Aggravation de la crise économique du Venezuela : Maduro expulse des représentants des États-Unis

Le président du Venezuela Nicolas Maduro a annoncé lundi qu'il ordonnait l'expulsion de trois responsables de l'ambassade américaine, les accusant d'avoir organisé et financé le « sabotage » du réseau électrique du pays et de son économie. 

La principale accusée à devoir quitter le pays dans les 48 heures est Kelly Keiderling qui est le chargé d'affaires des États-Unis, le représentant américain le plus haut placé dans la hiérarchie de l'ambassade depuis le départ de l'ambassadeur en 2010. Dans le CV de Keiderling il y a des études universitaires au US National War College, des passages à Cuba et des fonctions comme chef de service au bureau du ministère des Affaires étrangères pour l'Irak. Elizabeth Hunderland et David Mutt, qui travaillent apparemment à la section politique de l'ambassade, ont également reçu l'ordre de quitter le pays. 

« Fichez le camp du Venezuela ! Rentrez chez vous les Yankees ! » a déclaré Maduro lundi en annonçant sa décision au cours d'une retransmission de son discours à une cérémonie militaire en direct pour la télévision. « Nous n'autoriseront pas un gouvernement impérial à venir et donner de l'argent, et réussir à mettre à l'arrêt les compagnies qui gèrent des services essentiels et couper le courant pour mettre le Venezuela en panne. » 

Après cet ordre officiel adressé au ministère des Affaires étrangères américain, le ministre des Affaires étrangères vénézuélien Elias Jaua a porté une accusation un peu plus précise, accusant ces responsables d'avoir organisé des réunions avec des personnalités de l'opposition dans les états fédérés de l'Amazonas et du Bolivar ; d'après le ministre, celles-ci visaient à fomenter des manifestations contre le gouvernement. Il a également affirmé qu'ils avaient rencontré des chefs indigènes dans le dessein de préparer une rébellion, ainsi que l'organisation Sumate, financée par les États-Unis, pour discuter selon lui de plans visant à remettre en cause les résultats des élections municipales générales qui auront lieu le 8 décembre. 

« C'est une grosse opération psychologique appliquée directement par ces fonctionnaires de l'ambassade américaine, » a dit Jaua, qui affirme avoir des photographies et des enregistrements prouvant les activités illégales des représentants américains. 

Le ministre des Affaires étrangères a également accusé les responsables américains d'être derrière une grève de plus de deux semaines des travailleurs de l'acier à Sidor (Siderurgica del Orinoco Alfredo Maneiro), la principale aciérie du Venezuela. Cette grève était une action largement spontanée de la part des travailleurs contre les tentatives conjointes du gouvernement et de leur syndicat pour les forcer à reprendre le travail. Le gouvernement a été contraint la semaine dernière à accorder des concessions importantes pour obtenir la reprise du travail. 

Il ne fait aucun doute que l'ambassade américaine de Caracas, tout comme les autres ailleurs, est un nid d'espions qui se consacre à intervenir dans le pays pour faire avancer les intérêts de Washington et des grandes banques et entreprises américaines. 

Au Venezuela, ces activités ont inclus le soutien par la CIA du coup d'état raté qui avait brièvement écarté du pouvoir le prédécesseur de Maduro, feu Hugo Chavez, en 2002, ainsi que l'envoi de millions de dollars dans le pays par l'intermédiaire de l'UAID et de la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy) afin de financer les activités de l'opposition de droite et des soi-disant ONG comme Sumate. 

Cependant, mettre sur le dos des gens comme Keiderling et ses deux comparses toute la montée des luttes militantes de la classe ouvrière – les enseignants ont également démarré une vague de grèves dans tout le pays – n'est qu'une tentative réactionnaire, peu sérieuse et transparente de détourner l'attention du public de la propre crise de ce gouvernement bourgeois nationaliste. 

Ces derniers mois, Maduro et les autres représentants du gouvernement ont également attribué tous les problèmes aux sabotages de la « droite fasciste », depuis les coupures de courant massives jusqu'aux retards du métro de Caracas. 

Sur la scène internationale, Maduro et ses ministres ont accusé Washington d’avoir refusé à l'avion du président vénézuélien le droit de survoler le territoire américain au cours de son voyage en Chine le mois dernier – le ministère américain des Affaires étrangères a affirmé que Caracas n'avait pas suivi la procédure correcte pour présenter sa demande mais qu'elle avait été accordée tout de même. Il a ensuite expliqué son absence à l'Assemblée générale des Nations unies à New York en prétendant qu'il y avait un complot mettant sa vie en danger, dans lequel seraient impliqués deux ex-membres du gouvernement Bush, Otto Reich et Roger Noriega. 

En juin dernier seulement, Maduro avait annoncé une politique de rapprochement avec Washington et des sections de la grande bourgeoisie Vénézuélienne, son ministre des Affaires étrangères, Jaua, avait rencontré son homologue américain John Kerry, pour améliorer les relations et échanger des ambassadeurs. Cela a été suivi d'une rencontre cordiale entre Maduro et Lorenzo Mendoza, le milliardaire de droite qui dirige la plus grande entreprise alimentaire du Venezuela, Polar. Le gouvernement a également fait passer un accord pour 2 milliards de dollars entre la compagnie pétrolière publique PDVSA et le conglomérat de l'énergie américain Chevron.

Le tournant vers des dénonciations continuelles de complots et de conspirations qui seraient organisées par Washington et ses larbins sur place a suivi le rythme de l'approfondissement de la crise économique du pays, caractérisé par un taux d'inflation de 45 pour cent – le plus élevé de cet hémisphère – et des pénuries de plus en plus fortes des biens de base, depuis la nourriture jusqu'au papier toilette. 

Il y a des signes qui indiquent que les alertes quotidiennes au "sabotage" ne font plus recette parmi les Vénézuéliens. D'après un sondage récent, à peine 4 pour cent du public accepte cette explication des difficultés du pays.

Au cœur des crises économiques et sociales qui s'aggravent, il y a les contradictions qui sous-tendent ce que l'ex-colonel de parachutistes Hugo Chavez puis son successeur désigné, Maduro, ont appelé le socialisme bolivarien du 21e siècle. Se prétendant socialiste, ce programme consiste en des nationalisations partielles et des programmes d'aides pour les pauvres, tout en laissant les commandes de l'économie fermement entre les mains du capital financier international et vénézuélien. 

Pendant que les travailleurs ont vu leur salaire réel s'amenuiser régulièrement, le marché boursier du pays est le plus performant du monde, en augmentation de 281 pour cent par rapport à l'année dernière. À la tête de cette croissance vertigineuse, il y a les banques privées du pays, qui sont les plus profitables du monde grâce à la spéculation et au financement à des taux d'intérêt exorbitants de la dette publique du pays qui gonfle de plus en plus. 

Sous Chavez puis sous Maduro, toute une nouvelle couche des riches élites au pouvoir, que l'on appelle la boliburgesia, s'est développée, s'enrichissant par la corruption, les contrats publics et la spéculation financière.

Cela a été facilité par le fait que le gouvernement a maintenu un taux de change officiel de 6,3 bolivars pour un dollar, alors que la monnaie américaine s'échange entre 6 et 7 fois ce prix sur le marché noir. 

Ce système, en enrichissant quelques-uns par la spéculation sur les monnaies, a créé une pénurie de devises étrangères qui a entravé les importations et aidé à faire monter les prix. Le manque d'entretien et d'investissement dans les industries nationalisées a pendant ce temps fait baisser la production. 

Des plans auraient été préparés par le ministère des Finances, dirigé par Nelson Merentes, l'ex-président de la Banque centrale du Venezuela, pour un « ajustement financier » en s'appuyant sur l'introduction d'une plus grande flexibilité du système financier. D'après certains reportages, cela inclurait la réactivation d'un système interdit en 2010 qui permettait aux compagnies financières privées de vendre des obligations convertibles en dollars. 

L'effet en serait une nouvelle dévaluation forte du bolivar, ce qui signifierait un nouveau coup dur pour les salaires réels déjà fortement réduits des travailleurs vénézuéliens. Les responsables comprennent très bien que le retrait du contrôle des échanges monétaires et le fait de laisser la monnaie nationale flotter par rapport au dollar faisaient partie du plan de réforme introduit par l'ex-président Carlos Andres Perez en 1989, ce qui a déclenché le Caracazo, un soulèvement massif des pauvres des villes où 2000 personnes ont été tuées. 

Les inquiétudes au sein de l'élite dirigeante sont mises en évidence par un document récent intitulé « Que hacer? » - « Que faire? » - rédigé par les conseillers économiques de Maduro. Il met en garde : « Jusqu'à maintenant, les classes opprimées qui soutiennent le processus révolutionnaire ont été patientes… Mais l'on sent dans l'environnement la possibilité d'une explosion sociale suite à une chute éventuelle dans les abysses économiques qui approche dangereusement. » 

Si cela devait se produire, toutes les histoires du gouvernement Maduro sur les « sabotages » seraient utilisées agressivement contre la classe ouvrière. La tâche que les travailleurs vénézuéliens ne peuvent se permettre de retarder est la construction de leur propre parti révolutionnaire indépendant, en lutte contre le gouvernement Maduro et l'oligarchie financière qu'ils défend. 

(Article original paru le 2 octobre 2013)

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