Un ex-dirigeant du parti nationaliste tamoul LTTE assassiné à Paris

Dans la nuit du 8 novembre, le chef du Comité de coordination tamoul en France (CCTF), Nadarajah Mathinthiran, a été assassiné à Paris près du bureau de cette organisation, par deux hommes en moto, armés et encagoulés. Sa femme et ses enfants se trouvaient dans le bureau du CCTF au même moment. La police a arrêté deux hommes et indiqué que leur responsabilité serait « à déterminer lors de leur garde à vue. »

Créé au début des années 80 comme organisation représentante des Tigres de libération de l'Eelam Tamoul (LTTE) chargée de l'aide aux réfugiés sri-lankais, le CCTF est un des nombreux groupes rivaux pro-LTTE opérant dans la diaspora tamoule. Un membre de longue date et un chef militaire du LTTE, Mathinthiran émigra en France dans les années 1990. Après 2004, il a dirigé des activités politiques et des collectes de fonds.

Il avait de nombreux contacts dans les milieux politiques dirigeants français. Des dirigeants des partis socialiste, gaulliste, communiste stalinien et écologistes s'exprimaient régulièrement à des rassemblements du CCTF. Parmi les Tamouls, le travail du CCTF était centré sur la diffusion d’illusions sur une intervention du gouvernement français dans la guerre civile sri-lankaise qui aiderait à établir un État capitaliste avec une base ethnique tamoule.

Le meurtre de Mathinthiran a été programmé juste avant une modification des conditions de sa probation en France qui aurait rendu plus difficiles les tentatives d’attenter à sa vie.

L'Union européenne a interdit le LTTE en 2006, après que le président Sri lankais nouvellement élu, Mahinda Rajapakse, ait rompu les négociations avec le LTTE et déclaré la guerre contre le « terrorisme ». En 2007 les brigades d'intervention de la direction antiterroriste française ont démantelé le LTTE dans une série de raids, arrêtant Mathinthiran et plus de 30 autres personnes. Mathinthiran a été inculpé et condamné en 2009 à sept ans de prison, dont il a fait appel, et il a été libéré sous caution en 2010, à plusieurs conditions, dont l'interdiction de participer à une activité politique.

Selon TamilNet, « deux semaines plus tôt, la procédure judiciaire française lui a imposé une période de probation de 10 mois qui l'aurait mis sous étroite surveillance avec une restriction de ses déplacements, et une mise sous surveillance électronique. Ce terme devait commencer ce vendredi, et s'il avait été en place, il aurait été difficile pour quiconque de l'assassiner ».

Le CCTF n'a encore fait aucune déclaration sur l'assassinat de Mathinthiran. Les sites web des factions rivales des nationalistes tamouls affirment que le renseignement militaire sri lankais est impliquée dans le meurtre. Tout au long de la guerre civile, les services de renseignements militaires se sont infiltrés dans les groupes armés et ont manipulé leurs conflits internes, entraînant des affrontements meurtriers. Cela a conduit à la dislocation de l'aile orientale du LTTE en 2004, lorsque des luttes intestines ont conduit à la mort de centaines de combattants.

Depuis que le gouvernement sri-lankais a écrasé militairement le LTTE dans le nord du Sri Lanka en mai 2009, le LTTE s'est désintégré en factions rivales en Europe, au Canada et aux États-Unis, ce qui a conduit à des affrontements violents.

Ces factions nationalistes tamoules rivales pourraient aussi être impliquées dans l'assassinat. En octobre 2011, Mathinthiran a été blessé dans une autre attaque par des hommes masqués portant des sabres de samouraï. Il a identifié deux hommes accompagnant les attaquants comme d'anciens membres du LTTE.

Toutes ces factions étaient en accord avec l'orientation fondamentale du LTTE : subordonner les luttes de la classe ouvrière tamoule au Sri Lanka à des appels en direction des puissances impérialistes et de l'Inde pour qu'elles interviennent dans la guerre, tout en coupant les travailleurs tamouls de la classe ouvrière cinghalaise. Leurs différences semblent porter principalement sur la propriété des actifs financiers du LTTE et sur le contrôle politique de la diaspora tamoule.

Depuis que le LTTE a été écrasé en 2009, le gouvernement sri-lankais a également développé une influence considérable parmi les différentes factions nationalistes tamoules. Il prépare des membres du LTTE, tel que Selvarasa Pathmanathan, pour des postes potentiels de hauts fonctionnaires dans les régions nouvellement reconquises, à majorité tamoule, du Sri Lanka. (Voir : « Des représentants du LTTE collaborent avec le gouvernement sri-lankais après la guerre civile »)

Durant la période précédant l'assassinat de Mathinthiran on a vu, et c’est significatif, la montée de tensions entre les factions nationalistes du « Secrétariat international » et du « Secrétariat en chef ».

Le CCTF est affilié à la faction du « Secrétariat international ». Les dirigeants actuels de cette faction ont été nommés par les dirigeants du LTTE avant la défaite; ils contrôlaient la structure organisationnelle du LTTE dans les pays occidentaux et contrôlent encore largement ses actifs financiers.

La deuxième faction du « Secrétariat en chef » prétend représenter la continuité de la direction du LTTE après la défaite. Le terme « Secrétariat en chef » servait habituellement au dirigeant des LTTE, V. Prabakaran pour signer des déclarations politiques. De nombreux dirigeants de cette faction ont échappé à l'assaut final des militaires sri-lankais et ont émigré en l'Europe. Le « Centre des Tamouls - France » est affilié à cette faction.

Le site tamoul, dirigé par le « Centre des Tamouls - France » a publié une déclaration rapportant la rupture des négociations avec le CCTF sur l'organisation d'une manifestation unique pour le « Jour des héros » et la décision d'organiser une commémoration distincte.

Le « Jour des héros » est un événement organisé chaque année pour commémorer les combattants tamouls tués durant la guerre civile et traditionnellement utilisé par le LTTE pour faire des déclarations politiques. Il est suivi par des milliers de Tamouls qui ont perdu des membres de leur famille durant la guerre civile de 30 ans, indépendamment du fait qu'ils soient ou non en accord avec la politique du LTTE. Des revendications concurrentes sur le fait de savoir à qui appartient cet événement, considéré par les deux factions comme un atout politique, sont la cause d’âpres conflits.

Le 4 novembre le Centre des Tamouls - France a rapporté que « Des négociations ont eu lieu entre les représentants de la CCTF et le Centre des Tamouls pour parvenir à un accord pour organiser les célébrations du ‘Jour des héros‘ de façon conjointe en un même lieu. Aujourd'hui... les représentants du Centre des Tamouls étaient présents à la réunion commune. Aucun des représentants de la CCTF qui étaient mandatés pour prendre une décision à ce sujet n'était présent à la réunion, et l'unique tentative d'unification du ‘Jour des héros’ s'est tristement et malheureusement soldée par un échec. »

L'année dernière, des combats entre factions ont éclaté lors de l'organisation de l'événement. Après de violents affrontements, des grèves de la faim et des interventions policières, les deux factions ont organisé deux événements distincts. Les commémorations furent de nature similaire ; y étaient invités à parler des politiciens dravidiens de l'État indien du Tamil Nadu et des politiciens bourgeois locaux. Deux déclarations distinctes, mais de même contenu, ont lancé un appel à la « communauté internationale » pour qu'elle enquête sur les crimes de guerre du gouvernement sri lankais et qu’elle soutienne un État tamoul séparé.

 

(Article original paru le 22 novembre 2012)

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