Les manifestations «les plus importantes jamais vues» au Portugal

LisbonLa manifestation de Lisbonne

Des centaines de milliers de personnes ont pris part samedi à des manifestations dans 40 villes du Portugal, organisées via les réseaux sociaux, sous le slogan « Non à l'enfer de la troïka, nous voulons retrouver nos vies ». La troïka, composée de la Commission européenne, du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne, a accepté l'année dernière de renflouer le Portugal grâce à un prêt de 78 milliards € (102 milliards $) en échange de l'engagement du gouvernement à réaliser des mesures d'austérité brutales.

Les médias ont indiqué que les manifestations étaient « les plus importantes jamais vues » dans l'histoire portugaise, surpassant celles qui avaient eu lieu en 1974 lors de la chute du fascisme et celles organisées via Facebook « génération à la traîne » en mars 2011.

Les délégations officielles des syndicats et des principaux partis politiques, y compris le Parti communiste (PCP) et le Bloc de gauche (BE) ont brillé par leur absence.

Selon le quotidien espagnol El Pais, plus d'un demi-million de personnes a protesté dans la capitale de Lisbonne. Le journal décrit la protestation comme « une véritable marée humaine de chômeurs, mères, fonctionnaires, retraités, familles, agents de police hors service, postiers, médecins, petits commerçants, jeunes aux cheveux longs, néo-hippies, hommes d'affaires, vétérans de la lutte contre la dictature de Salazar et des jeunes qui ont quitté leur domicile le samedi après-midi et ont commencé à crier qu'ils n'en pouvaient plus... »

Au même moment, des grèves sur les réformes du travail et des salaires ont bloqué la plupart des ports du pays et réduit la production des raffineries de pétrole.

Des banderoles artisanales réclamaient la démission de la coalition de droite dirigée par le premier ministre social-démocrate (PSD) Pedro Passos Coelho. D'autres déclaraient : « Stop au terrorisme économique », « Non à la troïka, Non au gouvernement, Non aux partis politiques, Oui à la révolution », « Nous ne sommes pas les enfants de la démocratie, nous sommes les parents de la prochaine révolution. »

La cause immédiate du mouvement de protestation a été l'annonce par le gouvernement de son projet de budget pour 2013. Les cotisations de sécurité sociale des travailleurs passeront de 11 % du salaire à 18 %, les pensions et les salaires du secteur public seront à nouveau réduits et les impôts sur le revenu augmentés. Cela se traduira pour la plupart des travailleurs par l'équivalent d'un mois de salaire en moins l'an prochain.

Les travailleurs portugais ont déjà subi des augmentations importantes de l'impôt sur le revenu et de la taxe sur les biens et services (TVA) ainsi que sur le prix des soins médicaux et les transports, en même temps que les dépenses sur les services publics et les prestations d'aide sociale ont été fortement réduites. Le gouvernement a rendu plus facile pour les entreprises de licencier les employés et réduit la portée de la négociation collective.

La série sans interruption des mesures d'austérité a ajouté à la catastrophe économique. L'économie du Portugal s'est contractée sur sept trimestres consécutifs et devrait diminuer de 3 % cette année et de 1 % l'an prochain. Le chômage officiel a grimpé à 15 % et il est beaucoup plus élevé chez les jeunes. Selon la fondation Francisco Manuel dos Santos, le Portugal a le troisième plus haut niveau d'inégalité de revenus des ménages de l'Union européenne.

La hausse du chômage et le ralentissement de la consommation intérieure a fait que les recettes fiscales ont baissé beaucoup plus que prévu. Ainsi, le déficit budgétaire sera probablement de 6 %, bien au-dessus des 4,5 % convenu avec la troïka, dans le cadre de l'ensemble du plan de sauvetage. L'épargne bancaire portugaise a chuté de 22 milliards €, soit 8 % sur un an en juillet, et le coût des emprunts du pays est resté astronomiquement élevé avec des taux d'intérêt sur les obligations à 10 ans au taux insoutenable de 8,65 %. Les taux d'intérêt sur les obligations à court terme ont baissé seulement du fait de la déclaration récente de la Banque centrale européenne qu'elle allait les acheter si tout le reste échouait.

Face à la récession implacable que connaît le Portugal, la troïka a accepté la semaine dernière de réviser les objectifs de réduction budgétaire à 5 % pour 2012 et à 4,5 % pour 2013 au lieu de 3 %. « Les changements adaptent le programme à une réalité interne et externe qui diffère de la prévision initiale », a déclaré aux journalistes le ministre des Finances, Vitor Gaspar.

Toutefois, la troïka a clairement fait comprendre que la tranche suivante du plan de sauvetage dépendait de la mise en œuvre des coupes annoncées par le gouvernement. L'agence de notation de Moody est convaincue que, « Étant donné que le consensus entre le gouvernement et les socialistes a été un élément important de stabilité depuis l'effondrement du gouvernement et les élections anticipées de l'an dernier, nous nous attendons à ce que des négociations intenses, qui devraient avoir lieu dans les prochaines semaines, amènent à un accord sur le budget général et permettent d'éviter une autre crise politique. »

Cette semaine, les représentants de l'élite dirigeante du Portugal se sont mis d'accord sur ces mesures. Seul le montant des augmentations de cotisations de sécurité sociale à effectuer a suscité un désaccord.

Le 17 septembre, les « partenaires sociaux » ont rencontré le président Cavaco Silva. João Proença. Le dirigeant de l’Union générale des travailleurs (UGT), alignée sur le PS, qui a signé les réformes du marché du travail plus tôt dans l'année, a mis en garde, « Outre l'augmentation des conflits sociaux dans le pays, la mesure nous amènera plus près de la situation de la Grèce, et en plus de cela, il y a un risque sérieux... que nous retournions à une grave crise politique. »

Le 19 septembre, Gaspar s'est rendu à Berlin pour rassurer le gouvernement allemand sur l'engagement de son gouvernement en faveur de l'austérité et sur le fait que les manifestations « ont été contenues et ont montré beaucoup de dignité ». Le ministre des Affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle, s'est félicité de leur « présence ici, parce que nous savons que la discussion dans votre pays est très difficile, il y a beaucoup de protestations », avant d'insister sur le fait que les coupes devaient se poursuivre.

Les médias portugais sont pleins de commentaires sur la menace d'une scission au sein de la coalition au pouvoir. « Le Portugal est revenu à un marécage qui était impensable il y a encore une semaine. Les pires cauchemars sont revenus et il est difficile de comprendre comment en sortir », a déclaré Antonio Costa, le directeur de Diario Economico. « Le gouvernement a perdu le pays, le pays risque maintenant de perdre la troïka », a-t-il conclu.

Le président de la Commission européenne et ancien premier ministre portugais José Manuel Barroso, a averti qu'en matière politique, une « rupture ou une polarisation » pourrait « remettre en cause le climat de confiance que le Portugal a peu à peu construit ».

Le prédécesseur de Coelho comme chef du parti, Manuela Ferreira Leite, a déclaré qu'elle s'opposait aux changements pour la sécurité sociale, soulevant la possibilité que les députés de la majorité gouvernementale votent contre le projet de budget quand il serait présenté au Parlement en octobre. Les membres du Centre démocrate social (CDS), partenaires dans la coalition de Coelho, le pressent de faire davantage de réductions de dépenses plutôt que d'augmenter à nouveau les impôts.

Le principal parti d'opposition, le PS, qui a négocié le plan de sauvetage avec la troïka avant de perdre les élections de 2011 et a qui a soutenu les mesures d'austérité, a également menacé de voter contre le projet de budget et de déposer une motion de censure contre Coelho. Les dirigeants PS ont indiqué clairement qu'ils accueilleraient favorablement un gouvernement de technocrates similaire à celui imposé en Italie.

Le dernier sondage pour la radio-télévision d'Etat RTP montre que le soutien en faveur du PSD a chuté de 36 % en juin à 24 %, tandis que le PS a chuté de deux points de pourcentage à 31 %. Les gains immérités de l'opposition vont vers le PCP qui passe de 9 à 13 % de soutien et au BE qui passe de 9 à 11 %.

Cependant, ni le PCP ni le BE n'offrent la moindre alternative. Les responsables du syndicat CGTP, aligné sur le PCP, ont prévu une marche nationale à Lisbonne pour le 29 septembre, mais ont refusé d'organiser une grève générale pour faire tomber le gouvernement. Le BE est organiquement lié au PS et proclame que « la seule alternative constructive est de réduire la dette et d'avoir un système fiscal équitable pour rentabiliser les investissements permettant de créer des emplois » : des paroles qui sont complètement en ligne avec les objectifs de l'élite dirigeante.

(Article original paru le 22 septembre 2012)

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