La faillite de Détroit: le pillage d’une ville américaine

Le sordide spectacle qui se déroule dans les tribunaux de Détroit a de graves implications pour les travailleurs à travers les États-Unis et internationalement.

Un défilé d’avocats, de banquiers et de politiciens témoigne devant le juge-commissaire Steven Rhodes qui devrait rendre sa décision d’ici la mi-novembre sur la légalité de la plus importante faillite municipale de l’histoire des États-Unis.

Si le juge rend le jugement attendu que la ville peut déclarer faillite, l’administrateur spécial Kevyn Orr va mettre en œuvre un vaste programme de coupes dans les régimes de retraite et de santé de plus de 20.000 travailleurs municipaux à la retraite et extraire jusqu’au dernier cent pour rembourser les banques et les gros investisseurs. Cela va ouvrir grand la porte à des attaques similaires dans les villes et les États à travers le pays.

La classe dirigeante américaine utilise depuis longtemps les procédures de faillites comme une arme redoutable contre les travailleurs des secteurs privés du camionnage, de l’aviation, de la métallurgie, de l’auto et d’autres industries. Dans les années 1980 et 1990, les prédateurs financiers ont amassé de vastes fortunes en sabrant les emplois, les salaires et les pensions de retraite des travailleurs et en liquidant l’équipement, l’immobilier et d’autres actifs de sociétés emblématiques.

Le déclin du capitalisme américain a atteint un point tel que ce type de pillage financier est maintenant dirigé contre une grande ville des États-Unis, anciennement la capitale mondiale de l’auto.

Les témoignages entourant la vente des actifs de Détroit ressemblent étrangement à ce que l’on pourrait entendre dans une boucherie, où les acheteurs tentent d’obtenir la meilleure pièce de viande au plus bas prix. Belle Isle, le parc public conçu par le célèbre Frederick Law Olmsted, est évalué à 370 millions de dollars; la collection du musée d’art de Détroit (Detroit Institute of Arts, DIA), qui réunit 60.000 œuvres dont des chefs-d’œuvre inestimables de Caravaggio, Rivera, Bruegel et Van Gogh, pourrait être vendue pour 10 à 20 milliards de dollars; et l’usine de traitement des eaux de Détroit, située près de la plus grande réserve d’eau potable au monde, garantit d’importants revenus aux sociétés d’investissement tant que celles-ci pourront continuer de hausser les tarifs.

Toute cette procédure est un complot antidémocratique contre la population. La façon dont les médias présentent toute l’affaire (qu’il s’agirait d’une évaluation objective des faits et des arguments juridiques de parties «en opposition» menée par un juriste neutre) est une supercherie. La partie qui a le plus en jeu, soit la population de Détroit, est complètement exclue du processus.

La ville est «représentée» par un dictateur de la finance non élu qui a été mis en place dans une conspiration menée contre la population du Michigan par le gouverneur républicain Rick Snyder, l’ancien trésorier de l’État Andy Dillon (un démocrate et ancien banquier d’affaires) et le maire de Détroit David Bing. Dès le début, ils prévoyaient utiliser les procédures de faillite pour contourner la constitution, par laquelle sont protégées les pensions des travailleurs du secteur public.

Selon le témoignage, vendredi dernier, du banquier d’affaires Kenneth Buckfire (qui avait été embauché par la ville pour restructurer la dette municipale), des avocats représentant l’État et l’ancien cabinet d’avocats d’Orr, Jones Day, avaient envoyé des courriels à Buckfire lui indiquant que la ville devait déclarer faillite en avril 2012, avant la tenue prochaine d’un référendum sur la loi concernant l’administrateur spécial de l’État.

Ces courriels ont été envoyés neuf mois avant même que Jones Day ne signe un contrat avec Détroit, et 15 mois avant qu’Orr n’annonce la faillite, affirmant que la ville avait épuisé toutes les autres possibilités et qu’elle devait agir ainsi en dernier recours.

Le témoignage de Buckfire vient s’ajouter aux arguments qui démontrent que tout le processus est complètement bidon: qu’il s’agisse du conflit d’intérêts flagrant dans l’embauche par Orr de son ancien cabinet d’avocats au coût de dizaines de millions de dollars, des fausses affirmations que les choses avaient été faites «avec diligence» avant d’entamer le processus de faillite et des violations de la loi sur l’administrateur spécial.

L’administration Obama est quant à elle venue donner son accord. Plus tôt ce mois-ci, des avocats du département de la Justice ont déposé un mémoire visant à empêcher toute contestation juridique. Des groupes de retraités accusent le processus de faillite d’être anticonstitutionnel, car il viole la souveraineté du Michigan et le droit de la population de l’État de «définir et contrôler les actes des représentants élus et nommés».

Les avocats de l’administration Obama soutiennent qu’il n’y a pas eu de telle violation de la souveraineté d’État, car le gouverneur Rick Snyder, le principal conspirateur dans l’affaire, a accordé «l’autorisation de l’État»!

Quant à eux, la Fédération américaine des employés d’États, de comtés et de municipalités (AFSCME), les Travailleurs unis de l’auto (UAW) et d’autres syndicats ont agi, non pas comme représentants de la classe ouvrière, mais en tant que «créanciers» défendant leurs propres actifs et privilèges.

Les avocats des syndicats et le comité commis d’office des retraités, constitué en grande partie de fonctionnaires syndicaux, sont ceux qui exigent le plus fermement que la ville liquide des actifs du secteur public, y compris la collection du musée d'art, plutôt que de déclarer faillite. Les représentants syndicaux ont aussi soutenu qu’ils étaient plus que prêts à faire une autre série de concessions au niveau des salaires et des avantages sociaux, mais qu’Orr avait refusé de négocier «de bonne foi».

Conseillés par leurs propres consultants de Wall Street et avocats grassement payés, les dirigeants syndicaux s’inquiètent surtout de conserver la maîtrise de leurs propres «placements», soit les fonds fiduciaires de retraite de plusieurs milliards de dollars qui représentent maintenant une importante source de revenus.

L’AFSCME et l’UAW n’ont rien fait pour empêcher Orr de sabrer les régimes de santé des retraités et les syndicats n’auraient aucune réticence à sacrifier les pensions des travailleurs, tout comme ils l’ont fait avec tous leurs autres gains au cours des 35 dernières années. La seule chose que demande l’appareil syndical est sa part du gâteau dans le pillage des actifs de la ville.

Tous les partis officiels qui participent au processus de faillite s’entendent pour faire payer la classe ouvrière pour une crise dont elle n’est nullement responsable. Ils répètent sans cesse qu’il n’y a pas d’argent pour les retraites, les services essentiels ou la culture. Et ce, même si les constructeurs automobiles de Détroit ont empoché 12 milliards de dollars l’an dernier (et Ford vient d’annoncer des profits de 1,43 milliard de dollars à son premier trimestre), et que les banquiers de Wall Street et les super-riches ne se sont jamais si bien portés.

La dictature de l’aristocratie financière doit être renversée et les gains criminels de l’élite patronale et financière doivent être saisis et utilisés pour que les travailleurs et les jeunes soient assurés de bénéficier de tous les droits sociaux (l’emploi, le logement, l’éducation, la santé et la culture) qui sont nécessaires à une vie décente et confortable au 21e siècle.

L’enjeu de cette lutte est majeur pour toute la classe ouvrière. L’administration Obama espère faire de cette ville le modèle à suivre pour les attaques sur les travailleurs à travers le pays; la «Bataille de Détroit» peut et doit donc devenir le début d’une contre-offensive de la classe ouvrière.

Il faut s’opposer à tout le processus de faillite. Un mouvement industriel et politique de masse de la classe ouvrière doit s’organiser indépendamment des deux partis du patronat, des syndicats corrompus et serviles, et du système de profit qu’ils défendent tous. Il faut que l’objectif d’un tel mouvement soit la réorganisation socialiste de la vie économique pour que le principe directeur en soit la satisfaction des besoins humains, et non le profit privé. C’est précisément cette lutte que mène le Socialist Equality Party.

(Article original paru le 28 octobre 2013)

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