Le syndicat allemand du rail EVG assume des fonctions de direction dans la gestion du chaos ferroviaire

Des jours durant, la gare principale de la ville allemande de Mayence (200.000 habitants) a été coupée du reste du réseau ferroviaire en raison du manque de personnel d’aiguillage. La Deutsche Bahn (DB), la compagnie ferroviaire allemande a réagi à la crise du transport ferroviaire en intégrant comme cogestionnaire dans le département des ressources humaines de l’entreprise le syndicat des chemins de fer et du trafic l’EVG (Eisenbahn-und Verkehrsgewerkschaft). La coopération à long terme entre le conseil d’administration et le syndicat a connu un changement qualitatif en allant totalement contre des intérêts des travailleurs.

Ulrich Weber, le directeur des ressources humaines de la Deutsche Bahn, a rencontré mercredi soir à Francfort les responsables du syndicat. Il fut convenu que le syndicat en même temps que les comités d’entreprise et le service des ressources humaines procèderaient à un examen approfondi de la gestion des affaires de l’entreprise. Ceci ne s’appliquerait pas seulement aux opérations d’aiguillage pour lesquelles les syndicats affirment qu’il existe une pénurie de 1.000 contrôleurs, mais à l’ensemble des activités de Deutsche Bahn.

La dégradation du service ferroviaire à Mayence a catapulté l’entreprise ferroviaire de manière peu flatteuse au centre de l’attention médiatique nationale. La population a réagi avec colère et incrédulité face à la défaillance globale du transport public dont l’impact a été ressenti dans l’ensemble de la région Rhin-Main (une région où vivent 5,8 millions de personnes).

La vaste majorité des liaisons ferroviaires à grandes distances est à présent détournée durant la journée et évite la gare de Mayence alors que la desserte régionale et les services de tramway ont été considérablement réduits. Avant cela, aucun train longue distance ne s’arrêtait plus à Mayence après 20 heures.

La raison immédiate de ce chaos est un manque aigu de personnel d’aiguillage. Pour cause de vacances et de maladie, la moitié de l’équipe fait actuellement défaut. Les responsables de Deutsche Bahn ont reconnu que la situation était tout aussi précaire en d’autres endroits et que le désastre de Mayence pourrait se reproduire à tout moment. Des trains ont déjà été annulés dans les villes de Bebra et de Zwickau en raison du manque d’opérateurs d’aiguillage et de signalisation.

Selon le chef du syndicat des cheminots EVG, Alexander Kirchner, Mayence n’est que la « partie émergée de l’iceberg. » A l’échelle de l’entreprise, le manque de personnel a entraîné l’accumulation de 8 millions d’heures supplémentaires de travail et de 9 millions d’heures de congé non récupérées.

La pénurie de main d’oeuvre est la conséquence d’une campagne de privatisation menée durant les années 1990 et 2000. Deutsche Bahn avait été transformé en une entreprise à but lucratif pour une entrée en bourse sous la direction de son ex-président, Hartmut Mehdorn. Ce processus a échoué en raison de la crise économique mondiale ayant commencé en 2008.

Entre 1994 et 2010, l’effectif a été réduit de 150.000 salariés dans le cadre de la transformation de Deutsche Bahn d’un service public en une société privée rentable. Le service de l’entreprise couvrant le réseau ferroviaire et qui inclut les postes d’aiguillage est passé de 54.000 travailleurs en 2001 à 35.000 en 2012.

Grâce aux suppressions d’emplois, la gestion opérationnelle du réseau a réalisé d’importants bénéfices qui ont été transférés à la maison mère. Selon le journal Süddeutsche Zeitung, Deutsche Bahn anticipe un rendement de 20 pour cent au cours des cinq prochaines années, et cette tendance est à l’augmentation. Le gouvernement, qui est le seul propriétaire de l’entreprise, exige un bénéfice annuel de 500 millions d’euros. D’ici 2014, l’entreprise doit encore accroître ce chiffre à 700 millions d’euros.

Les responsables syndicaux et les politiciens du Parti social-démocrate (SPD) qui se plaignent actuellement des réductions excessives d’emplois s’étaient tous montrés d’enthousiastes promoteurs de la privatisation avant que les projets de cotation en bourse ne soient mis en suspend en 2008.

L’office fédéral des chemins de fer et l’agence des réseaux (Eisenbahn-Bundesamt und Netzagentur) ont instruit Deutsche Bahn de « se conformer rapidement aux exigences opérationnelles du transport ferroviaire et de rendre disponible un personnel d’aiguillage suffisamment qualifié à Mayence. » Autrement, Deutsche Bahn encourt une amende allant jusqu’à 250.000 euros.

Il n’existe toutefois pas de solution miracle. La main-d’œuvre aux postes d’aiguillage qui garantit la bonne circulation des trains à partir des cabines d’aiguillage, ne peut être remplacé du jour au lendemain. L’opérateur ferroviaire par exemple, qui est muté pour son travail de Mayence à Cologne aurait besoin d’au moins trois mois avant de pouvoir pleinement se familiariser avec les voies ferrées, les postes d’aiguillage et les horaires des trains locaux. Un service régulier de trains ne devrait pas être rétabli à Mayence avant septembre, sous réserve qu’aucun autre opérateur d’aiguillage ne s’absente pour raison de santé. 

L’intégration du syndicat de l’EGV dans la gestion des ressources humaines de l’entreprise vise à permettre à l’entreprise de sortir de la crise sans mettre en péril les taux de rendement élevés réalisés par la gestion opérationnelle du réseau et le transfert des bénéfices à l’Etat.

Il n’est pas clair si de nouveaux travailleurs seront recrutés. Des mesures sont discutées en ce qui concerne les opérations d’aiguillage qui alourdiraient la charge de travail des opérateurs de signalisation. Ils doivent être formés à d’autres cabines d’aiguillage à proximité de leur lieu de travail de façon à pouvoir être mutés avec une flexibilité et une efficacité accrues. De telles mesures seraient imposées plus facilement avec la collaboration des syndicats.

Le syndicat EVG est parfaitement adapté à jouer un rôle de cogestion. Anciennement connu sous le nom de Transnet, ce syndicat du rail opère depuis des années sous son président Norbert Hansen en tant que bras droit de la direction. Dans les années 2000, le syndicat avait été l’un des plus fervents partisans d’une offre de vente publique d’actions de l’entreprise ferroviaire. Hansen en fut récompensé en 2008 par l’attribution d’un poste de chef du personnel et siège au conseil d’administration avec un salaire mensuel de 150.000 euros [200.000 de dollars US]!

Lothar Krauss, le successeur intérimaire de Hansen à la présidence du syndicat, a défendu l’intégration de Hansen au sein de la direction de l’entreprise comme « faisant partie de la culture allemande du consensus. » Krauss a déclaré qu’il considérait ceci comme étant « parfaitement normal » et qu’il était fier qu’un responsable syndical aille assumer la responsabilité d’un directeur du personnel.

Un an auparavant, Transnet avait agi ouvertement en briseur de grève pour Deutsche Bahn. Le syndicat avait œuvré pour trahir une grève des conducteurs de train en dénonçant le syndicat des conducteurs de train GDL et en appuyant ouvertement la direction. Le syndicat a même été jusqu’à intenter une action en justice contre le GDL aux côtés du conseil d’administration. Le même syndicat a aussi pleinement coopéré dans la réduction drastique des emplois afin de préparer l’introduction de DB en bourse.

(Article original paru le 19 août 2013)

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