Allemagne: chez Opel à Bochum, le dirigeant du conseil d’entreprise Einenkel mène une guerre d’usure contre les salariés

Le dirigeant du conseil d’entreprise d’Opel à Bochum, Rainer Einenkel, du syndicat de la métallurgie IG Metall, est un véritable maître dans l’art de tenir les salariés de l’usine tranquilles en leur faisant entrevoir des négociations, des accords ou des concessions de la direction.

Lors d’un «meeting d’information» qu’il a tenu le 21 mai devant les portes de l’usine, Einenkel s’est plaint pour la énième fois du comportement de la direction. Il a exigé «des renseignements clairs» sur ses plans. On voulait savoir pourquoi la production du modèle Zafira allait être transférée à l’usine de Rüsselsheim, près de Francfort-sur-le-Main, dit-il. En outre, on n’avait pas encore l’approbation définitive des primes de licenciements ni des emplois de remplacement pour les salariés. «Nous voulons enfin la clarté sur la politique menée par l’entreprise», dit-il.

Les salariés de l’usine de Bochum réagissent de plus en plus aux prises de parole d’Einenkel par un mélange de colère et d’indifférence. Seuls quelques centaines d’entre eux s’étaient rassemblés vers midi devant l’usine. De nombreux ouvriers de l’équipe du matin sont rentrés chez eux, ignorant totalement Einenkel et son meeting. Les ouvriers de l’équipe d’après-midi ont rejoint tout de suite leur poste de travail, montrant tout aussi peu d’intérêt.

Le directeur de l’usine, Manfred Gellrich ne réagit pas à l’injonction d’Einenkel de sortir et de venir se justifier. Au lieu de cela, ce sont Einenkel et d’autres membres du comité d’entreprise qui se sont entretenus avec des représentants de la direction à l’intérieur du bâtiment. Celle-ci serait prête à «répondre à toutes les questions», mais elle ne voulait pas discuter les questions soulevées par le conseil d’entreprise devant les portes de l’usine, en public, par égard aux négociations en cours devant la commission d’arbitrage.

Le conseil d’entreprise négocie depuis fin mars avec la direction de l’entreprise, devant la commission d’arbitrage, la suppression de 1200 des quelque 3300 emplois de l’usine de Bochum et qui doivent disparaître cette année encore. Ce qui est négocié là n’est pas un maintien des emplois, mais uniquement la fermeture progressive de l’usine, le contenu du plan social et la hauteur des indemnités de licenciement.

Le dirigeant de la commission d’arbitrage est Martin Bertzbach, un juriste du droit du travail qui fut jusqu’en 2009 président du Conseil régional de prud’hommes de Brème. «C’est nous qui l’avons proposé», a dit Einenkel.

Les salariés sont restés rassemblés environ quatre heures devant l’usine, puis ils sont soit rentrés chez eux, soit ils se sont rendus à leur travail. Comme tous ces meetings d’information, celui-ci n’a mené à rien. Car le dirigeant du conseil d’entreprise demande à la direction d’Opel quelque chose qu’il refuse lui-même aux salariés: franchise, transparence, honnêteté, bref la vérité sur les plans exacts et les négociations qu’il mène, lui et l’IG Metall et la direction du trust.

Einenkel se plaint de ce que l’IG Metall mène une «campagne de diffamation» contre lui, mais il fait bien partie de la conspiration formée par le syndicat, les membres du conseil d’entreprise, les partis politiques et le trust General Motors, le propriétaire d’Opel. Son action des derniers mois est un scénario préarrangé dans le but d’user les salariés de l’usine de Bochum et de leur faire plier l’échine.

Mardi 21 mai, le jour même du meeting, Alexandre Bazio, un porte-parole d’Opel Bochum, annonçait que le centre de Logistique qui organise la distribution de pièces détachées et emploie 430 personnes resterait ouvert jusqu’en 2016 pour remplir un contrat avec Neovia Logistics Services. Une idée de la colère existant parmi les ouvriers de l’usine motive sans aucun doute en partie les calculs de la direction.

Fin mars, les salariés de Bochum avaient rejeté le «contrat maître» que l’IG Metall avait élaboré avec Opel et qui signifiait la fermeture de l’usine à la fin de 2016. Le directoire d’Opel avait très peu de temps après annoncé qu’on arrêterait la production du modèle Zafira à Bochum dès 2014.

Suite à cela, le président du syndicat américain de l’automobile UAW (United Auto Workers), Bob King, qui siège au conseil de surveillance d’Opel en tant que représentant des salariés, proposa un nouveau vote de l’accord. De cette façon, les salariés devaient être amenés à approuver, malgré tout, la fermeture de l’usine.

L’IG Metall et ses proches de l’usine de Bochum, parmi lesquels figure le membre du conseil d’entreprise Horst Roch qui, comme Einenkel, siège au conseil général d’entreprise d’Opel, ont soutenu cette initiative. Ils ont lancé dans la presse que de nombreux salariés avaient exigé un nouveau vote de l’accord. Le dirigeant régional de l’IG Metall de Rhénanie Westphalie du Nord, Knut Giesler, affirma que «de nombreux syndiqués travaillant chez Opel, et qui entre temps interprètent différemment le résultat des négociations, se sont adressés à [son] syndicat».

Boris Karthaus, responsable, à l’IG Metall de Düsseldorf, des tâches particulières en matière de politique tarifaire, et le dirigeant du conseil général d’entreprise, Wolfgang Schäfer-Klug ont fait distribuer des courriels et des tracts à l’usine de Bochum dans lesquels ils prétendaient que les salariés de l’usine n’avaient pas été informés par Einenkel des conséquences d’un rejet de l’«accord maitre» et des offres faites par Opel.

Dans l’intervalle, le quotidien Ruhrnachrichten a reçu une mise au point dans laquelle le trust Opel s’exprime sur les offres que, selon Schäfer-Klug et Karthaus, il aurait soi-disant faites. «Le contenu ne correspond pas à la dernière offre soumise au vote sur l’accord salarial», explique le chef du personnel d’Opel Ralph Wangemann.

Après que l’IG Metall n’a pas réussi à intimider les salariés de Bochum et à les faire voter une nouvelle fois, Opel a fait connaître, la semaine précédant le meeting, que le modèle Zafira sortirait des chaînes de l’usine de Rüsselsheim à partir de 2015. Schäfer-Klug y est chef du conseil d’entreprise. Dans un tract, Einenkel a appelé cela «une incroyable provocation».

Dans son bulletin d’information actuel, Einenkel rappelle que le conseil de surveillance d’Opel avait déjà révisé, le 17 avril 2013, sa décision de produire le modèle Zafira à Bochum jusqu’en 2016. Mais Einenkel avait, à l’époque, réagit comme toujours, en disant après la réunion du conseil de surveillance, «je vais faire vérifier, dans quelle mesure la décision est légale». Il se fiait toujours à la «raison économique» et espérait que la décision de fermeture de l’usine de Bochum à la fin de 2014, «n’entrerait pas dans les faits» avait-il dit.

Avec sa tactique dilatoire, ses appels à faire confiance à des négociations et à éviter une lutte à tout prix, Einenkel mène l’usure des salariés. Voilà presque neuf ans qu’il dirige le conseil d’entreprise d’Opel à Bochum. Il en a été élu président après que l’IG Metall eut étranglé une grève d’une semaine menée par les salariés de Bochum en octobre 2004. Depuis, presque 7000 des 10.000 emplois ont été supprimés, sans qu’il y ait eu une résistance digne de ce nom.

Einenkel est un exemple parfait de la transformation des syndicats au cours des dernières décennies. Ils ont toujours défendu l’existence du capitalisme, mais durant la période d’essor économique, après la guerre, ils pouvaient encore combiner cette défense avec des améliorations sociales. Aujourd’hui, face à la mondialisation et à la crise mondiale du capitalisme, ils défendent, comme des partenaires, les intérêts des trusts contre la concurrence, et contre leurs propres salariés.

Les travailleurs de l’usine Opel de Bochum doivent prendre en mains propres la lutte contre la fermeture de l’usine. La défense des emplois ne doit pas être subordonnée aux profits des trusts. Le droit à un emploi bien rémunéré est un droit fondamental et inaliénable. Il est supérieur aux intérêts privés et aux profits d’Opel.

(Article original publié le 24 mai 2013)

 

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