Le PQ nomme un milliardaire de droite à la tête d'Hydro-Québec

Cette semaine verra l’entrée en fonction de Pierre-Karl Péladeau à la tête d’Hydro-Québec. En confiant la direction de la plus grande société d’État du Québec à un milliardaire qui incarne la droite dure avec ses demandes incessantes pour plus de privatisations, moins de services publics et moins de taxes sur les riches, le gouvernement péquiste de Pauline Marois a franchi une nouvelle étape dans la mise en place du programme d’austérité de la classe dirigeante. 

Péladeau est le dirigeant principal et actionnaire majoritaire de Québecor, un géant des médias et des communications qui détient 40% du tirage des quotidiens du Québec avec le Journal de Montréal et le Journal de Québec, 25% du marché télévisuel francophone avec TVA, et la première entreprise de câblo-distribution de la province avec Vidétotron. Ailleurs au Canada, une filiale de Québecor détient le tabloïd Toronto Sun et la chaîne câblée Sun News, tous deux ardents promoteurs du populisme de droite, au même titre que les journaux québécois de l’entreprise mère.

C’est à la tête de cet empire médiatique que Péladeau a émergé comme le porte-parole des sections les plus féroces de l’élite dirigeante qui exigent un assaut tous azimuts et immédiat sur tous les acquis sociaux des travailleurs.

Péladeau se plaint fréquemment que les syndicats ont trop de pouvoir au Québec. En réalité, au cours des trois dernières décennies, les syndicats ont étouffé la lutte de classe en imposant les suppressions d’emplois et les réductions salariales. Ils se sont intégrés à l’entreprise et au gouvernement par une série de comités tripartites et sont devenus des actionnaires importants au sein de nombreuses compagnies par le biais de fonds mutuels syndicaux tels que le Fonds de solidarité de la FTQ (Fédération des travailleurs du Québec) et Fondaction de la CSN (Confédération des syndicats nationaux).

Lorsque Péladeau s’insurge contre les syndicats, sa véritable cible, ce sont les droits gagnés par les travailleurs dans les luttes militantes des années 1960 et 1970.

Son Journal de Montréal s’est fait un ardent promoteur des lucides, un groupe de journalistes, universitaires et ex-politiciens libéraux et péquistes mené par l’ancien premier ministre péquiste Lucien Bouchard, qui milite depuis 2005 pour que le gouvernement du Québec procède rapidement au démantèlement des programmes sociaux et à une réduction massive des taxes sur la grande entreprise et les riches.

Le Journal de Montréal a multiplié les reportages sensationnalistes sous le thème «le Québec dans le rouge» afin de justifier des compressions budgétaires massives. Il a aussi alimenté le chauvinisme anti-immigrants en dénonçant les «accommodements raisonnables» et l'abandon de «notre» culture catholique québécoise. Ce thème a été repris par Pauline Marois dans le cadre d'un virage identitaire qui comprenait le dépôt en 2007 d'un projet de loi de «citoyenneté québécoise» visant à restreindre les droits politiques des citoyens canadiens nés hors Québec s'ils ne démontrent pas une «connaissance appropriée de la langue française».

Dans une annonce surprise qui n'était précédée d'aucun débat public, la première ministre Pauline Marois a confié les rênes de Hydro-Québec à Péladeau pour qu’il supervise personnellement l’application d'un virage marqué vers la droite au sein de la plus importante société publique de la province.

Avec ses 61 centrales hydroélectriques, Hydro-Québec constitue le plus grand producteur mondial d'hydroélectricité. En 2012, son chiffre d’affaires a dépassé les 12 milliards de dollars, avec un profit accumulé de 860 millions dont la plus grande partie est reversée au gouvernement. L’ensemble de sa contribution au budget gouvernemental — sous forme de dividendes, d’impôt et taxes de toutes sortes, ou de subventions cachées aux alumineries en bas tarifs d’électricité — s’élève à plusieurs milliards de dollars par année.

Pour la grande entreprise, cela représente une véritable manne qui devrait servir uniquement à faire gonfler la colonne des profits. Dans son budget de novembre dernier, le PQ a déjà pris un pas important dans cette direction en augmentant les tarifs d’électricité pour les particuliers et en abolissant 2000 emplois à Hydro, ou 10 pour cent du total.

Ayant demandé et obtenu du gouvernement Marois la direction d’Hydro-Québec, Péladeau va exploiter ce poste stratégique pour passer des milliers d’emplois additionnels sous le couperet, refiler une facture d’électricité encore plus salée aux travailleurs, et préparer la privatisation de l’une des principales locomotives de l’économie québécoise.

Péladeau a accumulé à la tête de Québecor une longue expérience dans la destruction des emplois. En 14 ans, il a été à l’origine de 14 lockouts visant à imposer une baisse drastique des conditions de travail. Le lockout au Journal de Montréal, par exemple, a duré plus de deux ans entre 2009 et 2011 et s’est soldé par l’élimination des trois quarts des 250 emplois.

«Pierre Karl Péladeau va aller brasser la cage, on en a besoin chez Hydro-Québec», a déclaré le chef de la très-à-droite Coalition Avenir Québec (CAQ), François Legault, tout en ajoutant: «Nous, on avait dit qu’il y avait 4 000 emplois de trop».

QMI, l’agence de presse du groupe Québecor Média, a cité un certain Claude Garcia, ancien cadre dirigeant de la Standard Life : «Une autre priorité, c'est de continuer à augmenter la productivité d'Hydro-Québec. On a supprimé depuis trois ans 2500 postes, mais il y a encore 7500 postes de trop environ».

C’est le même Garcia qui appelait en été 2007 à la privatisation d’Hydro-Québec lors d’une conférence prononcée en présence de Péladeau et organisée par l’Institut économique de Montréal (IEDM), une «fabrique d’idées» qui prône le tout-marché et dont plusieurs membres ont été recrutés comme chroniqueurs du Journal de Montréal.

«L'amélioration de la situation financière du Québec passe par des tarifs plus élevés», a soutenu Garcia à cette occasion. Il a donné l'exemple de l’Alberta, une province qui «a laissé l'exploitation de ses richesses naturelles au secteur privé et paie son pétrole au prix du marché».

Ce qui est réellement en jeu a été révélé par le co-conférencier, Marcel Boyer, alors vice-président et économiste en chef de l'IEDM. «L’hydroélectricité présente une valeur phénoménale qui a énormément augmenté à la suite de la déréglementation des marchés et dont on n'a pas tiré tous les bénéfices possibles», a-t-il fait valoir.

Nul doute que les nombreux gens d’affaires présents – Péladeau en tête – salivaient abondamment à l’idée de pouvoir un jour mettre la main sur un joyau comme Hydro-Québec.

Ce jour est maintenant arrivé. Et comme maintes fois dans le passé — par exemple avec les compressions budgétaires massives de Lucien Bouchard en 1996 au nom du «déficit zéro» — c’est un gouvernement du Parti québécois qui préside à une nouvelle étape dans le programme de réaction sociale de l’élite dirigeante.

Il existe des liens de longue date entre Pierre-Karl Péladeau et les milieux nationalistes de la classe dirigeante québécoise. L'ancien premier ministre conservateur du Canada, Brian Mulroney, siège sur le conseil d'administration de Québecor. Et Péladeau entretient une relation privilégiée avec le parti de la grande entreprise qu’est le PQ.

En 2001, un gouvernement péquiste dirigé par Bernard Landry était intervenu pour que la Caisse de Dépôt et Placement du Québec refile à Péladeau trois milliards de dollars d’argent des contribuables pour financer son acquisition de Vidéotron. Il y a deux ans, l’actuelle chef du PQ et première ministre du Québec, Pauline Marois, avait causé une révolte au sein de son caucus et perdu quatre députés en pilotant le projet de loi 204 – une loi antidémocratique visant à interdire toute poursuite sur une entente survenue entre la Ville de Québec et Quebecor Media concernant la gestion d'un futur amphithéâtre destinée à accueillir une nouvelle franchise de la Ligue nationale de hockey.

La nature du PQ en tant que fidèle défenseur de la classe capitaliste dirigeante a été mise en évidence lors d’une récente apparition de Pauline Marois en marge de l’assemblée générale annuelle du Conseil du patronat du Québec qui se tenait à Montréal.

«Je vous le redis aujourd’hui : le gouvernement va équilibrer les finances», a assuré la première ministre péquiste. «Pendant la dernière campagne, on a entendu des gens répéter tous les jours que le Parti québécois était l’otage des groupes de pression et que je n’aurais pas le courage de contrôler les dépenses. Or, c’est exactement ce que je fais», s’est vanté la chef du gouvernement.

Évoquant la nomination de Péladeau à la tête d’Hydro-Québec, Marois a invité d’autres «entrepreneurs» et «dirigeants d’entreprise» à lui emboîter le pas et à «servir le Québec, d’une façon ou d’une autre, en mettant leur expérience et leur expertise au service de l’État». Et son mot de la fin: «N’hésitez pas».

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