Perspectives

La faillite de Detroit

La faillite de Detroit, l'ex-capitale mondiale de l'automobile, marque une étape du déclin historique du capitalisme américain. C'est aussi un nouveau point de départ pour la contre-révolution sociale menée par la classe dirigeante pour faire payer l'échec de son système à la classe ouvrière.

Kevyn Orr, le "tsar" des finances qui n'a pas été élu, le gouverneur républicain Rick Snyder, le maire démocrate David Bing et les grands médias parlent tous de la situation horrible de Detroit – 78 000 bâtiments abandonnés, les éclairages publics défectueux, des pompiers en sous-effectifs et dotés d'un matériel dépassé – non pour mettre en cause les politiciens et les directions des entreprises qui en sont responsables, mais pour justifier la destruction des niveaux de vie et des services publics essentiels des travailleurs qui n'ont aucune responsabilité dans cette situation désastreuse.

En choisissant d'aller en justice, Kevyn Orr, avocat de Wall Street spécialisé dans les procédures collectives, veut assurer le remboursement des dettes dues par la ville aux grandes banques et aux détenteurs d'obligations en rompant les contrats passés avec les syndicats, en taillant dans les retraites et les assurances santé des travailleurs de la ville, qu'ils soient actifs ou retraités, en laissant à l'abandon les services publics, en privatisant l'éclairage public, les transports et les égouts et en vendant des biens publics comme l'usine de retraitement des eaux usées, le Parc de Belle île, les animaux du zoo municipal, et la collection célèbre dans le monde entier des œuvres du Detroit Institute of Arts.

En conséquence, des centaines de milliers d'habitants de Detroit seront jetés dans des conditions de plus en plus misérables. Des milliers de petites entreprises seront liquidées. En même temps, la ville donne des centaines de millions de dollars de fonds publics au milliardaire local Mike Illitch, propriétaire du club de Hockey des Red Wings, pour lui permettre de construire un nouveau stade, et au magnat de l'immobilier Dan Gilbert pour subventionner son projet d'embourgeoiser une partie du centre-ville.

En menant cette politique, Orr a le soutien des deux partis du grand patronat et du gouvernement Obama, qui ont exclu tout aide fédérale à Detroit.

En mettant Detroit en faillite, la classe dirigeante a révélé la réalité de la domination de classe et de la dictature du capital qui se tient derrière le décorum de la démocratie. La domination des banques et des grandes entreprises est incarnée dans les actions de leur agent, Orr, qui opère en dehors de tout contrôle démocratique.

Toutes les explications données pour la descente de Detroit dans la faillite – inévitablement centrées sur le coût prétendument exorbitant des retraites et de l'assurance-santé des employés municipaux – sont fausses. Detroit a été saignée à blanc, le résultat d'une politique délibérément suivie par les sociétés automobiles, les banques et la classe dirigeante dans son ensemble au cours d'une période de près de quatre décennies.

La ville a été décimée par un processus de désindustrialisation qui a commencé à la fin des années 1970. C'était la réponse de l'élite patronale américaine à la chute des taux de profits dans les industries de base et à l'intégration mondiale de la production, qui rendait plus facile pour les entreprises de déplacer la production vers des régions à faible coût de production.

Le démantèlement de l'industrie américaine allait de pair avec le passage aux formes les plus parasitaires de la spéculation financière et avec la montée de l'aristocratie financière. Cela a été accompagné d'une attaque contre les programmes sociaux, des réductions d'impôts pour les grandes entreprises et les riches, et une vague de répression contre les syndicats, de grèves brisées et de réductions des salaires dans les années 1980.

L'assaut contre le niveau de vie des travailleurs a continué sans répit sous les gouvernements démocrates comme républicains à Washington, et de la même manière sous les politiciens démocrates comme républicains au niveau de l'Etat régional et de la ville.

Cela a coïncidé avec la promotion des politiques centrées sur les origines raciales et les questions d'identité, qui visaient en fin de compte à mieux intégrer une couche des classes moyennes supérieures afro-américaines et d'autres minorités dans la structure du pouvoir politique, principalement par l'intermédiaire du Parti démocrate. Pendant des dizaines d'années, Detroit, comme les autres villes américaines dévastées par le déclin industriel, a été gérée en grande partie par des politiciens afro-américains, qui se sont avérés tout aussi impitoyables et corrompus que leurs homologues blancs.

La destruction de l'industrie et avec celle-ci des emplois, des salaires, des conditions de travail et des assurances sociales pour des millions de travailleurs a été menée avec la collaboration pleine et entière des syndicats. L'United Auto Workers (UAW), qui est née des luttes explosives des travailleurs de l'automobile de Detroit dans les années 1930, a isolé et trahi chaque lutte contre les fermetures d'usines et les réductions de salaires dans les années 1980 et 1990 et s'est intégrée dans la structure des directions des entreprises.

La dernière grève nationale majeure menée par l'UAW dans l'automobile a eu lieu en 1970. À partir du renflouement de Chrysler en 1979-80, l'UAW a passé les trois dernières décennies à étouffer la lutte de classe et à œuvrer pour imposer des conditions toujours pires aux travailleurs de l'automobile. Depuis l'effondrement financier de 2008, il s'est entièrement transformé en un annexe corporatiste des compagnies automobiles, devenant un actionnaire majeur des trois grands de l'automobile.

La réponse de l'UAW et du reste des syndicats de Detroit à la demande de mise en faillite a été d'ordonner à leurs membres de continuer à travailleur et de ne rien faire pour s'opposer à Orr. Ils ont critiqué l''administrateur d'urgence' principalement parce qu'il avait rejeté leurs offres de collaboration pour imposer de nouvelles concessions aux travailleurs de la ville.

Cette demande de mise en faillite a des implications nationales et internationales. Detroit va servir de test pour les autres villes du pays qui se sont retrouvées criblées de dettes du fait de la crise économique. L'utilisation de la bankruptcy court [tribunal fédéral spécifique pour les faillites, privées comme publiques, ndt] pour tailler dans les retraites et l'assurance-santé ouvrira la porte à des attaques du même genre contre des millions d'enseignants, de travailleurs des transports, des services d'assainissement, et d'autres employés municipaux.

Tout comme la Grèce est devenue le modèle des attaques contre les travailleurs dans toute l'Europe et au-delà, la faillite de Detroit – qui va bien au-delà même des mesures brutales appliquées en Grèce – va établir un mode opératoire pour la prochaine étape des attaques contre la classe ouvrière aux États-Unis et partout ailleurs. Ce qui est en jeu ce sont toutes les avancées obtenues sur plus d'un siècle par la classe ouvrière au prix de luttes et de sacrifices immenses et souvent sanglants.

La classe ouvrière à Detroit doit s'opposer implacablement à cette faillite. Les travailleurs devraient refuser toutes les exigences de concessions et de sacrifices pour protéger la richesse de l'aristocratie financière.

Le point de départ d'une lutte est la reconnaissance que le gouvernement Obama, le Parti démocrate et les syndicats sont tous de l'autre côté de la barricade.

Le Socialist Equality Party présente son propre candidat, D'Artagnan Collier, au poste de maire de Detroit. Ce candidat lutte pour la mobilisation unie et indépendante des travailleurs et des jeunes pour faire partir Orr et pour appliquer une politique socialiste en défense des emplois, des salaires, des retraites, de la santé et de tous les services sociaux.

Nous appelons à la formation de Comités ouvriers indépendants sur les lieux de travail, dans les écoles, et dans chaque quartier pour s'opposer à la mise en faillite. Ces comités devraient préparer des manifestations et des actions industrielles contre cette conspiration des banquiers.

Cette lutte doit être liée à une nouvelle stratégie politique. L'affirmation qu'« il n'y a pas d'argent » pour les retraites et la santé des travailleurs comme pour les services sociaux essentiels est un mensonge.

Les dettes à l'égard des banquiers doivent être répudiées et les compagnies automobiles, les banques et les grandes entreprises doivent être nationalisées sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière pour canaliser les ressources vers la satisfaction des besoins sociaux et non pas vers celle des profits privés.

Nous pressons tous ceux qui veulent lutter contre cette attaque des travailleurs de Detroit à soutenir la campagne électorale de D'Artagnan Collier et à rejoindre la campagne du PES pour mobiliser la classe ouvrière à Detroit et dans tout le pays.

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Pour plus d'informations sur le PES et pour vous impliquer, cliquez ici. Pour en savoir plus sur la campagne électorale de D'Artagnan Collier, cliquez ici [sites américains].

 

(Article original paru le 20 juillet 2013)

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