Des dizaines de milliers de manifestants protestent contre la politique d’austérité au Portugal et en Espagne

Des dizaines de milliers de travailleurs, de jeunes, de chômeurs et de retraités ont pris part samedi à des manifestations dans les principales villes du Portugal et de l’Espagne dans une confrontation grandissante entre la classe ouvrière européenne et la politique de rigueur brutale exigée par les banques, les grandes entreprises et l’Union européenne.

 

LisbonUne manifestation le 15 septembre contre la troïka à Lisbonne [Photo: Pedro Ribeiro Simões][Photo: Pedro Ribeiro Simões]

 

Les dockers ont aussi fait grève au Portugal où la plus importante manifestation a eu lieu, paralysant une grande partie du commerce import-export. Provoquée par une opposition à un changement des règles de travail qui menacent leurs emplois, la grève des dockers s’est étendue sur une période cinq semaines. Au Portugal, le taux de chômage se situe officiellement à 15,7 pour cent mais la confédération syndicale CGTP estime qu’il est bien supérieur à 20 pour cent.

L’économie portugaise devrait se contracter de 3 pour cent cette année et rester en récession l’année prochaine sous l’impact du ralentissement mondial et des réductions budgétaires imposées par la coalition gouvernementale droitière menée par le premier ministre Pedro Passos Coelho.

Une proposition faite par le gouvernement Coelho d’augmenter les cotisations de sécurité sociale de 11 à 18 pour cent du salaire – l’équivalent d’une baisse de salaire générale de 7 pour cent – avait donné il y a deux semaines le coup d’envoi à des manifestations de masse.

Près d’un million de personnes ont protesté dans les rues de la capitale Lisbonne et d’autres grandes villes. Il s’agit des plus importantes protestations au Portugal depuis les manifestations du Premier mai 1974 durant la Révolution portugaise.

Les mesures proposées par le gouvernement Coelho ont été décrites comme « volant les travailleurs pour payer leurs patrons » vu que l’augmentation du prélèvement des salaires des travailleurs a été combinée à une réduction de 6 pour cent de la même taxe pour les employeurs. Le gouvernement a retiré ce projet mais uniquement dans le but de planifier d’autres méthodes tout aussi réactionnaires pour faire que les travailleurs paient pour la crise du capitalisme portugais.

La foule rassemblée sur la Praça de Comércio (Place du Commerce) à Lisbonne a été évaluée à près de 100.000, pas tout à fait aussi importante qu’il y a deux semaines mais tout de même énorme pour un pays ne comptant que 11 millions d’habitants. La participation a été moindre en raison des illusions nourries par les syndicats, l’opposition social-démocrate et les groupes pseudo-gauches, selon lesquelles la décision de laisser tomber l’augmentation de la taxe affectée à la sécurité sociale était une victoire durable.

Les travailleurs brandissaient des banderoles dénonçant la « troïka » formée par l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire International qui tous ensemble ont dicté la politique de rigueur infligée aux travailleurs en Grèce, en Irlande, en Italie et dans d’autres pays européens endettés, dont l’Espagne et le Portugal. Il y a eu des demandes populaires en faveur d’actions pour obliger le gouvernement Coelho à démissionner.

Les dirigeants du syndicat CGTP ont tenu des discours démagogiques devant le rassemblement en menaçant de lancer un appel à la grève générale. La CGTP a prévu mercredi une réunion de la direction pour décider d’une grève qui se limiterait à une protestation symbolique d’une journée, servant de soupape au mécontentement populaire alors que les syndicats travaillent de concert avec le gouvernement droitier et les banques pour imposer le fardeau de l’austérité aux travailleurs.

Le ministre des Finances du Portugal, Victor Gaspar, a dit que le gouvernement annoncerait bientôt de nouvelles coupes budgétaires, attribuant les augmentations de la taxe sur la sécurité sociale aux travailleurs. La troïka a accepté d’assouplir l’objectif de réduction du déficit du Portugal pour 2012 en fixant le chiffre du déficit à 5 pour cent du PIB au lieu des 4,5 pour cent exigés initialement. Mais le déficit du Portugal pour la première moitié de 2012 a atteint 6,8 pour cent selon les chiffres publiés vendredi par le gouvernement.

Le programme d’austérité dicté par l’UE et les banques a déjà drastiquement réduit de 24 pour cent le niveau de vie de l’ouvrier moyen au Portugal, tant du fait de réductions de salaire que d’augmentations d’impôts. Les travailleurs ont payé à hauteur de 78 milliards d’euros pour le renflouement du système financier en faillite du pays en sauvant ainsi la richesse de la bourgeoisie portugaise.

Les manifestations de samedi 29 septembre, partout en Espagne ont été réprimées avec une grande brutalité par la police. A Madrid, des manifestants ont défilé vers le parlement pour la troisième fois de la semaine en scandant « Virez-les, virez-les, » en faisant référence au gouvernement droitier du premier ministre Mariano Rajoy, mais la police avait bouclé l’accès au bâtiment.

La police, armée de matraques, a attaqué les manifestants sur la Plaza de Neptune en cernant 300 manifestants qui avaient refusé de quitter la place. Un photographe de l’Associated Press a rapporté avoir vu la police tabasser sauvagement un manifestant qui a été emmené par une ambulance.

Le gouvernement Rajoy a présenté vendredi un projet de budget pour 2013 qui réduira les dépenses publiques en général de 40 milliards d’euros, en gelant les salaires des travailleurs du public, en réduisant les allocations chômage et en diminuant les dépenses pour la famille royale.

Une vidéo du journal Observer a montré un homme d’âge moyen protégeant un homme plus jeune en l’entourant de ses bras et en criant « honte ! honte ! » alors que des policiers casqués agitaient leurs matraques. La même vidéo montre aussi deux policiers tabassant un autre homme dans une gare. « Je ne sais pas si c’est un passager ou un manifestant, » a dit l’un des policiers à l’autre.

Alors que Cristina Cifuentes, la dirigeante du Parti populaire au pouvoir à Madrid, affirmait que des radicaux violents avaient infiltré les manifestations, des manifestants ont identifié un groupe de policiers en civils qui prétendaient faire partie du mouvement de protestation en incitant à la violence. Une vidéo montre l’un des policiers en civils en train d’être arraché de la foule par un policier déterminé à vouloir l’arrêter alors qu’il lui hurlait « Je suis un collègue. »

Tout comme au Portugal, dans certaines régions, les manifestations étaient associées à un mouvement de grève. Les travailleurs du transport ont débrayé partout en Espagne vendredi, 28 septembre, y compris à Madrid et ont menacé de faire grève également lundi lorsqu’ils pourront être rejoints par les conducteurs de trains qui s’opposent à la privatisation du système ferroviaire.

L’office européen de statistique Eurostat donne un aperçu de l’ampleur des réductions du niveau de vie de la classe ouvrière qui sont prévues par l’UE et la BCE ainsi que par l'ensemble de la classe dirigeante européenne. Eurostat prévoit qu’en Espagne les coûts unitaires de la main d’oeuvre seraient réduits de 4,7 pour cent en 2012 et en 2013, et de 3,8 pour cent durant la même période au Portugal et d'un stupéfiant 9,5 pour cent en Grèce.

Tandis que les travailleurs sont confrontés à des mesures d’austérité, les banques bénéficieront de davantage de renflouements. Selon le ministre du Budget, Cristóbal Montoro, le renflouement de 100 milliards d’euros du gouvernement espagnol a gonflé le déficit budgétaire, le faisant passer de 8,96 pour cent du PIB à 9,44. Il a dit que la dette gouvernementale proportionnellement au PIB passerait de 85,3 pour cent en 2012 à 90,5 pour cent en 2013, ce qui signifie qu’encore plus de coupes dans les dépenses publiques seraient nécessaires pour réduire ce montant au niveau exigé par la BCE.

La politique d’austérité en Espagne a été rendue encore plus impopulaire – encore faut-il que ceci soit possible – par la prestation du premier ministre Rajoy à l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Il a été pris en photo, fumant un cigare dans un restaurant très cher, tandis que les travailleurs défilaient dans les rues contre les réductions de salaires et des prestations sociales.

Il a aussi accordé une interview au Wall Street Journal où il a répété ses promesses de sauver le système bancaire espagnol, si nécessaire, par un un renflouement à grande échelle de l’UE.

(Article original paru le 1er octobre 2012)

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