France : la loi de programmation militaire vise la population française

La nouvelle Loi française de programmation militaire en préparation depuis octobre inclut un volet sur la surveillance de la population qui revient pour l'essentiel à donner aux autorités françaises des droits comparables à ceux de leurs homologues américains révélés par Edward Snowden et WikiLeaks. Le Wall Street Journal, journal de l'élite financière américaine, a même pu se permettre d'écrire que « la surveillance numérique américaine n'est rien en comparaison de ce que la France s'apprête à faire. »

Un article du Monde cet été, révélait que la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) espionne les réseaux Internet & téléphoniques comme le fait la NSA, agence américaine d'espionnage électronique. Maintenant, les services de renseignement et l’État y investissent davantage de ressources et tentent de faire accepter plus largement leurs activités, en leur donnant un cadre légal officiel. Les nouveaux pouvoirs accordés à l'administration française permettront à l'ensemble des services de renseignements et des impôts de pratiquer un suivi spécifique et en temps réel des données de connections de dizaines de milliers de personnes par an. 

Ces accès concernent aussi bien les téléphones portables que les ordinateurs, et portent sur toutes les informations qu'ils transmettent en dehors du contenu des messages. Avec ces données il est facile de localiser une personne, de dresser une liste de ses contacts et de ses centres d'intérêts, de connaître la durée et la date de chaque communication, d'avoir une bonne idée de toute sa vie en fait. Le volume de la surveillance envisagée rend possible la surveillance intégrale d'un parti politique ou de nombreuses associations.

Néanmoins, il y a également un volet de la loi, issu d'un amendement déposé par un député PS, qui étends la possibilité de demander des écoutes aux services de lutte contre la fraude fiscale. 

Contrairement aux écoutes et au rassemblement de données privées pour les enquêtes judiciaires, qui exigent une autorisation donnée par un juge d'instruction indépendant, les écoutes et autres moyens de surveillance de la population pour des raisons « administratives » ne sont autorisées que par le gouvernement lui-même. Il existe un organisme, la CNCIS, auquel les gens qui soupçonnent être écoutés peuvent demander de le vérifier, mais toute la procédure de vérification est secrète. 

L'article du Monde sur la DGSE, publié le 4 juillet, indiquait que celle-ci en laissait l'accès à d'autres services de renseignements et même à la police, en toute illégalité. La nouvelle loi va combler ce vide juridique, sans offrir aucune garantie supplémentaire à la population, tous les contrôles supplémentaires restants internes au gouvernement.

Ces dispositions entrent dans un cadre plus large de redéfinition de la politique militaire française, un article de Libération notait que cette loi de programmation militaire prévoit de nombreuses suppressions de postes dans l'armée de terre notamment, et qu'en revanche « l’accent est mis sur le renseignement, la cyber-défense et l’augmentation des effectifs des forces spéciales pour faire face aux nouvelles menaces ».

Avec la poursuite de la crise économique mondiale, et la montée des mouvements de protestation en France comme on a pu le voir en Bretagne dernièrement avec le mouvement contre l'éco-taxe, ce tournant du numérique dans l'orientation de la défense française ne peut pas s'interpréter uniquement comme une adaptation aux circonstances extérieures, il s'agit également pour l'état bourgeois de renforcer ses capacités face à des risques intérieurs de plus en plus nets.

Ainsi, un préfet s'est hypocritement déclaré « étonné » par la polémique autour de cette loi : « Quand l'affaire Merah éclate, on dit que la police n'a pas su prévoir. Et maintenant, on reproche aux services de vouloir anticiper. » En fait, l'affaire Merah, si elle conserve de nombreuses zones d'ombre, a surtout une certitude : les commentaires de Bernard Squarcini, directeur des renseignements intérieurs à l'époque, indiquent que Merah était déjà connu des services de renseignements et leur a servi d'informateur bien avant les attentats. Les services français ont pu consulter ses données de connexion et n'en ont rien fait pendant plusieurs jours alors que les meurtres continuaient.

Il est donc clair que ce vaste édifice de surveillance politique est plutôt dirigé contre la population, et non contre quelques diplomates étrangers ou terroristes d'Al Qaïda. 

La République française, si elle conserve pour le moment les apparences principales d'une démocratie, se rends compte qu'elle a besoin de la même infrastructure dont aurait besoin un état policier. À cet égard, il n'est pas anodin que le principal mouvement d'opposition de ces derniers mois concerne une taxe et que cette loi étende de beaucoup les capacités de l'administration fiscale.

Les motifs envisagés par la loi pour autoriser ce recueil administratif des données de connexion s’élargissent également, il n'est plus seulement question de « terrorisme » (justification pourtant déjà très large comme on l'a vu depuis l'ère Bush aux États-Unis), mais de « sauvegarder des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, assurer la sécurité nationale, prévenir la criminalité et la délinquance organisées, ou éviter la reconstitution de groupements dissous. » Il devient donc légal pour l'état de surveiller par exemple toute personne qui remettrait en question les secteurs économiques français les plus importants, ceux où la collusion entre puissance publique et intérêts privés est la plus forte, comme le nucléaire, le pétrole ou l'armement. Le fait que cette personne pourrait simplement invoquer pour sa défense le respect des idéaux affichés en 1944 par le Conseil national de la résistance, dont le programme demandait « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », n'aura plus aucune valeur juridique.

Il y a deux semaines, l'on apprenait la mort du général Aussaresses, l'un des fondateurs du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE – prédécesseur de la DGSE), et surtout resté célèbre pour son rôle de tortionnaire lors de la guerre d'Algérie, dont il était toujours « fier. » Il est de plus en plus évident que les intérêts fondamentaux de la république française bourgeoise qu'il défendait à l'époque restent les mêmes aujourd'hui, et qu'elle pourra revenir aux mêmes méthodes pour les défendre. 

Le Nouveau Parti anticapitaliste et le Parti ouvrier indépendant n'ont pas publié de réaction à cette loi, Lutte ouvrière a publié le 13 décembre une brève qui relève rapidement l'hypocrisie de la position du gouvernement en prenant bien soin d'éviter toute réflexion sur les enjeux plus larges des questions de sécurité.

Ces partis qui se disent « révolutionnaires » voir « trotskystes », révèlent ainsi leur intégration dans les milieux les plus réactionnaires de l'appareil d’État. Ils sont dans leur rôle en gardant le silence sur l'espionnage de la DGSE : ils ne se sentent pas menacés par ces développements parce qu'ils ont en fait plus de points communs avec les partis de gouvernement qu'avec la perspective révolutionnaire incarnée par le Comité international de la Quatrième internationale. Comme nous l'écrivions il y a un mois: « Dépendant financièrement des patrons et de l’Etat, avec qui ils ont négocié de multiples attaques contre les retraites et les acquis sociaux dans les années 2000, ils travaillent étroitement avec les forces de l’ordre et les services de renseignement. Leur but est d’étrangler les luttes ouvrières et d'empêcher qu’elles ne débordent de manière à nuire aux intérêts patronaux. » Leur absence de réaction vient confirmer cette analyse une fois de plus.

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