France: La CGT choisit Thierry Lepaon comme nouveau dirigeant

Après que la direction de la Confédération générale du travail (CGT) a accepté la candidature de Thierry Lepaon pour remplacer Bernard Thibault à la tête de ce syndicat le 16 octobre, le « parlement » de la CGT a approuvé ce choix le 6 novembre.

En mars 2012, avant l’élection présidentielle, Bernard Thibault avait annoncé qu’il se retirait de sa propre succession en 2013. Thibault s’était discrédité auprès des travailleurs par sa collaboration avec Nicolas Sarkozy au sein de l’appareil d’Etat, où il a participé à de nombreuses « réformes » attaquant les droits des travailleurs, notamment sur les retraites. Cyniquement, la CGT tentait en même temps de préserver une réputation « d’organisation ouvrière ».

Thibault cherchait un successeur qui aiderait le prochain président à s’attaquer aux acquis sociaux des travailleurs, sans créer l’impression d’une trop forte continuité syndicale avec le quinquennat de Sarkozy. La CGT se prépare à des conflits de classe intenses, alors que le président social-démocrate, François Hollande, avance des mesures visant la paupérisation de la classe ouvrière.

La CGT s’est donc lancée dans la difficile recherche d’un dirigeant qui aurait à la fois un bon relationnel avec les officines patronales, nécessaire pour maintenir le « dialogue social » avec Hollande, et qui pourrait aussi tenter de contenir la colère des travailleurs. La succession de Bernard Thibault s’est transformée en une crise interne au sein de la CGT.

Les candidatures d’Eric Aubin et de Nadine Prigent ont d’abord été annoncées, avec une préférence affichée de Thibault pour Nadine Prigent. Le choix de Lepaon est un choix par défaut, qui sert à contenter les différentes tendances au sein de la CGT, hostiles aux deux premiers candidats.

Aubin et Prigent s’étaient illustrés pendant la lutte contre la réforme des retraites en 2010 pour avoir trahi la grève. Aubin avait négocié la réforme des retraites en personne avec les réprésentants du patronat, tandis que Prigent représentait la CGT dans l’intersyndicale qui avait isolé la grève pétrolière, lâchant les grévistes face à l’intervention des forces de l’ordre.

La direction de la CGT a refusé Prigent, qui jouissait du soutien de Thibault. L’article des Echos intitulé "Thibault quittera la CGT début 2013" rapporte que « cette ancienne leader de la fédération santé sociaux, pur produit du service public, est taxé d'un caractère peu amène qui lui vaut de farouches détracteurs en interne. ‘Si c'est elle, il y aura de sérieux clivages,’ préviennent des patrons de fédération depuis plusieurs mois. ».

Quant à Aubin, certaines fédérations jugent qu’il est trop « réformiste », c’est-à-dire trop ouvertement associé à la mise en place des réformes que la CGT prétend critiquer.

Lepaon est moins connu que Aubin et Prigent qui ont été exposés médiatiquement pendant la réforme des retraites. Néanmoins, c’est un habitué des négociations en coulisse.

Quant à Lepaon, il fut chaudronnier chez Moulinex avant que l’usine dans laquelle il travaillait ferme dans les années 2000 ; il est également membre du PCF. Depuis 2010, il est membre du conseil économique social et environnemental (CESE), où se décident les plans d’austérité lors de négociations entre les syndicats, le patronat et le gouvernement. Le site web de France 3 TV Normandie a commenté le 16 octobre: "C'est sur les ruines de la plus grande catastrophe industrielle de la région, après la fermeture de SMN, que Thierry Lepaon a fait sa carrière syndicale, prenant les rênes de la fédération du Calvados dès 2001 avant de diriger la CGT Normandie, jusqu'au poste suprême où il devrait être désigné ce mardi 16 octobre. Lionel Muller, son collègue cégétiste chez Moulinex, estime que 'pour le moins' il est 'un opportuniste' qui 'ne va pas faire trembler le Medef.'"

Lepaon entretient de bons rapports avec les représentants de la bourgeoisie française, qui semblent le considérer, avec un léger mépris, comme quelqu’un d’inoffensif. Le journal Challenges rapporte que «‘Thierry Lepoan a été très maladroit, commente un ponte du Medef [Mouvement des entreprises de France], membre du CESE. Je pense qu’il est moins fin que son concurrent Eric Aubin, mais il est plus chaleureux, plus cordial que Bernard Thibault. C’est quelqu’un d’agréable.’ »

Le journal cite aussi les paroles d’un membre de l’UMP (Union pour un mouvement populaire), parti conservateur, Jean-Marie Geveaux : « Il y eu quelques sourires quand on a été désignés comme co-rapporteur, mais je travaille en bonne intelligence avec lui. Il est plutôt sympa, ce n’est pas un doctrinaire, il a suffisamment d’envergure pour remplacer Bernard Thibault ».

Les rapports que Lepaon entretient avec le CESE, au sein duquel il fait l’unanimité, montre que sa nomination à la tête de la CGT ne changera en rien la politique de l’organisation. Elle continuera son intégration toujours plus étroite dans les rouages de l’Etat et ses négociations toujours plus nocives aux intérêts sociaux fondamentaux de la classe ouvrière.

La CGT a connu une érosion constante du nombre d’ouvriers membres de l’organisation à partir des années 1970, du fait des trahisons successives de la CGT après la grève générale de 1968. Thibault, dont le mandat de 14 ans à la tête de la CGT est le premier à se dérouler entièrement après la chute de l’URSS, aura marqué la fin du concept du syndicat comme courroie de transmission du parti communiste (PCF) stalinien. La stratégie de Thibault était de s’orienter directement vers les forces patronales et vers l’Etat.

La Position commune négociée avec Sarkozy en 2008 a accéléré le processus d’intégration de la CGT et de la CFDT dans l’Etat. En échange de leur soutien aux mesures d’austérité, la CGT et la CFDT (Confédération française et démocratique du travail) établissaient un accord pour accroitre l’influence des syndicats les plus importants, à savoir eux-mêmes. Ceci donnait à l’Etat une bureaucratie plus centralisée pour faire la police dans la classe ouvrière et imposer les réformes.

Recroquevillée sur une base au sein de la petite minorité (7 pour cent) des travailleurs en France qui sont syndiqués, la CGT est devenue une coquille vide pilotée par des petites bureaucraties confédérales selon les besoins de l’Etat et du patronat. Comme l’a révélé le rapport Perruchot, ces derniers contribuent à la quasi-totalité des ressources financières des syndicats.

La CGT s’est donc trouvée dans l’impossibilité de trouver un haut dirigeant qui pourrait avoir un profil « contestataire ». Le choix de quelqu’un comme Lepaon est donc dans une continuité objective avec l’évolution de la CGT comme organisation pro-austérité.

Voir également :

Le rapport Perruchot expose la collaboration entre les syndicats français et la bourgeoisie

[28 février 2012]

France : Thibault pense abandonner la direction du syndicat CGT

[31 janvier 2012]

Loading