Le scandale des écoutes de la NSA domine le sommet de l'Union européenne

Le sommet de l'Union européenne (UE) à Bruxelles jeudi et vendredi a été dominé par les écoutes de la NSA sur le téléphone portable de la chancelière allemande Angela Merkel. Le débat sur ces révélations s'accompagnait de plans pour de nouvelles attaques sociales contre la classe ouvrière sur tout le continent.

Avant le début du sommet, la chancelière allemande a rencontré le président français François Hollande durant 15 minutes pour discuter des derniers rapports sur les activités de surveillance internationale de la National Security Agency (NSA).

Au sommet, les 28 dirigeants de l'UE se sont mis d'accord sur le fait que Merkel et Hollande devraient clarifier ces questions avec le président américain Barack Obama et préparer un rapport pour le prochain sommet en décembre. Une délégation de hauts responsables du gouvernement et des services de renseignement se rendra à Washington la semaine prochaine.

Le but d'une telle délégation n'est pas de faire des révélations sur les activités criminelles des agences de renseignement américaines, mais de contribuer à une mascarade. Pendant des mois, tous les dirigeants de l'UE ont œuvré à étouffer ou à minimiser les révélations d'Edward Snowden sur la surveillance systématique de toute la population mondiale.

Les services de renseignement britanniques, allemands et français travaillent main dans la main avec les services de renseignement américains pour leurs propres activités d'espionnage.

Ce sommet a également décidé de n'appliquer aucune sanction contre les États-Unis. Il a rejeté les demandes soulevées au début de la semaine par le parlement européen de suspendre l'accord Swift sur le transfert des bases de données bancaires vers les États-Unis, et a également refusé les demandes visant à remettre à plus tard les négociations qui ont actuellement lieu entre les États-Unis et l'UE sur un accord de libre-échange. Ce sommet a même refusé de discuter d'une révision du Règlement européen sur la protection des données, qui a été négocié sur plus d'un an.

En marge du sommet cependant, il y a eu un certain nombre de critiques spécifiques contre les États-Unis. Le président du Parlement européen, Martin Shultz a déclaré que les dirigeants des services de renseignement américains sont « hors contrôle. […] Ce sont des forces que nous avons connues à l'époque de la guerre froide. »

Suite aux démarches de la France et de l'Allemagne, l'Espagne a, à son tour, convoqué l'ambassadeur américain vendredi pour clarifier les allégations concernant l'espionnage américain du gouvernement espagnol.

De nouveaux aspects de cette affaire ont été révélés au cours du sommet. Les documents du lanceur d'alerte Edward Snowden montrent clairement que les États-Unis ont espionné les téléphones d'au moins 35 chefs d'Etats. Le document publié ne détaille que sommairement les opérations et ne donne aucun nom. Il est probable, en revanche, que le nombre de politiciens en vue sous surveillance de la NSA soit bien plus élevé.

Dans le cas de l'espionnage de Merkel, l'ambassade américaine à Berlin est une source probable. Les documents de Snowden montrent que la CIA et la NSA ont établi un service de renseignement appelé Special Collection Service (SCS) qui avait spécialement pour tâche de placer des micros dans les ambassades et les consulats. Les agents se faisaient passer pour des diplomates et opéraient sans que les gouvernements concernés soient au courant.

D'autres documents publiés vendredi par le quotidien italien L'Espresso montrent que le GCHQ britannique espionnait systématiquement le gouvernement italien et les entreprises italiennes en collaboration avec la NSA, pour des objectifs qui comprenaient le « bénéfice de l'économie britannique. » De plus, le GCHQ et la NSA auraient intercepté, enregistré et procédé à des évaluations sur toutes les communications qui passent par le nœud de communication Internet de la Sicile.

Les révélations de Snowden ont déclenché des inquiétudes dans la classe dirigeante européenne, qui craint que l'opinion publique ne s'en émeuve et ne s'indigne. Le dirigeant de l'Union sociale chrétienne allemande (CSU) Horst Seehofer a déclaré qu'il était « vraiment en colère » contre l'espionnage militaire et industriel pratiqué par les États-Unis, et contre le fait qu'un « pays [aussi] grand et démocratique commette de manière évidente des infractions de ce genre. »

Dans le Süddeutsche Zeitung, l'adjoint du responsable de la rubrique affaires étrangères du journal, Hubert Wetzel, a écrit un commentaire intitulé « Des amis douteux. »

« La réputation de l'Amérique comme une puissance crédible pour la protection et la régulation s'effondre », écrit-il. En particulier au Moyen-Orient, les États-Unis ont « quitté le droit chemin » et par conséquent « ont embarrassé leurs alliés. » En annulant une offensive contre la Syrie, Obama a laissé la France « en attente » et il reste à voir si Merkel pourra encore faire confiance au président américain.

Dans le quotidien Die Welt, Claus Christian exprime la crainte « d'un risque que les plaques tectoniques ne se déplacent significativement des deux côtés de l'Atlantique. »

Les révélations de Snowden ont montré que l'Europe a également construit les bases d'un Etat policier fondé sur la surveillance totale des communications publiques et privées. Ce développement remet en question la légitimité des actions de l'Etat bourgeois pour des millions de gens. Les dirigeants politiques, par conséquent, cherchent à concentrer l'attention exclusivement sur l'espionnage des chefs d'Etat.

Mais tous ces dirigeants sont unis dans leur détermination à soumettre leur population respective à l'espionnage dans un contexte de montée de l'opposition populaire aux coupes dans les dépenses sociales, aux licenciements et aux guerres. Jeudi soir déjà, des discussions ont eu lieu au sommet concernant la poursuite de l'attaque contre les droits sociaux et la réduction des dépenses sociales sur tout le continent.

Avant le sommet, Merkel avait demandé que l'on étende le pacte fiscal européen, qui impose des budgets équilibrés à tous les membres de l'UE, à d'autres domaines de la politique. En particulier, les réformes structurelles du marché du travail, les dépenses pour les institutions publiques et le système fiscal devraient tomber sous le contrôle de l'UE, a déclaré Merkel.

La détermination directe par Bruxelles de la politique sociale, qui a déjà entraîné une catastrophe sociale en Irlande au Portugal et en Grèce, devrait s'étendre à toute l'Europe.

En retour, Merkel a indiqué que l'Allemagne soutiendrait les démarches vers une union bancaire, que Berlin avait bloquée jusque-là. Aucune décision définitive n'était attendue sur ces sujets à ce sommet, mais la direction générale était claire. En Grèce, la Commission européenne vient de demander une nouvelle série d'attaques sociales pour boucher les trous dans le budget causés par le renflouement des banques.

La nature réactionnaire de l'UE a été révélée le plus clairement sur la question des réfugiés. En dépit de la mort de près de 400 réfugiés au large de l'île italienne de Lampedusa, les participants au sommet ont rejeté tout changement aux accords de Dublin II, qui donnent la responsabilité de la gestion des réfugiés aux pays européens par où les réfugiés entrent en Europe. À la place, le sommet a donné son accord pour envoyer une force opérationnelle sceller les frontières de l'Europe plus efficacement.

Les demandes du premier ministre italien Enrico Letta que d'autres Etats européens augmentent leur accueil de réfugiés ont été sommairement repoussées.

(Article original paru le 26 octobre 2013)

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