Perspectives

La faillite de Détroit devant les tribunaux

Pendant plus de deux semaines, l’actualité à Détroit s'est concentrée sur la salle d’audience du juge Steven Rhodes, où les témoignages de dizaines de personnes, incluant le gouverneur du Michigan Rick Snyder, ont pris fin la semaine dernière. Rhodes devrait se prononcer sous peu sur la poursuite des procédures entourant la plus grande faillite municipale de l’histoire des États-Unis.

Derrière les apparats de la cour fédérale et sa façade de justice impartiale, ce qui est discuté est clair: un vol monumental.

Si, comme prévu, le juge décide que la faillite peut se poursuivre, la porte sera grande ouverte pour une attaque historique contre la classe ouvrière. L’élite économique et financière convoite les retraites des travailleurs municipaux et les œuvres du Musée d’art de Détroit (Détroit Institute of Arts, DIA). Elle les voit comme des actifs qui doivent être saisis et liquidés pour son propre enrichissement.

Pour la classe dirigeante, ce n’est pas seulement Détroit qui est en jeu. Les retraites des employés municipaux à travers le pays représentent des billions de dollars. Ce qui arrive à Détroit créera un précédent qui sera utilisé pour des opérations similaires de vol qualifié dans les villes et les États à travers le pays.

L’administration Obama est entièrement impliquée dans le viol de Détroit. Le mois dernier, les avocats du département de la Justice se sont opposés à une requête formulée par des retraités affirmant que la procédure de faillite était anticonstitutionnelle et qu’elle était utilisée pour sabrer les retraites des employés du secteur public, qui sont explicitement protégées par la constitution de l’État du Michigan.

Les partis aux audiences (les banquiers, les politiciens et les chefs syndicaux) étaient représentés par une troupe d’avocats très biens payés. La seule partie à avoir été complètement exclue des procédures est la population de Détroit.

Les résidents de Détroit sont complètement opposés (75 pour cent selon les sondages) aux attaques contre les retraites, les régimes de santé et les trésors publics comme le musée d'art. C’est pourquoi une dictature des banquiers a été imposée sous la forme d’un gestionnaire spécial non élu qui a des pouvoirs pratiquement illimités, et que des méthodes de conspiration, de désinformation et de dissimulation ont été employées.

Lors de la procédure de faillite, des preuves irréfutables ont montré l’existence d’un complot, qui a commencé après l’inauguration du gouverneur Snyder tôt en 2011, qui visait à nommer un administrateur spécial et provoquer la faillite de la ville. Pour ce faire, le gouverneur républicain, un ex-investisseur en capital-risque, a travaillé avec les responsables démocrates de la ville et de l’État, incluant le trésorier de l’État qu’il a lui-même nommé, Andy Dillon, et le maire de Détroit David Bing.

Un gouvernement parallèle, composé de consultants en finance, de banquiers d’affaire et d’avocats de faillite, travaillait dans les coulisses.

Snyder et Dillon ont fait affaire avec le cabinet d’avocats Jones Day, qui a beaucoup d’expérience dans l’utilisation des tribunaux de faillite pour détruire les emplois et les retraites des travailleurs dans l’acier, les pièces d’automobiles et d’autres industries privées. Jones Day fut étroitement impliqué, en 2009, dans la faillite et la restructuration forcées par l’administration Obama de Chrysler, en imposant entre autres des compressions salariales de 50 pour cent pour toutes les nouvelles embauches.

En mars 2011, le Emory Bankrutcy Journal, a publié un article rédigé par deux avocats de Jones Day. L’article s’intitulait: «Les retraites et le Chapitre 9: Est-ce que les municipalités peuvent utiliser la faillite pour résoudre le problème des retraites?»

Lors de la procédure de faillite, Kenneth Buckfire, un consultant financier embauché par l’administration Snyder, a témoigné que, dès mars 2012, Jones Day et les avocats de l’État recommandaient que la ville déclare faillite. Ils voulaient que la municipalité s'engage immédiatement dans cette voie, avant que les électeurs du Michigan ne révoquent la loi de l’État sur l'administrateur spécial dans un éventuel référendum.

Après que les électeurs ont justement fait cela en novembre 2012, Snyder a dit au Huffington Post que les «coûts dans le secteur public étaient plus élevés que ceux du secteur privé» et que cela était un «problème national». En quelques semaines, de concert avec les avocats de Jones Day, Snyder et Dillon ont produit une nouvelle version de la loi, en y ajoutant cette fois un projet de loi de crédits afin qu’elle ne soit pas défaite par un référendum. Le nouveau projet de loi fut passé rapidement devant le corps législatif républicain et est devenu loi en décembre 2012.

Les autorités de l’État, incluant l’obscur «chercheur de talent» de Snyder, Richard Baird, ont commencé, début 2013, à faire campagne pour Kevyn Orr, un collaborateur judiciaire de Jones Day basé à Washington DC, pour le poste de gestionnaire spécial à Détroit. Orr, un démocrate, a été un des avocats en chef de la firme lors de la faillite de Chrysler.

Lors de son témoignage au début du mois dans la procédure de faillite, Orr a cherché à éviter les questions qui faisaient référence au fait que lui et Snyder avaient décidé de provoquer la faillite de la ville bien avant la procédure officielle en juillet. Il a maintenu la fiction que c’était seulement en «dernier recours» et qu’il n’avait jamais cherché à contourner les protections des retraites par l’État.

Un courriel du trésorier du Michigan Dillon envoyé à Orr et daté du 10 juillet 2013 réfute entièrement ce mensonge. Après avoir vérifié la première déclaration de faillite rédigée par Orr, Dillon écrit qu’il ne pense pas que «nous expliquons bien pourquoi nous renonçons si vite à en arriver à un accord hors cours. Ça semble prémédité.» Il recommande à Orr de «dire que les faits se sont aggravés à mesure que nous nous rendions compte du véritable état de la situation… Nous ne disons même pas qu’ils ont rejeté l’offre de la ville. Je pense que nous devons montrer qu'il n'y a pas d'autres possibilités avant d’opter pour cela. Je suis d’accord avec la recommandation, mais je ne pense pas que nous défendions assez notre position.»

En d’autres termes, un verni pseudo-légal plus convaincant devait être appliqué pour cacher la complot de la faillite de Détroit.

Les syndicats représentés au procès, incluant les Travailleurs unis de l'automobile (UAW) et la Fédération américaine des employés d’États, de comtés et de municipalités (AFSCME), n’ont aucunement cherché à défier les attaques préparées contre les travailleurs de Détroit.

Au contraire, ils ont argumenté à maintes reprises qu'Orr aurait dû liquider les actifs de la ville, incluant les œuvres du musée d'art, avant de déclarer faillite et aurait dû accepter l’offre de «bonne foi» des syndicats consistant en l'imposition de centaines de millions de dollars en coupes de salaires et d’avantages sociaux contre leurs membres. «La crise financière de Détroit était très connue depuis des années» a déclaré l’avocat de l’UAW, ajoutant que «les coalitions syndicats pour des concessions ont une longue histoire».

Le comportement des avocats des syndicats souligne le fait que les responsables qui dirigent l'AFSCME et l’UAW tentent d'obtenir leur part dans le dépeçage de Détroit. Les syndicats font partie d’un front réactionnaire contre la classe ouvrière qui inclut les démocrates et les républicains, le juge Rhodes et les banques.

Tout le cadre de la faillite est basé sur un mensonge. L’affirmation selon laquelle il n’y a «pas d’argent» pour les retraites et les services essentiels est démentie par le fait que les fabricants d’automobiles de Détroit font des profits records, largement en raison des coupes dans les salaires et les avantages sociaux imposées par la Maison-Blanche. Wall Street, qui a précipité la crise financière et le ralentissement économique, engrange des profits records et les banquiers se récompensent avec des régimes de rémunération dans les huit chiffres.

Le World Socialist Web Site a couvert et analysé en long et en large la faillite de Détroit. Lui seul a fourni des reportages détaillés et honnêtes sur la procédure de faillite et les témoignages d'individus comme Snyder et Orr. Sans relâche, le WSWS a contré les déformations et les mensonges des grands médias.

Pour que la vérité sur cette conspiration voie le jour et que les intérêts sociaux et économiques derrière la faillite soient révélés, la classe ouvrière doit organiser sa propre enquête. C’est pour cela que le Parti de l’égalité socialiste et les Étudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale organisent, le 15 février 2014, une enquête ouvrière sur les attaques contre le Musée d'art et sur la faillite de Détroit.

Nous encourageons tous les travailleurs, les jeunes et les professionnels à contribuer à cette enquête et à faire connaître cette campagne. C’est seulement en faisant ressortir la vérité que les conditions peuvent être créées pour l’émergence d’un puissant mouvement de la classe ouvrière à Détroit, à travers les États-Unis et partout dans le monde contre le système capitaliste en faillite. Pour plus de renseignements sur l’enquête ouvrière de Détroit, visitez detroitinquiry.org.

(Article original paru le 14 novembre 2013)

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