Les chefs de l'espionnage américain défendent les écoutes des dirigeants étrangers et les programmes de surveillance des masses

Lors de leur audience Jeudi devant la Commission de la chambre des députés sur les renseignements, le directeur des renseignements nationaux James Clapper et le directeur de la National Security Agency le général Keith Alexander ont défendu les programmes de surveillance de la NSA, y compris les écoutes des chefs de gouvernement des pays alliés. 

Le témoignage des chefs des services de renseignement intervient dans le contexte d'une crise diplomatique internationale de plus en plus nette après les révélations indiquant que la NSA écoutait le téléphone portable de la Chancelière allemande Angela Merkel depuis plus de dix ans, dans le cadre d'un programme de surveillance qui visait également au moins trente-quatre autres chefs de gouvernement. Les tensions transatlantiques ont été aggravées par des reportages indiquant que la NSA a récemment collecté des données sur 70 millions d'appels téléphoniques et de textos français et 60 millions d'espagnols en un mois. 

Ces dernières révélations sur l'espionnage illégal de masse par les États-Unis, qui viennent de documents publiés par l'ex-agent de la NSA Edward Snowden, ont déclenché des protestations de la part des alliés des États-Unis comme l'Allemagne, la France et l'Espagne ainsi que de l'Union européenne. Une délégation du Parlement européen est déjà à Washington, en train de rencontrer les responsables du Congrès et du gouvernement, et des visites séparées par des responsables des renseignements allemands et des représentants de l'UE sont sur le départ. 

Les retombées de la crise diplomatique au sein de l'état et de l'élite politique américains s’étendent. Le gouvernement Obama et les dirigeants du Parti démocrate ont lancé une tentative de limiter les dégâts politiques et de distraire le public des questions essentielles soulevées par ces révélations sur les programmes d'espionnage – des politiques de toute évidence anticonstitutionnelles liées au développement de l'appareil d'un état policier en Amérique. 

Le gouvernement a déclaré à la presse que Obama ne savait rien de l'écoute de Merkel et des autres chefs de gouvernement jusqu'à juin dernier, lorsqu'une étude interne sur les programmes de la NSA ordonnée à la suite des premières révélations de Snowden a porté cette pratique à son attention. Obama aurait suspendu ce programme à ce moment-là. 

Cette version des faits, que le président a de toute évidence raconté à Merkel lors d'une conversation privée la semaine dernière, a été contredite par des responsables actuels et passés des services de renseignements qui ont préféré rester anonymes, ils ont déclaré au Los Angeles Times que des protocoles établis de longue date imposaient que ce genre d'information soit transmise au ministère des Affaires étrangères ainsi qu'à la Maison blanche. 

Les responsables du gouvernement ont démenti une déclaration lundi de la présidente de la Commission du Sénat sur les renseignements, Diane Feinstein (une démocrate de Californie), selon laquelle les responsables de la Maison blanche lui auraient déclaré qu'Obama ordonnerait la fin de la collecte d'informations sur les pays amis. Les sources au gouvernement ont au contraire dit qu'Obama se contentait de réfléchir à réduire les opérations d'espionnage sur les dirigeants des pays alliés. 

Dans un entretien pour la télévision lundi, le président a dans l'ensemble défendu les programmes de surveillance de la NSA en disant, « les opérations de la sécurité nationale, en général, ont un but et celui-ci est de s'assurer que le peuple américain est en sûreté et que je prends les bonnes décisions. » En même temps, lui et d'autres porte-parole de la Maison blanche ont parlé dans des termes vagues d'imposer des restrictions à ces programmes et de les rendre plus « transparents, » afin de gagner la confiance du peuple américain. 

Du point de vue d'Obama et des deux partis du grand capital – comme du point de vue des médias contrôlés par la grande entreprise – cette crise ne vient pas des atteintes aux droits démocratiques, mais de la révélation de la conspiration étatique contre ces droits, et de la colère croissante de la population, qui est profondément hostile à ce genre de mesures qui sont celles d'un état policier. 

L'ensemble de l'élite craint que le système politique ne se retrouve encore plus discrédité aux yeux des gens. La révélation de l'écoute de dirigeants étrangers amis, en particulier, rend encore plus absurde la rengaine officielle sur l'espionnage de masse de la population américaine et mondiale qui serait motivée par le désir de protéger le peuple Américain contre des attaques terroristes. 

L'audience de jeudi de la Commission de la Chambre des députés a montré le soutien des deux partis du grand patronat pour les agences de renseignement et les services de l'armée ainsi que pour les programmes d'espionnage généralisé qui ont été validés par la Maison blanche et le Congrès. Cette audience a été organisée conjointement par le président républicain de cette commission, Mike Rogers du Michigan, et par le démocrate Dutch Ruppersberger du Maryland, pour fournir une occasion à Clapper et Alexander de défendre leurs agences et de minimiser les preuves massives de leurs activités illégales. 

Rogers a donné le ton dans sa première déclaration, où il a dit : « Chaque nation collecte des renseignements sur les pays étrangers. Ce n'est pas spécifique aux États-Unis. Ce qui est spécifique aux États-Unis, c'est notre niveau de supervision, notre engagement pour la protection de la vie privée, et notre système d'équilibrage de la collection de renseignements. » 

Ruppersberger a été encore plus servile dans ses louanges adressées à la NSA. Il a commencé par dire qu'il voulait « remercier les gens de la communauté des services de renseignements qui travaillent jour et nuit pour protéger la sécurité de notre nation. » Il a continué en disant : « avec toutes les critiques soulevées par ces programmes, il est important que nous n'oubliions pas que ces hommes et femmes font ce que nous leur demandons de faire, dans le cadre des lois que nous avons votées, et ils le font pour nous protéger. » 

Ignorant tout simplement les preuves publiées sur le rassemblement de données par la NSA sur les appels téléphoniques et les courriers électroniques de pratiquement tous les Américains, Ruppersberger a affirmé, « D'après la loi FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act), la NSA ne cible pas les Américains sur le sol des États-Unis et ne les cible pas non plus n'importe où ailleurs, sans un mandat judiciaire. » 

Il a poursuivi en affirmant que si la NSA avait eu en 2001 un mandat pour collecter des informations sur chaque appel téléphonique passé aux États-Unis, elle aurait pu empêcher les attentats du 11 septembre. 

Dans leurs remarques préliminaires, Clapper comme Alexander ont brandi ces attentats sanglants pour tenter d'effrayer le peuple américain afin qu'il accepte la surveillance permanente du gouvernement en affirmant que l'autre solution implique de nouvelles tragédies du même genre. Clapper a une fois de plus dénoncé les révélations sur les programmes de surveillance secrets et affirmé qu'elles sapaient les efforts « honnêtes » pour « maintenir le pays en sécurité. Il a ajouté que durant les 50 ans qu'il avait passé dans les services de renseignements, il n'avait jamais vu une telle « série sans fin de menaces contre notre mode de vie » comme aujourd'hui. 

Alexander a de même offert une défense intégrale des opérations de surveillance de la NSA. « Nous avons montré que nous pouvons aussi bien défendre notre pays que protéger nos libertés fondamentales, » a-t-il déclaré. Il a prévenu le Congrès qu'il ne devait pas « abandonner un programme qui ferait que cette nation soit attaquée. » 

Les deux hommes ont défendu le rassemblement en masse de données sur les appels téléphoniques et les communications par Internet, tout en professant un soutien à des « réformes » d'ordre purement cosmétique pour rendre ces programmes plus « transparents. »

Le président Rogers a commencé les questions en interrogeant Clapper sur l'espionnage des alliés des États-Unis, ce dont Clapper s'est emparé pour suggérer que Washington ne faisait rien d'extraordinaire en écoutant le portable de Merkel.

Alexander a catégoriquement écarté les rapports sur l'espionnage massif par les États-Unis des communications des citoyens français et espagnols, en disant que ces rapports étaient faux.

Aucun des membres de la Commission qu'il soit démocrate ou républicain n'a suggéré que ces programmes étaient illégaux ou inconstitutionnels, qu'ils devraient être arrêtés, ou que ceux qui en sont responsables devraient être démis de leurs fonctions ou poursuivi en justice. Les démocrates en particulier, ont fait tout leur possible pour déclarer leur plus grand respect pour la NSA. Le plus qu'ils se soient permis de faire a été de suggérer qu'écouter les téléphones des chefs des gouvernements amis gênait la diplomatie américaine et le travail en faveur des intérêts américains à l'étranger.

Les remarques de la député Terri Sewell (démocrate de l'Alabama) ont été typiques, elle a commencé en déclarant son « respect le plus absolu » pour les agences de renseignement et a professé son désir de « réformer ces programmes, non de les démanteler. »

Personne n'a mentionné la déclaration d'Alexander dans un entretien posté par le Pentagone sur Youtube la semaine dernière selon lequel les reportages sur les programmes d'espionnage secrets devaient « cesser ». Rogers a lancé sa propre menace aux médias, dénonçant « du journalisme de très mauvaise qualité, inexact » sur la NSA et ajoutant que c'est « une chose à laquelle nous allons nous attaquer ici dans le futur. »

L'hypocrisie de ces responsables tentant de limiter les dégâts est bien montrée par la présidente de la Commission du Sénat, Feinstein. Lundi, elle a publié un communiqué qui se plaint de ce qu'elle n'aurait pas été « correctement » informée sur l'espionnage des dirigeants étrangers et déclarait son opposition à cette pratique.

Elle a dit que sa commission lancerait une enquête en profondeur sur toutes les opérations de la NSA.

Feinstein a défendu bec et ongles toutes les opérations d'espionnage massif contre la population. Il y a moins de deux semaines, elle a publié une chronique dans USA Today qui demandait la poursuite de la collection massive des données téléphoniques par la NSA, en insistant sur le fait que ce programme n'était « pas de la surveillance. »

Elle était à la pointe de la chasse aux lanceurs d'alerte, dénonçant les révélations de Snowden en juin dernier comme « un acte de trahison » et demandant en 2010 que le fondateur de WikiLeaks Julian Assange soit poursuivi en application de la loi américaine sur l'espionnage.

Le Wall Street Journal a indiqué que le rapport qui sera publié par sa commission sur les résultats de son enquête « de haut en bas » sur les opérations de la NSA sera classé secret.

(Article original paru le 30 octobre 2013)

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