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L’histoire de Mark Zborowski : l’espion de Staline dans la Quatrième Internationale

Mark Zborowski était l’agent le plus important et le plus dangereux de la police secrète soviétique (le GPU) au sein du mouvement trotskyste dans les années 1930. Il a joué un rôle central dans la préparation des assassinats de membres dirigeants de la Quatrième Internationale, dont le fils de Trotsky, Leon Sedov. Zborowski a survécu à ses victimes pendant des dizaines d’années. Arrivé aux États-Unis en 1941, il a quitté son rôle de principal agent anti-trotskyste de Staline pour celui d’universitaire brillant dans des universités américaines prestigieuses. Les révélations publiques sur son passé stalinien dans les années 1950 n’ont freiné sa carrière que temporairement. Mais en 1975, suite à l’enquête de la Quatrième internationale sur les événements qui ont entraîné l’assassinat de Trotsky en 1940, les crimes de Zborowski ont attiré l’attention du public. Cet assassin du GPU a été photographié en août 1975 à San Francisco devant sa maison par David North, un membre dirigeant de la Workers League (prédécesseur du Socialist Equality Party). Durant la décennie qui a suivi, l’enquête du Comité international sur les crimes du GPU contre le mouvement trotskyste – dont les conclusions ont été publiées sous le titre « La sécurité et la Quatrième internationale » - a produit un grand nombre de révélations sur les activités de Zborowski.

En juin 1990, deux mois après la mort de Zborowski, le Comité international a publié une notice nécrologique qui passait en revue la carrière meurtrière de cet agent stalinien. Nous la republions ci-dessous.

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Le 30 avril 1990, Mark Zborowski, l’agent notoire de la police stalinienne qui se faisait appeler 'Etienne', est mort d’une crise cardiaque à l’Hôpital du Mont Zion de San Francisco à l’âge de 82 ans. Durant les années 1930, les activités de Zborowski ont entraîné directement les meurtres d’au moins quatre personnalités dirigeantes de la Quatrième Internationale, dont le fils aîné de Leon Trotsky, Leon Sedov. Les informations fournies par Zborowski au GPU, comme s’appelait la police secrète stalinienne à l’époque, ont contribué à l’assassinat de Léon Trotsky il y a 50 ans, le 20 août 1940.

Zborowski n’a jamais été puni pour ses crimes contre la classe ouvrière. Même après les révélations sur son rôle d’agent du GPU, le gouvernement américain a traité Zborowski avec la plus grande retenue. Ce n’est pas vraiment étonnant, les victimes de Zborowski étant les ennemis les plus intraitables du capitalisme. Ainsi, une fois les difficultés judiciaires initiales de Zborowski réglées, le gouvernement américain lui a accordé un poste universitaire prestigieux d’où il tirait un revenu confortable. Il a passé les dernières décennies de sa vie dans un quartier huppé de San Francisco.

Néanmoins, même si Zborowski a échappé à une sanction physique pour ses actes crapuleux, son sort n’a rien d’enviable. On se souviendra de lui uniquement comme un exemple de la lie de l’humanité – l’informateur qui servait la contre-révolution pour de l’argent.

Zborowski était un agent central du vaste réseau constitué par le GPU et qui constituait le fer de lance de la destruction de la direction de l’opposition marxiste à la dictature totalitaire de la bureaucratie stalinienne. Quand le mouvement trotskyste était installé à Paris au cours des années cruciales qui ont précédé la création de la Quatrième Internationale en septembre 1938, Zborowski s’est infiltré jusqu’à devenir un confident du fils de Trotsky et son collaborateur politique le plus important. Ses rapports étaient si importants que Staline les examinait en personne. Les informations que donnait Zborowski et ses manœuvres internes furent indispensables pour organiser l’assassinat de dirigeants trotskystes comme Erwin Wolf et Rudolf Klement, Ignace Reiss qui avait fait défection du GPU, Leon Sedov et, finalement, Trotsky lui-même.

Leon Sedov avec Trotsky en 1933
à Barbizon en France

La suppression brutale des dirigeants de la Quatrième Internationale par le GPU en Europe et au Mexique représentait la culmination de la liquidation physique de tous les proches collaborateurs de Lénine et Trotsky au cours des infâmes procès de Moscou et des purges qui ont suivi. À partir de 1936, les vieux bolcheviques comme Zinoviev, Kamenev, Boukharine, Radek, Sokolnikov et Rykov, pour n’en nommer que quelques-uns, ont été faussement accusés d’être des « espions et saboteurs » à la solde des fascistes, contraints à faire de fausses confessions disant qu’ils avaient travaillé pendant des années comme agents de l’impérialisme, puis exécutés. Les procès de Moscou et l’assassinat des trotskystes par le GPU ont marqué le point culminant de la campagne menée par la bureaucratie stalinienne pour liquider le Parti bolchevique et sa direction.

Mark Zborowski et Ramon Mercader, l’assassin de Trotsky, étaient l’incarnation de ce rôle contre-révolutionnaire du stalinisme : l’un était l’espion, l’informateur professionnel, qui arrangeait les meurtres de ses proches collaborateurs ; l’autre était l’assassin de sang-froid, plongeant un piolet dans le cerveau du plus grand révolutionnaire marxiste du vingtième siècle.

À une époque de désintégration des bureaucraties staliniennes en Europe de l’Est, où l’Union soviétique et la Chine sont présentées par la bourgeoisie mondiale comme la preuve de « l’échec du marxisme », il est vital de rappeler le rôle historique réel de la bureaucratie parasitaire qui a usurpé le pouvoir de la classe ouvrière soviétique après la Révolution d’octobre. Le stalinisme n’est pas le marxisme, c’est son ennemi le plus perfide. La bureaucratie stalinienne a consolidé son pouvoir en Union soviétique par l’extermination la plus massive des marxistes et des vrais communistes jamais menée dans l’histoire.

Comme les représentants de l’impérialisme l’ont noté avec satisfaction à l’époque, Staline a tué plus de communistes que Hitler et Mussolini ensemble.

Ces crimes avaient une double importance pour la classe ouvrière internationale. Le meurtre de millions de vieux bolcheviques, toute la génération révolutionnaire qui avait préparé et mené la Révolution d’octobre et lutté dans la guerre civile, a décapité la classe ouvrière soviétique et privé le prolétariat international de ses cadres les plus expérimentés et les plus perspicaces. En même temps, la machine à propagande du Kremlin proclamait sans cesse que ces purges étaient menées dans l’intérêt du socialisme. Ce mensonge grotesque – qui assimilait le marxisme à la terreur de masse contre la classe ouvrière – a défiguré le socialisme et causé des dommages énormes à la conscience de classe de millions de travailleurs.

Les chefs de clan staliniens d’aujourd’hui – Gorbatchev, Eltsine et leurs homologues dans toute l’Europe de l’Est, qui sont tous les héritiers des machinations sanglantes de Staline et du GPU – cherchent à compléter l’œuvre contre-révolutionnaire qui a été entamée par la bureaucratie parasitaire dans les années 1920 et 1930. Ils détruisent tout ce qui reste des conquêtes de la Révolution d’octobre et de l’application d’une économie planifiée et nationalisée en Europe de l’Est, ils restaurent les relations de propriété capitalistes et l’exploitation capitaliste de la classe ouvrière soviétique et d’Europe de l’Est.

Cinquante ans plus tôt, la bureaucratie défendait son massacre des bolcheviques, culminant dans l’assassinat de Trotsky, en affirmant que ses opposants révolutionnaires sapaient le socialisme. Maintenant, la bureaucratie a abandonné toute prétention à défendre le socialisme, et ose dire franchement qu’elle est à la pointe de la contre-révolution capitaliste en URSS. Elle cherche à donner un ancrage plus sûr à sa position privilégiée en se transformant en une classe capitaliste compradore opérant comme le représentant de l’impérialisme mondial en Union soviétique.

Les pressions de l’impérialisme mondial sur le premier Etat ouvrier – qui se manifestaient par l’encerclement de l’URSS, le retard dans le développement de l’économie soviétique qui avait été dévastée par trois années de guerre civile, et les défaites de la classe ouvrière en Europe au début des années 1920 – ont créé les conditions qui ont permis la croissance de la bureaucratie en Union soviétique.

En dépit de la nationalisation des forces productives, l’Union soviétique est restée un pays de « disette généralisée », ce qui alimentait la croissance de la bureaucratie servant de « policier de l’inégalité ». Staline est arrivé au pouvoir comme le représentant de la réaction thermidorienne contre 1917 et la nécessité historique d’une révolution mondiale, car celles-ci entraient en conflit avec les intérêts de caste de plus en plus étroits d’une bureaucratie préoccupée de s’assurer la part du lion dans la richesse nationale. Le slogan du « socialisme dans un seul pays, » qui est l’essence idéologique du stalinisme, exprimait la reconnaissance de plus en plus certaine par la bureaucratie du parti et de l’appareil d’Etat que ses intérêts matériels étaient distincts et opposés à ceux de la classe ouvrière soviétique et internationale. Comme l’a expliqué Trotsky, rassemblés derrière le slogan stalinien officiel du « socialisme dans un pays », il y avait tous ceux qui pensaient : « pas tout pour la révolution mondiale… pourquoi pas quelque chose pour moi aussi ? »

L’Opposition de gauche a été créée en 1923 sous la direction de Trotsky pour contrer la croissance du bureaucratisme dans le parti. Cet énorme appareil d’Etat bureaucratique étant le produit de problèmes économiques objectifs au sein de l’URSS et créés par l’impérialisme mondial, c’est par l’intermédiaire de cet appareil que les pressions de l’impérialisme mondial étaient transmises dans le Parti bolchevique. La dégénération de larges sections de la direction du Parti bolchevique a été le produit de ces pressions.

Tout en luttant pour une politique correcte au sein de l’URSS pour développer sa base industrielle et préparer les fondements d’une planification économique, Trotsky admettait que les conditions objectives qui avaient donné naissance à la bureaucratie et au problème qui lui était lié de la dégénération du Parti bolchevique ne pouvaient être changées avec succès que dans le cadre de la lutte des classes internationale. L’isolement prolongé de l’URSS, les espoirs souvent déçus d’une aide matérielle directe de la part des travailleurs d’Europe occidentale, les difficultés quotidiennes terribles endurées pendant tant d’années : tout cela se combinait pour produire un état d’esprit découragé qui aida la bureaucratie à usurper le pouvoir politique de la classe ouvrière soviétique. Trotsky comprenait qu’il fallait la victoire de la classe ouvrière en Asie et en Europe occidentale pour raviver les flammes vacillantes du bolchevisme dans la conscience du prolétariat Russe.

Mais c’est précisément contre les luttes internationales de la classe ouvrière et des masses opprimées que la faction stalinienne a porté ses pires coups. Sa politique de centrisme bureaucratique a produit les défaites de Grande-Bretagne (1926) et de Chine (1927). Ces défaites, à leur tour, ont accéléré le processus de dégénération du Parti bolchevique. L’Opposition de gauche a été interdite et ses dirigeants exclus du Parti communiste en 1927, après que la défaite de la révolution chinoise (causée par la politique de Staline consistant à subordonner le Parti communiste chinois au Kuomintang bourgeois) eut détruit l’espoir que la classe ouvrière soviétique plaçait dans un renouveau révolutionnaire en Orient. Trotsky a été exclu du parti et banni dans les steppes d’Asie centrale, où il a passé plus d’un an en exil à Alma Ata, puis, en 1929, il a été exilé d’Union soviétique tout court. Il a vécu en Turquie, en France, en Norvège, et finalement au Mexique, le seul pays de la planète à lui accorder l’asile politique.

En dépit de difficultés personnelles et politiques inimaginables, dont la disparition et le meurtre de presque toute sa famille et de ceux qui partageaient ses idées politiques en URSS, Trotsky a continué inlassablement à exposer la bureaucratie contre-révolutionnaire stalinienne et à établir les fondements politiques et organisationnels de son renversement révolutionnaire par la classe ouvrière.

Trotsky dans son bureau à Coyoacan au Mexique

Durant ses premières années d’exil, Trotsky a lutté pour la réforme du Parti communiste et de la Troisième Internationale, maintenant que ceux-ci pouvaient être régénérés si la faction stalinienne était battue. Au cœur de cela, il y avait la lutte pour mobiliser la force unifiée de la classe ouvrière Allemande dans une lutte révolutionnaire pour écraser le fascisme de Hitler et prendre le pouvoir. Trotsky était convaincu que la victoire de la révolution socialiste en Allemagne transformerait la position du prolétariat à l’échelle mondiale, surtout parce que cela mettrait fin de manière décisive à l’isolement du régime soviétique, lui apporterait de vastes ressources matérielles pour le développement économique de l’URSS et créerait les conditions nécessaires à une liquidation rapide des déformations bureaucratiques. Trotsky pensait que la combinaison d’une révolution prolétarienne triomphante en Allemagne et d’une résurgence de l’Union soviétique transformerait le socialisme en une force irrésistible. Ainsi, il parlait de l’Allemagne comme de « la clef de la situation internationale. »

Mais la politique de la bureaucratie du Kremlin a systématiquement détruit les perspectives d’une victoire en Allemagne. La ligne d’ultra-gauche de la « Troisième période » proclamée par Staline après le sixième congrès du Komintern en 1928 (initialement avec le soutien de Boukharine) répudiait la stratégie et les tactiques développées par les quatre premiers congrès de l’Internationale communiste sous la direction de Lénine et Trotsky.

Pendant que les staliniens appliquaient l’aventurisme brutal et désastreux de la politique de collectivisation en URSS, ils imposaient aux sections du Komintern une ligne décrétant que la politique révolutionnaire était incompatible avec toute forme de collaboration politique avec les partis sociaux-démocrates de masse, même dans l’intérêt d’une défense mutuelle contre l’Etat bourgeois et le fascisme. D’après Staline, la social-démocratie n’était que l’aile gauche de l’état bourgeois et par conséquent (!) la « jumelle » du fascisme. En Allemagne, l’effet de cette ligne a été catastrophique. En dépit de la menace montante du fascisme, les staliniens se sont opposés à toute forme d’action de front uni de la part des forces combinées du Parti communiste et du Parti social-démocrate contre Hitler. Les staliniens ont préféré aller jusqu’à affirmer que la victoire de Hitler était un moindre mal que la collaboration avec les « sociaux-fascistes, » parce que, d’après les théoriciens du Kremlin, un régime nazi s’effondrerait rapidement et la voie serait alors ouverte à une victoire du Parti communiste.

Trotsky a lutté de toutes ses forces contre cette politique démente et défaitiste. Depuis son exil sur la lointaine Prinkipo, il analysait les implications ruineuses de la ligne stalinienne et en appelait à la formation immédiate d’un front uni de toutes les organisations ouvrières en Allemagne contre la menace fasciste. Il expliquait que la ligne stalinienne jouait en faveur des dirigeants sociaux-démocrates, car elle privait les travailleurs communistes d’une tactique qui montrerait aux millions d’ouvriers qui restaient dans les organisations réformistes que leurs dirigeants n’avaient aucune intention de lutter contre le fascisme. Des travaux d’une qualité polémique sans égale naissaient sous la plume de Trotsky et étaient diffusés largement dans toute l’Allemagne par les cadres de l’Opposition de gauche. Mais il ne fut pas possible de changer la ligne du Parti communiste. Le 30 janvier 1933, Hitler est arrivé au pouvoir sans qu’un coup de feu ne soit tiré et la classe ouvrière internationale a subi sa plus grande défaite de son histoire.

La défaite du prolétariat allemand a complété la transformation de la bureaucratie en une force contre-révolutionnaire au sein de l’URSS et du mouvement ouvrier international. Après que le Komintern stalinisé ait publié une déclaration affirmant que les politiques menées par le Parti communiste allemand avaient été tout à fait correctes, Trotsky lança l’appel à la formation d’une Quatrième Internationale. Il expliqua qu’il était impossible de réformer un parti qui se félicitait d’une politique qui avait entraîné un désastre politique sans précédent. Durant les cinq années qui ont suivi, Trotsky a œuvré à organiser et éduquer les cadres d’un nouveau parti révolutionnaire international.

Dans le sillage de la catastrophe allemande, qui avait mis au pouvoir un régime qui affirmait comme son objectif premier la destruction de l’URSS, la bureaucratie stalinienne a conclu que la défense de ses intérêts matériels en Union soviétique exigeait la formation d’alliances politiques avec les puissances impérialistes « démocratiques ». Ces alliances devaient être garanties par l’usage du mouvement ouvrier en dehors de l’URSS comme « monnaie d’échange » de la diplomatie réactionnaire soviétique. Le Kremlin instruisit les partis staliniens de subordonner les intérêts de la classe ouvrière dans leurs propres pays aux exigences de sa politique étrangère. Les partis staliniens ne devaient pas mobiliser la classe ouvrière pour renverser la bourgeoisie nationale, mais s’allier aux partis bourgeois « démocratiques » qui acceptaient de passer des accords avec la bureaucratie soviétique. Cette ligne réactionnaire, qui a trahi tous les principes du marxisme, a été concrétisée dans la politique de « front populaire. »

La poursuite par Staline d’alliances diplomatiques avec l’impérialisme exigeait l’éradication de toutes les traces restantes du bolchevisme en Union soviétique. Les procès de Moscou et les purges sanglantes ont été menés par la bureaucratie pour terroriser le prolétariat russe, éradiquer les traditions révolutionnaires de Lénine et Trotsky au sein de l’URSS, et assurer à l’impérialisme mondial que le Stalinisme avait rompu tous les liens avec le bolchevisme et son programme de révolution socialiste internationale. Les représentants de la démocratie impérialiste, à leur tour, applaudirent les procès de Moscou comme des modèles d’impartialité judiciaire : qu’est-ce qui pouvait être plus « démocratique » que l’extermination systématique de la fine fleur du bolchevisme ?

La politique étrangère de l’Union soviétique, déterminée par les intérêts objectifs de la bureaucratie en tant que caste privilégiée, a été transformée par le stalinisme en défense du Status Quo impérialiste international. La conséquence immédiate du Front populaire a été le bain de sang en Espagne où les staliniens ont réprimé le soulèvement révolutionnaire des travailleurs en Catalogne et où les agents du GPU ont établi des camps de détention et des chambres de torture pour détruire toute direction révolutionnaire de la classe ouvrière. Staline a livré le prolétariat espagnol à trois décennies de fascisme afin de courtiser les impérialismes Français et Anglais.

L’analyse que faisait Trotsky de la bureaucratie soviétique comme, pour l’essentiel, une agence contre-révolutionnaire de l’impérialisme au sein du mouvement ouvrier international, a été le point de départ de sa lutte contre le stalinisme. Dans son œuvre monumentale d’analyse marxiste de la dégénération de l’Union soviétique, La Révolution trahie, Trotsky prévenait que soit la classe ouvrière parviendrait à faire tomber la bureaucratie au cours d’une révolution politique, ramenant l’Union soviétique sur la voie de la révolution socialiste mondiale, soit la bureaucratie finirait par se débarrasser des relations de propriété et de l’économie planifiée créées par la Révolution d’octobre, restaurer le capitalisme, et se transformer en une nouvelle classe possédante.

La fondation de la Quatrième Internationale en 1938 a été l’expression politique de l’antagonisme social irréconciliable entre la caste bureaucratique parasitaire et le prolétariat soviétique, entre les besoins de l’économie soviétique planifiée et les privilèges corrompus usurpés par la bureaucratie, entre la « révolution permanente » internationale et le « socialisme dans un seul pays ». Trotsky a appelé les masses soviétiques à la révolution politique comme composante essentielle de la révolution socialiste mondiale.

L’impérialisme mondial n’était pas indifférent à l’issue de la lutte entre Trotsky et Staline. Il identifiait sans erreur Staline au représentant d’une tendance conservatrice au sein de l’URSS. En Trotsky et dans l’Opposition de gauche, il reconnaissait un ennemi implacable. À la fin des années 1920, Un conservateur britannique de premier plan – l’ancêtre politique de Margaret Thatcher – appelait publiquement Staline à placer Trotsky et d’autres dirigeants de l’Opposition de gauche devant un peloton d’exécution. Il ne fallut pas longtemps avant que Staline n’adopte cette politique.

En décembre 1929, Jacob Blumkine, un ancien secrétaire de Trotsky qui l’avait aidé à éditer son ouvrage sur la Guerre civile, Comment la Révolution s’est armée, a été abattu par le GPU. Il avait été le premier partisan Russe de l’Opposition de gauche à rendre visite à Trotsky en Turquie, durant l’été de cette année, et son exécution était conçue par Staline comme une mise en garde contre tout contact avec le dirigeant exilé. Ce meurtre marquait une étape dans la dégénération du régime du parti. Pour la première fois, un dirigeant bolchevique avait été assassiné pour s’être opposé à la direction du parti. Ce fut l’acte précurseur des assassinats de masse de 1936-38.

Blumkine a été donné au GPU par Karl Radek, un ex-dirigeant de l’Opposition de gauche qui avait capitulé et était devenu un défenseur de Staline. Trotsky écrivait avec amertume : « La raison immédiate de la mort de ce révolutionnaire – aussi exceptionnel pour sa dévotion que pour son courage – tient à deux circonstances : sa propre confiance idéaliste dans les gens et la dégénération complète de l’homme vers lequel il s’est tourné. Il est également possible que Radek lui-même n’ait pas suffisamment évalué les conséquences de ses propres actions parce que lui-même idéalisait Staline » (Writings of Leon Trotsky, 1929, Pathfinder Press, p. 412 – toutes les références de cet article renvoient à l’édition anglaise des ouvrages et sont notre traduction, ndt).

Staline

À la fin de 1931, le quotidien stalinien allemand Die Rote Fahne, a publié un rapport selon lequel un officier des Gardes blancs exilé préparait un attentat terroriste contre Trotsky. Puisque ce rapport n’a pas été repris dans la presse soviétique, Trotsky en concluait qu’il s’agissait d’une tentative de Staline de se dégager de la responsabilité face à l’opinion publique mondiale d’un crime qu’il avait préparé depuis longtemps. Dans une lettre adressée au Politburo du Parti communiste de l’Union soviétique, le 4 janvier 1932, il révélait que Staline avait discuté très tôt de son assassinat, dès 1924-25, un fait que Zinoviev et Kamenev lui avaient révélé lorsqu’ils étaient alliés à Staline dans le triumvirat. Trotsky écrivait :

« Staline en est arrivé à la conclusion que c’était une erreur d’avoir exilé Trotsky d’Union soviétique. Il avait espéré, comme on le sait par sa déclaration au Politburo à l’époque – qui est enregistrée – que Trotsky, privé d’un 'secrétariat,' et sans ressources, deviendrait une victime sans défense de sa campagne bureaucratique mondiale de diffamation. Cet homme de l’appareil s’est trompé. Contrairement à ses attentes, il s’avère que les idées ont un pouvoir propre, même sans un appareil et sans ressources. Le Komintern est une structure grandiose qui est devenue une coquille vide autant théoriquement que politiquement. Le futur du marxisme révolutionnaire, c’est-à-dire du léninisme également, est inséparablement lié à partir de maintenant aux cadres internationaux de l’Opposition de gauche. Aucune accumulation de falsifications ne peut changer cela »(Writings of Leon Trotsky, 1932, pp. 19-20).

Au cœur de la préparation de la révolution politique, se trouvait la lutte pour révéler les crimes du GPU au mouvement ouvrier international. Ses crimes n’étaient pas des aberrations du stalinisme, mais le produit inévitable de la position sociale de la bureaucratie au sein de l’URSS et de son rôle objectif comme agence de l’impérialisme mondial au sein de la classe ouvrière. Trotsky était particulièrement vigilant quant aux tentatives du GPU de pénétrer dans les sections de l’Opposition de gauche internationale.

Plusieurs agents du GPU ont joué des rôles de premier plan dans la section allemande de l’Opposition de gauche, où Sedov avait établi le quartier général international après l’expulsion de Trotsky d’Union soviétique et son exil à Prinkipo en Turquie. Parmi eux, les frères Sobolevicius, d’origine Lithuanienne, connus sous leurs noms de parti, 'Senin' et 'Well' et plus tard sous leurs noms 'américains', Jack Soble et Robert Soblen. Par l’intermédiaire de Sedov, Soble a rencontré Trotsky à Prinkipo puis, plus tard, à Copenhague. Soble et Soblen se sont révélés comme agents quand, à la veille de la prise du pouvoir par Hitler en 1933, ils ont rompu avec la ligne de l’Opposition de gauche, qui cherchait à forger un front uni entre tous les partis ouvriers contre les fascistes, en publiant le programme stalinien qui assimilait les sociaux-démocrates au fascisme.

Après la débâcle allemande, Trotsky a publiquement identifié Soble et Soblen comme des taupes du GPU. Il a écrit aux diverses sections du mouvement trotskyste : « Il est vrai qu’aucun agent ne peut détruire une tendance historiquement progressiste inscrite dans la tradition du marxisme révolutionnaire. Mais ce serait une frivolité impardonnable d’ignorer les actions des agents staliniens qui introduisent la confusion et la désintégration ainsi qu’une corruption directe. Nous devons être attentifs et prendre garde ! » (Writings of Leon Trotsky, 1932-33, p.94).

Trotsky (au centre) durant l’enquête de la Commission Dewey

Après l’arrivée de Trotsky au Mexique en janvier 1937, il a énergiquement entrepris sa propre défense contre les diffamations des procès truqués de Moscou. Une commission sous la direction du grand philosophe et éducateur Américain John Dewey a été réunie dans la villa du célèbre muraliste Diego Rivera pour passer en revue les accusations et les preuves contre Trotsky et son fils Leon Sedov. Au lieu de se contenter de s’appuyer sur ses états de service révolutionnaires impeccables, Trotsky a répondu à toutes les accusations et insinuations qui le visaient et a soumis les « preuves » de Staline à une critique sévère, montrant publiquement qu’elles étaient cousues de fil blanc.

Le 2 novembre 1937, Trotsky a publié une lettre ouverte à toutes les organisations ouvrières. Elle commençait ainsi : « Le mouvement socialiste mondial est consumé par une terrible maladie. La source de la contagion est le Komintern, ou pour le dire plus justement, le GPU, pour lequel l’appareil du Komintern ne sert que de couverture légale. Les événements des derniers mois en Espagne ont montré quels crimes la bureaucratie déchaînée et entièrement dégénérée de Moscou et ses hommes de main sortis d’une écume internationale déclassée sont capables. Ce n’est pas une affaire de meurtres 'occasionnels' ou de coups montés 'occasionnels'. C’est une affaire de conspiration contre le mouvement ouvrier mondial » (Writings of Leon Trotsky, 1937-38, p. 28).

En dépit de la petitesse de ses rangs, du manque de ressources matérielles et de son isolement, le mouvement trotskyste et les travaux théoriques brillants de son chef terrifiaient Staline. Le Bulletin de l’Opposition maintenait une circulation clandestine significative en Union soviétique, et les conceptions de Trotsky étaient suivies avec attention, même dans l’entourage de Staline. Bien qu’étant lui-même un incapable sur le terrain de la théorie marxiste, Staline, en tant que vétéran du Parti bolchevique prérévolutionnaire, comprenait très bien la puissance des idées et la capacité d’un groupe révolutionnaire même petit à devenir une force décisive dans les bonnes conditions. Il était déterminé à détruire toute trace d’une opposition marxiste à son régime.

Trotsky a publié des avertissements répétés sur les activités meurtrières du GPU stalinien, qui n’était rien de moins qu’un tueur à gages pour le compte de l’impérialisme mondial. Il notait le parallèle entre les assassinats de Jean Jaurès, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht au début et à la fin de la Première Guerre mondiale et le meurtre de Rudolf Klement à la veille de la seconde. Il a écrit :

« L’œuvre d’extermination des internationalistes a déjà commencé à l’échelle mondiale avant l’éclatement de la guerre. L’impérialisme n’a plus à s’en remettre à un ' heureux accident.' Il a trouvé une agence internationale prête à l’emploi pour l’extermination systématique des révolutionnaires dans la mafia stalinienne. Jaurès, Liebknecht, Luxembourg jouissaient d’une notoriété mondiale en tant que dirigeants socialistes. Rudolf Klement était un jeune révolutionnaire encore inconnu. Néanmoins, l’assassinat de Klement parce qu’il était le secrétaire de la Quatrième Internationale a une signification politique profonde. Par l’intermédiaire de ses gangsters staliniens, l’impérialisme indique à l’avance de quel côté viendra la menace mortelle pour lui en temps de guerre » (Writings of Leon Trotsky, 1938-39, pp. 76-77).

Les efforts du GPU pour détruire l’opposition marxiste à la bureaucratie Stalinienne ont culminé le 20 août 1940, à Coyoacan, au Mexique, lorsque Mercader a planté un piolet dans le crâne de Leon Trotsky. Cet acte était le crime politique du siècle parce que la classe ouvrière a été privée de son plus grand dirigeant marxiste au plus haut point de la contre-révolution stalinienne.

L’assassinat de Trotsky a été préparé par un réseau d’agents du GPU infiltrés dans les principaux centres de la Quatrième Internationale. Parmi ceux-ci, il y avait Mark Zborowski, qui travaillait à Paris où Sedov avait transféré le centre de l’Opposition de gauche internationale après la victoire des nazis en 1933 ; Sylvia Caldwell, la secrétaire personnelle de James P. Cannon, dirigeant du Socialist Workers Party américain, qui travaillait au centre du SWP à New York ; et Joseph Hansen, un secrétaire personnel de Trotsky à Mexico, qui est retourné aux États-Unis après l’assassinat et est resté un dirigeant important du SWP jusqu’à sa mort en 1979.

Zborowski est né le 21 janvier 1908, à Ouman en Russie, de parents petits-bourgeois. Sa famille a émigré en Pologne en 1921. Zborowski a obtenu un diplôme de l’Université de Paris en 1928, a suivi des cours de maîtrise à Rouen, en France, étudié la philosophie à l’Université de Grenoble, et est retourné à celle de Paris en 1933, où il a obtenu sa Licence es Lettres en 1937 et un Diplôme d’Ethnologie en 1938.

Les informations disponibles actuellement n’indiquent pas exactement pourquoi ou quand Zborowski a commencé à travailler pour le GPU. Il ne fait cependant aucun doute qu’à un moment donné après son retour à Paris en 1933, Zborowski a commencé à avoir des entretiens hebdomadaires avec son contact du GPU, échangeant 200 à 300 francs à chaque fois pour des informations sur les trotskystes parisiens. Il signait ses reçus, « Mark » ou « Étienne. »

Léon Sedov

À partir de 1935, Zborowski avait des relations bien établies avec le cercle des trotskystes européens qui comprenait Jean van Heijenoort, un secrétaire de Trotsky, Henryk Sneevliet, un trotskyste hollandais, les trotskystes français Raymond Molinier et Pierre Naville, et Jeanne Martin, la compagne de Leon Sedov. Grâce à eux, Zborowski a finalement pu rencontrer Sedov, et il est devenu l’un de ses proches confidents, mettant à disposition ses talents linguistiques considérables pour les recherches et la publication du Bulletin de l’Opposition de gauche russe.

Zborowski a travaillé en étroite collaboration avec Lola Dallin, qui se faisait alors appeler Lola Estrine, une émigrée russe comme lui qui disait de Zborowski qu’il était son « frère siamois. » Dallin, morte en 1980, a longtemps été soupçonnée d’avoir travaillé pour le GPU, mais les preuves définitives de son rôle n’ont pas encore fait surface.

En 1936-1937, Sedov a vu tous ceux qu’il admirait dans sa jeunesse de révolutionnaire en Union soviétique devenir victimes de coups montés et être assassinés par les Staliniens. Ses deux sœurs sont mortes, l’une de la tuberculose, l’autre s’étant suicidée, et son frère pourtant sans activité politique, un ingénieur qui avait choisi de rester en URSS, avait disparu sans laisser de traces. Ses parents vivaient en exil, persécutés de pays en pays, isolés, interdits de parole et poursuivis par le GPU. Néanmoins, Sedov travaillait inlassablement, apportant à son père les informations nécessaires pour écrire La révolution trahie et ses autres œuvres monumentales sur les crimes et la trajectoire politique du stalinisme, tout en publiant le Bulletin russe.

Zborowski continuait à créer des dissensions autour de Sedov. Par des actions discrètes, il entretenait le factionnalisme parmi les camarades européens. Son rôle a créé des suspicions, et Molinier, Naville et Sneevliet ont commencé à exprimer ouvertement des inquiétudes à son sujet. Zborowski a organisé le vol le 6 novembre 1936 d’une partie des archives de Trotsky dans un appartement de la Rue Michelet à Paris, où était installé l’Institut Nicolaevsky. Ce n’était que l’annonce de crimes bien pires qui allaient suivre.

En juillet 1937, Erwin Wolf, un secrétaire important de Trotsky, a été envoyé en Espagne en pleine guerre civile pour intervenir contre les tactiques de Front populaire des Staliniens. Zborowski a informé le GPU, qui a intercepté Wolf à la frontière et l’a assassiné.

Deux mois plus tard, Ignace Reiss, un agent de haut niveau du GPU qui avait adhéré au Parti communiste quand celui-ci était encore une organisation révolutionnaire, a démissionné. Dans une lettre ouverte au Comité central du Parti communiste de l’URSS, il affirmait : « Pour que l’Union soviétique et le mouvement ouvrier international tout entier ne succombent pas définitivement sous les coups de la contre-révolution ouverte et du fascisme, le mouvement ouvrier doit battre Staline et le stalinisme. Ce mélange du pire opportunisme, dénué de tout principe, de sang et de mensonges menace d’empoisonner le monde entier et les dernières forces du mouvement ouvrier.

« Lutte sans merci contre le stalinisme ! Non au front populaire, oui à la lutte des classes ! Non aux comités, oui à l’intervention du prolétariat pour sauver la révolution espagnole : telles sont les tâches à l’ordre du jour ! À bas le mensonge du 'socialisme dans un seul pays' ! Retour à l’internationalisme de Lénine. » (Elisabeth Poretsky, Our Own People, Presses de l’Université du Michigan, p. 2).

Reiss a contacté le centriste hollandais Henryk Sneevliet, qui à l’époque entretenait des relations politiques avec le mouvement trotskyste. Sneevliet a arrangé un rendez-vous avec Sedov à Reims, en France. En tant que membre du cercle rapproché, Zborowski était l’une des personnes peu nombreuses qui connaissaient les mouvements de Reiss. Il a prévenu le GPU. Le 4 septembre 1937, Reiss a été abattu à la mitraillette par des agents du GPU devant un dépôt ferroviaire à Lausanne, en Suisse, avec un ticket pour Reims dans sa poche.

Elisabeth Poretsky, la veuve de Reiss, a pu échapper au GPU et rejoindre le cercle d’exilés autour de Sedov, qui comprenait Zborowski. Dans ses mémoires, Our Own People [sorti en français sous le titre Les nôtres], elle décrit comment l’homme qui a organisé l’assassinat de son mari se conduisait envers elle, en se faisant passer pour un partisan dévoué de Sedov : « J’aimais bien Etienne en tant que personne, et j’étais heureuse de discuter avec lui des événements en Union soviétique ; il était tout à fait d’accord avec moi sur les choses horribles qui se passaient là-bas. C’était un père de famille dévoué, et une fois ou deux il a amené son enfant chez moi. Il était évident qu’il adorait ce petit garçon et il me disait, à sa manière obséquieuse et flatteuse, qu’il espérait qu’il grandirait pour devenir comme mon fils » (Ibid. p.263).

Les soupçons sur Zborowski se sont renforcés. Sneevliet a dit à Elizabeth Poretsky qu’« il y avait un agent et c’est ce petit juif polonais, Etienne… Je dis et je répète que ce secrétaire et plus proche collaborateur de Sedov est un agent du GPU. » Pierre Naville était tellement méfiant à l’égard de Zborowski qu’il « insistait toujours pour le prendre en voiture au dernier moment, pour qu’Etienne ne sache jamais à l’avance où la réunion allait se tenir, » d’après Poretsky. Raymond Molinier a pris Zborowski en filature, mais n’a jamais pu le voir en compagnie de son contact au GPU.

En février 1938, Leon Sedov a été terrassé par des douleurs intestinales. Zborowski a passé deux coups de téléphone, l’un pour une ambulance, l’autre au GPU. Zborowski et Lola Estrine ont arrangé que Sedov soit transporté à la Clinique Mirabeau à Paris, un établissement connu pour être un repère d’émigrés russes et, par conséquent, d’agents du GPU. La belle-sœur d’Estrine, le docteur Fanny Ginsburg, a participé à l’opération. Après quatre jours d’une apparente rémission, Sedov a soudainement rechuté et est mort dans d’horribles souffrances.

Il fait peu de doute que c’était là un meurtre médical à l’instigation du GPU, lequel a été informé du lieu où se trouvait Sedov par Zborowski. Jack Soble et Mercader, l’assassin de Trotsky, ont tous deux admis que le GPU avait assassiné Sedov. Après avoir été démasqué, Zborowski a dit que la mort de Sedov « était le plus beau jour de ma vie. »

En juillet suivant, Rudolf Klement, un secrétaire trotskyste qui préparait la conférence de fondation de la Quatrième Internationale, a disparu à Paris. Son corps décapité à été retrouvé dans la Seine quelques semaines plus tard. Il y a des rumeurs persistantes selon lesquelles Klement était en train de réunir des informations pour démasquer Zborowski quand il a disparu.

En dépit du massacre de ses cadres dirigeants, la conférence de fondation de la Quatrième Internationale s’est tenue à Paris en Septembre 1938. Zborowski y était, en tant que représentant de Trotsky et de la section russe en exil, et il a pris la parole à la réunion. C’est durant cette conférence que le GPU s’est arrangé pour qu’une jeune sympathisante trotskyste américaine, Sylvia Ageloff, rencontre « Jacques Mornard, » l’un des nombreux faux noms de Mercader, lui-même fils d’une agente espagnole du GPU ; il s’est servi de sa relation avec Ageloff pour infiltrer le groupe des Américains autour de Trotsky.

Zborowski lui-même n’a jamais pu pénétrer dans la maison de Trotsky à Mexico, en partie à cause de suspicions supplémentaires soulevées sur son rôle dans une lettre anonyme que Trotsky a reçue le 1er janvier 1939, à Coyoacan. Cette lettre, qui donnait des détails précis sur les opérations de l’agent du GPU mais sans en donner le nom complet, était envoyée par Alexander Orlov, un responsable de haut niveau du GPU qui avait fait défection et tentait de prévenir Trotsky des projets d’assassinat de la police secrète stalinienne.

En raison des craintes d’Orlov sur sa propre sécurité, il n’a pas signé la lettre de son vrai nom et la présentait comme un message d’un autre sympathisant de Trotsky qui avait découvert l’identité de l’agent par ses conversations avec un général de l’armée rouge qui faisait défection également et dont il donnait le nom, Lushkov. Malgré cette histoire compliquée pour se couvrir, les informations d’Orlov étaient précises et confondantes. Il écrivait :

« Cet agent provocateur a pendant longtemps assisté votre fils L. Sedov à publier votre Bulletin de l’Opposition russe, à Paris, et collaborait avec lui jusqu’à la mort de Sedov. Lushkov est pratiquement sûr que le nom du provocateur est 'Mark'. Il était littéralement l’ombre de Sedov ; il informait la Tcheka de chaque pas de Sedov, même ses activités et sa correspondance privées avec vous que ce provocateur lisait en toute connaissance de Sedov.

« Ce provocateur s’est infiltré jusqu’à obtenir la totale confiance de votre fils et en savait autant sur les activités de votre organisation que Sedov lui-même. Grâce à ce provocateur, plusieurs membres de la Tcheka ont reçu des décorations […]

« Cet agent provocateur a entre 32 et 35 ans. Il est juif, originaire de la partie russe de la Pologne, écrit bien le Russe […] Ce provocateur porte des lunettes. Il est marié et a un jeune enfant […] Demandez à vos camarades de confiance à Paris […] de vérifier son passé et de savoir qui il rencontre. Il ne fait aucun doute qu’avant longtemps vos camarades le verront rencontrer des officiers de l’ambassade soviétique. » (How the GPU Murdered Trotsky, New Park Publications, pp. 100-101).

Orlov concluait en proposant une procédure de confirmation que son message avait bien été reçu : « Afin que je puisse savoir si vous avez bien reçu cette lettre j’aimerais que vous publiiez une note dans Socialist Appeal à New York disant que le bureau de la rédaction a reçu la lettre de Stein ; faites paraître la note dans ce journal pour les mois de janvier et février. » (ibid., p. 101)

Marc Zborowski en état d’arrestation
à la fin des années 1950

La réponse de Trotsky a été immédiate. Il a envoyé une lettre au SWP disant : « Extrêmement confidentiel, extrêmement important, et extrêmement urgent. – J’ai reçu des informations très importantes d’une source non identifiée mais qui affirme être en contact avec des agents haut placés du GPU, disant qu’un collaborateur de longue date du Biulleten Oppozitsii serait un agent provocateur : Mark. »

Trotsky a donné l’ordre à ses camarades européens de créer une commission « dans le but de surveiller » Zborowski-Etienne. Il a déclaré, « si l’information est confirmée, l’opportunité doit être saisie de le dénoncer à la police française comme voleur des archives dans des conditions qui ne permettront pas qu’il s’échappe » (Writings of Leon Trotsky, Supplement (1934-1940), Pathfinder Press, 1979, p. 818).

Le jour suivant, Trotsky a écrit à l’un des camarades auquel il faisait le plus confiance au SWP, John G. Wright : « Dans la prochaine édition de Socialist Appeal il est absolument nécessaire de publier l’annonce suivante… 'Lettre de STEIN reçue. Nous insistons pour rencontrer un camarade absolument digne de confiance. S’adresser au Socialist Appeal à l’ATTENTION de MARTIN.'

« Si une telle lettre est reçue, alors vous devriez personnellement rencontrer cet homme. La question peut devenir très importante. »

Orlov a décrit les événements qui ont suivi la lettre de Trotsky dans son témoignage de 1957 devant un sous-comité du Congrès des États-Unis : « Assez rapidement, un mois après, j’ai vu cette annonce insistante : « j’insiste M. Stein, j’insiste pour que vous alliez immédiatement aux bureaux de la rédaction du Socialist Appeal pour parler au camarade Martin.'

« J’y suis allé sans révéler mon identité. J’ai simplement regardé discrètement ce Martin, et il ne m’a pas inspiré une grande confiance, donc ça s’est arrêté là. »

Si Orlov soupçonnait que des agents du GPU étaient infiltrés dans les quartiers généraux du SWP, il avait raison. La principale secrétaire des bureaux était Sylvia Callen / Franklin / Caldwell (voir la note [1]), qui a été démasquée plus tard comme agente du GPU. Le très prudent Orlov a échappé au sort d’un deuxième haut responsable du GPU qui avait également fait défection vers la même époque, le Général Walter Krivitsky. Il a été tué en 1941 dans sa chambre d’Hôtel à Washington, sans doute par des assassins du GPU avant de pouvoir révéler ce qu’il savait des crimes de Staline.

Trotsky, qui n’était pas au courant à l’époque de la défection d’Orlov, croyait que Krivitsky était l’auteur de la lettre qui impliquait 'Etienne', et il poursuivait ses efforts pour entrer en contact avec lui. Les archives indiquent que Trotsky a donné à l’un de ses secrétaires américains, Joseph Hansen, une copie du manuscrit encore en cours d’écriture sur la vie de Staline à emporter aux États-Unis pour servir de signe de reconnaissance avec l’auteur de la lettre anonyme. En dépit des grands espoirs placés par Trotsky dans le succès de cette mission, Hansen n’a pas pu entrer en contact avec lui. Cela a probablement sauvé la vie d’Orlov, puisque Hansen était également un agent du GPU et aurait fait en sorte qu’Orlov subisse le même sort que Krivitsky.

Une personne qui s’est précipitée à la défense de Zborowski après la réception de la lettre d’Orlov était sa collaboratrice et autoproclamée « sœur siamoise, » Lola Estrine. Elle a fait mention des discussions sur la lettre d’Orlov lors de son témoignage en 1956 devant les auditions au Congrès sur les activités des agents soviétiques aux États-Unis :

« La première rumeur que j’ai entendue à ce propos [que Zborowski était un agent], ce fut à l’été 1939, quand j’ai rendu visite à Leon Trotsky à Mexico. Il avait reçu une lettre anonyme d’un homme qui lui disait que l’ami le plus proche de son fils, sans donner son nom, seulement qu’il s’appelait 'Mark', était un agent du NKVD. La lettre était assez déplaisante parce qu’elle contenait trop de détails, et il était dit dans cette lettre, pour autant que je m’en souvienne, 'dites à l’un de vos amis à Paris de suivre cet homme, et vous verrez où il fait ses rapports, qui il rencontre, ce qu’il fait. »

« Et quand M. Trotsky m’a montré cette lettre et m’a demandé mon opinion sur lui, je me suis sentie un peu mal à l’aise, parce que les détails étaient très désagréables. Il y en avait bien trop dans la lettre. Et puis j’y ai repensé et j’en ai discuté avec lui, et j’ai dit, « c’est certainement une magouille du NKVD, qui veut vous priver des quelques collaborateurs que vous avez en France.'

« Et en même temps, il avait une autre lettre d’un autre agent anonyme, lui disant qu’une femme, donc moi, viendrait lui rendre visite et l’empoisonner.

« Donc nous avons tous les deux décidés, ' vous voyez comment ils travaillent ? Ils veulent que vous rompiez avec les seules personnes qu’il reste en France, les Russes disons, en France, à Paris.' Et nous avons décidé de ne pas prendre cela au sérieux, que c’était une supercherie du NKVD » (Scope of Soviet Activity in the United States, US Governement Printing Office, 1956, p. 137).

Son interrogateur lui a alors demandé, « et vous l’avez conseillé dans ce sens ? »

Mlle Dallin a répondu, « Et quand je suis revenue à Paris, la première chose que j’ai faite, a été de le dire à M. Zborowski. » (Ibid).

La seconde lettre, à laquelle Estrine fait référence, ne venait pas d’un autre « agent anonyme, » mais était à nouveau d’Orlov, il répétait son avertissement au sujet de Zborowski et incluait la nouvelle information selon laquelle Lola Estrine elle-même était un agent du GPU. L’existence de la lettre est connue par diverses références à celle-ci, mais son contenu a été caché par le SWP qui détient l’original.

Les soupçons de plus en plus nets, alimentés par les lettres d’Orlov, neutralisaient les activités de Zborowski au sein de la Quatrième Internationale, au moins tant que Trotsky était en vie. Mais l’élan principal de la conspiration du GPU, la préparation de l’élimination physique de Trotsky, était toujours là. Le 24 mai 1940, un groupe de bandits staliniens dirigés par le peintre mexicain David Alfaro Siquieros a pu rentrer dans le bastion de Trotsky grâce à un jeune garde américain, Robert Sheldon Harte. Bien qu’ils aient arrosé la chambre de Trotsky de tirs à l’arme automatique et lancé des bombes incendiaires, Trotsky et sa famille s’en sont sortis miraculeusement indemnes. Harte a disparu avec les agresseurs. Son corps a été retrouvé un mois plus tard.

Trotsky résumait les leçons politiques de cette tentative d’assassinat dans son dernier article laissé inachevé, la puissante déclaration publiée sous le titre de « Staline cherche ma mort » [en fait la déposition rédigée pour la police mexicaine, ndt] il écrivait :

« Le mouvement auquel j’appartiens est un mouvement jeune qui est apparu sous les persécutions sans précédent de l’oligarchie de Moscou et de ses agences dans tous les pays du monde. De façon générale, il est impossible de trouver un mouvement qui ait eu autant de victimes en si peu de temps que le mouvement de la IVe Internationale. C’est ma conviction personnelle qu’à notre époque de guerres, d’annexions, de rapines, de destructions, et de toutes sortes de bestialités, la IVe Internationale est destinée à jouer un rôle historique. Mais c’est l’avenir. Dans le passé, elle n’a connu que les coups et la persécution. Personne n’aurait pu espérer au cours des douze dernières années faire une carrière grâce à la IVe Internationale. Pour cette raison, ceux qui ont rejoint ce mouvement sont des gens désintéressés, convaincus, prêts à renoncer non seulement aux biens matériels, mais aussi, si c’est nécessaire, prêts au sacrifice de leur vie. Sans vouloir aucunement tomber dans l’idéalisation, je me permettrai néanmoins de dire qu’il est impossible de trouver dans une autre organisation une telle sélection d’hommes dévoués à leur drapeau et étrangers aux prétentions personnelles, que dans la IVe Internationale. » (Stalin’s Gangsters, New Park Publications, pp. 8-9 – traduction marxists.org).

Il concluait : « Pour justifier leur persécution contre moi et pour dissimuler les attentats du G.P.U., les agents du Kremlin parlent de ma tendance 'contre-révolutionnaire'. Tout dépend de ce que l’on entend par révolution et contre-révolution. La force la plus puissante de la contre-révolution à notre époque est l’impérialisme, aussi bien sous sa forme fasciste que sous sa couverture quasi- démocratique. Aucun pays impérialiste ne veut m’autoriser à vivre sur son territoire. Quant aux pays opprimés, semi-indépendants, ils ont refusé de m’admettre, sous la pression des gouvernements impérialistes ou de la bureaucratie de Moscou laquelle joue maintenant un rôle extrêmement réactionnaire dans le monde entier. Le Mexique m’a accordé son hospitalité parce qu’il n’est pas un pays impérialiste ; et, pour cette raison, son gouvernement s’est révélé, de façon tout à fait exceptionnelle, suffisamment indépendant à l’égard de toute pression extérieure pour se déterminer conformément à ses propres principes. Je peux donc affirmer que je vis sur cette terre non pas conformément à la règle, mais comme une exception à la règle.

Dans une époque de réaction comme la nôtre, un révolutionnaire est obligé de nager contre le courant. Je le fais de mon mieux. La pression de la réaction mondiale s’est peut-être exprimée de façon plus implacable dans mon destin personnel et [celui] de mes proches. Je n’y vois là aucun mérite qui me revienne en propre : c’est le résultat de l’enchevêtrement des circonstances historiques… » (Ibid. p. 12).

Trotsky savait que le cercle mortel du GPU se resserrait autour de lui, que ce n’était qu’une question de temps avant que la conspiration n’atteigne ses objectifs. Quelques jours seulement avant sa mort, il déclarait à un journaliste mexicain, « je serais tué soit par l’un d’eux ici, soit par l’un de mes amis de l’extérieur, par quelqu’un qui a accès à la maison. Parce que Staline ne peut pas épargner ma vie. » Le pronostic de Trotsky a été tragiquement juste. Le 20 août 1940, Ramon Mercader a été admis dans l’étude de Trotsky, où il a enfoncé un piolet dans le crâne du grand dirigeant bolchevique. Trotsky a lutté contre son assassin, l’empêchant de s’échapper, mais est rapidement tombé dans le coma. Il est mort le lendemain.

Mercader a été jugé, condamné et a passé 20 ans dans une prison mexicaine, sans même admettre son rôle d’assassin du GPU. Cependant, le docteur Quiroz-Curaon, un criminologue mexicain réputé, a définitivement établi l’identité de Mercader en 1949. Dès sa libération en 1960, Mercader est parti à Cuba, où il a été accueilli chaleureusement par Castro. Il a poursuivi vers l’Union soviétique, où ce meurtrier de Trotsky a été décoré comme héros par la bureaucratie stalinienne sous Khrouchtchev. D’après des comptes-rendus de la presse, il est mort en 1978.

Mark Zborowski a poursuivi sa carrière d’agent du GPU contre le mouvement trotskyste, cette fois aux États-Unis. Quand les fascistes allemands ont envahi la France en juin 1940, Zborowski s’est enfuis vers le Sud du pays, et s’est retrouvé dans un camp de concentration des autorités de Vichy. Lola Estrine est venue à son secours, se rendant à Vichy pour obtenir la libération de Zborowski et son immigration aux États-Unis en passant par Lisbonne, au Portugal. Il est arrivé à Philadelphie le 29 décembre 1941.

Zborowski s’est rendu à New York et y a repris ses activités d’agent du GPU en espionnant les trotskystes et d’autres opposants à la bureaucratie stalinienne dans la ville. Des réunions de la direction de la Quatrième Internationale – qui avait été contrainte de déménager à New York pour maintenir les communications internationales en temps de guerre – se tenaient dans le salon de Zborowski, alors même que Joseph Hansen connaissait bien les soupçons soulevés par les lettres d’Orlov.

Zborowski en 1975 cherchant à échapper à la photo

Zborowski travaillait dans le réseau des agents anti-trotskystes sous la direction de Jack Soble, qui avait immigré aux États-Unis, avec son frère le docteur Robert Soblen, pour poursuivre leur travail pour le GPU. Il faisait régulièrement remonter des informations glanées par ses discussions avec les dirigeants de la Quatrième Internationale et ses contacts dans toute la communauté émigrée de la ville de New York, aidant sans doute le GPU à localiser et exterminer les membres des réseaux trotskystes clandestins d’Europe.

Les véritables conceptions politiques de cet agent du GPU ont été révélées dans une conversation relatée par l’ancien secrétaire en charge de la correspondance de la Quatrième Internationale, Jean Van Heijenoort, qui d’après ses souvenirs a eu lieu en 1943 ou 1944.

« À l’époque, l’étendue des camps de concentration russes était chose connue. Il y avait environ vingt millions de gens dans les camps. Cela avait été révélé pour la première fois dans toute son étendue et tout le monde pensait sérieusement à cela, et moi-même, je changeais de point de vue sur la Russie. Donc j’ai eu une discussion avec Zborowski sur la Russie, l’état Russe, les staliniens etc., et nous en sommes venus à discuter des camps de concentration, et de l’étendue de leur répartition en Russie. J’ai mentionné l’ampleur des camps de concentration et ce qu’il a dit à l’époque c’est qu’il y avait toujours eu des camps de concentration en Russie, alors quoi, cela ne changeait rien. À ce moment, je me suis mis en colère, j’ai rompu la discussion, et ce fut la dernière fois où j’ai eu une discussion sérieuse avec lui. » (How the GPU Murdered Trotsky, p. 167).

Pendant ce temps, Zborowski construisait sa carrière publique dans l’anthropologie à l’Université de Columbia, au Massascussetts Institute of Technology et à la faculté de médecine du Cornell Medical College, il a développé des relations professionnelles étroites avec des anthropologues de premier plan comme Ruth Benedict et Margaret Mead. Il a obtenu des postes à l’Institut scientifique Yiddish de New York et dans le American Jewish Commitee, ainsi qu’un poste d’enseignant à l’Université d’Harvard. Il a publié un livre sur son enfance à Ouman intitulé Life is With People [sorti en Français bien plus tard sous le titre Olam dans le Shtetl d’Europe centrale avant la Shoah, ndt].

La vie tranquille de Zborowski en tant qu’anthropologue respecté a éclaté quand Alexandre Orlov est réapparu sur la scène publique après la mort de Staline en 1953, et a publié ses révélations sur les crimes de Staline. En décembre 1954, Orlov a découvert que Zborowski était aux États-Unis, et l’a immédiatement dénoncé au procureur fédéral et au FBI, qui l’ont interrogé à plusieurs reprises au cours des années suivantes.

Orlov a plus tard décrit l’importance de Zborowski dans son témoignage au congrès : « Il était tellement apprécié que même Staline le connaissait. Sa valeur, comme je le comprenais à l’époque, était qu’il deviendrait bientôt l’organisateur de l’assassinat de Trotsky ou du fils de Trotsky, parce qu’en raison de la grande confiance que Trotsky et son fils avaient en lui, Mark pourrait toujours recommander des secrétaires de Trotsky, des gardes de Trotsky, et de cette manière, pourrait l’aider à infiltrer un assassin dans le foyer de Trotsky au Mexique. » (Témoignage d’Alexander Orlov devant la Sous-commission chargée d’enquêter sur l’administration de la Loi sur la sécurité intérieure et d’autres lois de sécurité intérieure, de la Commission judiciaire, Sénat des États-Unis, 28 décembre 1955, Publications du gouvernement Américain, 1962, p. 2).

Les révélations d’Orlov selon lesquelles le plus proche assistant de Sedov à Paris, l’omniprésent Etienne, était un agent du GPU a déclenché une bien plus grande réaction de la part du FBI que du SWP. Le FBI a interrogé Zborowski à plusieurs reprises et en 1956, il a témoigné publiquement devant la Sous-commission à la sécurité intérieure de la Commission judiciaire du Sénat. Au cours de la même période, le FBI a attrapé Soble, le chef du réseau. Zborowski a témoigné deux fois devant le Grand Jury des États-Unis de 1957 pour le district Sud de New York qui menait une enquête étendue sur les activités du GPU.

Le 21 avril 1958, le grand jury a inculpé Zborowski pour parjure parce qu’il avait nié sous serment avoir connu Soble. L’arrestation de Zborowski a été rapportée en première page du New York Times le lendemain. Zborowski a été jugé, reconnu coupable et condamné à cinq ans d’emprisonnement, le maximum. Sa culpabilité et la peine ont été largement divulguées dans la presse bourgeoise. Cependant, sa culpabilité a été annulée plus tard par la Cour d’appel fédérale de New York. Zborowski a été jugé une seconde fois, déclaré coupable à nouveau en 1962 et condamné à trois ans et onze mois dans une prison fédérale. Il n’y a cependant effectué qu’une petite partie de la peine ; à sa libération en 1964, il a été autorisé à reprendre sa carrière d’anthropologue dans la région de la Baie de San Francisco.

Le fait que Zborowski a été autorisé à retourner à une vie confortable d’universitaire démontre à quel point l’impérialisme, en dépit de ses querelles avec la bureaucratie du Kremlin, appréciait la contribution des agents du GPU à son propre maintien au pouvoir. Certainement, tout en donnant une tape sur les doigts à Zborowski pour ses activités d’espionnage illégales aux États-Unis, la bourgeoisie américaine n’était pas du tout gênée par le rôle qu’il avait joué dans le meurtre des trotskystes. En fait, l’intelligentsia libérale – qui avait dans sa grande majorité soutenu Staline contre Trotsky – traitait Zborowski avec sympathie. Elizabeth Poretsky, la veuve d’Ignace Reiss et également anthropologue, qui connaissait Zborowski, écrivit à propos du procès : « un grand nombre des collègues anthropologues d’Etienne s’est rendu au procès et se rassemblait autour de lui durant les pauses, montrant ostensiblement leur amitié et leur foi en lui. Ils ne savaient rien sur le monde des agents et de la police secrète, ou sur les questions politiques en Union soviétique ; pour eux, un agent soviétique et un parjure n’étaient que des victimes innocentes de la persécution politique. Ils étaient déterminés à appliquer leur méthodologie faite pour des cultures primitives à la terreur moderne, comme je l’ai compris quand un anthropologue américain très connu m’a dit après le procès : « Dans ce pays, on est contre les sacrifices humains' » (Our Own People, p. 274).

Jack Soble a plaidé coupable sur les accusations d’espionnage et a passé quatre ans en prison. Le docteur Robert Soblen a été arrêté pour espionnage le 29 novembre 1960 – à l’époque, le frère de Soble était un psychiatre réputé à New York. La secrétaire des bureaux du SWP dans les années 1930-40, Sylvia Franklin, a été également nommée dans la mise en accusation comme l’une de ses complices. [1] Soblen a été reconnu coupable d’espionnage et a reçu une peine à perpétuité. Il s’est suicidé le 6 septembre 1962, à l’aéroport d’Heathrow à Londres alors qu’il était encadré par des policiers qui le ramenaient aux États-Unis depuis Israël, où il s’était enfuit quand il était en liberté sous caution.

Alors que les révélations sur Zborowski, Soble et Soblen ainsi que leurs épreuves judiciaires ont été largement divulguées dans la presse, le Socialist Workers Party, qui était dans un état de déclin et de dégénération politiques sérieux, est resté étrangement silencieux. Alors même que les procès de Zborowski et Soblen avaient lieu au tribunal de Foley Square – à quelques pâtés de maisons des bureaux nationaux du SWP – rien du tout n’a été publié dans la presse du SWP sur les procès de Soble, de Soblen ou les deux procès de Zborowski. L’unique article sur Zborowski a été un compte-rendu superficiel signé par Joseph Hansen qui est apparu dans le numéro du 9 avril 1956, et largement copié sur deux articles écrits par David Dallin, le mari de Lola Estrine, pour les numéros des 19 et 26 mars 1956 du magazine The New Leader [un magazine culturel et politique libéral et nettement anti-communiste, ndt].

Le silence du SWP – suivi également par le Secrétariat international révisionniste dirigé par Michel Pablo et Ernest Mandel – était d’autant plus surprenant que d’autres dans le mouvement trotskyste demandaient des explications. Le plus remarquable était Georges Vereeken, un révolutionnaire belge qui avait connu Zborowski à Paris. Dans son livre The GPU in the Trotskyst movement, [titre français original : La Guépéou dans le mouvement trotskiste, ndt] Vereeken décrivait l’intérêt soulevé par les premières révélations des auditions au Congrès.

Le pabliste français Pierre Franck commentait, d’après Vereeken, « Zborowski a été interrogé par une sous-commission du Sénat américain. Nous ne pouvons espérer en apprendre plus sur ses activités dans nos rangs par ce biais. Les groupes américains […] devraient se réunir à ce sujet et tenter de faire parler cet Etienne. Malheureusement nous avons l’impression qu’ils ne sont pas très intéressés par toute cette affaire. » (Georges Vereeken, The GPU in the Trotskyist Movement, New Park Publications, pp. 4-5)

Vereeken a écrit plus tard que lors d’un congrès pabliste en avril 1964, il « a expliqué toute l’affaire Zborowski en détail, ainsi que les ravages causés par le GPU dans [le] mouvement. Trois fois, Mandel a tenté de m’empêcher de lire ma déclaration. Mais un autre membre dirigeant qui avait fait partie de notre tendance avant et pendant la guerre est intervenu énergiquement pour me permettre de la lire jusqu’à la fin.» (Ibid., p. 351).

Mandel et Pablo avaient des intérêts politiques bien précis pour refuser de s’engager dans ce genre de révélations systématiques des crimes du GPU sur lesquels Trotsky avait toujours insisté. [2] Ils avaient développé, à partir de 1949, une perspective politique qui affirmait que la bureaucratie stalinienne en Union soviétique avait prouvé, par son annulation des relations de propriété capitalistes en Europe de l’Est, qu’elle pouvait jouer un rôle révolutionnaire. Ils affirmaient que la mort de Staline en 1953 avait ouvert la voie à un processus d’« auto-réforme » de la bureaucratie qui rendait la perspective de Trotsky d’un renversement par la force de la bureaucratie stalinienne complètement dépassée. L’exposition du travail sanglant de la police secrète stalinienne contre le mouvement trotskyste – un dossier que Khrouchtchev n’avait pas révélé et qui est toujours gardé sous silence par Gorbatchev aujourd’hui – était politiquement gênante.

De plus, il est probable que des agents du GPU, y compris certains de ceux qui étaient impliqués dans le réseau du GPU qui avait organisé l’assassinat de Trotsky, étaient encore en service actif au sein de la Quatrième Internationale. Ces agents ne voulaient certainement pas d’une enquête sur le rôle de Zborowski qui pourrait soulever des questions gênantes risquant d’entraîner leur propre exposition.

En 1961, Gerry Healy, dirigeant de la Socialist Labour League, section britannique du Comité international, a écrit à Joseph Hansen au sujet d’'Etienne,' après avoir lu The Mind of an Assassin [tire français, L’Homme qui a tué Trotsky, ndt] un livre sur l’assassinat de Trotsky écrit par Isaac Don Levine qui résumait une partie de l’affaire Zborowski. Après la deuxième guerre mondiale, Healy avait rencontré un trotskyste européen qui utilisait le nom 'Etienne.' Et il voulait savoir si cet Etienne était le Zborowski auquel Levine faisait référence dans son livre. De plus, Healy insistait sur l’importance de la conduite d’une enquête complète sur le rôle du GPU dans la Quatrième Internationale. Healy écrivait, « Je pense, Joe, que nous avons besoin d’une discussion complète sur toute l’affaire et j’apprécierais vos remarques. Est-ce que Levine a raison à propos d’Etienne ?

« Si c’est le cas, alors il est nécessaire pour nous dans un avenir pas trop éloigné d’avoir un examen très poussé de toutes les ramifications internationales du mouvement trotskyste. » (The indictment Stands, Labor Publications, p. 10).

Hansen et ses alliés pablistes n’étaient pas intéressés par un quelconque « examen très poussé » du GPU dans le mouvement trotskyste. Hansen n’a pas expliqué à Healy que l’Etienne avec lequel Healy avait travaillé était une tout autre personne que Mark Zborowski.

Au lieu de cela, après avoir affirmé que le SWP n’avait pas pu couvrir les procès « d’Etienne » en raison de « problèmes d’effectifs, » Hansen a écrit : « l’une de nos principales inquiétudes était de ne pas donner le moindre encouragement aux idées que Levine cherche à implanter – que nos organisations seraient pleines d’espions. Une telle conception est un poison mortel et peut faire bien plus de dégâts que les informateurs occasionnels qui apparaissent dans toutes les organisations. » (Ibid., p. 11).

À son sixième congrès mondial en mai 1975, le Comité international de la Quatrième Internationale a lancé La sécurité et la Quatrième Internationale, la première enquête systématique sur la pénétration du GPU dans le mouvement trotskyste. Toutes les informations disponibles sur les machinations des frères Sobolevicius, de Zborowski et de Mercader, ainsi que les assassinats de Reiss, Wolf, Klement, Sedov et Trotsky ont été assemblées et analysées.

Mark Zborowski frappe l’appareil photo quand
la Workers League l’a retracé dans son logement
de San Francisco, en 1975

En août de cette même année, David North de la Workers League a pu localiser Zborowski devant sa maison dans un quartier huppé de San Francisco où il vivait une demi-retraite confortable. North a pris des photos de Zborowski avec sa femme Regina. Zborowski a attaqué North pendant que Regina menaçait, « vous ne pouvez rien faire avec ces photos si vous savez ce qui est bon pour vous. » [3]

Le comité International a publié les photographies avec une documentation sur les activités de Zborowski, de Jack Soble, de Robert Soblen et de Mercader dans How The GPU Murdered Trotsky et d’autres ouvrages de la série Security and the Fourth International. En conséquence, les cadres et les travailleurs politiquement avancés du monde entier ont pu apprendre le rôle contre-révolutionnaire sanglant du Stalinisme et le besoin impérieux de sécurité au sein du mouvement révolutionnaire. Le CIQI a également passé en revue les preuves accablantes montrant que la secrétaire de Cannon, Sylvia Franklin, était aussi une agente du GPU.

L’enquête du CIQI a révélé des documents qui montraient que Joseph Hansen avait maintenu des relations précédemment secrètes, d’abord avec le GPU stalinien dans la période précédant l’assassinat de Trotsky, puis avec le FBI américain dans la période qui a suivi. [4] Ces relations ont débuté sans que la direction du SWP n’en soit informée, et ont culminé avec l’envoi par Hansen d’un courrier au ministère des affaires étrangères pour demander le nom d’un responsable du gouvernement « à qui des informations confidentielles peuvent être données avec impunité. » Il a été orienté vers le chef du bureau du FBI de la ville de New York, B. E. Sackett. Tout comme les rapports de Zborowski étaient lus par Staline en personne, la relation d’Hansen avec le FBI a reçu l’attention particulière de J. Edgar Hoover. Et Hansen affirma en public que le travail du Comité international sur Zborowski était une « mauvaise piste » et défendit Sylvia Franklin comme une « camarade exemplaire. » [5]

L’épouse de Zborowski met en garde le photographe
« vous ne pouvez rien faire avec ces photos si vous
savez ce qui est bon pour vous ! »

Mis à part le Comité international, aucune organisation au monde n’a soutenu le travail de Security and the Fourth International ni publié ses pièces. Au lieu de cela, l’enquête a été dénoncée par le SWP et ses alliés révisionnistes pablistes comme Ernest Mandel, partout dans le monde. [6] leur campagne de diffamation a atteint un crescendo en janvier 1977, quand Mandel, George Novack, Tariq Ali et Pierre Lambert ont uni leurs forces lors d’une réunion restée célèbre où ils ont pris la défense d’Hansen et que le CIQI qualifia justement de « Tribune de la honte. »

Une déclaration publiée par le Comité international à l’époque disait, « Ceux qui sont familiers de l’histoire de la lutte contre le révisionnisme auront du mal à refreiner un haut-le-cœur spontané devant la témérité des organisateurs qui défendent les activités criminelles du GPU et de leurs complices sous la bannière d’une fausse « démocratie ouvrière » […] la révélation des crimes de Staline et de la complicité des révisionnistes dans la couverture de ces crimes est au cœur de la formation de nouveaux cadres révolutionnaires. Ceux qui s’opposent à cette tâche d’une manière ou d’une autre servent les intérêts contre-révolutionnaires du stalinisme. Nous avons été prévenus. »

La campagne entamée par le CIQI sur La sécurité et la Quatrième Internationale a culminé dans l’accusation que le dirigeant du SWP Joseph Hansen aurait délibérément couvert et protégé des agents staliniens du GPU. En l’espace de quelques années, les héritiers d’Hansen à la direction du SWP allaient confirmer explicitement et publiquement cette accusation par leurs pratiques, en joignant leurs forces à celles de l’agent du GPU Zborowski pour l’empêcher d’être contraint à témoigner sur ces crimes contre le mouvement trotskyste.

Le Comité international a soutenu un procès intenté au gouvernement américain et au SWP par un de ses propres membres, Alan Gelfand, qui avait été expulsé du SWP pour avoir soulevé des questions portant sur le rôle de Sylvia Franklin et de Joseph Hansen et demandé que la direction du SWP qui avait décidé cette expulsion réponde aux documents publiés par le CIQI. Gelfand a accusé les agents du gouvernement au sein du SWP d’avoir décidé de son expulsion pour le faire taire et protéger la position leur assurant le contrôle du parti.

Dans le cadre du procès, les avocats de Gelfand ont pu interroger divers témoins sous serment. Le secrétaire national du SWP Jack Barnes, qui s’était plaint du « harcèlement » de Franklin par la Workers League, a été interrogé sur l’attitude du SWP envers les agents du GPU :

Question : Comment savez-vous que la Workers League a harcelé Sylvia Caldwell [Franklin] ?

Réponse : Je sais que ce mouvement a envoyé des agents pour tenter d’obtenir une discussion avec elle – sous de faux prétextes. Ils ont tenté de la prendre en photo, le visage dégagé, hors de sa maison, et ils ont tenté de l’embarrasser en les publiant dans le journal. C’est une personne qui n’a pas été impliquée dans notre mouvement depuis 30 ans au moins. Elle a droit à une vie normale, privée, en tant que citoyenne américaine, sans harcèlement. Elle a droit à sa vie privée. Elle ne doit pas voir ses voisins et son mari, qui n’ont rien à voir avec le mouvement socialiste, harcelés. Le fait même qu’elle ait été membre, il est dans ses droits de ne pas divulguer cela aux autres. C’est ce genre de choses.

Question : est-ce que votre opinion changerait si elle était une agente du GPU ?

Réponse : même eux ont droit à leurs droits personnels.

Question : est-ce votre travail de protéger des agents du GPU ?

Réponse : C’est mon boulot de protéger les droits des citoyens américains en luttant et en travaillant dans le mouvement et en défendant les droits de notre parti, quand il est attaqué.

Question : est-ce que les droits de votre parti sont attaqués quand des enquêtes sont menées, dans le cadre de la loi, sur les activités du GPU dans votre mouvement ?

Réponse : quand des particuliers sont harcelés par des organisations dont le seul but est de les harceler, leurs droits sont affectés. Vous avez fait référence à M. Zborowski plus tôt. C’est une personne qui a déclaré, sous serment, s’être associé à des opposants à notre mouvement. Même M. Zborowski a les mêmes droits que n’importe quel autre citoyen de ce pays. » (The Gelfand Case, Labor Publications, pp. 421-22).

La défense par le SWP du meurtrier Zborowski a pris une forme encore plus explicite après que Gelfand ait présenté une requête à l’agent du GPU le 18 février 1982 à son domicile de Manzanita Avenue à San Francisco, pour le faire témoigner sous serment. Les avocats du SWP, eux-mêmes membres du parti, ont demandés une « protection » de la cour pour empêcher cette déposition. Gelfand a réussi à contrer cette demande.

Le 15 avril 1982, Zborowski s’est présenté pour son témoignage dans un cabinet juridique de San Francisco accompagné par son avocat. Interrogé par les avocats de Gelfand, Zborowski a refusé de répondre à toutes les questions, affirmant que le faire risquait de l’incriminer et de violer son droit à la vie privée. Par la suite, les avocats de Gelfand ont présenté une demande destinée à contraindre Zborowski à témoigner. Les avocats du SWP ont collaboré avec Zborowski, rédigeant des conclusions pour lui pour qu’il s’oppose à la demande de Gelfand qu’il soit contraint de témoigner.

Les juges J. Stelle Langford et Mariana R. Pfaelzer ont tous deux respecté le refus de témoigner de Zborowski, affirmant que dans le cas contraire, il pourrait être contraint de révéler l’identité d’agents au sein du SWP en violation de la Loi sur la protection de l’identité des informateurs qui venait d’être adoptée en 1982. Ainsi, le SWP a aidé à bloquer la dernière opportunité du mouvement trotskyste de contraindre Zborowski à divulguer ce qu’il savait sur l’appareil meurtrier qui a martyrisé ses dirigeants.

Cet incident révélait le lien direct entre les conspirations meurtrières du GPU dans les années 1930 et la direction actuelle du SWP. L’appareil d’espionnage anti-trotskyste du GPU, dans lequel Zborowski a joué un rôle si important, a été en grande partie repris en charge par les agences de renseignement de l’impérialisme américain durant les années 1940 et 1950. Après la fin de la seconde guerre mondiale et de la coopération établie pendant la guerre entre la bureaucratie soviétique et l'impérialisme américain, la position des agents du GPU opérant aux États-Unis a changé. Au cours de la guerre, le gouvernement des États-Unis n’était pas opposé au sabotage mené par les staliniens contre le mouvement trotskyste. Après tout, le gouvernement américain avait envoyé l’ensemble de la direction du mouvement trotskyste en prison pour des accusations de sédition. Cependant, avec le début de la guerre froide et la crainte de la bourgeoisie que ses « secrets atomiques » soient volés par l’Union soviétique, Washington a décidé de serrer la vis aux activités du GPU aux États-Unis.

Les responsables les plus importants du réseau d’espionnage du GPU ont été arrêtés et leurs réseaux ont été démantelés. Les agents de plus bas niveau se voyaient en général proposer le choix de collaborer avec le FBI ou d’aller en prison, voir des punitions plus graves. L’un des objectifs du procès truqué contre les époux Rosenberg et de leur exécution était de convaincre les agents du GPU qu’ils feraient mieux de collaborer. Ainsi, pendant que les principaux responsables du GPU, comme Zborowski et ses acolytes Soble et Soblen, étaient neutralisés avec des poursuites judiciaires et de la prison, leurs agents, notamment Joseph Hansen, tombaient sous le contrôle de nouveaux responsables appartenant au FBI ou à la CIA.

La décision des tribunaux capitalistes de protéger ce vieil espion du GPU – en appliquant une loi rédigée pour protéger l’identité des agents de renseignements américains ! – démontre concrètement la collaboration directe entre l’impérialisme et la machine meurtrière stalinienne.

Zborowski a été autorisé à finir ses jours avec le prestige d’une position importante dans la recherche, habitant un quartier huppé de San Francisco. Ses bienfaiteurs l’ont protégé jusque dans la mort, son enterrement a pu rester privé pendant que la presse capitaliste retenait l’annonce de sa mort pendant presque deux semaines. C’était un homme que tant l’impérialisme que le stalinisme offrait ses remerciements.

En grande partie, les crimes du GPU stalinien et de ses agents contre la classe ouvrière internationale restent cachés et couverts. Gorbatchev et les autres héritiers de la machine meurtrière stalinienne détiennent les preuves. Rien ne témoigne plus du cynisme politique de la glasnost de Gorbatchev que le fait que les fichiers anti-Trotsky du GPU-KGB restent fermés jusqu’à ce jour. Les noms et les méthodes de ceux qui ont travaillé à détruire l’opposition marxiste internationale au Stalinisme n’ont toujours pas été révélés.

Notes :

1. Sylvia Franklin (née Callen), qui se servait du nom de Caldwell en tant que membre du SWP, a été la principale secrétaire des bureaux nationaux du SWP de 1938 à 1947. Elle a quitté le SWP en 1947 après que la direction du parti ait été informée de ses activités secrètes. En 1950, l’ex-éditeur du Daily Worker et agent du GPU Louis Budenz a publiquement révélé le rôle de Franklin comme agent anti-trotskyste dans son livre, Men Without Faces en 1950 [non publié en français]. Franklin donnait au GPU des minutes des principaux comités du SWP, des copies de la correspondance avec Trotsky et d’autres dirigeants de la Quatrième Internationale, des documents sur les finances du parti et des histoires privées. Elle attendait régulièrement à quelques blocs des bureaux nationaux du SWP pour se rendre dans l’appartement d’une complice du GPU, Lucy Booker, et taper des rapports pour Soble, Soblen et ses autres responsables du GPU.

En 1954, Franklin a été interrogée par un grand jury fédéral pour témoigner sur les opérations du GPU aux États-Unis. Elle a prétendu avoir perdu la mémoire des dizaines de fois. Quatre ans plus tard, elle a été convoquée devant un autre grand jury et sa mémoire s’était améliorée. Elle a admis avoir travaillé comme agent de la police stalinienne au sein du mouvement trotskyste, confirmant chaque détail du compte-rendu donné par Budenz. Jack Soble a également témoigné sur les activités d’espionne de Franklin, dont il a été le responsable pour le GPU pendant plusieurs années. La confession de Franklin devant le grand jury a été placée sous scellé pendant 25 ans, et n’a été rendue publique qu’en 1983 suite à la procédure engagée par Alan Gelfand contre la prise de contrôle du Socialist Workers Party par le gouvernement.

2. Dans sa lettre ouverte de 1937, « Il est grand temps de lancer une offensive mondiale contre le stalinisme, » Trotsky a publié un appel aux armes contre la terreur du GPU :

« Il est nécessaire d’instituer dans toutes les organisations ouvrières un régime de défiance rigide envers toutes personnes directement ou indirectement liées à l’appareil Stalinien. On doit toujours s’attendre à n’importe quelle perfidie de la part des agents du Komintern qui sont des marionnettes sans principes du GPU.

« Nous devons sans relâche réunir du matériel imprimé, des documents, des attestations de témoins concernant le travail criminel du GPU-Komintern. Nous devons régulièrement publier dans la presse des conclusions rigoureusement prouvées tirées de ces matériaux » (Writings of Leon Trotsky, 1937-38, p. 33).

3. La Workers League et le Comité international ont ignoré la mise en garde proférée par les Zborowski, mais les groupes révisionnistes l’ont tous prise à cœur. Aucune de ces organisations opportunistes et fondamentalement anti-trotskystes n’a jamais publié la photographie, aucun d’entre eux n’a jamais informé de ce que l’homme qui avait organisé l’assassinat du fils de Trotsky avait été retrouvé. Aucune n’a jusqu’ici commenté sa mort.

4. Le premier document compromettant était un mémoire daté du 31 août 1940, par le Consul Robert E. McGregor, un officier des renseignements à l’ambassade américaine de Mexico ; il indiquait qu’Hansen s’était rendu à l’ambassade et avait révélé au gouvernement américain qu’il avait été approché par le GPU en 1930 pour espionner le mouvement trotskyste. Hansen a dit qu’il avait rencontré un agent du GPU qui se faisait simplement appeler « John » pendant plusieurs mois à New York. Hansen a par la suite confirmé qu’il avait rencontré le GPU, mais affirmait que c’était une idée de Trotsky, pour rassembler des informations, alors qu’il n’y a aucune trace de cela dans les écrits de Trotsky, et que tous les dirigeants du SWP de cette période encore en vie ont nié en avoir eu connaissance. Hansen a dû s’en remettre à l’affirmation fantastique qu’il aurait communiqué avec Trotsky au sujet de son contact du GPU en utilisant de l’encre invisible. Étant donné les conditions de l’époque, après les meurtres d’Erwin Wolf, Ignace Reiss, Leon Sedov et Rudolf Klement, il est impensable que Trotsky ait autorisé l’un de ses secrétaires à avoir des rencontres avec l’agence qui exécutait les condamnations à mort lancées par Staline.

5. Plus tard, la raison de la défense de Franklin par Hansen est apparue : ce même ex-responsable du GPU, Budenz, qui avait démasqué Sylvia Franklin, avait accusé en privé Hansen d’être également un agent du GPU. Si Budenz avait décrit le rôle de Franklin dans son livre, il n’avait pas publié ses accusations contre Hansen. C’était probablement lié au fait que Budenz était lui-même devenu une taupe du FBI et que le FBI était en train de préparer Hansen pour son rôle ultérieur de principal dirigeant du SWP.

6. En 1976, après la première publication des documents du Comité international, Hansen a fait circuler une déclaration de soutien pour lui-même qui a été signée par des révisionnistes du monde entier. Le SWP a publié le document déclarant que c’était un « verdict » faisant autorité indiquant que les accusations contre Hansen et Sylvia Franklin étaient une machination. Il est apparu par la suite que la plupart de ceux qui avaient signé le « verdict » d’Hansen n’avaient jamais lu aucune des preuves découvertes par le CIQI, et que ceux qui ont fait circuler cette déclaration de soutien n’étaient même pas au courant de qui l’avait rédigée.

Les publications de l’enquête sur la sécurité et la Quatrième Internationale [en anglais] peuvent être acquises auprès de Mehring Books

(Cet article a été republié en anglais le 17 novembre 2011)

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