Grève générale des 175.000 travailleurs de la construction du Québec

Les travailleurs de tous les secteurs de la construction du Québec sont officiellement en grève générale illimitée depuis lundi matin, une première depuis 1986, et paralysent des projets de construction qui valent des milliards de dollars dans toute la province, incluant plusieurs projets de barrage et la construction de deux grands hôpitaux de Montréal.

La grève qui regroupe 175.000 travailleurs est la plus importante au Canada depuis la crise financière de 2008.

Les travailleurs de la construction du Québec regroupés sous l’Alliance syndicale ont voté des mandats de grève à 95 % pour s’opposer aux demandes patronales de concessions sans précédent, qui incluent de sévères réductions des salaires réels et du taux de rémunération des heures supplémentaires.

Avant même que la grève débute, plusieurs représentants de la grande entreprise ont incité le gouvernement péquiste à recourir à une loi spéciale pour rendre le débrayage illégal.

La grève générale a été déclenchée suite à neuf mois de négociations visant à renouveler des conventions collectives de quatre ans (2013-17) dans les grands secteurs de l'industrie : industriel, institutionnel et commercial, résidentiel, génie civil et voirie.

Ce n'est qu'avec beaucoup de réticence et d'inquiétude que les syndicats ont autorisé la grève. À peine quelques heures avant le déclenchement de la grève, Yves Ouellet, le porte-parole de l'Alliance syndicale et le directeur général de la FTQ-Construction, a déclaré «C'est une journée assez triste. Ce n'est pas arrivé depuis les années 80. On aurait aimé mieux que ça ne se produise pas.» Ouellet a dit que les syndicats espéraient voir le conflit «se régler rapidement» ajoutant qu'ils avaient déjà accepté une partie des demandes de concession des employeurs.

L'Association de la construction du Québec, l'association qui négocie au nom des employeurs de la construction, exige que les travailleurs acceptent une hausse salariale de seulement 1 % par année, ce qui représente un taux significativement plus bas que le taux d’inflation. Ils cherchent également à étendre la semaine de 40 heures sur 6 jours, ce qui voudrait dire que les travailleurs pourraient être forcés à travailler la samedi à taux simple. Similairement, les employeurs veulent augmenter la plage horaire actuelle de trois heures : de 6 h 30 à 17 h, elle serait plutôt de 5 h 30 à 19 h.

Afin de réduire encore plus leurs dépenses en heures supplémentaire, les employeurs veulent abolir le temps double pour les 8 premières heures supplémentaire sauf si c'est un dimanche ou un jour férié. Les employeurs cherchent aussi à abolir le temps payé en cas d'intempéries et à diminuer la compensation pour les frais de transport quand les travailleurs doivent parcourir une distance importante pour se rendre à un chantier.

En plus, les patrons de la construction exigent une forte augmentation du nombre d'employés qu’ils choisissent parmi leurs propres employés permanents. Les patrons veulent faire passer ce nombre, qui est actuellement de 3 employés sur 6, soit 50 %, à 8 employés sur 10, soit 80 %.

La grande entreprise québécoise appuie entièrement le patronat du domaine de la construction. Yves-Thomas Dorval, le président du Conseil du patronat, a soutenu les employeurs et leur tentative d'imposer une hausse de salaire annuelle de 1 %, affirmant en un mensonge évident que ce serait une mesure adéquate pour défendre le pouvoir d'achat des travailleurs. «Mais aller au-delà comporte des risques économiques réels... il est tout aussi important de maintenir des coûts globaux qui demeurent concurrentiels pour les donneurs d'ouvrage afin d'éviter de nuire à la compétitivité de l'industrie de la construction, à l'investissement et à la situation des finances publiques au Québec.»

Les médias institutionnels au Québec présentent depuis longtemps les travailleurs de la construction comme étant surpayés. En fait, leurs salaires sont bien en dessous de ceux de l'Ouest canadien. Le salaire moyen est de seulement 35 000 dollars par année et ce, pour un travail qui est physiquement très dur, dangereux, et doit souvent être fait dans des conditions climatiques difficiles. Beaucoup de travailleurs dépendent de l'assurance emploi pour leur revenu pendant une partie de l'année. Ceci veut dire qu'ils sont aussi touchés par la récente «réforme» de l'assurance emploi du gouvernement conservateur fédéral, qui réduit les prestations pour des prestataires «à répétition» et les élimine entièrement pour ceux qui n'acceptent pas un travail moins bien payé que leur travail précédent.

Au fil des trois dernières décennies, les gouvernements du Québec ont souvent privé ou menacé de priver les travailleurs de la construction de leur droit de grève. Les deux plus grands partis de l'opposition, les libéraux et la CAQ, ont signalé qu'ils seraient prêts à réintroduire de telles mesures. La semaine dernière, le critique libéral en matière de travail, Guy Ouellette, a déclaré qu'une grève était une menace inacceptable pour l'économie du Québec : «L’économie ne va pas très bien; la construction ne va pas très bien… Le Québec ne peut pas être en grève, car cela va faire mal à l’économie.» Le maire populiste de droite de la ville de Québec, Régis Labeaume, a pour sa part déclaré, « Si c’était de moi, ils ne passeraient pas la semaine… Je demanderais une loi spéciale.»

Le PQ a souvent utilisé de telles lois pour briser des grèves et imposer des concessions. En 1999, le gouvernement du PQ de Lucien Bouchard a passé une loi qui criminalisait une grève des infirmières de la province, et qui les menaçait de sévères amendes.

Dans ce cas-ci par contre, le PQ a d'abord préféré se fier aux syndicats pour mettre fin à la grève aussi rapidement que possible. La ministre du Travail du PQ, Agnès Maltais, a plusieurs fois soutenu que le gouvernement n'avait pas l'intention d'introduire de loi spéciale, affirmant que la solution au conflit «passe nécessairement par la négociation et donc par des compromis».

Les syndicats au Québec, ainsi qu'à travers le reste du Canada, étouffent la lutte des classes depuis des décennies en collaborant avec les employeurs dans leur imposition de réductions d'emplois et de salaires, et avec le gouvernement dans leur démantèlement des services publics. La grève des infirmières en 1999 était une rébellion contre les conditions créées par de sauvages coupes dans les dépenses sociales introduites par le PQ avec le plein appui des syndicats au nom du «déficit zéro».

Le printemps dernier, les syndicats ont travaillé main dans la main avec l'élite du Québec pour mettre fin à la grève étudiante, qui, en rejetant le principe réactionnaire de «l'utilisateur payeur» du gouvernement, représentait un défi implicite au programme d'austérité de la classe dirigeante à travers le Canada. D'abord, les dirigeants des syndicats principaux ont cherché à intimider les étudiants pour qu’ils acceptent une entente pourrie qui aurait imposé toute la hausse des frais de scolarité. Ensuite, ils ont annoncé leur respect total de la loi draconienne connue sous le nom de «loi 78» et ont tout fait pour détourner l'opposition de masse aux libéraux derrière l'élection du PQ tout aussi propatronal.

Élu avec l'appui des syndicats, le PQ s'est rapidement tourné vers l'imposition de mesures d'austérité, incluant des coupes de budget qui vont au-delà de ceux de son prédécesseur libéral.

Pour mener à bien leur lutte contre les concessions, les travailleurs de la construction doivent reconnaître que les syndicats ne sont pas moins opposés à leurs intérêts de base que les employeurs ou le gouvernement, qui, malgré les affirmations de Maltais, est prêt à faire passer une loi spéciale si les syndicats ne mettent pas rapidement fin à la grève en abandonnant des demandes clés des travailleurs. Les syndicats ont déjà signalé qu'ils faisaient marche arrière pour la hausse des salaires de 3 % par an pour les trois premières années et de 3,75 % pour la quatrième année.

Les syndicats de la construction du Québec exemplifient la transformation des syndicats partout dans le monde en des auxiliaires corporatistes de la grande entreprise et de l'État qui fonctionnent pour assurer les profits des investisseurs et la compétitivité des entreprises aux dépens des travailleurs, et qui sont contrôlés par des bureaucrates privilégiés avec des salaires à six chiffres et de somptueux comptes de dépenses.

Suite aux révélations concernant la corruption systématique dans l'industrie de la construction du Québec, les travailleurs ont appris que les dirigeants des syndicats de la construction et du Fonds de solidarité FTQ ont d’étroites relations personnelles et d'affaires avec les patrons de la construction. Le Fonds de solidarité a acheté des propriétés du patron Tony Accurso à des prix au-dessus du marché, pendant que le président de la FTQ, Michel Arsenault, se divertissait sur le yacht de luxe d'Accurso.

La semaine dernière, le négociateur en chef de l'Alliance syndicale, Donald Fortin, a annoncé sa démission pour des raisons de santé après que le journal de droite le Journal de Montréal ait publié un rapport affirmant que de compagnies de construction lui avaient fourni gratuitement la main-d’oeuvre et les matériaux pour la construction d’une maison de luxe afin «d'acheter la paix».

(Article original paru le 19 juin 2013)

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