Canada : Il est de plus en plus évident que les conservateurs ont illégalement empêché des électeurs de voter en 2011

Des avocats qui représentent un groupe d’électeurs et le Conseil des Canadiens (un organisme libéral et nationaliste) ont annoncé qu’ils n’allaient pas porter en appel un jugement rendu le 23 mai par la Cour fédérale qui a fait respecter les résultats de l’élection fédérale de 2011 dans six circonscriptions, même s’il a été démontré qu’il y avait eu fraude électorale.

Les plaignants avaient demandé au tribunal d’invalider les victoires serrées du Parti conservateur dans six circonscriptions après que l’on a découvert qu’une campagne nationale visant à empêcher des électeurs de voter avait été entreprise à l’aide de la base de données du Parti conservateur. Le juge Richard Mosley a établi qu’il y avait bel et bien eu activité électorale illégale, mais qu’il n’avait pas été prouvé hors de tout doute que des candidats ou des agents du Parti conservateur étaient impliqués, ni que cette campagne de fraude avait été suffisamment efficace pour changer le résultat des élections.

Dans ce «scandale des appels robotisés», on avait présumé – et cela a été prouvé par la suite – que des milliers d’appels téléphoniques avaient été faits pour joindre des électeurs qui avaient dit appuyer des candidats autres que conservateurs. Ces appels, certains enregistrés et d’autres en personne, étaient faussement présentés comme l’initiative d’un organisme officiel de supervision du processus électoral. Des électeurs ont été redirigés vers de mauvais bureaux de vote où ils n’étaient pas inscrits ou en des endroits où il n’y avait même pas de bureau de vote. Mosley a établi que la source des renseignements utilisés pour faire ces appels était la base de données «Constituency Information Management System» (CIMS), administrée par le Parti conservateur fédéral.

Des preuves ont été présentées en cour démontrant que des électeurs dans 247 sur 308 circonscriptions fédérales ont reçu ces appels frauduleux. Dans une circonscription en particulier – Guelph en Ontario – au moins 7600 de ces appels automatisés ont été effectués. Les résultats d’un sondage Ekos-Reid mené après l’élection indiquaient que «des actions importantes avaient été posées pour empêcher des électeurs autres que conservateurs de voter» et que ces actions, contrairement aux conclusions du juge Mosley, ont pu avoir un impact sur les résultats électoraux dans plusieurs circonscriptions.

La personne – ou les personnes – qui a mis en place le système d’appels automatisés dans certains centres d’appels du Parti conservateur a tout fait pour garder l’anonymat. Des cartes et des cellulaires prépayés ont été utilisés et un pseudonyme (anti-Québécois) a été choisi pour identifier le compte : Pierre Poutine de la rue Séparatiste à Joliette, Québec.

L’adresse IP qui a été activée pour effectuer les appels à un centre d’appels fut utilisée peu de temps après par un responsable du Parti conservateur pour faire cette fois-ci un appel légal dans le cadre de la campagne. Ainsi, on soupçonnait que ce fût la même personne dans les deux cas. On établit que l’adresse IP était associée à un ordinateur du bureau de campagne du candidat conservateur Marty Burke, de la circonscription de Guelph. L’ordinateur en question avait précédemment téléchargé des données de la CIMS, soit le jour de la création du compte de Pierre Poutine.

Il a aussi été rapporté qu’un membre du personnel conservateur au bureau de Guelph, Michael Sona, aurait parlé à d’autres personnes d’une vaste campagne, qui était sur le point d’être entreprise, et qui visait à rediriger des électeurs anticonservateurs vers de mauvais bureaux de vote. Alors que le scandale éclatait, le directeur de campagne de Burke, Ken Morgan, qui devait être interrogé par Élections Canada, a subitement quitté le pays pour se rendre au Koweït, refusant de s’adresser aux enquêteurs.

Sona, qui faisait partie de l’équipe des communications de la campagne de Burke en 2011 et qui avait 22 ans à l’époque, n’est actuellement que la seule personne qui soit accusée en lien avec ce scandale. Il est accusé d’avoir empêché ou d’avoir essayé d’empêcher un électeur de voter dans l’élection. Sona soutient qu’il n’a jamais eu accès à la base de données du Parti conservateur et qu’il a été fait bouc émissaire par le parti pour que de plus hauts responsables ne soient pas touchés. Son procès est prévu pour l’an prochain.

Au procès sur les appels automatisés qui s’est récemment conclu, Bob Penner, le directeur général de Strategic Communications et un témoin expert appelé par le Conseil des Canadiens, a affirmé que cette vaste campagne dirigée contre les électeurs n’a pu être orchestrée que par «quelqu’un haut placé dans la campagne politique qui pouvait autoriser et financer cette stratégie».

La campagne visant à fournir de fausses instructions sur l’emplacement des bureaux de vote au cœur de cette affaire n’est pas le seul exemple de fraude électorale et de tactiques illégales pour favoriser les candidats conservateurs dans l’élection de 2011. Des électeurs se sont plaints d’avoir reçu des appels injurieux et racistes où la personne qui appelait se présentait (faussement) comme un représentant du Parti libéral. Des électeurs juifs ont été appelés le jour du sabbat et d’autres électeurs étaient appelés incessamment tôt le matin ou tard le soir. Ces appels provenaient toujours supposément du Parti libéral.

Dans deux circonscriptions de Toronto, des centaines d’électeurs qui ne résidaient pas dans les circonscriptions en question ont tout de même voté dans ces élections serrées. Dans Eglinton-Lawrence, au moins 2700 formulaires d’inscription soumis en retard ne comportaient pas d’adresse ou présentaient un faux nom ou une fausse adresse. Dans Etobicoke-Centre, qui a été remportée par les conservateurs que par 26 voix, 51 certificats d’inscription avaient disparu lors d’une commission de contrôle subséquente, 34 personnes avaient voté même si elles demeuraient à l’extérieure de la circonscription et 5 personnes ont voté à deux reprises. Un juge d’un tribunal inférieur a par la suite rejeté 79 bulletins de vote et déclaré le résultat de l’élection invalide. Cependant, dans un jugement à 4 contre 3, la Cour suprême a maintenu la victoire électorale conservatrice en soutenant que la plupart de ces bulletins étaient valides, car les erreurs provenaient par les responsables de l’élection.

Avant et durant l’audience à la Cour fédérale, des porte-paroles et des députés conservateurs ont tenté de faire obstruction à tous les aspects de l’enquête sur la présumée violation de la loi électorale canadienne. Même en rejetant la demande des plaignants, le juge Mosley a noté dans son jugement que «malgré un intérêt marqué de la population à établir la validité des accusations, le Parti conservateur du Canada a fait, dès le début, peu d’efforts pour aider l’enquête, malgré des demandes en ce sens… Bien qu’il ait été admis à contrecœur durant la plaidoirie que ce qui s’était passé était “absolument scandaleux”, tout indique que la position des députés interrogés consistait, depuis le début, à empêcher autant que possible que ce procès se déroule.»

À la suite de la décision, un porte-parole du Parti conservateur, Fred Delorey, s’est réjoui du verdict de non-culpabilité, même si le tribunal avait établi qu’il y avait eu une campagne concertée et délibérée pour empêcher des électeurs de voter et favoriser les conservateurs. «Nous sommes heureux que cette poursuite sans fondement des activistes du Conseil des Canadiens ait été rejetée par la cour,» a écrit Delorey sur Twitter.

Pour sa part, les porte-paroles du Conseil des Canadiens, qui a financé la poursuite, ont demandé que Stephen Harper et son gouvernement conservateur présentent immédiatement une loi pour empêcher que de telles pratiques surviennent lors de futures élections et ouvrent une enquête publique pour examiner davantage les gestes illégaux posés durant l’élection de 2011. Si le gouvernement s’opposait à une telle enquête, ce qui est fort probable, le Conseil menace de reporter l’affaire devant les mêmes tribunaux qui viennent de rejeter sa poursuite.

Il faut voir les conditions dans lesquelles toute modification serait apportée à la loi électorale par le parlement conservateur du Canada : le gouvernement Harper a déjà réduit le budget d’Élections Canada de 8 % pour le présent exercice financier, au moment où plus de 500 irrégularités importantes et distinctes ont été rapportées lors des dernières élections.

Dans les milieux dirigeants canadiens, il y a de moins en moins d’appui à la défense des droits démocratiques, même les plus fondamentaux. La décision rendue contre la poursuite, malgré la preuve d’actes frauduleux de la part de la machine électorale du gouvernement, et l’absence d’opposition dans les grands médias à la campagne contre les électeurs anticonservateurs ne sont que les plus récents exemples de ce développement.

Les gouvernements à travers le pays criminalisent de plus en plus les luttes des travailleurs et la dissidence populaire. Depuis l’élection fédérale de mai 2001, le gouvernement conservateur a utilisé des lois spéciales pour briser les grèves et faire respecter les demandes de l’employeur chez Air Canada, Postes Canada et CP Rail.

Le gouvernement Harper et le gouvernement libéral ontarien de McGuinty ont supervisé une vaste opération policière, digne d’un État policier, contre les citoyens de Toronto durant le sommet du G20 en juin 2010. Il y eut alors les arrestations de masse les plus nombreuses de l’histoire du Canada – plus que lors de la grève générale de Winnipeg en 1919 et plus que durant l’imposition de la Loi sur les mesures de guerre au Québec lors de la crise du FLQ en 1970.

L’année dernière, le gouvernement libéral du Québec a eu recours à la répression policière et a imposé une loi antigrève draconienne (la loi 78) pour placer de sévères restrictions sur le droit de manifester, sur n’importe quel enjeu, n’importe où à travers la province afin de mettre un terme à une grève étudiante militante. Plus tôt cette année en Ontario, le gouvernement minoritaire libéral a, avec l’appui du NPD, attaqué les conventions collectives de plus de cent mille enseignants et a rendu illégal tout mouvement de revendication par la loi 115.

À deux reprises durant les cinq dernières années, le gouvernement conservateur fédéral a prorogé (fermé) le parlement national pour juguler des crises politiques. En décembre 2008, il a effectué un véritable coup constitutionnel en se servant des pouvoirs arbitraires de la gouverneure générale non élue pour fermer le parlement et empêcher ainsi que les partis d’opposition n’exercent leur droit constitutionnel de renverser le gouvernement. Un an plus tard, il a encore une fois prorogé le parlement pour empêcher que ne soit révélé davantage son rôle dans la torture de prisonniers afghans.

Comme dans les années 1930, la bourgeoisie réagit à l’effondrement mondial du capitalisme en développant des méthodes autoritaires de gouvernement, au moment où elle invoque la «démocratie» et les «droits de l’homme» pour justifier les guerres impérialistes et les interventions en Afghanistan, en Libye et au Mali. La défense des droits démocratiques fondamentaux est indissociable de la lutte pour mobiliser politiquement la classe ouvrière en tant que force indépendante, sur la base d’un programme socialiste, en opposition à l’austérité et à la guerre impérialiste.

(Article original paru le 6 juin 2013)

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