Manifestations massives dans tout le Brésil après le retrait du projet d'augmenter le prix des tickets de bus

Manifestation devant le Congrès national à Brasilia [Photo : Marri Nogueira/Agencia Senado]

 

Des centaines de milliers de manifestants ont rempli les principales avenues de Rio de Janeiro, Sao Paulo et des dizaines d'autres capitales d'états fédérés et d'autres villes plus petites dans tout le Brésil au cours de la journée nationale de protestation du 20 juin, motivée au départ par une augmentation du prix des tickets de bus.

Les conseils municipaux des plus grandes villes du Brésil, Sao Paulo et Rio de Janeiro, agissant en coordination avec le gouvernement fédéral du président Dilma Rousseff du Parti des travailleurs (PT) ont suspendu les augmentations prévues pour tenter de calmer la colère populaire bouillonnante. Un certain nombre de villes plus petites qui avaient également augmenté le prix des tickets de bus avaient déjà annulé complètement ou en partie ces augmentations la veille.

Néanmoins, le nombre de gens dans la rue jeudi était le plus important depuis les deux semaines de mobilisation, les manifestants dénonçaient l'inégalité sociale, les dépenses allant à la Coupe du monde et d'autres extravagances sportives plutôt qu'à la santé et à l'éducation, ainsi que la corruption politique.

La police militaire a estimé la foule à Rio à 300 000 personnes, et il ne fait aucun doute qu'elle était plus grande que cela ; les manifestants remplissaient les deux côtés de l'artère centrale de l'Avenue du Président Vargas qui mène à la place Candelaria et à la mairie, celle-ci était bloquée par les troupes de choc de la police militaire.

À Rio, la police militaire a lancé une répression violente contre les manifestants, tirant des lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc et envoya la cavalerie de la police militaire. Il y a également eu des confrontations dans la capitale Brasilia, où des troupes de l'armée ont été appelées pour entourer le Palacio de Planalto, les bureaux de la présidence, et un déploiement policier important a protégé d'autres bâtiments face à au moins 30 000 manifestants. Des heurts ont eu lieu quand les manifestants ont brièvement pénétrés dans l'Itamaraty, les bureaux du ministre des Affaires étrangères.

Il y a également eu des confrontations à Sao Paulo, Campinas – dans l'état fédéré de Sao Paulo à l'intérieur du pays – et à Salvador dans l'état de Bahia au Nord-Est.

Le quotidien brésilien Estado de Sao Paulo a révélé que le gouvernement fédéral du PT avait ordonné que les services secrets brésiliens (ABIN) montent une grande opération pour surveiller les communications sur Internet et les médias sociaux pour tenter de trouver qui était impliqué dans l'organisation des manifestations et quelle direction elles allaient prendre.

Le mercredi 19 juin, 80 000 travailleurs et jeunes ont manifesté devant le stade de foot de la ville de Fortaleza, une ville côtière au Nord du Brésil, trois heures avant le match Mexique-Brésil de la coupe des confédérations (CONCACAF), qui est effectivement une répétition générale pour la Coupe du monde de l'année prochaine.

Les matches sont devenus un point focal des manifestations, avec une grande partie de la société brésilienne en colère contre les 12,6 milliards de dollars que devraient coûter les nouveaux stades et autres infrastructures qui n'ont rien à voir avec les besoins urgents des gens ordinaires. Beaucoup de gens portaient des pancartes disant « plus de pain, moins de jeux ! », « Quand votre enfant tombe malade, emmenez-le au stade, » et « Nous voulons des hôpitaux et des écoles aux normes de la FIFA [l'organisation internationale du football]. »

Une confrontation avec la police locale et les Forces de sécurité nationales a éclaté à Fortaleza quand les manifestants ont rompu le périmètre de sécurité de deux kilomètres établi en suivant la « loi de la coupe » (a Lei Geral da Copa), qui accorde aux officiels de la FIFA le contrôle de la circulation des personnes à proximité des stades.

Le ministre des sports Aldo Rebelo a prévenu que le gouvernement ne tolérerait pas les manifestations qui troublent les jeux de la CONCACAF. Rebelo – un membre du Parti communiste stalinien du Brésil qui soutient le gouvernement du PT – a indiqué que le stade de Maracanà à Rio serait cerné par un périmètre de sécurité qui sera surveillé par les forces armées brésiliennes. « Il ne sera possible d'avoir aucune manifestation à proximité du stade, » a dit Rebelo ; « Il y a des gens qui veulent tirer avantage de ces événements pour présenter leurs griefs. »

Les manifestations initiales ont été organisées par le Mouvement pour la gratuité des transports, qui est composé de quelques dizaines de membres seulement et organise de petites manifestations chaque année depuis 2005. Cette année pourtant, avec l'augmentation du prix des tickets et le mécontentement montant contre une forte inflation et le ralentissement de la croissance économique qui ont entraîné des licenciements et peu d'emplois décents proposés aux jeunes, tout cela a explosé en une manifestation de masse.

L'absence de tout programme bien défini ou d'une direction révolutionnaire et la prédominance des couches des classes moyennes ont laissé ce mouvement ouvert à diverses influences, y compris celles de la droite politique. Des slogans s'opposant à tous les partis politiques et dénonçant la corruption et les impôts élevés sont devenus de plus en plus courants, et les groupes organisés de voyous ont attaqué ceux qui portaient des pancartes et des bannières de partis de gauche.

À Rio jeudi, un groupe de quelques dizaines de membres du CUT (Central Única dos Trabalhadores), la confédération syndicale qui est la plus proche du PT, a été prise à partie, ses membres frappés et ses banderoles déchirées.

À Sao Paulo, des éléments considérés par les médias comme « nationalistes » ont attaqué des membres de partis de gauche, s'emparant de leurs drapeaux et de leurs banderoles pour les brûler dans la rue.

La confusion politique et la capacité des éléments de droite à l'exploiter est la conséquence d'une décennie où le PT a été au pouvoir, une machine politique corrompue qui affirmait faussement représenter la classe ouvrière, ainsi que de l'intégration des syndicats dans l'appareil d'état et de la trahison des luttes de la classe ouvrière. Les syndicats n'ont joué aucun rôle important dans les manifestations de masse.

L'annulation des augmentations de tarifs cherche à supprimer la question qui a déclenché les grandes manifestations dans tout le pays. Mais celle-ci n'améliorera pas les conditions sociales. Les autorités de Sao Paulo et Rio de Janeiro ont clairement dit que les intérêts des contractants privés qui contrôlent le système – et qui contribuent fortement au financement de tous les grands partis – doivent être protégés. Au lieu d'augmenter les tarifs, ils réduiront d'autres programmes, dont la santé et l'éducation, qui bénéficient aux travailleurs et aux pauvres.

« Nous allons devoir nous serrer la ceinture, » a déclaré le gouverneur de l'état de Sao Paulo Geraldo Alckmin du parti d'opposition de droite PSDB (Partido da Social Democracia Brasileira). « C'est un geste, une ouverture, » a déclaré sur un ton plus retenu le maire PT de Sao Paulo, Fernando Haddad. Haddad a menacé de couper dans l'éducation et la santé dans une ville qui n'abrite pas moins de 21 milliardaires. Pas un seul de ces responsables n'a, à aucun moment, simplement suggéré de faire payer les riches pour ces services essentiels.

D'après des informations de la presse, le maire de Sao Paulo, considéré comme une figure montante dans le PT, a subi des pressions de Rousseff pour suspendre les augmentations de tarifs et a résisté jusqu'à la dernière minute. Quant au maire de Rio de Janeiro, Eduardo Paes du PMDB (Partido do Movimento Democrático Brasileiro – allié au PT dans le gouvernement), il a prévenu que des tarifs plus bas forceraient la ville à réduire de 200 millions de dollars les dépenses dans d'autres domaines.

Avant même l'augmentation des tarifs, un employé au salaire minimum à Sao Paulo ou à Rio payait plus de 20 de son salaire juste pour faire les allers-retours à son travail chaque jour, dans des bus et des trains en mauvais état et bondés, pendant que les opérateurs privés du réseau tiraient des millions de réaux de bénéfices grâce aux réductions des coûts et aux retards sciemment décidés dans l'entretien.

Les tarifs des transports à Sao Paulo sont les plus élevés de toute l'Amérique latine, plus élevés même que dans certaines villes américaines. À Los Angeles en Californie par exemple, avec des salaires moyens qui sont cinq fois supérieurs à ceux de Sao Paulo, les tarifs sont les mêmes que dans la ville brésilienne (1,35 $ soit 1,02 euros). De plus, dans cette ville gigantesque de 20 millions d'habitants, même les travailleurs qui s'en sortent bien doivent passer plusieurs heures par jour dans les transports publics, et beaucoup payent quatre trajets par jour.

Les maigres concessions sur les tarifs des transports s'avéreront inutiles. Les causes de la colère de la jeunesse brésilienne et des travailleurs, l'inégalité sociale extrême combinée avec des coûts de la vie qui explosent et une dépression économique, n'ont trouvé qu’une expression initiale et limitée dans les manifestations massives de la semaine passée. Derrière ces conditions, il y a la crise économique globale du capitalisme qui alimente les troubles sociaux et politiques sur toute la planète, d'Athènes au Caire, d'Istanbul à Madrid, et maintenant Rio, Sao Paulo et d'autres villes du Brésil.

Roussef a tenté de présenter ces manifestations comme un symptôme des succès du gouvernement du PT. Les attentes ont augmentés parce que « nous avons changé le Brésil », a-t-elle dit. Roussef a ajouté que des citoyens étaient formés qui veulent plus et ont droit à plus. Cette affirmation, reproduite dans la presse, ne peut cacher le fait que les gains limités obtenus contre la pire pauvreté du Brésil ont été accompagnés de l'élargissement du fossé séparant les couches capitalistes dirigeantes des masses ouvrières.

Il y a un choc tangible au sein de certaines sections de la classe dirigeante et de ses représentants politiques au sujet de cette explosion. Le quotidien Folha de Sao Paulo a déclaré : « Tout allait si bien et tout à coup on rejoue la place Tahrir, soudainement, sans prévenir, sans étapes intermédiaires.

Il a été rapporté jeudi que Rousseff avait annulé un voyage prévu au Japon et demandé une réunion d'urgence de ses ministres vendredi matin pour discuter des mesures nécessitées par les manifestations qui continuent.

(Article original publié le 21 juin 2013)

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