Après la tragédie de Lampedusa: l'UE renforce les barrières contre l'immigration

Avant même que tous les corps aient été retirés du naufrage du navire qui a sombré au large de Lampedusa, faisant plus de 300 morts, L'Union européenne (UE) a annoncé un resserrement des mesures contre les immigrants aux frontières de l'Europe.

Jeudi dernier, une large majorité des députés du Parlement européen ont adopté le programme Système européen de surveillance des frontières (Eurosur). Celui-ci comprend une surveillance des frontières par des moyens de haute technologie ainsi que des mesures supplémentaires pour empêcher les immigrants d'entrer en Europe.

Mardi dernier, une conférence des ministres de l'intérieur et de la justice a accepté la demande du ministre allemand Hans-Peter Friedrich que rien ne devrait changer dans la politique de l'UE en ce qui concerne les réfugiés. Ils ont écarté les suggestions de certains journaux qui évoquaient la possibilité d'offrir des ouvertures légales aux réfugiés des guerres d'Afghanistan, de Syrie, d'Afrique ou du Pakistan, et mis de côté toute proposition de changement des accords de Dublin II.

Les accords de Dublin II stipulent que les réfugiés ne peuvent déposer une demande d'asile que dans le pays de l'UE où ils sont arrivés en premier. C'est la justification d'un énorme flux de déportations au sein de l'UE, faisant en sorte que les demandeurs d'asile ont de minces chances d'obtenir une audience pour faire entendre leurs demandes.

Vendredi dernier, un autre navire a chaviré au large de Lampedusa, causant probablement plus de 50 morts. Même si certains politiciens européens ont versé des larmes de crocodiles sur la noyade de plus de 400 réfugiés, l'UE a écarté tout assouplissement de sa politique d'asile.

Le programme Eurosur adopté par le Parlement européen doit commencer à opérer en décembre. Il surveille les frontières extérieures avec des drones, des systèmes de surveillance par satellite, des moyens de détection en mer, et des vérifications d'identité biométriques contre les voyageurs «illégaux». L'information obtenue par Eurosur est transmise à l'agence de protection des frontières Frontex, qui coordonne les mesures pour intercepter les bateaux transportant des migrants bien avant qu'ils atteignent l'Europe pour les forcer à retourner en Afrique.

Après les morts de centaines de migrants en Méditerranée, la commissaire européenne à l'immigration, Cecilia Malmström, a tenté de présenter Eurosur comme un système amélioré qui sauve des vies en mer. C'est une tromperie. Le texte qui a été adopté indique que le programme Eurosur vise «à détecter et à prévenir la migration irrégulière et la criminalité transfrontalière».

Eurosur ne s'arrête pas à l'UE. Des pays extérieurs seront activement impliqués dans la persécution des réfugiés. Un accord a déjà été conclu avec le gouvernement libyen sur l'usage des drones et des satellites pour la surveillance. Sur l'insistance de l'UE, la Tunisie, l'Algérie et l'Égypte vont également participer à Eurosur.

Eurosur devrait coûter 340 millions d'euros en 2020, mais les critiques ont donné des estimations allant jusqu'à 1 milliard d'euros. L'anthropologue Hans Lucy a correctement décrit ce programme de surveillance dans un article pour le New York Times comme «le rêve de fanatiques de la sécurité et des entreprises internationales de l'armement».

Cependant, Eurosur sera un cauchemar pour les migrants. Le renforcement de la surveillance aux frontières de l'UE signifie qu'ils devront utiliser des navires encore plus petits et moins sûrs, prendre des routes encore plus dangereuses et détournées. Le risque de payer de sa vie la tentative de fuir vers l'Europe va grandement augmenter, alors même que les pays de l'UE ont eux-mêmes contraint les gens à fuir leurs pays en participant à des guerres en Afghanistan, en Syrie et en Afrique.

La lutte contre les migrants et les supposés immigrants illégaux est soutenue par une large alliance de tous les grands partis européens. Les plus durs comme le ministre allemand de l'intérieur, Friedrich, ne sont pas les seuls à répéter le slogan selon lequel «la barque est pleine». En Grande-Bretagne, le dirigeant du parti travailliste Ed Miliband a encouragé le sentiment anti-immigrés, et en France, le ministre PS de l'intérieur, Manuel Valls, cherche à éradiquer les campements de Roms et à les déporter.

Au Parlement européen, les socio-démocrates ont voté avec les chrétiens-démocrates et les conservateurs pour le programme de surveillance Eurosur. Birgit Sippel, une députée du SPD allemand, a même chanté les louanges d'Eurosur au cours du débat parlementaire en déclarant que c'est «une opportunité pour les migrants de [gagner] un accès sécurisé à l'Europe», puisque le sauvetage des vies en mer figure parmi les objectifs additionnels d'Eurosur.

Même si la fraction des Verts a voté contre le règlement Eurosur, ce n'était pas un vote de principe, mais une réaction au rejet de leur propre proposition de texte, qui donnait plus de place au sauvetage en mer. Les Verts ont tenté de dissimuler le renforcement militaire aux frontières de l'Europe derrière cette feuille de vigne humanitaire, afin de détourner l'attention des violences de l'UE contre les migrants.

La députée des Verts, Franziska Keller, a déclaré qu'elle espérait que Frontex respecte davantage les droits de l'Homme, parce qu'un poste de «commissaire aux droits de l'Homme» a été créé en 2011. Elle a également demandé la création d'une «commission sur les frontières» de l'UE, pour mieux coordonner les responsabilités dans la protection des frontières.

En fait, les socio-démocrates et les Verts portent une responsabilité importante dans le traitement inhumain des réfugiés. Ce n'est pas une coïncidence que Frontex ait été fondé en 2004, lorsque les socio-démocrates et les Verts étaient au gouvernement à Berlin.

C'est le ministre SPD de l'intérieur Otto Schilly qui, avec le soutien des Verts, a pratiquement dicté le texte qui constitue aujourd'hui la base des opérations de Frontex. Depuis lors, des sources fiables ont estimé que 10.000 migrants se sont noyés en Méditerranée. Le nombre de noyés qui ne sont pas comptés est probablement plus élevé.

Le «règlement sur les pays tiers sûrs», qui simplifie considérablement la procédure permettant de renvoyer de force les immigrés dans leur pays d'origine, a également été mis en place par les socio-démocrates. Ils ont soutenu un amendement de ce genre à la constitution allemande en 1993 après qu'une manifestation de droite a mis le feu à des logements pour demandeurs d'asile.

Ce «règlement sur les pays tiers sûrs» vient soutenir l'accord de Dublin II et sert de modèle pour encourager le traitement déplorable des migrants dans toute l'Europe. Les réfugiés sont désignés comme des migrants économiques et de «faux demandeurs d'asile». De cette manière, les idées anti-immigrés et les positions de droite sont encouragées, ce qui en retour renforce les groupes néo-nazis et pousse le climat politique vers la droite.

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