Le président russe Poutine prône l'interdiction du foulard à l’école

Jeudi dernier, 18 octobre, le président russe Vladimir Poutine s’est publiquement exprimé en faveur d’une interdiction du port du foulard dans les écoles russes. Il envisage à cet effet d’instaurer une loi établissant des directives relatives à l’uniforme scolaire.

L’annonce de Poutine a été faite après une campagne officielle menée des mois durant pour promouvoir le nationalisme et le christianisme orthodoxe et visant à détourner l’attention des tensions sociales grandissantes dans le pays. Quelque 20 millions des 143 millions de personnes vivant en Russie sont des musulmans.

Le commentaire de Poutine a été directement motivé par un incident survenu dans une école située dans la région de Stavropol, dans le Sud de la Russie. Le 3 octobre, la direction de l’école a interdit aux étudiantes portant le foulard de suivre les cours. Les parents des jeunes filles ont tous protesté ensemble contre les agissements de la direction de l’école.

Selon le conseil de mufti de Stavropol, une série d’incidents identiques se sont produits dans la région, notamment dans les villes et les régions où il y a une large population musulmane. La région de Stavropol est majoritairement peuplée de chrétiens orthodoxes, et elle est aussi le point de convergence des réfugiés musulmans venant du Caucase voisin qui a été dévasté et réduit à une pauvreté abjecte par les guerres menées par le Kremlin.

Le ministère de la Culture de Stavropol s’est rangé aux côtés de la direction de l’école en déclarant que chaque école avait, de sa propre initiative, le droit d’introduire des uniformes scolaires. Le ministre russe de la Culture a ensuite critiqué la décision, poussant Poutine à s’exprimer en faveur de la question et à soutenir personnellement le proviseur de l’école lors d’une conférence de presse. Poutine a déclaré : « Nous devons partir du principe que nous sommes un Etat séculier. Nous sommes un Etat multinational et que l’Eglise est séparée de l’Etat. »

Poutine a dit que la Russie devait prendre comme modèle d’autres pays européens, dont la France, la Belgique et le Danemark. Tous ces pays ont adopté l’interdiction du foulard à l’école. Une telle interdiction aurait lieu en Russie grâce à l’introduction d’un uniforme scolaire standardisé qui doit être défini et appliqué dans les diverses régions de la Russie.

L’argument de Poutine selon lequel la Russie est un « Etat séculier » est malhonnête et cynique. Les gouvernements français et belge ont recouru précisément au même argument pour défendre leur interdiction réactionnaire du port du foulard dans les écoles et de la burqa dans l'espace public.

La séparation de l’Eglise et de l’Etat signifie que l’Eglise n’a aucune influence sur l’Etat, qui, quant à lui, ne s’immisce pas dans les affaires religieuses personnelles. Le port du voile qui est un élément intrinsèque à la foi de nombreuses femmes musulmanes ne viole en rien une telle séparation. Bien au contraire, c’est l’interdiction des foulards qui constitue une attaque contre les droits démocratiques et la liberté de croyance.

L’argument de Poutine selon lequel la Russie est un Etat séculier a déjà été sapé par le récent procès contre le groupe punk Pussy Riot. L’emprisonnement des chanteuses pour avoir protesté contre Poutine dans l’église du Christ-Sauveur de Moscou avait été précédé par une longue campagne de promotion de l’Eglise orthodoxe russe.

Le Kremlin entretient depuis longtemps des relations étroites avec l’Eglise qui à son tour soutient publiquement Poutine et représente un appui important pour son gouvernement.

L’initiative de Poutine fait partie d’une campagne nationaliste que le Kremlin poursuit avec une détermination accrue depuis l’émergence durant l’hiver 2011-2012 d’un mouvement de protestation au sein des classes moyennes urbaines. Cette campagne vise à faire diversion aux tensions sociales croissantes en Russie tout en mobilisant, en soutien à Poutine, les couches droitières et arriérée.

Durant les élections présidentielles de mars dernier, les sentiments nationalistes avaient été délibérément attisés. En juin, Poutine avait fait adopter une nouvelle loi rendant plus difficile l'immigration vers la Russie. Ceux qui cherchent à le faire doivent passer d’innombrables tests dont un test de russe et d’histoire. Les obstacles que rencontrent les immigrés visent en premier lieu les travailleurs peu qualifiés, principalement ceux qui tentent de venir en Russie en provenance d’Asie centrale.

La campagne pour promouvoir le christianisme orthodoxe qui a eu lieu d’avril à septembre pour coïncider avec le procès contre les Pussy Riot, a connu une ampleur sans précédent jusqu'ici. De nombreux commentaires diffusés à la télévision, à la radio et dans les journaux ont abordé des questions telles les caractéristiques nationales des Slaves ou de la nation russe et de ses liens avec l’église orthodoxe. Actuellement, cette campagne se poursuit dans les débats des médias, relatifs à la proposition d’interdiction du foulard.

L’incitation aux tensions nationales est un instrument important permettant au Kremlin de garder le contrôle de la situation sociale explosive en divisant la classe ouvrière. L’interdiction du port du foulard est une attaque contre les droits démocratiques fondamentaux, conformément à la campagne droitière propagée par le Kremlin. Sur cette question, celui-ci peut compter sur l’appui de l’ensemble des forces politiques organisées.

Comme on aurait pu s’y attendre, l’initiative de Poutine a été saluée avec beaucoup d’enthousiasme par les cercles nationalistes. L’écrivain d’extrême droite, Alexander Prokhanov, l’un des nationalistes et antisémites influents de Russie, s’est aussi prononcé en faveur de l’interdiction du foulard. La dirigeante du groupe Moscow Helsinki, et ancienne dissidente libérale, Lyudmila Alexeyeva, qui a souvent critiqué le régime autoritaire de Poutine soutient également le président sur cette question.

On ne peut attendre aucune opposition de principe de la soi-disant gauche en Russie qui n’a, à ce jour, pas encore pris position sur cette question. Les groupes pseudo-gauches tels le Mouvement socialiste russe et le « Front de gauche » dirigé par Sergeï Udaltsov ont défilé lors des manifestations aux côtés d’éléments de droite, et siègent à leur côté dans un « Comité d’organisation ». Ils soutiennent aussi le Parti communiste ultra-nationaliste stalinien qui quant à lui collabore avec le raciste Mouvement contre l’immigration illégale, qui est prohibé.

(Article original paru le 24 octobre 2012)

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