Perspectives

Le massacre à Aurora : une fois de plus, des faux-fuyants au lieu d’explications

Le président Barak Obama s’est rendu dimanche après-midi à Denver, au Colorado, pour rencontrer les familles des victimes du massacre survenu dans le cinéma d’Aurora. Après quoi, il a fait une brève apparition en public pour déclarer :

« Bien que l’auteur de cet acte maléfique ait reçu beaucoup d’attention ces deux derniers jours, cette attention se dissipera. Au final, après qu’il aura ressenti la pleine puissance de notre système judiciaire, ce dont on se souviendra, ce sont les bonnes gens qui ont été frappés par cette tragédie. »

Cette déclaration est à la fois irréfléchie et cynique. Effectivement, on connaît très peu de choses sur James Holmes, le présumé tireur responsable du meurtre de 12 personnes et d’un nombre plus grand de blessés. Heureusement, cet individu ne s’est pas suicidé après son carnage. Le fait que Holmes soit encore en vie offre au moins la possibilité que les causes psychologiques plus profondes de cet épisode de tuerie de masse et des autres soient découvertes.

Espérons que les médecins entreprennent de sérieux efforts pour découvrir les processus neurologiques et psychologiques qui font qu’un jeune homme commette un tel crime odieux. Vu que c’est le troisième incident majeur de tuerie de masse ayant lieu durant son mandat, l’on pourrait penser qu’Obama reconnaisse aussi l’importance d’une enquête. Mais ce prédisent, semble-t-il, n’est capable que de penser en termes de revanche. Il croit que les questions troublantes soulevées par cette dernière tragédie seront réglées lorsque Holmes sera soumis à la « pleine puissance de notre système judiciaire ».

Quant aux victimes de la fusillade, tout comme leurs familles, elles seront rapidement oubliées par l’establishment politique et les médias. Les politiciens et les médias se souviennent-ils encore des victimes des massacres de Columbine, de Virginia Tech et de Tucson ? Comme de par le passé, les familles des personnes décédées et des blessés seront laissées à souffrir toutes seules d’une douleur sans fin. La société américaine, dans sa forme actuelle, ne croit pas devoir quoi que ce soit aux victimes, et encore moins une explication.

Un examen du contexte psychologique de ce crime est essentiel, mais ne peut fournir qu’une partie de l’explication de la tuerie à Aurora. Holmes est une personne très malade. Et pourtant, la cause de ce crime ne peut uniquement ni même principalement être expliquée en effectuant une étude du profil psychologique du tireur. Le carnage de Holmes, tout comme ceux des autres tueurs de masse, a eu lieu dans un contexte social bien défini. Nous devons comprendre non seulement la pathologie de l’individu, mais celle de la société dont il est issu.

Plus de 13 ans ont passé depuis que les États-Unis et le monde ont été sidérés par le meurtre d’étudiants à Columbine. Cet événement fut suivi par des dénonciations sans fondement du « mal » et des déclarations superficielles et vite oubliées de solidarité avec les victimes et leurs familles. Mais, les politiciens et les médias sont rapidement passés à autre chose et d’autres catastrophes ont suivi. Qui peut affirmer que quelque chose a été appris de cette tragédie.

L’on doit se demander: Est-ce que les causes plus profondes de la tuerie de Columbine ont été identifiées et traitées ? Est-ce que les États-Unis sont socialement plus ou moins dysfonctionnels qu’en 1999 ? Est-ce que les États-Unis sont moins injustes et moins inégaux ? Est-ce que le tissu social est moins mis à mal ? Est-ce que quelque chose est arrivé ces dernières 13 années qui ferait des États-Unis une société moins brutale et plus bienveillante ? Y-a-t-il une raison pour que les jeunes Américains soient plus optimistes quant à l’avenir que ceux qui ont atteint l’âge adulte une ou deux décennies plus tôt ?

James Holmes est né en décembre 1987. Quels furent les événements et les circonstances qui ont marqué sa vie consciente ? Il n’avait que 11 ans lorsque la tuerie de Columbine a eu lieu. Les événements du 11-Septembre qui ont déclenché le processus de la « guerre contre le terrorisme » se sont passés lorsqu’il avait 13 ans. Durant les années de son adolescence, Holmes a vécu dans une société dont les dirigeants politiques ont encouragé et promu une forme de paranoïa sociale dans laquelle la population est appelée à être « sur ses gardes » pour localiser des individus « suspects » et des menaces inconnues. On dit à la population que le danger nous guette partout. Et l’unique défense face à cette menace inconnue, mais omniprésente, est la violence qui est commise à une échelle gigantesque par les dirigeants du pays. Les États-Unis tuent tous les jours des « ennemis » dans une partie ou une autre du monde.

Tel est l’environnement de violence, aggravé par les pressions sociales créées par des années de crise économique, qui a agi sur l’esprit de James Holmes. La caractéristique la plus marquante du crime de Holmes est le caractère aléatoire de la tuerie. Il a pénétré dans la pénombre d’une salle de cinéma, massivement armé, en commençant à tirer sur les spectateurs qui étaient assis. Il ne connaissait pas les gens sur lesquels il a tiré. Il pouvait à peine voir leur visage. Ils n’existaient pour lui que comme cible pour ses armes.

Mais cette forme de meurtre dépersonnalisé apparaît être une reproduction des méthodes employées par les États-Unis dans le déploiement des drones. Il a été reconnu que nombre de ceux qui ont été touchés par des missiles n’ont été tués que parce qu’ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Les « opérateurs » qui manoeuvrent les drones à des milliers de kilomètres de distance ne connaissent pas l’identité de ceux qu’ils tuent. Dans leur for intérieur, ils ne font qu’éliminer des représentants dépersonnalisés d’une quelconque menace. De telles actions, ordonnées par le président Obama et commises par des opérateurs agissant sur ordre, sont basées sur des projets et des calculs soigneusement élaborés.

Les meurtres « rationnels » commis par l’État déclenchent l’irrationalité au sein de la société. La banalisation et la dépersonnalisation du meurtre, commis à grande échelle par le gouvernement et justifié par les médias de masse, doivent avoir des conséquences sur la société américaine. L’on peut avancer, en toute légitimité, que l’une de ces conséquences est l’effusion de sang d’Aurora.

(Article original paru le 23 juillet 2012)

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