La lutte pour le pouvoir continue en Ukraine

L’issue de la lutte pour le pouvoir en Ukraine reste ouverte. Mardi soir, la police anti-émeute a tenté de dégager les zones occupées par les manifestants sur la place de l’Indépendance et à l’Hôtel de ville qui a été occupé par les adversaires du gouvernement. La police s’est cependant retirée au petit matin. L’opposition a appelé à de nouvelles protestations pour mercredi soir.

Apparemment, la police avait reçu l’ordre d’agir avec modération. Elle a démonté les barricades en cherchant à faire refluer les manifestants à l’aide de leurs boucliers et en ne recourant qu’occasionnellement à la matraque et aux gaz lacrymogènes. Le 30 novembre, un traitement bien différent et brutal qui avait été infligé par l’unité spéciale Berkut (Aigle doré) à des manifestants avait donné lieu le lendemain à une manifestation de plus d’une centaine de milliers de personnes contre le gouvernement.

Mercredi, le premier ministre, Mykola Azarov, et le ministre de l’Intérieur Vitali Zakharchenko, ont assuré qu’il ne serait fait usage d’aucune violence contre des manifestants pacifiques. « J’aimerais rassurer tout le monde – la place ne sera pas prise d’assaut, » a dit Zakharchenko.

Le président Viktor Ianoukovitch, dont les protestataires exigent la démission, a rencontré mardi lors d’une réunion diffusée en direct par la télévision ses trois prédécesseurs, Leonid Kravchuk, Leonid Kouchma et Viktor Ioutchenko. Le trio a réclamé une solution négociée. Kravchuk a invité l’opposition à participer à une « table ronde » avec le gouvernement ce que celle-ci a immédiatement refusé.

Julia Tymochenko a demandé la démission immédiate du président et de sa suite. « Aucune négociation, aucune table ronde avec cette bande, » pouvait-on lire dans le texte issu par la dirigeante emprisonnée du parti Batkivchtchina (la Patrie). Oleg Tiagnibok du parti d’extrême droite Svoboda (Liberté) a qualifié la proposition d’un jeu arrangé d’avance.

Vitali Klitchko a déclaré il « ne peut y avoir de compromis avec des coupe-gorge et des dictateurs. » Le boxeur professionnel et dirigeant du parti UDAR a exigé « la démission de Ianoukovitch et de son gouvernement pourri. »

Les dirigeants de l’opposition se sentent renforcés par le soutien de l’Union européenne et du gouvernement américain. La représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton, est arrivée mardi à Kiev et, après une réunion avec le président Ianoukovitch, a traversé la place de l’Indépendance assiégée, bras dessus bras dessous avec le porte-parole du parti Patrie, Arseny Iatseniouk.

Jeudi, le parlement européen votera une résolution conjointe présentée par ses quatre plus grands groupements – les conservateurs du Parti populaire européen (EVP), les socialistes, les Libéraux et les Verts. Tous exigent une solution pacifique « qui réponde aux attentes de la société ukrainienne. » A cette fin, un groupe de représentants « au plus haut niveau politique » de la Commission européenne, du Conseil et du parlement européen faisant fonction de médiateur doit être envoyé à Kiev.

Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a publié un communiqué disant : « Les Etats-Unis expriment leur dégoût devant la décision des autorités ukrainiennes de répondre à la manifestations pacifique sur la place Maidan, à Kiev, avec la police anti-émeute, des bulldozers et des matraques, plutôt qu’avec le respect pour les droits démocratiques et la dignité humaine. Cette réaction n’est ni acceptable ni bénéfique pour la démocratie. »

L’adjointe de Kerry, Victoria Nuland, qui est également arrivée mardi à Kiev, a distribué des biscuits et du thé aux manifestants ; elle a eu des pourparlers avec les dirigeants de l’opposition dans la mairie occupée par les manifestants. 

L’épreuve de force entre l’Etat et les manifestants sur la place de l’Indépendance n’est que la surface sous laquelle l’UE et les Etats-Unis d’une part, et la Russie de l’autre, règlent leur querelle géopolitique au sujet de l’Ukraine et que divers groupes d’oligarques ukrainiens mènent une lutte d’influence.

En dépit de ses propres affirmations, l’opposition ne représente pas le « peuple ukrainien » ou « la société civile ukrainienne ». Une étude réalisée par le Centre européen pour une Ukraine moderne pro-UE a constaté que seulement 13 pour cent de la population dans la partie orientale du pays soutiennent les protestations contre le gouvernement contre 84 pour cent dans la partie occidentale. La décision de Ianoukovitch de ne pas signer l’accord d’association avec l’UE, qui a été au départ des manifestations, est rejetée par une majorité à l’ouest mais appuyée par 70 pour cent à l’est.

Un certain nombre d’études montrent clairement qu’il existe parmi les manifestants une grande méfiance à l’égard des dirigeants de l’opposition. Selon un récent rapport issu par la fondation Friedrich Naumann, de nombreux manifestants considèrent les politiciens de l’opposition comme de « potentiels collaborateurs de l’élite dirigeante. »

Ce qui a fait descendre nombre d’entre dans les rues ce ne sont pas tellement les objectifs politiques de l’opposition mais plutôt une colère profonde à l’égard de la décrépitude économique, de la corruption au sommet hiérarchique de l’Etat et de la société et de la brutalité de la police à l’égard des forces de l’opposition.

Les décisions politiques essentielles ne sont ni prises par le gouvernement ni par l’opposition mais par les oligarques qui, en Ukraine et plus encore qu’en Russie, dominent la vie économique et politique.

La tentative de l’opposition de faire voter en toute hâte le 3 décembre au parlement une motion de défiance à l’encontre du gouvernement était basée sur l’espoir qu’un oligarque soutenant le président rompe les rangs. Le chef du secrétariat de la chancellerie, Sergei Levochkin, un homme de confiance de l’oligarque Dimitri Firtash, avait critiqué la violence employée par la police à l’égard des manifestants et Inna Bogoslovska, qui fait également partie du camp Firtash, a même donné sa démission du parti du président en signe de protestation.

Firtash doit ses milliards au négoce de gaz et à l’industrie chimique grâce à ses étroites relations avec le monopole gazier russe Gazprom et son virement de cap avait été quelque peu surprenant. Lors du vote de défiance toutefois, suffisamment de ses députés ont soutenu le gouvernement pour que la motion de défiance se solde par un échec.

Rinat Akhmetov, l’homme le plus riche d’Ukraine, qui contrôle des mines de charbon et des aciéries dans l’est du pays et qui est étroitement lié à la « famille » du président est également resté loyal envers le gouvernement. Akhmetov a aussi cependant clairement fait comprendre qu’il était intéressé par des relations plus étroites avec l’UE. 

Le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung a cité un « initié » pour avoir dit que face à la rivalité entre le Kremlin et l’UE, les oligarques ukrainiens cherchaient à protéger leur richesse en « mettant des œufs dans tous les paniers. »

A l’issue de sa réunion avec Ashton, le président Ianoukovitch a signalé que lui aussi était prêt à coopérer plus étroitement avec l’UE. Dans une discussion télévisée en compagnie de ses trois prédécesseurs, il a annoncé vouloir envoyer mercredi une délégation à Bruxelles afin de s’assurer que l’accord d’association avec l’UE pourrait être signé en mars prochain.

Comme condition préalable, toutefois, le premier ministre Mykola Azarov a réclamé une aide en prêts à hauteur de 20 milliards d’euros pour prévenir une faillite imminente du pays et compenser l’impact économique de l’accord avec l’UE. Sa proposition fut immédiatement rejetée par un porte-parole du gouvernement allemand.

En vertu des termes de l’accord d’association, l’UE exige des « réformes » globales – une dévaluation de la monnaie nationale, une hausse des prix de l’énergie pour les consommateurs et une réduction des salaires et des retraites. De plus, l’on s’attend à ce que de nombreuses entreprises industrielles ukrainiennes s’effondrent sous la pression des concurrents européens. La peur des conséquences d’une telle politique a été la raison pour laquelle Ianoukovitch n’avait, dans un premier temps, pas signé l’accord d’association.

Le camp gouvernemental comme l’opposition n’a rien à offrir à la classe ouvrière. Les partis de l’opposition sont tout disposés à soutenir et à appliquer le programme de « réforme » radicale de l’UE qui signifie une extrême pauvreté pour la grande majorité de la population. Le gouvernement est également prêt à emprunter la même voie mais sans vouloir compromettre ses relations avec les oligarques milliardaires en Ukraine et en Russie.

L’unique voie pour aller de l’avant pour la classe ouvrière ukrainienne est une lutte commune avec les travailleurs en Europe et en Russie en faveur d’une société fondée sur le principe de l’égalité sociale au lieu de l’enrichissement de quelques-uns aux dépens de la vaste majorité, c’est-à-dire la lutte pour les Etats socialistes unis d’Europe.

(Article original paru le 12 décembre 2013)

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