Une étude sur la santé : l’austérité coûte des vies humaines en Europe

De vastes sections de la population européenne payent de leur santé, si ce n’est de leur vie, les mesures d’austérité dictées par l’Union Européenne (UE). C’est la conclusion d’une récente étude publiée par la revue médicale britannique The Lancet. Les populations les plus mal loties sont celles de Grèce, d'Espagne et du Portugal où l’UE a imposé des coupes sociales massives.

De nombreux rapports de Grèce et d’Espagne décrivent le désespoir et la misère de la population suite à la crise : les enfants s’évanouissent de faim à l’école ; les parents, poussés par la pauvreté et le désespoir, sont obligés d’envoyer leurs enfants dans des foyers d’accueil ; les retraités font les poubelles en quête de nourriture ; les personnes gravement malades qui ont perdu leur assurance-maladie au bout d’un an de chômage vont à l’hôpital trop tard – et sont condamnés à mourir.

Un récent article du journal allemand Süddeutsche Zeitung décrit aussi la situation catastrophique qui existe en Grèce. Vu que les services d’urgence des hôpitaux ne sont ouverts que quatre jours par semaine, les patients doivent faire de longs trajets et subir de longues files d’attente. « Quiconque ressent subitement une douleur ou a une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral doit s’informer pour savoir quel service d’urgence est ouvert. » Les patients doivent apporter leurs propres médicaments, ciseaux et tampons qui sont en rupture de stock dans les hôpitaux.

Les patients sont généralement soignés par les membres de leur famille. Une infirmière gagne 1.000 euros pour une semaine de 60 heures. Un médecin-chef aurait déclaré, « En ce moment, en Grèce, le chômage est synonyme de mort. » Le taux de chômage en Grèce est officiellement de 26 pour cent et de 60 pour cent pour les jeunes de moins de 24 ans.

Dans l’étude publiée par The Lancet, le professeur de Santé publique, Martin McKee, a, en collaboration avec Marina Karanikolos de l’Observatoire européen des politiques et systèmes de Santé et Johan Mackenbach de l’université de Rotterdam, systématiquement analysé les effets de la crise à partir d’études et de statistiques nationales.

Ils ont trouvé que les maladies infectieuses comme la malaria, la fièvre à virus West Nile et la dengue, les infections par VIH parmi les toxicomanes, la dépression et le suicide ont considérablement augmenté.

Alors que le nombre de suicides de personnes de moins de 65 ans baissait régulièrement en Europe jusqu’en 2007, soit avant la crise financière, il a fortement augmenté par la suite. Cette augmentation correspond à l’augmentation du chômage et de la pauvreté. En Angleterre, l’étude constate que la hausse « significative » du taux de suicide entre 2008 et 2010 est liée directement à la hausse du chômage et a entraîné 1.000 décès supplémentaires.

Le ministère grec de la Santé a indiqué une augmentation de 40 pour cent du taux de suicide entre janvier et mai 2011 par rapport à l’année précédente.

Les maladies mentales se sont substantiellement accrues en Espagne de 2006 à 2010, y compris l’angoisse, les troubles psychosomatiques et la dépression. Ces maladies ont enregistré une augmentation considérable. Au moins la moitié des maladies mentales est due au chômage soudain et à la difficulté que ceci entraîne pour le paiement des hypothèques et des loyers.

Au Portugal, le bilan des victimes de plus 75 ans de l’hiver 2012 a augmenté de 10 pour cent par rapport à l’année précédente. Plus de 40 pour cent des retraités vivant seuls ne sont pas en mesure de chauffer correctement leur logement en raison des coupes sociales.

L’étude de The Lancet en attribue clairement la responsabilité aux mesures d’austérité exigées par la « troïka », réunissant l’Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire International (FMI), en échange de « plans de sauvetage financier » pour les pays de l’Europe méridionale.

La troïka a par exemple exigé que la Grèce ne dépense pas plus de 6 pour cent du produit intérieur brut en soins de santé, « créant un précédent pour l’Union européenne dans la prise de contrôle des systèmes nationaux de santé dans certains pays. » Depuis que les cinq plans d’austérité ont poussé le pays plus profondément dans la récession, le produit intérieur brut n’a cessé de chuter, réduisant aussi les dépenses de santé. En 2009, les dépenses de santé s’élevaient à 14 milliards d’euros ; l’année dernière, cependant, elles n’étaient évaluées qu’à 9,5 milliards d’euros.

Au Portugal, la troïka exige des coupes de 670 millions d’euros rien que pour la santé.

En Espagne, au Portugal et en Grèce, de nombreux établissements de santé ont été fermés, des lits d’hôpitaux supprimés et le ticket modérateur à la charge des patients pour les médicaments à été augmenté ces dernières années. Au Portugal, par exemple, la part assumée par le patient pour les médicaments a plus que doublée.

En avril 2012, en Espagne, une nouvelle loi a été mise en vigueur par un décret royal – court-circuitant le parlement – et qui rend maintenant le système « universel » de soins de santé précédent tributaire d’un emploi. La conséquence est que des centaines de milliers d’immigrés sans papiers n'ont quasiment pas accès aux soins de santé.

C’est parce que les fonds pour la prévention ont été drastiquement réduits qu’il y a eu depuis 2011 une augmentation significative des infections par le VIH parmi les toxicomanes en Grèce. Entre 2007 et 2010, il y a eu entre 10 et 15 personnes infectées par le virus ; en 2011, toutefois, ce chiffre est passé à 256 et, durant les huit premiers mois de l’année 2012, à 314 personnes nouvellement infectées. La raison en est qu’à cause des coupes, les seringues ne sont plus distribuées aux toxicomanes. Pour ceux qui sont affectés par ces coupes, c’est une sentence de mort.

McKee, l’un des auteurs de l’étude, a souligné que les dirigeants politiques européens ont jusque-là obstinément nié ces effets. Il a comparé l’attitude de la Commission européenne et des gouvernements individuels de l’UE à la tactique de dissimulation utilisée par l’industrie du tabac. « Les voix de la santé publique ont été largement absentes des débats sur la manière de réagir. De nombreux ministères de la santé sont restés silencieux. La Direction générale de la Santé et des Consommateurs de la Commission européenne, malgré son obligation légale d’évaluer les effets de la politique de l’UE sur la santé n’a pas examiné les effets de la politique d’austérité de la troïka et s’est plutôt limitée à conseiller aux ministères de la Santé comment réduire leurs budgets. »

Les chercheurs, dirigés par McKee, rendent la troïka à juste titre responsable de l’austérité européenne. Ils ne citent aucun nom. Cependant, au sein de la troïka – et particulièrement dans l’UE et la BCE – c’est le gouvernement allemand, conduit par la chancelière Angela Merkel et le ministre des Finances Wolfgang Schäuble (tous deux membre de l’Union démocrate chrétienne, CDU) qui est la force motrice.

Aujourd’hui, sept décennies après que les chars allemands ont semé la destruction partout en Europe, un gouvernement allemand apporte la souffrance et la misère sur tout le continent à une échelle jamais vue hormis par temps de guerre et ceci au nom de la « stabilité » et du « sauvetage de l’Union européenne ». Les mesures d’austérité imposées par Merkel et Schäuble, et qu’ils saluent comme un succès, signifient pauvreté, misère, désespoir et mort pour des milliers de personnes. Selon cette étude, ce sont en particulier les enfants qui en sont les principales victimes.

Mais, le gouvernement Merkel n’est en mesure d’imposer aussi implacablement sa politique réactionnaire que parce que tous les partis de l’establishment la soutiennent ouvertement ou tacitement. Qu’ils soient conservateurs ou sociaux-démocrates, tous les gouvernements européens sont d’accord pour que la population européenne paie les milliards d’euros qui ont été mis à la disposition des banques. Les partis d’opposition pseudo-gauches, comme le parti La Gauche (Die Linke) en Allemagne, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en France et SYRIZA en Grèce, défendent l’UE et fournissent une couverture pour cette contre-révolution sociale.

(Article original paru le 6 avril 2013)

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