Un couvre-feu militaire est imposé alors que la crise humanitaire frappe les Philippines

Une crise humanitaire aux proportions catasrophiques se dessine aux Philippines à la suite du super-typhon Haiyan, appelé Yolanda aux Philippines.

Si le bilan provisoire des morts confirmés publié par le gouvernement des Philippines n'est que de 1774, l'on s'attend à ce qu'il soit bien plus élevé au final. L'estimation du nombre de morts dans la seule ville de Tacloban a été annoncée à 10 000 et n'a pas été révisée. Un million de Philippins sont réfugiés dans des centres d'évacuation de fortune.

De grandes parties des Philippines centrales, des portions des îles de Samar, Leyte, Panay et Cebu, restent complètement isolées. Aucune aide n'a été expédiée dans ces lieux et aucun décompte des morts ou des dégâts n'y a été mené. Les responsables ont déclaré qu'il faudra des mois avant que l'électricité ne soit remise dans la région.

Lundi soir à Tacloban, plus de 100.000 personnes étaient sans abris, sans aide médicale, ni aide alimentaire ou eau courante. Des corps jonchent toujours les rues.

Le ministre de l'intérieur des Philippines, Mar Roxas, a déclaré que certaines aides commencent à arriver à l'aéroport de Tacloban, mais il a ajouté, « Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause des débris qui bloquent les routes dans la zone. » Les résidents de la ville par dizaines de milliers ont traversé à grande peine les huit kilomètres entre le centre ville et l'aéroport pour tenter de recevoir leur ration quotidienne de nourriture et d'eau. Des photos montrent des queues s'étalant à perte de vue de gens qui attendent de l'aide.€

Un résident, Joan Lumbre Wilson, a décrit à l'AFP la lutte quotidienne pour se rendre à l'aéroport pour obtenir de l'aide : « Nous avons besoin d'eau et de médicaments pour les blessés… Ils tentent de nous faire renoncer à nouveau, nous renvoyer chez nous, trop loin, et de le refaire le lendemain [marcher jusqu'aux entrepôts], et ce n'est pas juste pour nous […] Nous sommes déjà fatigués, épuisés émotionnellement, physiquement. »

Avec la montée du désespoir, les résidents ont tenté de trouver des médicaments, de la nourriture, de l'eau et des produits pour bébés sur place, en entrant de force dans les magasins fermés.

Andrew Pomeda, enseignant en lycée, a déclaré à un journaliste, « Tacloban est totalement détruite. Certaines personnes perdent la raison à cause de la faim ou la perte de leurs proches […] Les gens deviennent violents. Ils pillent les entreprises, les magasins, juste pour trouver de la nourriture, du riz, du lait… J'ai peur qu'en une semaine, les gens se mettent à tuer à cause de la faim. »

Ces tentatives d'obtenir les produits de base ont été décriées par les hommes d'affaires et le conseil municipal, qui ont demandé l'imposition d'une loi martiale pour garantir « la loi et l'ordre. »

Le président philippin Benigno Aquino a déclaré un état de calamité nationale et un état d'urgence dans la région concernée; ces deux mesures lui accordent des pouvoirs exécutifs exceptionnels. Il s'est servi de ces pouvoirs pour créer un état de fait comparable à la loi martiale.

Un couvre-feu a été imposé à tous les résidents de Tacloban. De 10 heures du soir à 6 heures du matin, personne ne doit être dans les rues. Plusieurs habitants de la ville interviewés ont déclaré que le couvre-feu commence à être imposé à 8 heures et non 10.

On ne voit pas bien comment les résidents pourront éviter d'être dans les rues dans une ville où 90 pour cent des logements ont été complètement dévastés. Des photos aériennes des quartiers les plus pauvres de Tacloban ressemblent à celles qui ont été prises après le largage de la bombe atomique sur Hiroshima : il n'y a rien qui soit encore debout.

L'état d'urgence est mis en application par 883 policiers lourdement armés et 500 militaires dont 169 viennent des forces spéciales. Ces troupes sont parvenus dans cette ville dévastée à bord d'avions cargos C-130 qui auraient dû servir à apporter les ravitaillements dont la ville a tellement besoin.

Ils patrouillent dans les rues en convois armés, qu'Aquino a décrit comme « une démonstration de force. » Le chef de la police nationale des Philippines, le général Alan Purisima, a déclaré qu'ils « inonderont Tacloban de policiers pour restaurer la loi et l'ordre […] Nous assurons les gens que le gouvernement aura tout le contrôle. Les policiers que nous avons déployés là-bas devraient faire sentir leur présence. »

Même en plein jour, les survivants sont régulièrement arrêtés, interrogés, et fouillés dans les rues et aux barrages militaires établis dans toute la ville.

Le maire de la ville de Davao, Rodrigo Duterte, un allié important des maoïstes des Philippines, a ordonné aux agents de sécurité qui accompagnent les camions et les ambulances qui se rendent à Samar et Leyte de tirer sur toute personne que tenterait de prendre elle-même l'aide et les médicaments apportés. Il a déclaré, « si ces gens n'écoutent pas vos demandes de ne pas toucher votre groupe, je vous ordonne de tirer sur toute personne qui continuera à tenter d'obtenir quoi que ce soit de votre part. »

Aquino a pris à son compte les pouvoirs du maire de Tacloban, Alfred Romualdez qui est un neveu de sa rivale politique Imelda Marcos, et nommé le ministre de l'intérieur, Mar Roxas, « tsar du désastre » en charge de toutes les fonctions du conseil municipal.

Richard Gordon, chef de la Croix rouge des Philippines et homme politique, a admis à la presse que la Croix-Rouge a délibérément « ralenti la livraison de l'aide » en raison des « pillages ». Son agence a déjà commandé 10 000 sacs pour les cadavres, mais il a déclaré, « on ne sait pas combien de gens ont été emportés en mer. »

Il a également admis que les travailleurs humanitaires n'avaient encore atteint aucune autre ville.

Il y a des estimations très générales des dommages sur certaines parties des côtes de Samar et Leyte. La ville de Guian, 50 000 habitants, serait totalement détruite. Plus de 500 personnes ont été enterrées dans un charnier dans la ville de Basey. Étant donné la différence énorme entre les morts admis officiellement et l'estimation des décès rien qu'à Tacloban, il est très probable que ce bilan sera largement dépassé quand le contact avec ces régions sera établi.

De plus, tous les logements et les cultures le long de la côte Est ont été détruits. Il faut craindre que les survivants dans ces régions, sans contact avec l'aide humanitaire, ne soient confrontés à des conditions désespérées, et possiblement la famine.

Le ministère de l'agriculture a publié une estimation initiale des dommages aux cultures causés par Haiyan, il a calculé qu'au 10 novembre, la valeur des destructions de cultures est de 3,7 milliards de pesos philippins (630 millions d'euros). Il a déclaré « le riz, qui est en récolte en ce moment, a subi les pires dégâts, suivi par les pêcheries et l'irrigation. Les autres denrées affectées sont le maïs, le bétail et les cultures les plus chères. »€

Avant même que les vautours de la finance internationale ne commencent à se rassembler, d'autres cherchent un moyen de profiter de la situation. Wu Mingze, spécialiste des marchés pour la branche Asie Pacifique de la compagnie OANDA, un groupe spécialisé dans l'import-export sur des contrats à terme, a déclaré « nous savons que l'effort de reconstruction va coûter de l'argent, mais ce coût sera bénéfique si on regarde le cycle de dépense. Cela va développer encore plus l'économie. »

Face à cette dévastation, Washington n'a promis que 100 000 dollars d'aide en liquide et, au lieu d'argent supplémentaire, ils ont envoyé un convoi de 90 marines. Dans le cadre des négociations en cours au sujet de l'installation permanente de forces américaines dans le pays qui contribueraient à la tentative américaine d'encerclement de la Chine, Washington est impatient d'exploiter la moindre opportunité pour placer ses troupes au sol afin de renforcer sa position dans les négociations.

La dévastation causée par Haiyan est universellement décrite comme le résultat tragique mais inévitable d'une colère imprévisible de la nature. C'est un mensonge politique sous couvert de fatalisme.

Les Philippines sont un pays qui occupe une position géographique précaire. Elles sont exposées à de forts risques volcaniques, de tremblements de terre, de typhons et de raz-de-marée. Ces catastrophes naturelles ont lieu avec une régularité presque prévisible, et l'humanité a la capacité technique de surveiller et de se préparer à ces événements ainsi que les ressources sociales pour limiter très fortement leurs conséquences.

Les morts et les démunis laissés dans le sillage d'Haiyan sont les victimes non du typhon mais d'une tempête parfaite d'inégalités sociales. Les logements détruits étaient construits avec les matériaux de la pauvreté, largement inadaptés pour supporter un événement de ce genre. Les logements et les entreprises des riches, construits en dur, sont toujours debout.

Les villes situées dans des zones à risque auraient dû avoir des centres d'évacuation bien approvisionnée et solidement bâtis dans un endroit sûr à distance de la côte. Aucun préparatif de ce genre n'a été fait.

Les survivants qui tentent désespérément de s'en sortir ne sont pas confrontés à une catastrophe naturelle sans états d'âme, mais à la puissance armée d'un état déterminé à faire respecter ces conditions d'une inégalité sociale qui crève les yeux.

(Article original paru le 12 novembre 2013)

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