Chine: suicide et grève chez Foxconn

Des conflits sociaux ont éclaté chez Foxconn, le plus grand sous-traitant électronique du monde. C’est le signe très net que la classe ouvrière en Chine est actuellement en proie à d’énormes pressions économiques.

Jeudi dernier, un site internet dissident en langue chinoise, China Jasmine Revolution, a rapporté que plusieurs milliers de travailleurs de l’usine Foxconn de Foshan, dans la province du Guangdong située dans le Sud de la Chine, ont entamé une grève contre un plan de licenciement secret. Foxconn est en train de transférer le site à Yangtai, dans la province de Shandong à l’Est de la Chine, où les salaires sont plus bas.

L’usine Pulihua Technology de Foshan était, à l’origine, une opération taïwanaise créée en 1990. Foxconn, autre entreprise taïwanaise, avait pris le relais en 2006, devenant l’un des plus vastes fabricants d'appareils photo et de projecteurs numériques pour des marques mondiales telles Konica, Minolta et Nikon. Avec 20.000 travailleurs employés dans cette usine, l’on estime qu’une caméra numérique sur sept ou huit s au monde y est fabriquée.

China Jasmine Revolution relate qu’en raison du marasme économique mondial, les commandes de l’usine étaient en train de baisser, forçant Foxconn à licencier les travailleurs en groupes, à commencer par un premier lot de 5.000. Les travailleurs ont menacé de poursuivre la grève jusqu’à ce que l’entreprise présente l’ensemble de son projet de délocalisation. La police a été déployée pour affronter les grévistes. (Voir photo)

Un autre conflit a eu lieu au sujet de suppressions d’emplois à l’usine du géant Foxconn de Longhua, dans le centre manufacturier de la ville de Shenzhen, située elle aussi dans la province de Guangdong. Le site Internet AppleInsider a relaté vendredi dernier, en citant des comptes rendus sur le service de microblogging Weibo de la Chine, qu’un travailleur avait tenté de se suicider en sautant du toit de l’usine mais qu’il avait survécu. Plus tard, trois autres travailleurs ont grimpé sur le toit et ont menacé de sauter.

Foxconn a publié un communiqué de presse disant: « Nous confirmons que le 29 mars, trois employés de notre site à Longhua, Shenzhen ont été impliqués dans un conflit social concernant la décision de l’entreprise de leur donner la possibilité d’être relocalisé sur un autre site de Foxconn Chine dans le cadre d’une réorientation de la production liée à leur secteur d’activité. »

China National Radio a rapporté vendredi dernier que les commandes de l’usine Foxconn étaient en train de baisser. L’entreprise géante oblige les travailleurs à démissionner en « provoquant le mécontentement ». L’article poursuit en disant que sur un autre site Guanlang à Shenzhen, des travailleurs ont été contraints, à tour de rôle, à prendre de longues périodes de congé de façon à les encourager à démissionner. Ceux qui ont opté pour le licenciement se sont vus offrir 600 yuans (96 dollars US) de « compensation. »

En février, après les vacances du Nouvel An chinois, Foxconn n’a pas suivi sa pratique habituelle de recruter plus de travailleurs car il n’y avait pas de travail supplémentaire pour l’effectif existant. Sans paiement d’heures supplémentaires, le salaire versé aux travailleurs qualifiés est inférieur à 2.000 yuan par mois. Après déduction des frais de logement, de repas et de retraite, « il ne reste pas grand-chose pour les travailleurs, c’est dur pour les travailleurs de rester, même s’ils le veulent, » a déclaré China National Radio.

Depuis 2010, Foxconn a été secoué par le suicide de 14 employés, principalement à Shenzhen, en raison des conditions difficiles d’atelier de misère et de gestion de type militaire. Sous la pression de sa clientèle de grandes entreprises occidentales, telles Apple, le président milliardaire de Foxconn, Terry Gou, a promis d’accorder aux travailleurs des augmentations de salaire et autres concessions mineures.

Mais dans le même temps, l’entreprise a initié un massif projet de délocalisation des installations de production vers des provinces intérieures chinoises et d’autres pays asiatiques où les salaires sont encore plus bas. Les bénéfices de Foxconn ont bondi de 16 pour cent en 2012 pour atteindre 3,2 milliards de dollars, le plus haut niveau depuis 1995.

Les entreprises chinoises sont confrontées à une plus grande compétitivité de la part des économies industrialisées avancées. Selon la firme de conseil Hackett Group sise à Miami, l’écart entre les coûts de fabrication aux Etats-Unis et ceux en Chine s'est réduit presque de moitié ces huit dernières années et va probablement chuter à tout juste 16 pour cent cette année. Après la crise financière de 2008, des réductions de salaire énormes ont été imposées aux travailleurs américains.

D’autres sociétés d’exportation en Chine sont également touchées par la récession économique mondiale, entraînant des protestations et des grèves.

Un millier de travailleurs de l’usine Seconde division de Liangneng Technologie à Shenzhen, appartenant au groupe taïwanais Unimicron, a débrayé la semaine passée au sujet de projets de les réaffecter sur d’autres sites sans compensation et sans paiement des heures supplémentaires. Le 1er avril, des centaines de travailleurs ont manifesté pour appuyer leurs revendications, ce qui a conduit les autorités locales à déployer un grand nombre de policiers. (Voir photo)

Dans des commentaires faits sur Internet, des ouvriers en grève ont expliqué qu’ils avaient été enfermés à l’intérieur de l’usine sous la surveillance de responsables gouvernementaux et de la police. Jusqu’à l’arrivée de journalistes, la direction avait refusé de fournir de la nourriture aux centaines de grévistes. Un autre travailleur a écrit qu’ils travaillaient 12 heures par jour, plus 2 heures et demi d’heures supplémentaires, avec seulement un quart d’heure pour déjeuner.

La construction navale a aussi été touchée. Jeudi et vendredi derniers, 2.000 travailleurs du chantier naval sud-coréen STX shipyard de Dalian en Chine orientale se sont mis en grève. Ils se sont rassemblés devant le bâtiment du gouvernement dans la zone de Technologie Changxingdao pour protester contre le non-paiement des salaires et ont demandé que soit interdit le transfert des biens de l’entreprise. Un grand nombre de policiers a été déployé pour garder le bâtiment. (Voir photo)

Les activités chinoises de STX, qui n’a été mis en place qu’en 2008 dans le cadre de l’expansion agressive mondiale de STX, compte actuellement 30.000 travailleurs. Mais la crise financière mondiale a endetté l’entreprise en raison de la chute rapide des commandes de navires. Les travailleurs ont mis en ligne des informations « d’initiés » disant que STX n’était pas en mesure de rembourser aux grandes banques chinoises des dettes s’élevant à 5,89 milliards de yuan (950 millions de dollars) et venues à échéance le 21 mars. La dette totale de STX est évaluée à 200 pour cent de ses actifs.

L'agitation sociale actuelle dans les entreprises d’exportation montre que le ralentissement de la croissance économique chinoise est en train d’intensifier de graves tensions sociales qui ne manqueront pas de s’aggraver dans les semaines et les mois à venir.

(Article original paru le 4 avril 2013)

Loading