de Chine du Sud.

(Paru en anglais le 4 juin 2012)

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