Allemagne: L’industrie et le gouvernement planifient des guerres de ressources

Il y a un an, les principales entreprises industrielles allemandes ont lancé une Alliance pour la sécurisation des matières premières (Rohstoffallianz) en vue de sécuriser l’approvisionnement en matières premières sélectionnées pour le compte de ses actionnaires et de ses membres. Pour atteindre ce but, elle appelle à recourir aux moyens militaires.

Dans une interview accordée lundi 18 février à Reuters, le directeur de l’Alliance, Dierk Paskert, a réclamé «une politique stratégique en matière de commerce extérieur et de sécurité» afin de garantir aux entreprises allemandes l’approvisionnement en matières premières.

Alors même que cette politique devrait se laisser guider par «l’objectif consist[ant] à accéder à des marchés des matières premières libres et transparents,» dit Paskert, «il serait naïf de considérer que cela se fera dans un avenir proche.» L’évolution est «malheureusement allée exactement dans le sens inverse.» C’est pourquoi, Paskert conclut, «Nous [l’Allemagne], en coopération avec nos partenaires de l’UE et de l’OTAN, devons nous impliquer encore plus, avec nos partenaires de l’Union européenne et de l’OTAN, dans les questions relatives au commerce extérieur et à la sécurité.»

«L'implication dans les questions relatives à la sécurité» est un euphémisme pour des opérations militaires. Ceci est révélé par la référence faite à l’OTAN, une alliance militaire.

Paskert réclame des guerres de ressources.

En réponse à une question directe posée par le quotidien économique Handelsblatt – «Allons-nous assister à des guerres de ressources ?» – Paskert a répondu par l’affirmative en citant un précédent historique. «L’histoire montre,» a-t-il dit, «que de nombreux conflits ont eu pour origine dans la lutte pour les ressources… L’approvisionnement en matières premières est la base de la création de valeur et du bien-être d’un pays, et a donc une signification géopolitique.» Le Handelsblatt a publiquement déclaré quelle était la question centrale. Dans un long éditorial sur l’interview de Paskert, le journal écrit que l’industrie voudrait qu’il y ait «un plus grand engagement du gouvernement – et de l’armée – dans la sécurisation des matières premières.» L’éditorial a été publié sous le titre révélateur «Expédition matières premières : la nouvelle voie de l’Allemagne.»

Dans les cercles politiques, explique le Handelsblatt, cette exigence de l’industrie trouve une audience. Pour le gouvernement, «le contrôle des matières premières est une “question stratégique” pour la politique étrangère allemande.» L’on peut s’imaginer «que les partenariats sur les matières premières qui existent déjà ne suffisent pas. “Des instruments sécuritaires et militaires” sont aussi nécessaires.»

Selon le Handelsblatt, la chancelière envisage de nommer un coordinateur qui «ajustera mieux les intérêts des industries stratégiques à la technologie de la défense et de la sécurité, en contribuant à garantir l’approvisionnement en matières premières.» Les partenaires stratégiques de l’Allemagne, comme l’Arabie saoudite, devraient être soutenus en matière de technologie des armes avant que l’Allemagne en cas de crise ne soit obligée d’envoyer ses propres soldats. Et les forces armées devraient «être mieux préparées pour jouer leur nouveau rôle en tant que gardiens des intérêts stratégiques.» Le Handelsblatt cite les directives sur la politique de défense de 2011 disant que la «sécurité et l’accès aux ressources naturelles» sont l' «intérêt le plus important de la politique de sécurité et de défense.»

Cet objectif n’est pas tout à fait nouveau. Au milieu des années 1990, les directives de la politique de défense avaient défini les tâches principales de la Bundeswehr (les forces armées allemandes) comme étant le «maintien de la liberté de commerce dans le monde et l’accès aux matières premières stratégiques.» Cette approche a ouvert la voie à la transformation de l’armée allemande de force de défense du territoire en force d’intervention internationale.

Dans la propagande officielle, les missions de l’armée aux Balkans, en Afghanistan et ailleurs ont été justifiées par des raisons humanitaires ou comme faisant partie de la «guerre contre le terrorisme.» Mais le gouvernement et le patronat estiment maintenant qu'il est temps de mettre l’opinion publique au fait des objectifs réels de telles opérations.

Dans une interview accordée le 31 janvier au journal Süddeutsche Zeitung, le ministre allemand de la Défense, Thomas de Maizière, a déclaré, pour souligner la nécessité d’interventions militaires directes à l’avenir, qu’un nouveau type de justification devrait être trouvé. «Les opérations militaires internationales doivent être expliquées de manière réaliste,» a-t-il «et les justifications ne doivent pas sembler trop piteuses.»

Sous la direction de De Maizière, fils d’un général d’armée et chef d'État-major de longue date de la Bundeswehr, la transformation de la Bundeswehr progresse rapidement. Les moyens de reconnaissance et de transport ainsi que les troupes de déploiement rapide sont en train d’être élargis. De plus, la Bundeswehr veut acheter des drones armés et deux «joint support ships» (navires de soutien interarmées) qui, aux dires d’un haut gradé militaire, sont appropriés pour «faire preuve de volonté politique,» c’est-à-dire pour intimider adversaires et rivaux.

L’Allemagne est entre-temps en train de s'impliquer de façon toujours plus agressive dans des guerres impérialistes. Alors que Berlin affichait certaines réserves en 2003 en Irak et même en 2011 dans la guerre en Libye, elle soutient actuellement pleinement l’intervention française au Mali et les préparatifs de guerre contre la Syrie.

Le contexte de cette évolution est l’intensification de la lutte pour les matières premières, notamment avec la Chine. L’été dernier, le chef de l’Alliance, Paskert, déclarait au magazine américain BusinessWeek : «Si nous considérons que la Chine consomme 40 pour cent de presque tous les produits et que ses besoins continueront d’augmenter drastiquement, je commence à me sentir mal à l’aise à moyen terme. La Chine est un aspirateur géant qui n’existait quasiment pas, il n'y a pas si longtemps. Nous devrions maintenant sérieusement réfléchir à la sécurité de l’approvisionnement de l’industrie allemande.»

L’appel lancé par le patronat allemand en faveur d’une guerre de ressources rappelle les chapitres les plus sombres de l’histoire allemande. Les objectifs de guerre allemands dans la Première Guerre mondiale – des annexions extensives en France, dans les pays du Benelux et en Afrique – étaient fondés sur les besoins et les projets d’«éminents esprits du monde des affaires, de la politique et de l’armée,» comme l’écrivait en 1961 l’historien Fritz Fischer dans son livre innovant Les buts de guerre de l’Allemagne impériale.

Les mêmes cercles d’affaires avaient alors soutenu Hitler parce que ses projets pour la conquête du monde et la demande de «Lebensraum» (espace vital) à l’Est correspondaient à leur poussée expansionniste à la recherche de matières premières et de marchés et parce qu’il avait détruit l’organisation du mouvement ouvrier.

De nos jours, de nombreuses entreprises, ou leurs successeurs, qui avaient soutenu la Première et la Deuxième Guerre mondiale figurent parmi les partisans et les membres de l’Alliance. Ceux-ci comprennent, les sociétés chimiques et pharmaceutiques BASF et Bayer, qui sont issus du tristement célèbre cartel IG Farben ; le géant de l’acier ThyssenKrupp, né de la fusion de Thyssen et Krupp, qui tous deux faisaient partie des premiers partisans des nazis ; le groupe Volkswagen qui avait été fondé sur initiative de Hitler ; et le constructeur automobile BMW dont le principal actionnaire, la famille Quandt, doit une grande partie de ses actifs à la politique d’arianisation et de travaux forcés pratiquée par les nazis ainsi qu’aux crimes nazis.

Comme l’indique son site Internet, l’Alliance a été fondée fin de 2010 par le «président de la fédération allemande de l’industrie (BDI), le Prof. Dr Hans-Peter Keitel, dans le but d’examiner l’évolution des marchés de matières premières et des réponses éventuelles à donner par l’industrie.» Son haut responsable, Dierk Paskert, est un cadre supérieur qui siégeait précédemment au directoire d’E.ON Energie AG, l’un des plus grands producteurs d’énergie en Allemagne.

L’Alliance entretient de très étroites relations avec le gouvernement allemand. Elle gère, au nom du ministre allemand de l’Économie, Philipp Rösler, un programme d’aide qui accorde des prêts conditionnellement remboursables à des entreprises pour la conquête de nouveaux marchés cruciaux de matières premières comme l’antimoine, le béryllium, le cobalt, la fluorine, le gallium, le germanium, le graphite, l’indium, le magnésium, le niobium, les métaux du groupe du platine, les terres rares, le tantale et le tungstène.

Le fait que l’industrie allemande ose une fois de plus appeler ouvertement à une guerre impérialiste pour satisfaire ses besoins en matières premières doit être considéré comme un avertissement par les travailleurs en Allemagne et aux quatre coins du monde. C’est l'expression évidente de l’accroissement des conflits économiques et géopolitiques mondiaux qui conduisent inexorablement à une guerre mondiale – à moins que les impérialistes ne soient désarmés par la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière.

(Article original paru le 20 février 2013)

Loading