Perspectives

Etats-Unis : Un électorat désillusionné et mécontent

Une première analyse des résultats de l’élection présidentielle de mardi révèle un élément primordial qui a été peu remarqué dans les médias américains : la baisse stupéfiante de la participation électorale et notamment en ce qui concerne le vote pour le président Barack Obama. Avant tout, ce vote est l’expression d’un électorat qui est désillusionné et de plus en plus aliéné par rapport à l’ensemble du système politique bipartite.

Les médias, en particulier les partisans libéraux et de « gauche » du Parti démocrate, se sont empressés de saluer la réélection d’Obama comme étant un grand triomphe. L’International Socialist Organization a, par exemple, ainsi commencé son éditorial, « Barack Obama a été réélu grâce à une forte participation des électeurs traditionnels du Parti démocrate partout où le président devait l’emporter. »

En fait, Obama a subi, à tous les niveaux, une baisse considérable de voix avec plusieurs millions d’Américains choisissant de ne pas aller voter. Il ne reste pas grand-chose de l’enthousiasme de 2008 lorsqu’Obama avait été porté au pouvoir sur une vague d’hostilité populaire contre le gouvernement Bush.

Le nombre total de voix obtenu par Obama a été d’environ 9 millions de moins qu’en 2008, passant de 69,5 millions à 60,5 millions soit une baisse d’environ 13 pour cent. Quant à Romney, il n’a bénéficié que de 57,5 millions de voix, environ 2,5 millions de moins que John McCain en 2008. Donc, Obama a à peine obtenu plus de voix que son adversaire républicain d’il y a quatre ans.

Les élections ont été caractérisées par une injection massive de milliards de dollars, une publicité et des commentaires médiatiques en boucle ces neuf derniers derniers mois durant. Ces quatre dernières années, l’on a assisté à une croissance significative du nombre d’électeurs inscrits. En fin de compte, toutefois, le nombre de personnes qui a voté a chuté d’environ 11 millions. La Californie s’est avérée particulièrement concluante. Un bastion du Parti démocrate où le nombre total est passé de 13,2 millions en 2008 à seulement 9,2 millions en 2012, et l’Etat où Obama a recueilli plus d’un million de voix de moins que John Kerry, le candidat démocrate de 2004.

Selon le spécialiste des sciences politiques, Curtis Gans, du Centre d’Etude de l’électorat américain, la participation a baissé dans chaque Etat. « Cette élection a marqué une chute significative de la participation au niveau national, » a-t-il souligné.

La forte dégringolade du nombre des voix en faveur d’Obama lors de son élection pour un second mandat est presque sans précédent dans l’histoire de la politique américaine. Il est en fait extrêmement rare qu’un président remporte un deuxième mandat avec moins de voix que lors de la première élection. George W. Bush, par exemple, avait augmenté ses voix en passant de 50 millions en 2000 à 62 millions en 2004. Clinton avait augmenté son score en passant de 45 millions en 1992 à 47,5 millions en 1996. Reagan avait accru ses voix en passant de 44 millions en 1980 à 54,5 millions en 1984.

En effet, la dernière fois qu’un président avait été réélu avec une baisse de son soutien populaire, c’était lors des élections de 1944 et de 1940 lorsque Franklin Delano Roosevelt avait vu son énorme avantage par rapport à ses adversaires républicains chuter quelque peu lors de la reconduite d’un troisième et quatrième mandat après sa victoire écrasante de 1932.

Cependant, une comparaison par rapport aux voix récoltées par Roosevelt est en soi instructive pour comprendre l’ampleur et la signification du déclin d’Obama. En 1936, Roosevelt fut élu pour un second mandat au milieu de la Grande Dépression, sept ans après le krach de Wall Street en 1929. Lors de cette élection, FDR avait fait passer son score de 23 millions à 28 millions, soit une hausse de plus de 20 pour cent. Son adversaire républicain, Alf Landon, n’avait recueilli que 36,5 pour cent des voix en ne gagnant que deux Etats, le Vermont et le Maine, sur un total de huit suffrages de grands électeurs. Lors des deux élections suivantes, le nombre total de voix pour Roosevelt avait chuté à 27,3 millions puis à 25,6 millions.

Tout comme avec FDR, Obama a été élu dans une situation de crise économique et sociale profonde et en succédant au président le plus détesté de l’histoire des Etats-Unis, George Bush. Toutefois, en l’espace de quatre ans il a réussi à anéantir tout l’avantage qu’il avait eu sur ses adversaires républicains.

L’élément principal constituant les différents parcours électoraux des deux candidats est que FDR – poussé par la crainte d’une révolution sociale et s’appuyant sur les ressources encore considérables du capitalisme américain – avait lancé un programme significatif de réformes sociales. Obama, au contraire, a passé ses quatre années au pouvoir à développer et à approfondir la politique droitière de son prédécesseur.

En conséquence, Obama a à peine été en mesure de battre le candidat républicain qui représente dans la forme la plus crue et la plus nette la cupidité de l’aristocratie financière qui est responsable de la plus grande crise économique depuis la Grande Dépression.

Les résultats électoraux sont l’expression non seulement de la faillite politique du gouvernement Obama mais de la crise de l’ensemble du système bipartite. Les deux partis ont pour mission de servir les intérêts d’une infime aristocratie financière qui n’a absolument rien d’autre à offrir à la population américaine que l’austérité, la guerre et la destruction des droits démocratiques.

Quel que soit celui qui sera élu, la même politique sera poursuivie. Obama continuera la politique de Bush, et Romney, s’il était arrivé vainqueur, aurait poursuivi dans toutes les grandes lignes la politique d’Obama.

En effet, après les élections, le thème prépondérant dans les médias et l’establishment politique, à commencer par Obama lui-même, est l'appel à un « consensus » politique – et qui signifie une offensive conjointe des deux partis contre la classe ouvrière. Les élections, déclare-t-on, sont un « mandat » populaire pour que les Démocrates et les Républicain se rassemblent pour « résoudre les problèmes du pays. »

Dans son discours prononcé mardi soir, Obama a déclaré, « Je me réjouis de collaborer avec les dirigeants des deux partis pour être à la hauteur des défis que nous ne pouvons relever qu’ensemble, » à commencer par le besoin de « réduire le déficit. » Obama a déclaré que son « premier point à l’ordre du jour » sera de parvenir à un accord afin d’appliquer des coupes de plusieurs milliers de milliards de dollars dans Medicare, Medicaid et d’autres programmes sociaux pour faire face à la « falaise fiscale » à la fin de l’année. Mercredi, les dirigeants républicains ont réagi en déclarant qu’eux aussi étaient déterminés à conclure un accord.

Selon une interprétation officielle de la politique américaine, interprétation partagée tant par la « gauche » que par la droite, la population est divisée selon des clivages identitaires – de sexe, d’ethnicité, d’orientation sexuelle. Obama a gagné conformément à cette analyse, parce qu’il doit sa victoire au « vote des femmes » ou au « vote des hispaniques. » La classe sociale n’est jamais mentionnée et pourtant c’est le point fondamental.

L’implication la plus importante de l’élection de mardi est l’aliénation de plus en plus grande de la classe ouvrière par rapport l’ensemble de l’organisation politique. Et il y a de bonnes raisons à cela. D’énormes tensions sociales sont en train d’émerger aux Etats-Unis, et qui sont ancrées dans l’inégalité sociale qui prévaut à tous les niveaux et jamais vues depuis les années 1920. Et pourtant, ces tensions ne parviennent pas à trouver un moyen d'expression dans le cadre du processus électoral.

Lorsque les luttes de classe éclateront dans les mois à venir aux Etats-Unis, elles entreront de plus en plus souvent directement en conflit avec l’ensemble du système politique – y compris dans le réseau d’organisations libérales et pseudo-gauches dont la fonction principale est de faire respecter la domination politique du Parti démocrate. L’opposition prendra et devra prendre une autre forme : l’émergence d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière, fondé sur un programme socialiste.

(Article original paru le 8 novembre 2012)

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